Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20050920

Dossier : A-539-04

Référence : 2005 CAF 303

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                            NASRULLAH ZAZAI

                                                                                                                                              appelant

                                                                                                                                       (demandeur)

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                                                         (défendeur)

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario) le 13 septembre 2005

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 20 septembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20050920

Dossier : A-539-04

Référence : 2005 CAF 303

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                            NASRULLAH ZAZAI

                                                                                                                                              appelant

                                                                                                                                       (demandeur)

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                                                         (défendeur)

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Après avoir rejeté la demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie, la juge Layden-Stevenson de la Cour fédérale (la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire) a certifié la question suivante :

La définition de « crime contre l'humanité » figurant au paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre vise-t-elle le fait d'être complice de ces crimes?

La réponse est un « oui » catégorique.


[2]                La Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24 (la Loi) édictée par le législateur a un triple objet. Son objet premier est la répression des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis au Canada ou à l'étranger. Elle vise également la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Enfin, elle modifie certaines lois en conséquence.

[3]                Aux termes de l'alinéa 6(1)b) de la Loi, quiconque commet à l'étranger un crime contre l'humanité est coupable d'un acte criminel punissable au Canada. Je reproduis cet alinéa, ainsi que le paragraphe 6(3), où l'on trouve une définition de l'expression « crime contre l'humanité » :



6. (1) Quiconque commet à l'étranger une des infractions ci-après, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, est coupable d'un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l'article 8 :

a) génocide;

b) crime contre l'humanité;

c) crime de guerre.

[...]

(3) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« _crime contre l'humanité_ » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait - acte ou omission - inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

6. (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada

(a) genocide,

(b) a crime against humanity, or

(c) a war crime,

is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8.

...

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

Contexte procédural et factuel

[4]                Je me contenterai de reproduire les paragraphes 1 à 4 de la décision de la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire. On y trouve suffisamment de renseignements au sujet du contexte dans lequel elle a rendu sa décision sur la mesure d'expulsion prise contre l'appelant le 17 janvier 2002 :

[1]      M. Zazai vit au Canada depuis le 17 novembre 1993. Une mesure d'expulsion a été prise à son endroit le 17 janvier 2002. Il prétend que la mesure d'expulsion n'aurait pas dû être prise.

[2] Citoyen de l'Afghanistan, M. Zazai est entré au Canada en tant que passager clandestin. Il a revendiqué le statut de réfugié après son arrivée au port de Montréal. Son Formulaire de renseignements personnels (FRP) a été rempli le 11 février 1994 et son audience devant la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a eu lieu le 11 octobre 1994 et le 22 mars 1995. Le 10 août 1995, la SSR a conclu que M. Zazai était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention - prévue par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi) - compte tenu de l'alinéa a) de la section F de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés(la Convention) des Nations Unies. Le tribunal a conclu qu'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis des crimes contre l'humanité. La demande d'autorisation de M. Zazai présentée à l'égard de la décision rendue par la SSR a été rejetée le 5 janvier 1996.

[3] Le 10 octobre 1996, il a présenté une demande d'établissement en tant que demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada. Un rapport suivant le paragraphe 27(2) de la Loi a été préparé et, suivant le paragraphe 27(3), la tenue d'une enquête a été ordonnée le 8 décembre 2000. L'enquête a été tenue devant une arbitre le 26 juin 2001, le 26 octobre 2001 et le 16 janvier 2002. L'arbitre était convaincue que l'allégation - selon laquelle M. Zazai était une personne décrite à l'alinéa 27(2)a) associé à l'alinéa 19(1)j) de la Loi - avait été prouvée. Par conséquent, l'arbitre a conclu que le demandeur devait faire l'objet d'une mesure d'expulsion suivant le paragraphe 32(6) de la Loi. La mesure d'expulsion a été signée le 17 janvier 2002.


[4] M. Zazai a présenté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre et sa demande d'autorisation a été accueillie. Sa demande de contrôle judiciaire a été entendue le 7 mai 2003 et, par une ordonnance datée du 21 mai 2003, la Section de première instance de la Cour fédérale, comme elle était alors constituée, a accueilli la demande (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 639). Le ministre a interjeté appel. L'appel a été entendu le 2 mars 2004 et, par un jugement daté du 4 mars 2004, la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel, a annulé l'ordonnance rendue par le juge qui avait entendu la demande de contrôle judiciaire et a renvoyé l'affaire à la Cour fédérale afin qu'elle statue à nouveau sur l'affaire (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 318 N.R. 365 (C.A.F.)).

La décision de la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire

[5]         L'appelant a avancé deux arguments devant la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire. Il a d'abord soutenu que l'arbitre qui avait instruit sa cause avait commis une erreur dans les conclusions qu'elle avait tirées au sujet de la crédibilité. La juge saisie de la demande de contrôle judiciaire a estimé que les conclusions de fait de l'arbitre n'étaient pas déraisonnables et qu'elles n'étaient pas entachées d'erreurs qui auraient justifié son intervention. Je ne puis dire qu'elle a commis une erreur en tirant cette conclusion.

[6]         Au paragraphe 6 de sa décision, la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire résume ainsi le second argument de l'appelant : « le concept de complicité dans la perpétration de crimes contre l'humanité du fait de l'appartenance à une organisation qui vise des fins limitées et brutales, concept qui a sa source en droit relatif aux réfugiés, ne s'applique pas aux dispositions de la Loi [sur l'immigration, L.R.C 1985, ch. 1-2, modifiée, (l'ancienne Loi)] qui se rapportent à l'admissibilité » . Je reproduis l'alinéa 19(1)j) de l'ancienne Loi, qui renferme la règle d'inadmissibilité applicable, ainsi que l'alinéa 35(1)a) de la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la nouvelle Loi), qui a remplacé l'ancienne Loi et dont la teneur est semblable :


19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[...]

j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis une infraction visée à l'un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre;

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

(j) persons who there are reasonable grounds to believe have committed an offence referred to in any of sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre;

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

Par souci de commodité, je renvoie à l'alinéa 35(1)a) de la nouvelle Loi, comme l'avocat de l'appelant l'a fait à l'audience.

[7]         La thèse de l'appelant est essentiellement que, bien que notre Cour ait décidé, dans les arrêts Ramirez c. Canada, [1992] 2 C.F. 306; Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433; Sumaida c. Canada, [2000] 3 C.F. 66, et Zrig c. Canada, [2003] 3 C.F. 762, que la complicité dans la commission d'un crime contre l'humanité justifie, en vertu des alinéas 1Fa) et 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, l'exclusion du régime de protection prévu par la Convention, ces décisions ne font pas autorité lorsqu'il s'agit, dans des circonstances semblables, d'interdire une personne de territoire au Canada en vertu de l'alinéa 35(1)a) de la nouvelle Loi.


[8]         La juge saisie de la demande de contrôle judiciaire a écarté l'argument de l'appelant. Au paragraphe 43 de sa décision, elle a fait ressortir, dans les termes suivants, l'incongruité qu'entraînerait l'acceptation d'un tel argument :

[43]      À mon avis, il est inconcevable que le législateur ait eu l'intention d'exclure un individu qui - en l'absence de raisons sérieuses de penser qu'il a commis des crimes internationaux - peut autrement avoir le droit d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention et, en même temps, de permettre à cet individu de présenter une demande de statut de résident permanent et d'obtenir ce statut - malgré la disposition à l'égard de l'interdiction de territoire - sur le fondement que la jurisprudence se rapportant à la disposition à l'égard de l'exclusion ne s'applique pas à la disposition à l'égard de l'interdiction de territoire. En dépit des objets distincts de deux dispositions, il n'est pas logique qu'une disposition puisse en contredire une autre de façon si incongrue.

[9]         Elle a tiré cette conclusion après avoir analysé l'objet des deux dispositions (l'alinéa 19(1)j) de l'ancienne Loi et l'Article 1F de la Convention), ainsi que les objectifs de la politique en matière d'immigration et les principes d'interprétation des lois, en particulier

la présomption de cohérence de la loi.

[10]       Elle a finalement rejeté la demande de contrôle judiciaire.

Analyse des moyens invoqués en appel par l'appelant

[11]       L'appelant formule sous une forme quelque peu différente les arguments qu'il avait invoqués devant la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire.


Absence de crime de complicité à l'alinéa 6(1)b) de la Loi

[12]       L'appelant soutient tout d'abord que l'alinéa 6(1)b) de la Loi ne prévoit aucun crime de complicité. Il fonde son affirmation sur le paragraphe 6(1.1) de la Loi, où l'on trouve les crimes de complot, de tentative et d'incitation :

6. (1.1) Est coupable d'un acte criminel quiconque complote ou tente de commettre une des infractions visées au paragraphe (1), est complice après le fait à son égard ou conseille de la commettre.

6. (1.1) Every person who conspires or attempts to commit, is an accessory after the fact in relation to, or counsels in relation to, an offence referred to in subsection (1) is guilty of an indictable offence.

Il affirme toutefois qu'il ne trouve nulle part le crime de complicité dans ces deux dispositions (l'alinéa 6(1)b) et le paragraphe 6(1.1)).

[13]       Je ne suis pas surpris qu'il ne trouve pas ce crime parce que la complicité n'est pas un crime. En common law et en droit pénal canadien, la complicité était et est toujours considérée comme une modalité de la perpétration d'un crime. Elle s'entend de l'acte ou de l'omission de celui qui aide ou facilite la réalisation d'un crime. Le complice est donc accusé du crime qui a été effectivement commis et il est jugé pour ce crime, dont il a aidé ou facilité la perpétration. En d'autres termes, qu'on l'aborde du point de vue de notre droit interne ou de celui du droit international, la complicité suppose la contribution à la réalisation d'un crime.


[14]       Il ne faut pas confondre la complicité avec les crimes inchoatifs de complot, de tentative et d'incitation à commettre un crime. Ces crimes inchoatifs, que l'on trouve au paragraphe 6(1.1) de la Loi, constituent des infractions matérielles précises, des infractions distinctes. À la différence de la complicité, ce ne sont pas des modalités ou des modes de perpétration d'un crime.

[15]       Le concept de complicité existe aussi en droit pénal international. Dans les affaires Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1, 15 juillet 1999, et Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1, 25 juin 1999, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a jugé des subalternes et des gardiens de camp pénalement responsables de complicité pour des crimes commis par divers groupes.

[16]       Dans le jugement Le Procureur c. Miroslov Kvocka et autres, IT-98-30, 2 novembre 2001, le Tribunal écrit ce qui suit, au paragraphe 312 :

En résumé, pour être déclaré pénalement responsable d'avoir participé à une entreprise criminelle commune, un accusé doit avoir agi de manière à aider substantiellement cette entreprise ou à favoriser la réalisation de ses objectifs de manière importante et ce, tout en ayant eu conscience que ses actes ou omissions ont facilité les crimes perpétrés dans le cadre de ce projet. Pour voir sa culpabilité retenue, le participant ne doit pas forcément avoir connaissance de chaque crime commis. Le simple fait de savoir que des crimes sont commis dans le cadre d'un système et de participer sciemment à ce système de manière à faciliter considérablement la commission d'un crime ou à permettre à l'entreprise criminelle de fonctionner efficacement suffit à cet égard. Le complice ou le coauteur d'une entreprise criminelle commune contribue aux crimes perpétrés dans ce cadre si le rôle qu'il joue permet au système ou à l'entreprise de continuer à fonctionner. [Non souligné dans l'original.]

[17]       Le Tribunal pénal international pour le Rwanda est arrivé à des conclusions semblables dans les affaires Le Procureur c. Bagilishema, ICTR-95-1, 7 juin 2001, Le Procureur c. Musema, ICTR-96-13-1, 27 janvier 2000, 16 novembre 2001; Le Procureur c. Rutaganda, ICTR-96-3, 6 décembre 1999.


Abrogation de la complicité par suite de l'abrogation du paragraphe 7(3.77) du Code criminel

[18]       À l'appui de son argument que l'alinéa 35(1)a) de la nouvelle Loi et l'alinéa 6(1)b) de la Loi ne répriment pas la complicité, l'appelant invoque l'abrogation des paragraphes 7(3.76) et 7(3.77) du Code criminel et leur remplacement par les articles 4 et 6 de la Loi.

[19]       On se souviendra que le paragraphe 7(3.76) renfermait une définition du crime contre l'humanité et que le législateur précisait, au paragraphe 7(3.77) ( « for greater certainty » dans la version anglaise), qu'étaient assimilées à un crime contre l'humanité, outre un certain nombre d'infractions inchoatives, la complicité sous forme d'aide ou d'encouragement à commettre un acte ou une omission (non souligné dans l'original). Le paragraphe 7(3.77) était ainsi libellé :

7. (3.77) Sont assimilés à un crime contre l'humanité ou à un crime de guerre, selon le cas, la tentative, le complot, la complicité après le fait, le conseil, l'aide ou l'encouragement à l'égard d'un fait visé aux définitions de ces termes au paragraphe (3.76).

7. (3.77) In the definitions "crime against humanity" and "war crime" in subsection (3.76), "act or omission" includes, for greater certainty, attempting or conspiring to commit, counselling any person to commit, aiding or abetting any person in the commission of, or being an accessory after the fact in relation to, an act or omission.


[20]       En toute déférence, je ne crois pas que l'abrogation du paragraphe 7(3.77) ait changé quoi que ce soit sur le plan légal en ce qui concerne la complicité, si ce n'est que l'abrogation de cette disposition, que le législateur avait insérée « pour plus de certitude » , ne pouvait manquer de créer de la confusion ou d'engendrer des procès, ou les deux. L'abrogation ne modifie pas la loi, parce que, s'agissant d'un crime, le mot « commet » tel qu'il est employé à l'alinéa 6(1)b) de la Loi vise et englobe les divers moyens employés pour perpétrer ce crime. Celui qui « commet » le crime peut être la personne qui en est personnellement l'auteur ou qui agit par l'entremise d'un tiers de bonne foi, ou encore qui fournit aide, encouragement ou conseil à l'égard de l'acte criminel.

[21]       En d'autres termes, en ce qui concerne la notion de complicité, l'abrogation de cette disposition du Code criminel n'a aucune incidence sur les règles de common law qui régissent la question ni sur la jurisprudence pénale canadienne. Le paragraphe 6(1) de la Loi, qui emploie le mot « commet » pour parler des crimes contre l'humanité, ne fait pas exception à la règle généralement admise en droit interne et en droit coutumier international, suivant laquelle la complicité s'entend des méthodes ou moyens employés pour commettre un crime et engage la responsabilité criminelle de ceux qui sont jugés complices. Ainsi que la Cour suprême du Canada nous l'a rappelé dans l'arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.S. no 39, 2005 CSC 40, aux paragraphes 126 et 133, les paragraphes 7(3.76) et (3.77) du Code criminel « incorporent expressément le droit international coutumier » .

L'arrêt Mugesera de la Cour suprême du Canada a-t-il modifié les règles de droit concernant la complicité?


[22]       L'appelant affirme que l'arrêt Mugesera de la Cour suprême appuie sa prétention en ce qui concerne la complicité. Je ne suis pas de son avis. J'estime en effet que la Cour suprême n'était pas confrontée à une question de complicité dans la commission d'un crime par un tiers. M. Mugesera était l'auteur du crime. De plus, les accusations portées contre lui concernaient des infractions inchoatives d'incitation au génocide et d'incitation à la haine. Ainsi que je l'ai déjà mentionné, il ne faut pas confondre la complicité avec le crime inchoatif d'incitation.

La complicité en tant que notion plus large que l'aide et l'encouragement

[23]       L'appelant fait valoir que la notion de complicité est plus vaste que celle d'aide et d'encouragement à commettre un crime. Je ne suis pas en désaccord, étant donné que notre Cour a reconnu et accepté, à certaines conditions bien précises, la notion de complicité par association (voir les arrêts Ramirez, Sivakumar, Sumaida et Zrig, précités), Je ne vois cependant pas en quoi cet argument peut aider la thèse de l'appelant sur le plan juridique.

L'appartenance à une organisation ayant commis des crimes contre l'humanité à l'extérieur du Canada suffit-elle pour justifier la conclusion qu'une personne a commis un crime au sens de l'alinéa 6(1)b) de la Loi?

[24]       L'appelant soutient, à juste titre à mon avis, que la simple appartenance à une organisation qui a commis des crimes contre l'humanité à l'extérieur du Canada ne suffit pas pour déclencher l'application de l'alinéa 6(1)b) de la Loi et, en conséquence, pour justifier une déclaration d'interdiction de territoire en vertu de l'alinéa 35(1)a) de la nouvelle Loi. Ce n'est cependant pas la situation dans laquelle se trouve l'appelant.


[25]       En fait, ainsi que l'arbitre l'a conclu et que la juge saisie de la demande de contrôle judiciaire l'a confirmé, il y a suffisamment d'éléments de preuve convaincants pour conclure que l'appelant a sciemment et volontairement été pendant cinq ans membre d'un service de renseignement secret et que cette organisation, qui relevait du ministère de la Sécurité d'État et qui était connue sous le nom de KHAD, a torturé et supprimé les gens qui s'opposaient au gouvernement. Il ressort de la preuve que l'appelant avait joint l'organisation à titre de lieutenant et qu'il s'était hissé au rang de capitaine. Non seulement partageait-il et épousait-il les vues de cette organisation qui visait des fins brutales, mais il a également assisté à des séances de formation et fourni le nom de ceux qui refusaient de collaborer.

[26]       Selon la preuve, l'appelant était de son propre gré et à des fins intéressées membre d'une organisation qui visait des fins brutales et dont la seule raison d'être était l'élimination de toute activité antigouvernementale et la perpétration de crimes qui peuvent être considérés comme des crimes contre l'humanité ou être assimilés à de tels crimes. Il savait que l'organisation à laquelle il participait et à laquelle il prêtait son concours pratiquait la torture et le meurtre. Tant selon la jurisprudence canadienne que suivant la jurisprudence internationale, les agissements de l'appelant constituent de la complicité dans la perpétration de crimes contre l'humanité. En conséquence, c'est à bon droit que la juge de la Cour fédérale a confirmé la décision de l'arbitre portant que l'appelant appartenait à une catégorie non admissible au sens de l'alinéa 19(1)j) de l'ancienne Loi ou était interdit de territoire au sens de l'alinéa 35(1)a) de la nouvelle Loi.


[27]       Je répondrais par l'affirmative à la question certifiée et je rejetterais l'appel.

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

Juge

« Je suis du même avis. »

Le juge Marshall Rothstein

« Je suis du même avis. »

Le juge B. Malone

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                    COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-539-04

INTITULÉ :                                                    NASRULLAH ZAZAI c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUCRIT :                                        LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :             

Lorne Waldman                                                 POUR L'APPELANT (DEMANDEUR)

Brena Parnes                                                                         

Marcel Larouche                                               POUR L'INTIMÉ (DÉFENDEUR)

Alexis Singer

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                     POUR L'APPELANT (DEMANDEUR)

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR L'INTIMÉ (DÉFENDEUR)

Sous-procureur général du Canada


Date : 20050920

Dossier : A-539-04

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2005

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                            NASRULLAH ZAZAI

                                                                                                                                              appelant

                                                                                                                                       (demandeur)

                                                                             et

                   LE MINISTRE DE LA CITROYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                                                         (défendeur)

                                                                   JUGEMENT

La Cour répond par l'affirmative à la question suivante et rejette l'appel :

La définition de « crime contre l'humanité » figurant au paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre vise-t-elle le fait d'être complice de ces crimes?

                                                                                               

                                                                                                                            « Gilles Létourneau »               

                                                                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


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