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Date : 20001221


Dossier : A-640-99


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SYLVIE LAVOIE

     Demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     Défendeur








     Audience tenue à Montréal (Québec) le jeudi 30 novembre 2000


     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le jeudi 21 décembre 2000






MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y A SOUSCRIT :      LE JUGE NOËL

MOTIFS DISSIDENTS :      LE JUGE DÉCARY





Date: 20001221


Dossier: A-640-99


CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


ENTRE:

     SYLVIE LAVOIE

     Demanderesse

ET:

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     Défendeur



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Je suis d'avis que cette demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[2]      La demanderesse et son ami (un monsieur Ross) se sont déclarés conjoints de fait dans leurs déclarations d'impôt pour les années en litige. Sur la base de cette affirmation, le Ministre du Revenu national (Ministre) a refusé la prestation fiscale pour enfants prévue à l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu et réclamée par la demanderesse. Il n'était pas nécessaire pour le Ministre de développer abondamment les présomptions de fait sur lesquelles il fondait son avis de cotisation puisque les parties elles-mêmes se reconnaissaient conjoints de fait habitant sous le même toit.

[3]      À l'audition devant le juge Dussault de la Cour canadienne de l'impôt, seule la demanderesse a témoigné. De toute évidence, tel qu'il appert de l'extrait suivant de sa décision, le juge n'a pas cru son explication quant au fait qu'elle et son ami se soient identifiés comme des conjoints de fait:

     [21] Dans la présente affaire, l'appelante et monsieur Ross ont indiqué qu'ils étaient conjoints de fait dans leur déclaration de revenu respective pour plusieurs années. L'appelante a fourni à cet égard une explication qui est loin d'être convaincante. Un comptable et fiscaliste, un certain monsieur Quintal, qui s'occupait de leurs placements leur aurait affirmé qu'ils devaient ainsi décrire leur statut afin de ne pas avoir de problèmes avec le fisc. On conçoit difficilement que l'appelante qui paraît être une personne intelligente et instruite qui se dit conseillère en planification de même que monsieur Ross que l'appelante décrit comme un homme également intelligent et instruit aient pu accepter de déclarer ainsi leur statut si tel n'était pas vraiment le cas sans se poser et poser plus de questions sur les conséquences d'une telle description. Il ne s'agit pas là d'une question fiscale complexe et on s'étonne que l'appelante et monsieur Ross aient pu accepter si facilement et sans s'informer davantage de se présenter comme conjoints de fait s'ils étaient convaincus que ce n'était pas le cas.

Il s'agit là d'une conclusion de fait fondée sur la crédibilité d'un témoin qu'il a vu et entendu. Il ne nous appartient pas de substituer à la sienne notre appréciation de cette preuve sur un élément aussi fondamental.

[4]      En outre, le juge Dussault a retenu d'autres facteurs importants lui permettant de conclure comme il l'a fait. Entre autres, la demanderesse avait avec son ami un compte de banque commun duquel s'effectuaient les paiements pour la nourriture. À cela s'ajoutaient une cohabitation sous le même toit, un partage d'intimité, certaines relations sexuelles, le tout débouchant sur l'achat en copropriété de la maison que les deux parties partageaient. Enfin, le procureur du Ministre a fait ressortir devant le juge Dussault et devant nous l'incompatibilité entre la déclaration de la demanderesse selon laquelle la présence de monsieur Ross était justifiée par des considérations financières d'une part et, d'autre part, le fait qu'elle n'ait pas déclaré au fisc ces revenus de pension parce que, selon la demanderesse, ils couvraient à peine les frais occasionnés par monsieur Ross.

[5]      Quant à l'argument de justice naturelle implicite dans la plaidoirie de l'appelante, argument selon lequel, si je le comprends bien, le procureur du Ministre aurait à l'audience ajouté de nouvelles allégations de fait ou bonifié celles déjà existantes, je crois qu'il y a, de la part de l'appelante, une méprise relativement au fonctionnement du système d'auto-cotisation et à son rôle en cas de contestation.

[6]      Le Ministre n'a pas de connaissance intime de la vie privée de l'appelante. Il a cependant, suite à des vérifications, constaté certains faits qu'il a tenus pour acquis en émettant sa cotisation. Il ne faut pas confondre ces allégations de fait retenues par le Ministre en émettant sa cotisation avec les critères jurisprudentiels auxquels le procureur du Ministre a fait référence devant le juge lors de l'audition de la cause.

[7]      De fait, en citant l'affaire Milot rendue le 10 mai 1995, dossier 94-2925, le Ministre n'a pas soulevé de nouvelles allégations de fait. Il a plutôt choisi de fonder son argumentation sur une source juridique existante pertinente que le juge du procès pouvait critiquer, nuancer, distinguer, remettre en question ou accepter. Ce dernier a choisi d'interpréter les éléments de preuve fournis par les deux parties à la lumière des critères énoncés dans l'affaire Milot, précitée, ce qu'il était évidemment en droit de faire.

[8]      Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.


     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.


"Je suis d'accord.

     Marc Noël j.c.a."





Date : 20001221


Dossier : A-640-99


CORAM :      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SYLVIE LAVOIE

     Demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     Défendeur





     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DÉCARY


[1]      Je serais d'avis d'accueillir cette demande de contrôle judiciaire et d'ordonner une nouvelle audition parce que le ministère public n'a pas joué franc jeu avec la contribuable devant la Cour canadienne de l'impôt lors de l'audition tenue selon la procédure informelle. La décision attaquée, qui a été rendue par monsieur le juge Dussault, peut être consultée à [1999] A.C.I. No 688 (QL).

[2]      La contribuable a réclamé la prestation fiscale pour enfants prévue à l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu ("la Loi"), et ce pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. Le ministre du Revenu national ("le Ministre"), après révision, a refusé cette prestation pour le motif que la contribuable vivait en union conjugale avec monsieur Vincent Ross au cours de ces années et que le revenu combiné de la contribuable et de son conjoint était trop élevé pour donner droit à la prestation. C'est l'alinéa 252(4)a) qui, à l'époque pertinente, précisait que "conjoint" visait la personne de sexe opposé qui "vit avec le contribuable en union conjugale" ("who cohabits in a conjugal relationship").

[3]      Les faits que le Ministre a tenus pour acquis aux fins d'établir la cotisation sont les suivants:

     a)      l'appelante s'est inscrite comme une conjointe de fait dans ses déclarations de revenus pour les années en litige;
     b)      monsieur Vincent Ross a indiqué dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, être le conjoint de fait de madame Sylvie Lavoie;
     c)      l'appelante et monsieur Vincent Ross sont copropriétaires de la résidence sise au 291, rue Beaumont Est à Saint-Bruno;
     d)      pendant les années en litige, l'appelante, ses deux enfants, et monsieur Vincent Ross habitaient sous le même toit;
     e)      l'appelante et monsieur Vincent Ross avaient tous les deux le même comptable;
     f)      l'appelante et monsieur Vincent Ross ont investi dans la même société de recherche de développement;
     g)      le ministre considère que l'appelante vivait en union conjugale avec monsieur Vincent Ross pendant les années en litige;
     h)      pendant les années d'imposition en litige, le revenu net de l'appelante et de monsieur Vincent Ross (revenu familial) s'établissait ainsi:
                              1994            1995            1996
         appelante                  56 432            51 403            58 921
         monsieur Vincent Ross              40 459            51 800    54 002
                             96 891 $          103 203 $      112 923 $
     i)      le ministre a révisé à néant les prestations fiscales pour enfants de l'appelante à l'égard des années de base 1994, 1995 et 1996, parce que le revenu familial était trop élevé.
         [motifs, paragraphe 4]               

               

[1]      La contribuable admet les faits relatés aux alinéas    a) à    f) ainsi que ceux relatés à l'alinéa    i) et dit considérer l'alinéa    g) comme une simple conclusion légale tirée des faits allégués aux alinéas    a) à    f). Elle prétend que ces faits doivent être situés dans leur contexte et soutient que quatre d'entre eux, soit les alinéas    a),    b),    e) et    f), trouvent leur explication dans les mauvais conseils prodigués par un comptable, un certain Pierre Quintal, lequel -- c'est la preuve au dossier, que le Ministre ne remet pas en question -- est disparu mystérieusement et est recherché par les autorités judiciaires.

[2]      Au cours du procès, la contribuable, qui se représentait elle-même et qui n'a fait entendre aucun témoin -- elle avait bien déposé une déclaration assermentée de M. Ross en annexe à son avis d'appel, disant croire que cela pouvait remplacer la présence du témoin en Cour, mais cette déclaration était clairement inadmissible et n'a pas été considérée par le juge --, a donné les explications suivantes.

[3]      Elle se sépare de son mari en 1988, obtient la garde de ses deux enfants et continue d'occuper avec ces derniers la maison familiale. Son mari faisant défaut de payer régulièrement la pension qu'il s'était engagé à payer, madame Lavoie décide de prendre un pensionnaire, ce qui l'aiderait financièrement. Comme elle avait été victime d'un vol important en 1991, elle décide de prendre un homme plutôt qu'une femme comme pensionnaire:

     R       [...] j'aurais pu prendre une femme pour vivre avec moi, mais je me disais que ça fera moins peur à des voleurs que si c'est un homme qui vit avec moi, dans la même propriété.
         [dossier du défendeur à la p. 15]                

[4]      Son choix se porte en 1992 sur M. Ross, un compagnon de travail de longue date. La maison est une grande maison unifamiliale: onze pièces, dont plusieurs inutilisées au sous-sol. M. Ross occupe deux pièces au sous-sol, une chambre et un bureau, et il utilise la salle de bain du sous-sol: "c'est ses pièces, ça". La fille de madame Lavoie occupe une chambre "de l'autre côté du sous-sol" (à la p. 19) et le rez-de-chaussée est occupé par elle-même et son fils.

[5]      Comme M. Ross "était blanchi" (à la p. 20), c'est la contribuable qui s'occupait de la lessive, des repas et de l'entretien de la propriété. M. Ross lui payait environ cent vingt-cinq dollars par semaine, un revenu que madame Lavoie ne déclare pas au fisc.

[6]      En 1995, toujours selon les dires de madame, M. Ross cesse d'être un pensionnaire et devient copropriétaire dans les circonstances que voici:

     R.       [...]    En 95, le juge, lors du divorce, me donnait un mois pour la vente de la maison ou pour acheter la maison, or on était rendu au mois de mai, c'était le temps des examens pour les enfants, c'était un peu la folie, là. ça fait que comme monsieur Ross il était correct, il appréciait Saint-Bruno, là, tout ça, je lui ai demandé s'il était intéressé à prendre une partie de la propriété, alors comme mon ex en avait la moitié et moi une autre moitié, alors la moitié de mon ex, monsieur Ross en a pris la moitié de celle-là et moi l'autre moitié, ce qui me donne le trois quarts (3/4) de la propriété et lui il en a un quart (1/4) de propriété.
         [à la p. 16]                

[7]      Pour décrire la relation qui s'était établie entre la contribuable et monsieur Ross, je ne puis faire mieux que de reproduire des extraits du témoignage de madame Lavoie. Je suis d'autant plus à l'aise pour ce faire que le juge n'a pas remis en question la crédibilité de madame, si ce n'est en ce qui concerne l'inscription "conjoint de fait" dans ses déclarations d'impôt. À cet égard, en effet, le juge a dit que l'explication donnée était "loin d'être convaincante". (motifs, paragraphe 21)

         R.       [...] si j'avais quelqu'un, un pensionnaire, ça m'aiderait financièrement, mais c'est sûr que tu ne peux pas prendre n'importe qui non plus, là, j'ai une fille de [...] quatorze (14) [ans] à cette époque-là, plus un fils. Monsieur Ross avait été un collègue de travail et je savais que c'était quelqu'un qui était responsable, quelqu'un qui est honnête [...]
         [à la p. 15]                


         R.       [...] Mais, monsieur Ross, il vit dans ses pièces, sauf que le repas se prend dans la cuisine, [...] monsieur Ross ne s'occupe pas de mes enfants, monsieur Ross, je ne suis pas son héritière, je ne sais pas ses revenus, ses placements, ce n'est pas un conjoint de fait [...]
         [à la p. 16]                


         R.       [...]    J'ai déjà eu un conjoint, qui était mon ex, ce n'est pas du tout du même ordre, vraiment pas.

     [à la p. 17]                



         R.       [Le $125.00], [...] ça couvrait la nourriture, ça couvrait les déplacements, parfois il venait au travail, il montait avec moi dans la voiture, plus le blanchiment, les frais pour faire les repas, quand tu cuisines c'est du temps, moi je mets une heure de mon temps pour faire ça [...]

     [à la p. 20]                



         R.       [Dans le compte commun, outre l'hypothèque], [...] il y a les assurances qui passent là-dedans, il y a la nourriture qui passe là-dedans, mais la nourriture ce n'est pas égal, parce que comme j'ai des enfants, je donne plus dans le compte commun que monsieur Ross, O.K. ensuite de ça, il y a les assurances... il y a l'Hydro, Hydro, tout ce qui touche la propriété, là, l'électricité passe dans ce compte commun.

     [à la p. 22]                



         R.       ... ça fait que personne ne regarde la télé dans le salon, la télé dans le salon, c'est supposons qu'il y a quelqu'un qui vient.
         Q.       O.K.
         R.       Et puis, la télé au sous-sol, c'est plus pour monsieur Ross, puis les enfants.
         Q.       O.K. Donc, les enfants partagent la télé avec monsieur Ross...
         R.       Oui.
         Q.       ... au sous-sol?
         R.       Puis, même là, excusez-moi je veux corriger quelque chose, ma fille avait sa télé dans sa chambre et mon fils avait la télé dans sa chambre, en cours de route, parce que sa tante lui avait donné un téléviseur.
         Q.       Hum, hum.
         R.       Donc, il a été une bonne... peut-être quelques mois, là, il y avait eu un téléviseur, mais après ça, chacun avait son téléviseur, il y en a une qui n'avait pas de téléviseur dans la maison, c'est moi.
             [à la p. 25]                


         R.       [...] c'est peut-être arrivé deux ou trois fois, Monsieur le Juge, que j'ai eu une relation sexuelle avec monsieur Ross et ces relations-là, je faisais bien attention, par rapport aux enfants, d'être très discrète, mais quand tu vis toute seule des fois tu te sens bien toute seule aussi.
         [à la p. 33]                

     [le procureur]
         Q.       [...] c'est arrivé à deux ou trois reprises...
         R.       Oui.
     [le procureur]
         Q.       ... au cours de toutes ces années-là?
         [...]
         R.       [...] mais plus avec des amis [...]
         [à la p. 39]                


     [le procureur]
         Q.       [...] vous avez eu d'autres personnes dans votre vie [...]
         R.       [...] oui [...] C'est aussi à l'occasion.
         [aux pp. 33-34]                


     [le procureur]
         Q.       [...] Lors d'occasions spéciales, je ne sais pas, des anniversaires ou des fêtes, est-ce que vous échangez des cadeaux?
         R.       Ça peut arriver.
     [le procureur]
         Q.       O.K.
         R.       Pas systématiquement, mais ça peut arriver, si monsieur Ross est tout seul, il a sa famille à Québec, là, mais s'il est tout seul je ne le laisserai pas tout seul en bas, là.
     [le procureur]
         Q.       O.K.
         R.       S'il est avec nous, je vais lui offrir quelque chose.

     [aux pp. 34-35]                



     [le procureur]
         Q.       Est-ce qu'il vous arrive, en dehors du travail, évidemment, de sortir ensemble, aller au cinéma ou un endroit quelconque?
         R.       Supposons qu'il y a un film qui joue et que ça m'intéresse, je vais aller le voir.
     [le procureur]
         Q.       Avec monsieur Ross?
         R.       Je peux lui offrir, si je sais que c'est un type de film qui l'intéresse.
     [le procureur]
         Q.       O.K.
         R.       Comme je peux l'offrir à d'autres amis, aussi.
     [le procureur]
         Q.       Donc, il vous est arrivé d'aller ensemble à des activités?
         R.       Oui, mais il va payer son entrée au cinéma, je vais payer mon entrée au cinéma.
         [aux pp. 35-36]              


     [le procureur]
         Q.       Pouvez-vous nous décrire un peu l'attitude, puis la relation qui existe entre monsieur Ross et vos enfants, est-ce qu'il y a une bonne entente entre les deux?
         R.       Monsieur Ross fait sa vie et mes enfants font leur vie avec moi.
     [le procureur]
         Q.       Je comprends, mais ils se trouvent à partager le même logement, donc forcément il y a une certaine relation entre les deux parties?
         R.       Non, parce que la relation est claire, ce n'est pas le père, ce n'est pas le conjoint.
     [le procureur]
         Q.       Je comprends.
         R.       Il n'empiète pas dans la vie de leur mère, ils ont.. quand ils étaient petits, en tout cas il avait treize ans, je pense que Marie-Ève avait treize (13), puis Charles sept ou huit, ils ne perdaient rien d'accessibilité de leur mère...
     [le procureur]
         Q.       Je comprends.
         R.       ... et je pense que ça fait qu'ils ont pu vivre là-dedans sans difficulté.
     [le procureur]
         Q.       Je comprends, mais est-ce que des fois ça leur arrive de jouer avec lui, c'est ça que j'aimerais savoir?
     [le procureur]
         R.       Non, ce n'est pas le style.
     [le procureur]
         Q.       Non?
         R.       Puis, je vous réponds honnêtement, Monsieur, même si je regarde monsieur le juge, je vous réponds honnêtement, ce n'est pas le style, c'est le genre intellectuel qui va lire, il ne joue pas avec un enfant.
     [le procureur]
         Q.       Mais, est-ce qu'on peut dire que si vos enfants n'aimaient pas monsieur Ross ou le détestaient, vous ne l'auriez pas laissé habiter dans la maison, si quelqu'un cause du trouble à vos enfants ou les dérange, il n'aurait pas resté?
         R.       Si quelqu'un avait causé des troubles à mes enfants, effectivement que la personne ne serait pas restée.
     [le procureur]
         Q.       Est-ce que monsieur Ross vit toujours avec vous dans la maison?
         R.       Monsieur Ross occupe toujours ses pièces et la maison est à vendre depuis février dernier puisque ma fille est partie en appartement depuis janvier.
         [aux pp. 36-37-38]                


         R.       Je n'ai pas vécu et je ne vis pas en union conjugale avec monsieur Ross.
     [le juge]
         Q.       Monsieur Ross occupe ses appartements, il couche dans sa chambre, vous couchez dans votre chambre...
         R.       Oui, Monsieur.
     [le juge]
         Q.       ... ça vient de finir?
         R.       Oui, Monsieur c'est comme ça. Mais, c'est un type avec qui j'étais bien parce que je sais qu'il n'aurait pas attaqué ma fille, ma fille peut être en sécurité, mon fils aussi, je lui faisais confiance, c'est pour ça que je pouvais dormir tranquille en haut, je n'étais pas inquiète, j'ai du respect pour cet homme-là, mais ce n'est pas mon conjoint.
     [le juge]
         Q.       Non, non au sens où on l'entend...
         R.       Non.
     [le juge]
         Q.       ... de fait...
         R.       Non.
     [le juge]
         Q.       ... vous n'êtes pas mariée à lui, ça c'est certain...
         R.       Et mes relations intimes je les ai plus à l'extérieur.
     [le juge]
         Q.       ... mais face à vos enfants, face à vos enfants, il n'est jamais apparu comme étant votre compagnon de vie?
         R.       Non.
     [le juge]
         Q.       Votre conjoint?
     [le juge]
         R.       Non.
     [le juge]
         Q.       De fait, ce n'est pas ce que vous avez prétendu, puis ce n'est pas ce qu'il a prétendu non plus?
         R.       Non plus.
     [le juge]
         Q.       Devant les enfants. O.K. Ça me suffit.
         [aux pp. 41-42]                

[8]      J'en arrive maintenant au rôle du comptable Quintal. M. Quintal était le comptable de l'ancien mari de madame Lavoie. C'est lui qui s'occupait des placements de madame et c'est pour cette raison qu'elle l'avait choisi pour faire ses rapports d'impôt. C'est lui, aux dires de madame Lavoie, qui l'a incitée à inscrire "conjoint de fait" sur ses déclarations d'impôt:

     R.       [...] On parle des années 94, 95 et 96. Effectivement, je suis inscrite « conjoint de fait » sur les déclarations d'impôt pour la bonne raison que la personne qui faisait mon rapport d'impôt, elle m'avait donné comme information qu'à partir du moment où il y a quelqu'un qui demeure à la même adresse que toi, il faut indiquer « conjoint de fait » , même si la personne est pensionnaire et occupe des pièces au sous-sol.
          Elle me disait qu'il fallait que je fasse une nouvelle entrée, puis qu'il y ait un nouveau numéro civique, en tout cas, je venais de divorcer, puis je voulais avoir un pensionnaire pour m'aider financièrement, ça me paraissait bien énorme, ça fait que là, on m'a dit : « Si tu ne mets pas "conjoint de fait", tu vas avoir des problèmes avec le ministère du Revenu » .
          Là, j'avais assez des problèmes avec mon ex-conjoint, j'ai dit, je n'en veux pas d'autres, alors j'ai inscrit « conjoint de fait » et ça, ça a duré jusqu'en 97, cette situation-là.
         [aux pp. 10-11]                


     R.       [...] Mais, ce monsieur Quintal, en même temps, vu que les placements c'était complexe, il m'a dit : « Je peux faire aussi tes rapports d'impôt » . Or, moi je n'avais jamais fait un rapport d'impôt, c'était mon père qui les faisait, après ça c'était mon ex, après ça c'étaient des compagnies et puis là, il offrait de faire mon rapport d'impôt, bien j'ai dit O.K. et c'est en décembre quatre-vingt... en 92 j'avais fait des placements avec monsieur Quintal et lui il avait fait mon rapport d'impôt, là ça allait bien.
          En 93, quand il a fait mon rapport d'impôt, il avait aussi fait des placements durant l'année, il m'a dit : « Il y a quelque chose de nouveau » parce que là, il y a monsieur Ross qui avait emménagé au sous-sol chez moi et il a dit : « Bien, là, là, tu ne peux plus mettre "séparée", il faut que tu mettes "conjoint de fait" » surtout quand il a dit : « Si tu ne fais pas ça, tu vas avoir des problèmes avec le ministère du Revenu » bien j'ai dit : « Tu le mets, puis moi je signe, c'est correct, si c'est ça qu'on me dit, c'est ça qu'on fait » .
          Et monsieur Ross il avait aussi fait des placement avec monsieur Quintal et évidemment il a reçu la même information de monsieur Quintal, alors lui aussi il a indiqué « conjoint de fait » , n'étant pas plus intéressé, lui non plus, à avoir des problèmes et des ennuis.
         [aux pp. 12-13]                

[9]      Voilà pour le témoignage de madame Lavoie.

[10]      Le Ministre n'a fait entendre qu'un témoin, une agente des oppositions à Revenu Canada. La seule personne que celle-ci dit avoir contactée pour les fins de son enquête est l'ancien mari de la contribuable. Elle lui a téléphoné. Il n'était pas à la maison. Elle a donc parlé à sa nouvelle conjointe qui s'est dite d'avis que madame Lavoie et monsieur Ross étaient conjoints. Le juge a, bien sûr, écarté ce témoignage. L'ancien mari est rentré à la maison pendant l'entretien téléphonique. Il n'a voulu rien dire.

[11]      Une fois la preuve du Ministre complétée et avant le début des plaidoiries, le juge informe l'avocat du Ministre qu'il a

     [...] l'intention d'accorder l'appel, avec la preuve que j'ai devant moi [...], je pense que madame a témoigné devant moi suffisamment pour que je puisse prendre la décision qu'il ne s'agit pas de conjoints de fait [...]
         [à la p. 46]                

[12]      Au cours des plaidoiries qui s'ensuivent, le procureur de Ministre réfère à une décision du juge Lamarre-Proulx dans l'affaire Sylvie Milot, rendue le 10 mai 1995, dossier 94-2925 (IT)I et qui fait le point sur le sens à donner à l'expression "vivre en union conjugale" ("cohabit in a conjugal relationship") qu'on retrouve à l'alinéa 252(4)a) de la Loi.

[13]      Le juge Dussault ne semble pas avoir connu l'existence de cette décision dont il dit qu'elle n'est pas "rapportée" (motifs, paragraphe 20). Après vérification, j'ai constaté que le texte anglais de la décision est publié à [1996] 1 C.T.C. 2247.

[14]      Je reprends ici au complet le long extrait de cette décision qu'a reproduit le juge Dussault dans ses motifs, au paragraphe 20:

             Cette définition nous amène à considérer la notion d'union conjugale. Quand deux personnes peuvent-elles être considérées comme vivant en union conjugale? Cette notion a été souvent étudiée pour les fins de différentes lois statutaires. Au Québec, par exemple, cette notion a été étudiée pour l'application, notamment, de la Loi sur l'assurance automobile, L.R.Q.C. a-25, art. 2, al. 2, et de la Loi sur le régime de rentes du Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 91. Voir Les personnes et les familles, Knoppers, Bernard et Shelton, Tome 2, Les éditions Adage, dont le premier chapitre est intitulé « Les familles de fait » . On y lit que la cohabitation est fondamentale à l'union de fait ainsi que le comportement conjugal. Ce comportement se constate par les relations sexuelles, l'échange affectif et intellectuel, le soutien financier et la notoriété.
             Les auteurs ontariens Payne et Payne dans leur livre Introduction to Canadian Family Law, Carswell, 1994, se sont référés au jugement du juge Kurisko dans Molodowich v. Penttinen 17 R.F.L. (3d) 376. je cite ces auteurs aux pages 38 et 39 parce qu'il me semble qu'il s'agit d'une excellente synthèse des éléments qui doivent s'appliquer pour déterminer si deux personnes vivent en union conjugale :


[TRADUCTION]

Ce ne sont pas toutes les situations dans lesquelles un homme et une femme vivent ensemble et ont des rapports sexuels qui feront naître, aux termes de la loi, des droits et des obligations alimentaires.28 Comme l'a fait remarquer le juge Morrison de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse :

     Je crois qu'il est exact de dire que, pour qu'il y ait union de fait, il doit exister des relations stables qui comportent non seulement des rapports sexuels, mais aussi l'engagement des intéressés l'un envers l'autre. Il faudrait normalement qu'ils vivent sous le même toit, qu'ils se partagent les tâches et les responsabilités du ménage et qu'ils se soutiennent financièrement.29

On trouve dans un jugement de la Cour de district de l'Ontario30 un énoncé plus précis de ce qui constitue de la cohabitation ou des relations conjugales ou assimilables au mariage. Le juge Kurisko de la Cour de district y dresse en effet la liste suivante des points pertinents :

     1.      Logement

       a)      Les intéressés vivaient-ils sous le même toit?
       b)      Couchaient-ils dans le même lit?
       c)      Y avait-il quelqu'un d'autre qui habitait chez

eux?

     2. Comportement sexuel et personnel
       a)      Les intéressés avaient-ils des rapports sexuels? Si non, pourquoi?
       b)      Étaient-ils fidèles l'un à l'autre?
       c)      Quels étaient leurs sentiments l'un pour l'autre?
       d)      Existait-il une bonne communication entre eux sur le plan personnel?
       e)      Prenaient-ils leurs repas ensemble?
       f)      Que faisaient-ils pour s'entraider face aux problèmes ou à la maladie?
       g)      S'offraient-ils des cadeaux à des occasions spéciales?


     3.      Services
       Comment les intéressés agissaient-ils habituellement en ce qui concerne :
     a)      la préparation des repas;
     b)      le lavage et le raccommodage des vêtements;
     c)      les courses;
     d)      l'entretien du foyer;
     e)      les autres services ménagers?
     4.      Relations sociales
       a)      Les intéressés participaient-ils ensemble ou séparément aux activités du quartier et de la collectivité?
       b)      Quelle était la nature de rapports de chacun d'eux avec les membres de la famille de l'autre et comment agissaient-ils envers ces derniers, et inversement, quel était le comportement de ces familles envers les intéressés?
     5.      Attitude de la société
         Quelle attitude et quel comportement la collectivité avait-elle envers les intéressés, considérés individuellement et en tant que couple?
     6.      Soutien (économique)
       a)      Quelles dispositions financières les intéressés prenaient-ils pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie (vivres, vêtements, logement, récréation, etc.) ou de contribuer à les fournir?
     b)      Quelles dispositions prenaient-ils relativement à l'acquisition et à la propriété de biens?
     c)      Existait-il entre eux des arrangements financiers particuliers que tous deux tenaient pour déterminants quant à la nature de leurs relations globales?
     7.      Enfants
         Quelle attitude et quel comportement les intéressés avaient-ils à l'égard des enfants?

Comme l'a dit en outre le juge Kurisko, la mesure dans laquelle il sera tenu compte de chacun des sept éléments énumérés ci-dessus sera nécessairement fonction des circonstances de chaque cas.

28      Voir Jansen v. Montgomery (1982), 30 R.F.L. (2d) 332 (C. cté N.-É.).
29      Soper v. Soper (1985), 67 N.S.R. (2d) 49, à la p. 53 (C.A.).
30      Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (3d) 376, aux pp. 381 et 382 (C. dist. Ont.). Voir aussi Gostlin v. Kergin (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 264, aux pp. 267 et 268 (C.A.).

Not all arrangements whereby a man and a woman live together and engage in sexual activity will suffice to trigger statutory support rights and obligations.28 As was observed by Morrison J.A., of the Nova Scotia Court of Appeal :


     I think it would be fair to say that to establish a common law relationship there must be some sort of stable relationship which involves not only sexual activity but a commitment between the parties. It would normally necessitate living under the same roof with shared household duties and responsibilities as well as financial support.29

More specific judicial guidance as to what constitutes cohabitation or a conjugal or marriage-like relationship is found in a judgment of the Ontario30 District Court, wherein Kurisko D.C.J. identified the following issues as relevant:


     1.      Shelter
       (a)      Did the parties live under the same roof?
       (b)      What were the sleeping arrangements?
       (c)      Did anyone else occupy or share the available accommodation?
     2. Sexual and Personal Behaviour:
       (a)      Did the parties have sexual relations? If not, why not?
       (b)      Did they maintain an attitude of fidelity to each other?
       (c)      What were their feelings toward each other?
       (d)      Did they communicate on a personal level?
       (e)      Did they eat their meals together?
       (f)      What, if anything, did they do to assist each other with problems or during illness?
       (g)      Did they buy gifts for each other on special occasions?
3. Services:
       What was the conduct and habit of the parties in relation to:
       (a)      preparation of meals;
       (b)      washing and mending clothes;
       (c)      shopping;
       (d )      household maintenance; and
       (e)      any other domestic services?

     4.      Social:
       (a)      Did they participate together or separately in neighbourhood and community activities?
       (b)      What was the relationship and conduct of each of them toward members of their respective families and how did such families behave towards the parties?

     5.      Societal:
         What was the attitude and conduct of the community toward each of them and as a couple?


       6.      Support (economic):
       a)      What were the financial arrangements between the parties regarding the provision of or contribution toward the necessities of life (food, clothing, shelter, recreation, etc.)?
       b)      What were the arrangements concerning the acquisition and ownership of property?
       c)      Was there any special financial arrangement between them which both agreed would be determinant of their overall relationship?
       7.      Children:
         What was the attitude and conduct of the parties concerning the children?

As Kurisko D.C.J. further observed, the extent to which each of the aforementioned seven different components will be taken into account must vary with the circumstances of each particular case.

28      See Jansen v. Montgomery (1982), 30 R.F.L. (2d) 332 (N.S.Co. Ct.).
29      Soper v. Soper (1985), 67 N.S.R. (2d) 49, at 53 (C.A.).
30      Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (3d) 376, at 381-382 (Ont. Dist. Ct.). See also Gostlin v. Kergin (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 264, at 267-268 (C.A.).
Le juge Dussault ne cite dans ses motifs aucune autre décision que celle-là.


[18]      La décision du juge Lamarre-Proulx a eu un impact déterminant sur le juge du procès puisque le lendemain des plaidoiries, le juge qui, la veille, s'était dit d'avis d'accueillir l'appel, se ravisait et rejetait l'appel de madame Lavoie en appliquant à son cas les sept critères énumérés dans l'affaire Milot, supra.

[19]      C'est ici, je pense, qu'il y a eu, de la part du ministère public, un manquement à la règle élémentaire de "fairplay in action" à laquelle référait le juge d'appel Harman dans Ridge c. Baldwin, [1963] 1 Q.B. 539 (C.A.), à la p. 578.

[20]      Les allégations du Ministre, que j'ai reproduites au paragraphe 3, étaient des plus générales. Les seules allégations de fait vraiment pertinentes sont celles qui se trouvent aux alinéas a) à d). Les allégations des alinéas e) et f) ne sont en elles-mêmes d'aucune pertinence, et l'alinéa g) est soit une conclusion de droit, soit une allégation de fait qui renverrait implicitement aux facteurs énumérés dans Milot, supra. Si l'alinéa g) est une allégation de fait, il est nettement insuffisant. De plus, l'allégation de cohabitation, à l'alinéa d), ne fait que renvoyer à l'exigence de l'alinéa 252(4)a) de la Loi à l'effet qu'il doit y avoir cohabitation. Elle ne renvoie pas au fait que cette cohabitation doive être "en union conjugale". Si le Ministre savait, en 1997, au moment où il a révisé ses cotisations, à quels éléments de fait se rattachait le concept juridique d' "union conjugale" auquel il renvoyait au paragraphe g), il aurait dû s'appuyer sur des allégations de fait beaucoup plus élaborées, ce qui aurait permis à la contribuable et à la Cour de connaître véritablement le fardeau qui devait être renversé.

[21]      Le Ministre a choisi, plutôt, de cacher à la contribuable et au juge jusqu'au moment des plaidoiries les éléments de fait qui servaient de toile de fond à son contre-interrogatoire et d'obtenir ainsi un jugement surprise. L'injustice a été consommée lorsque le juge, au lieu de ré-ouvrir l'enquête de manière à confronter madame Lavoie aux nouveaux critères que venait d'identifier le procureur du Ministre, a plutôt choisi de la confronter dans ses motifs à sept critères qu'il venait pourtant lui-même de découvrir:

     Si je reviens maintenant aux différents critères permettant d'établir s'il y a ou non union conjugale entre deux personnes, je dois d'abord constater que l'appelante n'a fourni dans son témoignage que peu d'information ou d'explication au regard de plusieurs éléments [...]
         [motifs, paragraphe 22]                

[22]      La justice la plus élémentaire, je le dis avec égards, exigeait que madame Lavoie soit confrontée à ces sept facteurs avant que jugement ne soit rendu. En effet, dans les circonstances on ne peut plus particulières de cette affaire, ces facteurs équivalaient à toutes fins utiles à des allégations de fait. Madame Lavoie s'est vu imposer a posteriori et sans possibilité d'y répondre un fardeau dont ni elle-même ni le juge en cours de procès ne connaissaient l'ampleur. C'est comme si l'avis de cotisation avait été modifié une fois la preuve close. Je constate, par exemple, qu'en ce qui a trait aux facteurs 4 (relations sociales), 5 (attitude de la société) et 7 (enfants), le procureur s'est contenté de questions bien générales et que les questions 67, 109 et 112 sont la copie fidèle des facteurs 2(d), 2(f) et 2(g).

[23]      Ce n'est pas comme s'il s'était agi de principes de droit ou d'éléments de fait alors généralement reconnus. La décision du juge Lamarre-Proulx, quoique publiée en version anglaise, définissait des critères de la nature de ceux qui, en matière d'impôt, se retrouvent généralement sous une forme ou sous une autre dans les allégations de fait sur lesquelles le Ministre fonde une cotisation. Dans l'affaire Milot, supra, par exemple, les allégations du Ministre étaient beaucoup plus précises, à un moment, pourtant, où la liste des sept critères sur lesquels allait éventuellement s'appuyer la Cour canadienne de l'impôt n'était pas encore établie:

     a)      au cours des années d'imposition 1992 et 1993, l'appelante et M. Serge Duval demeuraient tous deux au 583-A Laurendeau à Repentigny;
     b)      le bail de location du 583-A Laurendeau à Repentigny pour la période du 1er juillet 1992 au 30 juin 1994 est fait au nom des locataires Serge Duval et Sylvie Milot;
     c)      M. Serge Duval est le père du deuxième enfant de l'appelante, Audrey, née le 18 novembre 1993;
     d)      sur l'attestation de la déclaration de naissance d'Audrey, datée du 18 novembre 1993, il est fait état du nom de M. Serge Duval et de celui de l'appelante, à titre de père et mère de l'enfant, et il est mentionné qu'ils vivent en situation de couple;
     e)      M. Serge Duval et l'appelante avaient, au cours de la période en litige, un dépôt à terme conjoint et un compte bancaire conjoint;
     f)      des allocations familiales de 268 $ ont été reçues par l'appelante au cours de l'année d'imposition 1992;
     g)      dans ses déclarations d'impôt pour les années d'imposition 1992 et 1993, l'appelante ne fait pas mention de sa situation de couple avec M. Serge Duval;
     h)      lorsque l'appelante a produit ses déclarations de revenu pour les années d'imposition 1992 et 1993, elle a réclamé le crédit d'impôt de 914,60 $ (5 380 $ x 17%) à titre d'équivalent du montant comme conjoint dans le calcul du total de ses crédits d'impôt non remboursables.
     [...]
     j)      lorsque l'appelante a produit sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1993, elle a demandé le crédit pour la taxe sur les produits et services ainsi que la prestation fiscale pour enfant.
         [au paragraphe 4]                

[1]      Comble de l'ironie, le juge, à l'audience, avait demandé à madame Lavoie:

     Q.       Est-ce que vous connaissez la définition du « conjoint de fait » ?

Celle-ci avait répondu:

     R.       Je l'ai cherchée dans le dictionnaire, puis conjoint de fait c'est qu'ils vivent maritalement, là j'ai cherché « maritalement » , qui vivent comme mari et femme, puis là, mari et femme c'est qu'ils vivent comme conjoints, ça tourne en rond, je ne veux pas être impertinente, là, c'est vrai que je l'ai cherchée, puis madame Morinville elle l'a cherchée aussi. J'ai déjà eu un conjoint, qui était mon ex, ce n'est pas du tout du même ordre, vraiment pas.

Et le juge de conclure:

     Q.       Alors, très bien.

     [aux pp. 16-17]

Le procureur du Ministre s'est bien gardé d'intervenir à ce stade pour dire qu'il avait, lui, une définition des plus précise à proposer.

[2]      Aussi, ne suis-je pas convaincu qu'ait été appliqué en l'espèce ce principe qu'a décrit le juge Bastarache dans Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358 à la p. 367:

          Les contribuables doivent savoir sur quelle base repose la cotisation qui leur est transmise afin de pouvoir présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester [...]

La seule façon, à mon avis, de s'assurer que justice soit rendue est d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

[3]      J'ajouterais, pour les fins de la nouvelle audition, que les facteurs énoncés dans l'affaire Milot, supra n'ont pas valeur absolue. Ils sont utiles, certes, mais ils doivent être adaptés en fonction du contexte dans lequel ils sont utilisés. Il y a danger, si l'on regarde les arbres de trop près, d'oublier la forêt. La forêt, ici, c'est l'union conjugale, un concept qui évoque une vie commune, laquelle suppose que les conjoints s'impliquent ensemble et de façon durable sur les plans personnel, sexuel, familial, social et financier. Ainsi que le soulignait le juge Hall, dans Montgomery c. Jansen, [1982] N.S.J. No 18 (Cour de comté de la Nouvelle-Écosse) (QL),

     [13]       From the foregoing it will be seen that to "live together as husband and wife" connotes an element of permanence and commitment to each other by the parties to the relationship to a substantial degree. Certainly it should not be thought that every arrangement where a man and woman share the same living accommodations and engage in sexual activity to some extent should be regarded as living together as husband and wife [...]

[4]      Tout récemment, dans M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3 aux pp. 50-51, la Cour suprême du Canada, par la voix des juges Cory et Iacobucci au nom de la majorité, a endossé comme suit les facteurs énoncés dans l'affaire Molodowich, sur laquelle s'était appuyée le juge Lamarre-Proulx:

          Molodowich c. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (2d) 376 (C. dist. Ont.), énonce les caractéristiques généralement acceptées de l'union conjugale, soit le partage d'un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l'image sociétale du couple. Toutefois, il a été reconnu que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l'union soit tenue pour conjugale [...] Pour être visés par la définition, ni les couples de sexe différent ni les couples de même sexe n'ont besoin de se conformer parfaitement au modèle matrimonial traditionnel afin de prouver que leur union est « conjugale » .
           Un couple de sexe différent peut certainement, après de nombreuses années de vie commune, être considéré comme formant une union conjugale, même sans enfants ni relations sexuelles. Évidemment, le poids à accorder aux divers éléments ou facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer si un couple de sexe différent forme une union conjugale variera grandement, presque à l'infini [...] Les tribunaux ont eu la sagesse d'adopter une méthode souple pour déterminer si une union est conjugale. Il doit en être ainsi parce que les rapports dans les couples varient beaucoup [...]

[5]      Le juge du procès devra également être conscient de la portée possible de sa décision. L'union conjugale a plutôt été examinée, à ce jour, dans le contexte du droit familial. Même si une décision de la Cour canadienne de l'impôt voulant que deux personnes, aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, forment ou ne forment pas une "union conjugale", ne lie pas les tribunaux qui pourraient être appelés à décider s'il y a union conjugale aux fins de l'application du droit familial, il n'en reste pas moins, vu que les facteurs considérés sont à toutes fins utiles les mêmes, que la décision rendue sur le plan du droit fiscal pourrait avoir des conséquences considérables sur le plan du droit familial.

[6]      Je souligne, en terminant, qu'il y a en l'espèce trois années fiscales en litige. Le juge du procès devra s'assurer, s'il devait en arriver à la conclusion qu'il y a union conjugale, qu'il y avait semblable union au cours de chacune des années en cause. Il se pourrait, par exemple, que la conclusion ne soit pas la même eu égard à la période pendant laquelle M. Ross était pensionnaire plutôt que copropriétaire à 25%.

[7]      Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt et je renverrais ce dossier à ladite Cour pour nouvelle détermination par un autre juge. J'ordonnerais également au défendeur de rembourser à madame Lavoie les déboursés encourus en raison de la demande de contrôle judiciaire.





     "Robert Décary"

     j.c.a.

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