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Date : 20051124

Dossier : A-83-05

Référence : 2005 CAF 394

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

appelante

et

EDWARD MILLER

intimé

et

PATRICIA MAEVE WILSON

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 23 novembre 2005.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 24 novembre 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE EVANS

                                                                                                                    LA JUGE SHARLOW


Date : 20051124

Dossier : A-83-05

Référence : 2005 CAF 394

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

appelante

et

EDWARD MILLER

intimé

et

PATRICIA MAEVE WILSON

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                Cet appel interjeté à l'encontre de la décision d'une juge de la Cour canadienne de l'impôt [2005 CCI 108] soulève une seule question : compte tenu des circonstances en l'espèce, la Couronne peut-elle demander à la CCI, en vertu du paragraphe 174(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, de trancher une question de droit, une question de fait ou une question mixte de droit et de fait qui se rapporte à deux avis de cotisation réels ou projetés relatifs à deux contribuables, lorsque l'avis de nouvelle cotisation projeté est délivré après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation?

Les paragraphes 174(1) et (3) sont libellés comme suit :

174. (1) Lorsque le ministre est d'avis qu'une même opération ou un même événement ou qu'une même série d'opérations ou d'événements a donné naissance à une question de droit, de fait ou de droit et de fait qui se rapporte à des cotisations, réelles ou projetées, relatives à plusieurs contribuables, il peut demander à la Cour canadienne de l'impôt de se prononcer sur la question.

....

(3) Lorsque la Cour canadienne de l'impôt est convaincue que la décision rendue concernant la question exposée dans une demande présentée en vertu du présent article influera sur des cotisations ou des cotisations éventuelles intéressant plusieurs contribuables à qui une copie de la demande a été signifiée et qui sont nommés dans une ordonnance de la Cour canadienne de l'impôt conformément au présent paragraphe, elle peut:

a) si aucun des contribuables ainsi nommés n'en a appelé d'une de ces cotisations, entreprendre de statuer sur la question de la façon qu'elle juge appropriée;

b) si un ou plusieurs des contribuables ainsi nommés se sont pourvus en appel, rendre une ordonnance groupant dans cet ou ces appels les parties appelantes comme elle le juge à propos et entreprendre de statuer sur la question.

174. (1) Where the Minister is of the opinion that a question of law, fact or mixed law and fact arising out of one and the same transaction or occurrence or series of transactions or occurrences is common to assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers, the Minister may apply to the Tax Court of Canada for a determination of the question.

....

(3) Where the Tax Court of Canada is satisfied that a determination of the question set out in an application under this section will affect assessments or proposed assessments in respect of two or more taxpayers who have been served with a copy of the application and who are named in an order of the Tax Court of Canada pursuant to this subsection, it may

(a) if none of the taxpayers so named has appealed from such an assessment, proceed to determine the question in such manner as it considers appropriate; or

(b) if one or more of the taxpayers so named has or have appealed, make such order joining a party or parties to that or those appeals as it considers appropriate and proceed to determine the question.

[2]                La question de fait à trancher dans cette instance est la suivante : quel était le prix d'achat des biens-fonds en cause? M. Miller a en effet indiqué dans sa déclaration de revenus que le prix d'achat était de 180 000 $ tandis que Mme Wilson, la vendeuse, a déclaré qu'il était de 100 000 $. Mme Wilson conteste la demande de la Couronne en se fondant, essentiellement, sur l'argument voulant que sa cotisation pour cette année d'imposition est prescrite et qu'elle subirait un préjudice si elle était obligée de témoigner lors de l'audition de la demande. Selon cet argument, le ministre obtiendrait, grâce à la procédure en vertu de l'article 174, des renseignements qui allégeraient son fardeau de preuve, dans l'éventualité où il déciderait d'établir un nouvel avis de cotisation à Mme Wilson après l'expiration de la période normale de cotisation, tel que prévu au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[3]                Il a été convenu lors de l'audience devant la juge de la CCI qu'à cette étape des procédures, elle se prononcerait seulement sur la question de savoir si Mme Wilson doit être désignée comme partie à l'instance dans l'appel interjeté par M. Miller. La question du prix d'achat du bien-fonds n'est pas en litige dans le présent appel; cette question sera tranchée par la juge de la CCI, dans l'éventualité où le présent appel est accueilli.

[4]                La juge a rejeté la demande de la Couronne pour les motifs suivants :

[9]       Si le ministre tentait de son propre chef d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1995 de Mme Wilson, qui est prescrite, Mme Wilson aurait le droit de contester cette nouvelle cotisation et d'exiger que le ministre prouve ses allégations. Si Mme Wilson était constituée à titre de partie dans ces circonstances, lorsque par suite du résultat de l'appel son année d'imposition 1995, qui est prescrite, pourrait tomber sous le coup d'une nouvelle cotisation sans que l'on exige que le ministre se conforme aux dispositions du sous-alinéa 152(4)a)(i), on permettrait au ministre de faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement. Bref, accueillir la présente demande aurait pour effet de priver Mme Wilson des droits qui lui sont reconnus par la Loi tout en libérant le ministre de ses obligations légales.

[10]      Je retiens l'argument de la Couronne selon lequel il serait utile pour la Cour d'avoir à sa disposition le témoignage de Mme Wilson à l'audition de l'appel interjeté par M. Miller, mais cela peut se faire sans que Mme Wilson soit constituée à titre de partie : Mme Wilson peut être citée pour témoigner, comme la Couronne avait apparemment l'intention de le faire initialement. Si M. Miller et Mme Wilson étaient sur un pied d'égalité avec le ministre, il existerait peut-être des circonstances justifiant l'octroi de la demande de la Couronne. Cependant, ce n'est pas le cas. J'ai entendu les avocats des parties et de Mme Wilson et j'ai lu les documents qui ont été déposés et je ne suis pas convaincue qu'il convienne, somme toute, de constituer Mme Wilson comme partie dans l'appel interjeté par M. Miller. La demande est rejetée, les dépens devant être payés immédiatement à Mme Wilson; quant à l'intimé, les dépens suivront l'issue de la cause.

[5]                Puisqu'il s'agit d'une décision qui relève d'un pouvoir discrétionnaire, la Cour peut intervenir seulement si la décision est fondée sur une erreur de droit ou si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon erronée, parce qu'on n'a pas accordé suffisamment d'importance, ou qu'on en n'a pas accordé du tout, à des considérations pertinentes. (Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le) (C.A.F.), [2005] 3 R.C.F. 367, au paragraphe 13.)

[6]                Je suis d'avis que la juge a commis une erreur de droit justifiant l'intervention de la Cour, lorsqu'elle a conclu qu'en faisant droit à la demande de la Couronne, « on permettrait au ministre de faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement » et on privait « Mme Wilson des droits qui lui sont reconnus par la Loi tout en libérant le ministre de ses obligations légales » .

[7]                Le paragraphe 174(1) autorise expressément le ministre à demander à la CCI de se prononcer sur une question qui se rapporte à des « cotisations projetées » relatives à plusieurs contribuables. Lorsqu'une demande faite par la Couronne concerne un contribuable ayant fait l'objet d'un avis de cotisation et un contribuable n'ayant pas encore reçu d'avis de cotisation, on peut dire que ce dernier n'est « pas sur un pied d'égalité avec le ministre » , comme le souligne la juge, mais c'est précisément le résultat visé dans la Loi.

[8]                Le ministre ne fait pas indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement. Le seul résultat de la procédure en vertu de l'article 174 ne sera pas un avis de cotisation mais la détermination du prix d'achat réellement versé pour le bien-fonds. Si ce prix n'est pas celui allégué par Mme Wilson et si le ministre choisit d'établir un nouvel avis de cotisation à Mme Wilson, après l'expiration de la période normale de cotisation, et si Mme Wilson interjette appel à l'encontre du nouvel avis de cotisation, le ministre sera tout de même tenu, en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi, de démontrer que Mme Wilson « a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude » pour justifier son nouvel avis de cotisation. Il est vrai, comme le souligne l'avocat de Mme Wilson, qu'en se prononçant sur la valeur du bien-fonds, la juge pourrait conclure que de fausses indications ont été données, au détriment de Mme Wilson. Toutefois, une telle conclusion constituerait tout au plus une remarque incidente puisque la question en litige dans la demande en vertu de l'article 174 ne porte pas sur les fausses indications. En tout état de cause, les conséquences pour Mme Wilson ne seraient pas différentes de celles qui découleraient de son témoignage dans la cause de M. Miller ou éventuellement, dans sa propre cause. Le fardeau de démontrer qu'il y a eu fausses déclarations qui, au bout du compte, incombe au ministre dans un nouvel avis de cotisation en vertu du paragraphe 152(4), demeure inchangé; la seule différence réside dans le fait que le ministre obtiendrait des éléments de preuve, dans le cadre de la procédure en vertu de l'article 174, qu'il peut autrement obtenir soit durant l'instruction de la cause de M. Miller, soit pendant l'instruction de la cause éventuelle de Mme Wilson. En bout de course, Mme Wilson n'aura donc subi aucun préjudice.

[9]                Je tiens à souligner, au passage, ce qui m'apparaît comme un lapsus dans les motifs de la juge, au paragraphe 3, lorsqu'elle affirme que « la Cour a le pouvoir discrétionnaire, " de la façon qu'elle juge appropriée ", d'accueillir la demande de la Couronne en application du paragraphe 174(3) de la Loi » . Selon moi, cette disposition confère à la CCI une série de trois pouvoirs discrétionnaires dans une demande en vertu de l'article 174. En premier lieu, la juge doit être « convaincue » que cette disposition s'applique; ensuite, elle « peut » faire droit à la demande; enfin, si elle fait droit à la demande, elle doit trancher la question « de la façon qu'elle juge appropriée » , un pouvoir discrétionnaire clairement lié aux questions de procédures et de dépens (voir La Reine c. Comptesse Hassanali, 96 DTC 6414 (C.A.F.)).

[10]            Comme le pouvoir discrétionnaire de la juge n'a pas été exercé conformément à la loi, la Cour pourrait renvoyer l'affaire devant la CCI pour qu'une nouvelle décision soit rendue mais elle peut également prononcer la décision que la CCI aurait dû rendre. Le seul facteur allégué par Mme Wilson qui pourrait militer en faveur d'un rejet de la demande est [traduction] « que la tentative de joindre Mme Wilson à l'instance à titre de partie a été faite dans un délai trop long ou déraisonnable » et que la demande en vertu du paragraphe 174(1) en vue de désigner Mme Wilson comme partie à l'instance dans l'appel de M. Miller est fondamentalement injuste, abusive et vexatoire.

[11]            Si l'on présume que ce facteur est pertinent, l'allégation de délai injustifié ou de procédure injuste et abusive n'a pas été étayée par la preuve. Mme Wilson n'a pour sa part déposé aucun élément de preuve au soutien de ses arguments et elle n'a pas contre-interrogé la personne qui a signé l'affidavit pour la Couronne.

[12]            En conséquence, je suis d'avis que la demande déposée par la Couronne en vertu du paragraphe 174(1) doit être instruite et tranchée sur le fond.

[13]            En ce qui concerne les dépens, le procureur propose qu'ils suivent l'issue de la cause tandis que l'avocat de Mme Wilson soutient qu'en tout état de cause, les dépens doivent être adjugés à sa cliente et que ceux-ci doivent être taxés sur la base avocat-client.

[14]            En ce qui concerne les dépens à la Cour canadienne de l'impôt, je souscris aux arguments du procureur de la couronne. Mme Wilson a choisi de contester la demande en vertu de l'article 174, ce qui facilitera l'administration de la justice sans lui causer de préjudice. Je ne vois pas pourquoi elle devrait avoir droit aux dépens à cette étape préliminaire des procédures. Si la juge retient la version des faits de Mme Wilson, cette dernière obtiendra vraisemblablement les dépens sur toute la ligne; dans le cas contraire, il est fort probable qu'elle ne les obtiendra pas. La proposition du procureur de la Couronne de laisser les dépens suivre l'issue de la cause devant la Cour canadienne de l'impôt n'est donc pas dénuée de sagesse.

[15]            En ce qui concerne les dépens devant la Cour, ils ne peuvent tout simplement pas suivre l'issue de la cause puisque cette décision met définitivement fin à la procédure d'appel. Tel que proposé par le procureur de la Couronne, je suis disposée à ordonner que les dépens de l'appel, conformément à la colonne III du tableau du tarif B, soient adjugés à la partie, le cas échéant, habilitée à obtenir ses dépens aux termes de la décision de la Cour canadienne de l'impôt, quant au bien-fondé de la demande en vertu de l'article 174.

[16]            Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler la décision de la Cour canadienne de l'impôt et de la remplacer par une ordonnance accueillant, avec les dépens suivant l'issue de la cause, la demande de la Couronne de désigner Mme Wilson à titre de partie à l'instance, en vertu du paragraphe 174(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et de renvoyer l'affaire à la Cour canadienne de l'impôt pour qu'une décision sur le fond soit rendue sur la question de fait énoncée. Je suis d'avis que les dépens de cet appel doivent suivre les dépens éventuellement adjugés par la Cour canadienne de l'impôt, taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B.   

« Robert Décary »

Juge

« Je souscris à ces motifs.

                   John M. Evans »              

                       Juge

« Je souscris à ces motifs.

                   Karen R. Sharlow »

                       Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           A-83-05

INTITULÉ :                                        SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

appelante

                                                            et

                                                            EDWARD MILLER

intimé

                                                            et

                                                            PATRICIA MAEVE WILSON

intimée

LIEU DE L'AUDIENCE :         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 23 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                 LE JUGE EVANS

                                                   LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

John Shipley                                         POUR L'APPELANTE              

Aucune comparution                             POUR L'INTIMÉ (Edward Miller)

Richard H. Barch, c.r.                          POUR L'INTIMÉE (Patricia Maeve Wilson)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada               POUR L'APPELANTE

Chown, Cairns LLP

St. Catharines (Ontario)                       POUR L'INTIMÉ (Edward Miller)

Coy, Barch

Avocats

St. Catharines (Ontario)                        POUR L'INTIMÉE (Patricia Maeve Wilson)

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