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Date : 20000126


Dossiers : A-120-98, A-121-98

CORAM :      LE JUGE ISAAC
         LE JUGE ROTHSTEIN
         LE JUGE McDONALD

     No de greffe A-120-98 (T-3016-92)

ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY et

     MILLIKEN INDUSTRIES OF CANADA LTD.,

     appelantes

     (demanderesses),

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     intimée

     (défenderesse).


     No de greffe A-121-98 (T-1212-95)

ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY,

     appelante,

     (demanderesse),

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     intimée,

     (défenderesse).

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 17 octobre 1999

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2000


MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE ROTHSTEIN

Y A SOUSCRIT :      LE JUGE McDONALD

MOTIFS CONCOURANTS :      LE JUGE ISAAC




Date : 20000126


Dossiers : A-120-98, A-121-98

CORAM :      LE JUGE ISAAC
         LE JUGE ROTHSTEIN
         LE JUGE McDONALD


     No de greffe A-120-98 (T-3016-92)

ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY et

     MILLIKEN INDUSTRIES OF CANADA LTD.,

     appelantes

     (demanderesses),

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     intimée

     (défenderesse).




     No de greffe A-121-98 (T-1212-95)

ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY,

     appelante,

     (demanderesse),

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     intimée,

     (défenderesse).


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE ROTHSTEIN



INTRODUCTION

[1]      La Cour est saisie de l'appel du jugement1 prononcé le 5 février 1998 par le juge Tremblay-Lamer, de la Section de première instance, rejetant l'action en violation du droit d'auteur des appelantes. Le juge a fondé sa décision sur les motifs suivants :

     1)      le paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur, applicable aux dessins créés avant le 8 juin 1988, fait que l'oeuvre en cause ne peut être protégée par le droit d'auteur;
     2)      même si l'oeuvre pouvait être protégée par le droit d'auteur, l'appelante Milliken & Company n'était pas, à l'époque pertinente, cessionnaire du droit d'auteur, et l'appelante Milliken Industries of Canada Ltd. n'était que la titulaire d'une licence non exclusive accordée par Milliken & Company, qui ne l'autorisait pas à intenter une action pour violation du droit d'auteur.

[2]      Le juge de première instance a également précisé, pour le cas où elle serait dans l'erreur relativement à ces deux points préliminaires, qu'il y avait bien eu atteinte au droit d'auteur, mais qu'elle rejetait l'action en raison de ses conclusions sur ces points.

LES FAITS

[3]      Les faits que le juge de première instance a trouvés pertinents et qui, en l'absence de conclusion de fait explicite du juge, proviennent de la transcription et des pièces, sont les suivants. Claire Iles, une dessinatrice française, a soumis un dossier de présentation de ses travaux artistiques à la Hantex Steel Exhibition de Francfort, en Allemagne, au mois de janvier 1989. Cette manifestation annuelle est la plus importante exposition de textiles intérieurs au monde. Le 11 janvier 1989, à l'exposition, elle a rencontré Richard Stoyles, directeur du stylisme et du design pour Milliken & company, une entreprise de tapis pour utilisation commerciale. M. Stoyles a acheté six dessins à Mme Iles pour le compte de son employeur, et c'est l'un de ceux-ci qui a fait l'objet de l'action. Mme Iles avait intitulé ce dessin "Harmonie", mais Milliken & Company, après l'avoir acheté, l'a rebaptisé "Mangrove". En 1990, l'intimée Interface Flooring Systems (Canada) Ltd. a obtenu l'adjudication d'un marché visant la fourniture de dalles de moquette à l'aéroport de Calgary. L'intimée a installé les dalles dans l'aéroport en 1991, 1992 et 19952. Le motif des dalles installées était une copie du dessin Harmonie (Mangrove), d'où le présente litige.

[4]      Il convient de signaler que les appelantes ont bien fait enregistrer le dessin Mangrove en vertu de la Loi sur les dessins industriels3, le 6 novembre 1990. Toutefois, la Loi, à cette date, limitait la protection qu'elle prévoyait aux propriétaires des dessins et ne reconnaissait pas les cessionnaires (ce qu'était Milliken) comme propriétaires4. Des modifications ont été apportées à la Loi en 19935, pour permettre aux cessionnaires de requérir l'enregistrement des dessins industriels en qualité de propriétaires, mais elles prévoyaient que les cessionnaires ne pourraient intenter d'action en contrefaçon fondée sur des revendications antérieures à l'entrée en vigueur des modifications6. Parce que les appelantes ne pouvaient, relativement à l'installation des dalles de moquette de 1991 et de 1992, faire valoir de revendications fondées sur l'enregistrement en vertu de la Loi sur les dessins industriels, elles ont intenté une action en violation de droit d'auteur. Elles allèguent également une atteinte à leur droit d'auteur à l'égard de l'installation de moquette de 1995.

LES DISPOSITIONS DE LOI APPLICABLES

[5]      Voici les dispositions de loi applicables.

     A)      Le paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur en vigueur avant le 8 juin 1998
     64. (1) La présente loi ne s"applique pas aux dessins susceptibles d"être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels , à l"exception des dessins qui, tout en pouvant être enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas destinés à servir de modèles ou d"échantillons, pour être multipliés par un procédé industriel quelconque.
     B)      Le nouvel article 64 de la Loi sur le droit d'auteur7 entré en vigueur le 8 juin 1998

Interpretation

64. (1) In this section and section 64.1,

"article" "objet"

"article" means any thing that is made by hand, tool or machine;

"design" "dessin"

"design" means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye;

"useful article" "objet utilitaire"

"useful article" means an article that has a utilitarian function and includes a model of any such article;

"utilitarian function" "fonction utilitaire"

"utilitarian function", in respect of an article, means a function other than merely serving as a substrate or carrier for artistic or literary matter.

Non-infringement re certain designs

(2) Where copyright subsists in a design applied to a useful article or in an artistic work from which the design is derived and, by or under the authority of any person who owns the copyright in Canada or who owns the copyright elsewhere,

(a) the article is reproduced in a quantity of more than fifty, or

(b) where the article is a plate, engraving or cast, the article is used for producing more than fifty useful articles,

it shall not thereafter be an infringement of the copyright or the moral rights for anyone

(c) to reproduce the design of the article or a design not differing substantially from the design of the article by

(i) making the article, or

(ii) making a drawing or other reproduction in any material form of the article, or

(d) to do with an article, drawing or reproduction that is made as described in paragraph (c) anything that the owner of the copyright has the sole right to do with the design or artistic work in which the copyright subsists.

Exception

(3) Subsection (2) does not apply in respect of the copyright or the moral rights in an artistic work in so far as the work is used as or for

(a) a graphic or photographic representation that is applied to the face of an article;

(b) a trade-mark or a representation thereof or a label;

(c) material that has a woven or knitted pattern or that is suitable for piece goods or surface coverings or for making wearing apparel;

(d) an architectural work that is a building or a model of a building;

(e) a representation of a real or fictitious being, event or place that is applied to an article as a feature of shape, configuration, pattern or ornament;

(f) articles that are sold as a set, unless more than fifty sets are made; or

(g) such other work or article as may be prescribed by regulation.

Idem

(4) Subsections (2) and (3) apply only in respect of designs created after the coming into force of this subsection, and section 64 of this Act and the Industrial Design Act, as they read immediately before the coming into force of this subsection, as well as the rules made under them, continue to apply in respect of designs created before that coming into force.

Définitions

64. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 64.1.

"dessin" "design"

"dessin" Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs.

"fonction utilitaire" "utilitarian function"

"fonction utilitaire" Fonction d'un objet autre que celle de support d'un produit artistique ou littéraire.

"objet" "article"

"objet" Tout ce qui est réalisé à la main ou à l'aide d'un outil ou d'une machine.

"objet utilitaire" "useful article"

"objet utilitaire" Objet remplissant une fonction utilitaire, y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci.

Non-violation : cas de certains dessins

(2) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur ou des droits moraux sur un dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une oeuvre artistique dont le dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui n'en diffère pas sensiblement, en réalisant l'objet ou toute reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait d'accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que l'objet, de par l'autorisation du titulaire - au Canada ou à l'étranger - remplisse l'une des conditions suivantes :

a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires

b) s'agissant d'une planche, d'une gravure ou d'un moule, servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires.

Exception

(3) Le paragraphe (2) ne s'applique pas au droit d'auteur ou aux droits moraux sur une oeuvre artistique dans la mesure où elle est utilisée à l'une ou l'autre des fins suivantes :

a) représentations graphiques ou photographiques appliquées sur un objet;

b) marques de commerce, ou leurs représentations, ou étiquettes;

c) matériel dont le motif est tissé ou tricoté ou utilisable à la pièce ou comme revêtement ou vêtement;

d) oeuvres architecturales qui sont des bâtiments ou des modèles ou maquettes de bâtiments;

e) représentations d'êtres, de lieux ou de scènes réels ou imaginaires pour donner une configuration, un motif ou un élément décoratif à un objet;

f) objets vendus par ensembles, pourvu qu'il n'y ait pas plus de cinquante ensembles;

g) autres oeuvres ou objets désignés par règlement.

Idem

(4) Les paragraphes (2) et (3) ne s'appliquent qu'aux dessins créés après leur entrée en vigueur. L'article 64 de la présente loi et la Loi sur les dessins industriels, dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur du présent article, et leurs règles d'application, continuent de s'appliquer aux dessins créés avant celle-ci.




ANALYSE

     Question en litige

[6]      Le nouvel article 64 de la Loi sur le droit d'auteur est entré en vigueur le 8 juin 1988. Ainsi qu'il le sera démontré dans les présents motifs, cette nouvelle disposition est la seule source potentielle de protection par le droit d'auteur de l'oeuvre en question. À cause du paragraphe 64(4), l'application du nouvel article 64 en l'espèce dépend de la date à laquelle l'oeuvre intitulée Harmonie a été créée et, si sa création est antérieure au 8 juin 1988, de la question de savoir si la création était un dessin (design). Si le dessin a été créé après le 8 juin 1988 inclusivement, la nouvelle disposition s'applique, sinon, c'est l'ancien paragraphe 64(1) qui continue de s'appliquer. Par conséquent, si l'oeuvre intitulée Harmonie est un dessin (design) créé avant le 8 juin 1988, aucun droit d'auteur ne la protège et l'appel est voué à l'échec.

     Position des parties

[7]      Les appelantes affirment que l'oeuvre de Mme Iles n'était pas un dessin (design), mais une oeuvre artistique au sens donné à cette expression dans la définition énoncée à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur :

     "oeuvre artistique" Sont comprises parmi les oeuvres artistiques les oeuvres de peinture, de dessin, de sculpture et les oeuvres artistiques dues à des artisans, ainsi que les oeuvres d'art architecturales, les gravures et photographies.

Elles prétendent qu'il n'y a de dessin (design) que lorsqu'il est appliqué à un objet utilitaire, par exemple, du tapis, et que cette application ne s'est produite que quelque temps après l'acquisition de l'oeuvre artistique le 11 janvier 1989. Elles font donc valoir que le nouvel article 64 s'applique, et que le paragraphe 64(3) les autorise à revendiquer la protection du droit d'auteur sur l'oeuvre.

[8]      Pour l'intimée, Harmonie était un dessin (design) créé avant le 8 juin 1988. Le juge de première instance, tirant une conclusion défavorable du fait que les appelantes n'avait pas présenté de preuve quant à la date de création de l'oeuvre, a jugé qu'elle avait été créée avant le 8 juin 1988. Il s'ensuivait que l'ancien paragraphe 64(1) s'appliquait. Estimant que l'oeuvre était susceptible d"être enregistrée en vertu de la Loi sur les dessins industriels , et avait servi d"échantillon, pour être multiplié par un procédé industriel, le juge a conclu qu'en vertu de la loi applicable aux dessins (design ) créés avant le 8 juin 1988, elle était exclue de la protection du droit d'auteur. L'intimée soutient que le juge avait raison de conclure ainsi.

     Quand l'oeuvre a-t-elle été créée et s'agissait-il d'un dessin (design)?

[9]      Il faut d'abord répondre à la question suivante : quelle est la date de création de l'oeuvre Harmonie que les appelantes ont achetée à Mme Iles? Le juge de première instance, à partir de l'inférence défavorable qu'elle a tirée, a conclu que cette date était antérieure au 8 juin 1988. C'est pour les motifs qui suivent qu'elle a tiré cette inférence :

     1)      les appelantes ont plaidé que l'oeuvre avait été créée au mois de septembre 1988, mais n'ont présenté aucun élément de preuve à l'appui de cette prétention;
     2)      M me Iles n'a pas témoigné au procès, bien qu'il aurait été possible aux appelantes de lui faire confirmer la date de création de son oeuvre;
     3)      les appelantes n'ont donné aucune indication qui laisserait croire qu'elles ont tenté d'obtenir le témoignage de Mme Iles aux fins de l'instruction ou que celle-ci aurait refusé de comparaître ou de rendre témoignage dans le cadre d'une commission rogatoire tenue où elle se trouvait, hors du Canada;
     4)      le 25 septembre 1992, les appelantes avaient obtenu de Mme Iles un acte confirmant la cession. Le juge de première instance a conclu qu'il aurait été raisonnable que les demanderesses obtiennent alors d'elle les renseignements concernant la date de création, mais elles ne l'ont pas fait.

[10]      Les appelantes affirment que le juge de première instance est dans l'erreur parce que :

     1)      elle n'a pas tenu compte de la présomption d'existence d'un droit d'auteur qui s'applique dans toute action en violation de droit d'auteur;
     2)      il incombait à l'intimée de présenter des éléments de preuve réfutant la présomption, ce qui n'a pas été fait;
     3)      il n'y avait pas lieu de tirer une inférence défavorable aux appelantes, puisqu'il ne leur était pas possible d'assigner le témoin indépendant, que celle-ci se trouvait hors du ressort de la Cour et qu'elle était disponible également pour les deux parties.

[11]      Relativement à la présomption, ce qu'il faut se demander, pour les fins du paragraphe 64(4), c'est quand le dessin (design) a été créé et non si un droit d'auteur subsiste. Ce motif suffit, selon moi, à écarter l'application de la présomption. Toutefois, même si la présomption pouvait s'appliquer, l'inférence pouvant le plus naturellement être tirée de l'omission de présenter le témoignage de Mme Iles quant à la date de création de l'oeuvre est que les appelantes craignaient de la citer comme témoin et que cette crainte établit en quelque sorte que si elle avait été citée, elle aurait mis à jour des faits jouant contre les appelantes. Pour tirer l'inférence défavorable, le juge de première instance a invoqué le passage suivant de Wigmore on Evidence8, qui est instructif, quant à la question sous examen :

     [TRADUCTION] L'omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi éclaircis, sert à montrer - ce qui est la déduction la plus naturelle - que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d'une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s'ils avaient été présentés, auraient mis à jour des faits défavorables à la partie. Ces déductions ne peuvent être faites à juste titre qu'à certaines conditions; de plus, il est toujours possible qu'elles s'expliquent par des circonstances qui rendent plus naturelle une autre hypothèse que la crainte de divulgation. Cependant, le bien-fondé de pareille déduction en général n'est pas remis en question.

Je crois que cela suffit à repousser toute présomption. L'intimée n'avait pas à soumettre d'éléments de preuve sur ce point.

[12]      Aux motifs exposés par le juge de première instance pour tirer une inférence défavorable, que j'estime suffisants par eux-mêmes, il convient en outre d'ajouter le fait digne de mention que les appelantes ont refusé de divulguer avant l'instruction la liste de leurs témoins. Comme ces dernières ont plaidé que l'oeuvre avait été créée au mois de septembre 1988 et que, dans sa défense, la défenderesse avait requis les appelantes de faire la preuve de leur allégation, il était raisonnable que celle-ci s'attende à que ce les appelantes présentent des éléments de preuve à ce sujet. Vu les circonstances, les appelantes ne sauraient se justifier en faisant valoir que le témoin était également disponible pour l'intimée. Le fait que le témoin se soit trouvé à l'extérieur du ressort de la Cour n'est pas non plus une excuse (Voir Lévesque c. Comeau9).

[13]      Je ne vois rien d'erroné dans le raisonnement du juge de première instance et dans la conclusion qu'elle a formulée. Elle avait le droit de tirer une inférence défavorable dans ces circonstances, et de conclure que l'oeuvre Harmonie avait été créée avant le 8 juin 1988.

[14]      La date de création antérieure au 8 juin 1988 est donc retenue. Les appelantes ont par la suite fini par enregistrer l'oeuvre Harmonie en vertu de la Loi sur les dessins industriels. Mme Iles l'avait exposée lors d'une foire commerciale sur les textiles à utilisation intérieure, dont les revêtements de sol. La preuve établit qu'elle a participé à au moins cinq ou six reprises à ces manifestations. Elle présentait manifestement sa production dans ces expositions dans l'intention de la vendre à des acquéreurs fabriquant, au moyen de procédés industriels, des textiles pour utilisation intérieure, notamment du tapis. Le juge de première instance a conclu que l'oeuvre que les appelantes ont achetée à Mme Iles le 11 janvier 1989, premièrement, était susceptible d"être enregistrée en vertu de la Loi sur les dessins industriels , et, deuxièmement, avait servi d"échantillon, pour être multiplié par un procédé industriel. Par conséquent, l'oeuvre intitulée Harmonie était un dessin (design ) susceptible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels, et elle avait servi d'échantillon, pour être multiplié par un procédé industriel, et était exclue de la protection du droit d'auteur en raison du paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur lequel s'applique aux dessins industriels antérieurs au 8 juin 1988. Bien que Mme Iles ait eu l'intention de céder le droit d'auteur sur l'oeuvre lorsqu'elle a signé l'acte de confirmation de cession du 25 septembre 1992, le libellé du paragraphe 64(1), applicable aux dessins (design) créés avant le 8 juin 1988, fait qu'elle n'avait aucune droit d'auteur à céder.

     Application du nouvel article 64

[15]      Le paragraphe 64(4) de la Loi sur le droit d'auteur modifiée prévoit que la version antérieure de l'article 64 de cette loi, la Loi sur les dessins industriels et leurs règles d'application continuent de s'appliquer aux dessins (design) créés avant le 8 juin 1988. L'avocat des appelantes soutient néanmoins que l'oeuvre en cause n'était pas un dessin au sens de la Loi sur le droit d'auteur modifiée. Il affirme que le dessin n'a été créé qu'après l'acquisition de l'oeuvre de Mme Iles par Milliken et son application à un objet utilitaire - en l'espèce, des dalles de moquettes, - après le 11 janvier 1989. Les appelantes invoquent les paragraphes 64(1), (2) et (3) de la Loi sur le droit d'auteur modifiée, lesquels s'appliquent aux dessins (design) créés le 8 juin 1988 ou après cette date.

[16]      Je ne saurais me rendre à leurs arguments. Premièrement, c'est la loi applicable qui permet de déterminer si une oeuvre est un dessin (design). La loi applicable aux oeuvres antérieures au 8 juin 1988 est l'ancien paragraphe 64(1) et non le nouvel article 64. Compte tenu des faits de l'espèce, il n'y a donc pas lieu d'invoquer l'article 64.

[17]      Même si le nouvel article 64 était applicable, toutefois, il ne serait d'aucun secours aux appelantes. Le nouveau paragraphe 64(1) définit ainsi "dessin" : "Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche ... le motif ...". Le mot "fini" n'est pas défini. Les appelantes font valoir que le tracé d'un motif sur un support comme le papier est une oeuvre artistique uniquement et non un dessin (design ). Selon elles, il n'y a création d'un dessin que [TRADUCTION] "lorsqu'une oeuvre artistique est adaptée et appliquée à un objet fini utilitaire"10. Elles soutiennent que dans le contexte de l'article 64, [TRADUCTION] "l'expression "objet fini" s'entend d'un objet utilitaire"11.

[18]      À mon sens, l'argument des appelantes ne tient pas compte des mots employés au paragraphe 64(1) pour définir le mot "dessin" et du rapport entre cette disposition et l'économie de l'article. Les mots employés dans la définition de dessin sont "d'un objet fini" et non, comme l'affirment les appelantes, "d'un objet utilitaire fini". L'omission du mot "utilitaire" dans la définition de dessin n'était pas accidentelle. Les mots "objet" et "objet fini" font l'objet de définitions distinctes, le mot "objet" étant très général et le terme "objet utilitaire" étant plus spécifique. Un "objet utilitaire" s'entend d'un objet remplissant une fonction utilitaire. Le terme "fonction utilitaire" est défini en partie comme une "fonction d'un objet autre que celle de support d'un produit artistique ou littéraire". De toute évidence, le terme général "objet" inclut les objets utilitaires et les objets non utilitaires. Aussi un objet fini, dans la définition de dessin, n'a-t-il pas à être un objet utilitaire. En conséquence, la question de savoir si une oeuvre artistique est un dessin (design ) ne dépend pas du fait qu'elle ait ou non été appliquée à un objet utilitaire. Si tel avait été le cas, je crois que l'épithète "utilitaire", plutôt que l'épithète "fini", aurait été insérée dans la définition de "dessin".

[19]      Cette conclusion est conforme au paragraphe 64(2), qui dit que ne constitue pas une violation du droit d'auteur sur un dessin appliqué à un objet utilitaire le fait de le reproduire lorsque certaines conditions spécifiées sont réunies. Les mots employés au paragraphe 64(2) : "droit d'auteur [...] sur un dessin appliqué à un objet utilitaire" établissent, premièrement, qu'un dessin (design ) peut être l'objet du droit d'auteur et, deuxièmement, que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, il peut y avoir création d'un dessin (design) avant l'application de celui-ci à un objet utilitaire. Par déduction nécessaire, si un dessin (design) peut être appliqué à un objet utilitaire, l'existence de ce dessin peut être indépendante de l'objet utilitaire. Si le législateur avait voulu que, pour l'application du paragraphe 64(2), il n'y ait création de dessin (design) qu'une fois celui-ci appliqué à un objet utilitaire, il l'aurait dit explicitement.

[20]      Les appelantes s'appuient sur les mots "ou sur une oeuvre artistique dont le dessin est tiré" employés au paragraphe 64(2) pour soutenir que l'oeuvre artistique et le dessin (design ) sont nécessairement différents et qu'avant son application à un objet utilitaire, l'oeuvre est une oeuvre artistique et ne devient un dessin (design) qu'au moment de son application à l'objet utilitaire. Certes, ces mots indiquent que l'oeuvre artistique et le dessin (design) sont différents, mais ils ne le sont pas nécessairement. Ces mots visent le cas où un dessin (design) appliqué à un objet utilitaire n'est pas l'oeuvre artistique elle-même, mais est tiré de l'oeuvre artistique. Les mots "sur une oeuvre artistique dont le dessin est tiré" ne signifient pas qu'il n'y a création d'un dessin (design ) que lorsqu'il est appliqué à un objet utilitaire.

[21]      L'argument des appelantes sur l'application du nouvel article 64 semble viser seulement à les soustraire à l'intention claire du législateur, exprimée au paragraphe 64(4), à savoir que la loi antérieure au 8 juin 1988 continuerait de s'appliquer aux dessins créés avant cette date.



CONCLUSION

[22]      Le juge de première instance a conclu à bon droit que le dessin en cause n'était pas protégé par la Loi sur le droit d'auteur en raison de l'ancien paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres questions analysées par le juge de première instance. L'appel sera rejeté avec dépens.

[23]      Par ordonnance du juge McDonald en date du 29 octobre 1998, le présent appel a été réuni à l'appel dans le dossier A-121-98 et a été entendu en même temps que celui-ci. Une copie des présents motifs sera donc déposée dans le dossier A-121-98; ils seront dès lors réputés trancher l'appel dans ce dossier.


     "Marshall Rothstein"

                                         J.C.A.



"Je souscris aux présents motifs

F.J. McDonald"

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.






Date : 20000126


Dossiers : A-120-98, A-121-98

CORAM :      LE JUGE ISAAC
         LE JUGE ROTHSTEIN
         LE JUGE McDONALD

     No de greffe A-120-98 (T-3016-92)


ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY et

     MILLIKEN INDUSTRIES OF CANADA LTD.,

     appelantes

     (demanderesses),

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     intimée

     (défenderesse).




     No de greffe A-121-98 (T-1212-95)

ENTRE :

     MILLIKEN & COMPANY,

     appelante,

     (demanderesse),

     - et -

     INTERFACE FLOORING SYSTEMS (CANADA) INC.,

     intimée,

     (défenderesse).



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE ISAAC

[1]      J'ai eu le privilège de lire l'ébauche des motifs de jugement que M. le juge Rothstein se propose de rendre dans le présent appel.

[2]      Comme lui, je suis d'avis que le juge de première instance a eu raison de conclure qu'en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, le dessin en cause dans le présent appel n'était pas protégé contre la violation du droit d'auteur, parce qu'il était susceptible d"être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels , L.R.C. (1985), ch. I-9 et des Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., ch. 964, et qu'il avait servi d'échantillon, pour être multiplié par un procédé industriel. Toutefois, je préfère asseoir ma conclusion sur les motifs du jugement du juge de première instance.

[3]      Vu cette conclusion, je suis d'avis comme M. le juge Rothstein qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les autres points que le juge de première instance a analysés dans ses motifs de jugement.

[4]      Il s'ensuit que je suis aussi d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

[5]      Par ordonnance du juge McDonald en date du 29 octobre 1998, le présent appel a été réuni à l'appel dans le dossier A-121-98 et a été entendu en même temps que celui-ci. Une copie des présents motifs sera donc déposée dans le dossier A-121-98; ils seront dès lors réputés trancher l'appel dans ce dossier.


     "Julius A. Isaac"

     J.C.A.



Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :                      A-120-98 et A-121-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Milliken & Company et al. c.
                         Interface Flooring Systems (Canada) Inc.
                         Milliken & Company c.
                         Interface Flooring Systems (Canada) Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :          6 et 7 OCTOBRE 1999

MOTIFS DU JUGEMENT :          M. LE JUGE ROTHSTEIN

MOTIFS CONCOURANTS :          M. LE JUGE ISAAC

EN DATE DU :                  26 JANVIER 2000

ONT COMPARU :

G. Alexander Macklin, c.r.

Jane E. Clark                  pour les appelantes

Robert MacFarlane

Michael Charles              pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson      pour les appelantes

Ottawa (Ontario)


Bereskin & Parr

Toronto (Ontario)              pour l'intimée
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1      [1998] 3 C.F. 103.

2      Il n'est pas clair que les contrats d'installation de dalles de moquette de 1992 et de 1995 découlaient de l'appel d'offres initial de 1990, mais cette question n'est pas déterminante.

3      L.R.C. (1985), ch. I-9.

4      Articles 4 et 12 de la Loi sur les dessins industriels applicable à cette date. Pour que l'enregistrement fût valide, il aurait fallu que Mme Iles requière l'enregistrement du dessin en qualité de propriétaire puis qu'elle cède le tout à Milliken.

5      L.C. 1993, ch. 15, art. 13 et 19.

6      L.C. 1993, ch. 15, art. 24 (par. 30(2)).

7 L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, mod. par L.C. 1988, ch. 15.

8 James H. Chadbourn, dir., Wigmore on Evidence, vol. 2, Boston, Little, Brown & Company, 1979, à la p. 192.

9 [1970] R.C.S. 1010, aux p. 1012 et 1013.

10 Mémoire des appelantes, par. 34.

11 Mémoire des appelantes, par. 37.

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