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Date : 20000911


Dossier : A-59-98



OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 11 SEPTEMBRE 2000



CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD


ENTRE :


MANGIT K. MANGAT


demanderesse


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse



JUGEMENT


     La demande est rejetée avec dépens.



« Alice Desjardins »


J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.






Date : 20000911


Dossier : A-60-98



OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 11 SEPTEMBRE 2000



CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD


ENTRE :


ADAR MANGAT


demandeur


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse



JUGEMENT


     La demande est rejetée avec dépens.



« Alice Desjardins »


J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.





Date : 20000911


Dossier : A-59-98

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD


ENTRE :

MANGIT K. MANGAT

demanderesse


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse




Dossier : A-60-98

ENTRE :


ADAR MANGAT

demandeur


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse



Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 1er mai 2000.


Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le lundi 11 septembre 2000.


MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

Y ONT SOUSCRIT :



LE JUGE McDONALD


LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU




Date : 20000911


Dossier : A-59-98

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE McDONALD


ENTRE :

MANGIT K. MANGAT

demanderesse


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse




Dossier : A-60-98

ENTRE :


ADAR MANGAT

demandeur


- et -



SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse




MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McDONALD

[1]      Les demandes de contrôle judiciaire présentées par Mangit Mangat (dossier no A-59-98) et par Adar Mangat (dossier no A-60-98) ont été entendues en même temps. Les demandeurs, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale1, sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 13 février 1998, ayant rejeté l'appel d'une cotisation du ministre du Revenu national (le ministre).

Les faits

[2]      Pendant les années en question (1993, 1994 et 1995), M. (Adar) Mangat et Mme (Mangit) Mangat étaient propriétaires d'automobiles qu'ils louaient à des chauffeurs de taxi. Pour pouvoir exploiter un taxi en Colombie-Britannique, il faut posséder un permis de la Motor Carrier Commission (conformément à la Motor Carrier Act2). Aucun des demandeurs ne disposait de ce permis. Ils possédaient plutôt des actions de deux compagnies ( « White Rock » et « Surdell » ) et avaient des ententes avec celles-ci. Ces compagnies disposaient de permis de taxi et offraient des services de répartition.

[3]      Les activités de White Rock et de Surdell étaient similaires. Le fait de posséder des actions dans ces compagnies donnait le droit aux actionnaires, comme les demandeurs, d'utiliser un permis (le nombre d'actions requises variait d'une compagnie à l'autre). Chaque compagnie détenait des permis de taxi, offrait des services de répartition, s'occupait la publicité des services de taxi et était propriétaire de l'équipement de communication, des compteurs des taxis et des enseignes lumineuses installées sur le toit des voitures. En plus d'avoir payé leurs actions, les demandeurs payaient à White Rock et à Surdell un tarif mensuel pour les services de répartition et pour défrayer une partie des coûts de publicité.

[4]      Les demandeurs louaient leurs automobiles aux chauffeurs. L'ensemble des services des compagnies de répartition était compris dans le coût de location. Toutefois, les demandeurs prétendent qu'ils n'engageaient pas les chauffeurs de taxi, mais que cela était plutôt la responsabilité des compagnies de répartition. Dans le présent appel, la question de savoir qui engageait les chauffeurs fait l'objet du litige. Cependant, le juge de la Cour de l'impôt avait conclu, au paragraphe 12 de ses motifs, que le rôle des compagnies de répartition dans le processus d'embauche était d'approuver les chauffeurs éventuels, après avoir vérifié que le permis de conduire de ces derniers comportait la classe nécessaire à la conduite de taxis. Mis à part cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt ne s'est pas prononcé sur la question de savoir qui engageait les chauffeurs de taxi.

[5]      Le ministre a réclamé des cotisations d'assurance-chômage qui n'avaient pas été payées par les demandeurs en 1993, 1994 et 1995, au motif que ces derniers étaient les employeurs réputés des chauffeurs au sens de la Loi sur l'assurance-chômage3 et des règlements y afférents, et plus particulièrement du paragraphe 12e) du Règlement sur l'assurance-chômage4 et du paragraphe 17(1) du Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations)5.

Ces règlements prévoient :

Unemployment Insurance Regulations          Règlement sur l'assurance-chômage

12. Employment in any of the following employments, unless it is excepted employment under subsection 3(2) of the Act or excepted from insurable employment by any other provision of these Regulations, is included in insurable employment:

     ....

(e) employment of a person as a driver of any taxi....

12. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus en vertu du paragraphe 3(2) de la Loi ou d'une disposition du présent règlement, les emplois suivants:

     [...]

e) l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi [...]


Unemployment Insurance (Collection of Premiums) Regulations

Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations)

17. (1) The owner, proprietor or operator of a business or public authority that employs a person in employment described in paragraph 12(e) of the Unemployment Insurance Regulations shall, for the purposes of maintaining records, calculating insurable earnings and paying premiums under the Act and these Regulations, be deemed to be the employer of every such person whose employment is included in insurable employment by virtue of that paragraph.

17. (1) Le propriétaire ou l'exploitant d'une entreprise privée ou d'un établissement public qui occupe une personne à un emploi visé à l'alinéa 12e) du Règlement sur l'assurance-chômage est réputé, aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable et du paiement des cotisations aux termes de la Loi et du présent règlement, être l'employeur de toute personne qu'il occupe ainsi et dont l'emploi est inclus dans les emplois assurables en vertu dudit alinéa.


D'après la cotisation, les demandeurs étaient les employeurs réputés des chauffeurs de leurs taxis et, par conséquent, responsables de percevoir et de payer les cotisations des employés tout comme leur propre cotisation en tant qu'employeurs.

La décision de la Cour de l'impôt

[6]      L'appel des demandeurs à la Cour canadienne de l'impôt a été rejeté. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les demandeurs étaient les employeurs réputés au sens du règlement. Il a statué que les demandeurs exploitaient une entreprise, étant propriétaires et s'occupant de l'entretien de taxis, qu'ils louaient à des chauffeurs. Cette conclusion était en grande partie fondée sur le fait que les demandeurs et les chauffeurs négociaient le coût de location, et que celui-ci comprenait le coût des services offerts par les compagnies de répartition. Comme l'a dit le juge de la Cour de l'impôt, au paragraphe 22 :

         [traduction]
         En achetant des actions de ces compagnies de répartition, les appelants (les demandeurs en l'espèce) pouvaient transformer toute automobile en taxi, et en payant des frais mensuels aux compagnies, les locataires de leurs taxis bénéficiaient des services de répartition, de la publicité et de l'image du groupe. C'est ce forfait que les appelants louaient aux chauffeurs.

[Non souligné dans l'original]

[7]      Il y a une erreur typographique dans le jugement de la Cour de l'impôt, au paragraphe 2. Une phrase se lit : [traduction] « La seule question en litige est de savoir si les appelants sont des employés au sens de la loi » , mais devrait se lire : [traduction] « La seule question en litige est de savoir si les appelants sont des employeurs au sens de la loi [...] » . Il ne s'agit pas d'une erreur de fond et elle n'a donc pas d'incidence sur les conclusions de la Cour de l'impôt.

[8]      Le montant des cotisations n'est pas contesté en l'espèce. La seule question est de savoir si les demandeurs sont les employeurs réputés des chauffeurs au sens de la Loi sur l'assurance-chômage et des règlements y afférents.

Les demandeurs étaient-ils les employeurs réputés aux fins de l'application de la Loi?

[9]      L'effet combiné des paragraphes 17(1) du Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations) et du paragraphe 12e) du Règlement sur l'assurance-chômage est que le propriétaire ou l'exploitant d'une entreprise qui emploie une personne comme chauffeur de taxi est réputé être un employeur aux fins de l'application de la Loi. Dans la présente affaire, la question primordiale est de savoir si les demandeurs, en tant que propriétaires des taxis, étaient les employeurs des chauffeurs, ou si ce rôle était plutôt assumé par les compagnies de répartition.

[10]      Les demandeurs prétendent que la relation employeur-employé existait entre les compagnies de répartition et les chauffeurs. Ils soutiennent qu'ils « n'exploitaient » pas l'entreprise de taxi, mais qu'ils avaient cédé ce rôle aux compagnies avec qui ils avaient un lien contractuel. Les demandeurs sont d'avis qu'ils louaient simplement leurs véhicules aux chauffeurs de taxi. Ils s'appuient grandement sur le fait qu'ils ne rémunéraient pas les chauffeurs de taxi et qu'en fait, l'argent circulait dans la direction opposée car les chauffeurs payaient les demandeurs pour utiliser leurs véhicules.

[11]      Selon moi, la direction dans laquelle circulait l'argent entre les chauffeurs et les demandeurs n'est pas pertinente en l'espèce. La nature d'une entreprise de taxi veut que le chauffeur, en tant qu'employé, reçoive l'argent des clients et remette le montant approprié aux propriétaires. Le montant qui reste constitue le salaire du chauffeur. Le fait que l'argent ne circule pas dans le même sens que dans une relation d'emploi habituelle ne libère pas les demandeurs de leur obligation de prélever les cotisations d'assurance-chômage appropriées. Les demandeurs avaient seulement à inclure les cotisations dans le montant qu'ils réclamaient aux chauffeurs pour la location.

[12]      D'après les faits constatés par le juge de la Cour de l'impôt, les demandeurs ne fournissaient pas seulement un véhicule aux chauffeurs de taxi. L'utilisation du permis de taxi et les services offerts par les compagnies de répartition étaient compris dans le montant réclamé aux chauffeurs. Les compagnies de répartition avaient un lien contractuel avec les demandeurs, et ceux-ci avec les chauffeurs. Les chauffeurs n'avaient aucun lien contractuel direct avec les compagnies de répartition. Les interactions entre les compagnies de répartition et les chauffeurs se faisaient par l'entremise des demandeurs. En d'autres termes, sans le contrat passé entre les compagnies de répartition et les demandeurs, les chauffeurs n'auraient eu aucun lien avec les compagnies.

[13]      D'un point de vue pratique, les compagnies de répartition n'étaient pas dans une bonne position pour percevoir les cotisations des chauffeurs. Il n'y a pas de lien d'emploi direct entre eux et les conmpagnies ne reçoivent aucun paiement des chauffeurs. À presque tous les égards, les compagnies de répartition traitent directement avec les propriétaires des taxis.

[14]      En cherchant à démontrer qu'ils n'étaient pas les employeurs des chauffeurs, les demandeurs ont aussi allégué qu'ils n'avaient pas engagé les chauffeurs et que cette responsabilité incombait aux compagnies de répartition. Les demandeurs prétendent que la conclusion du juge de la Cour de l'impôt, selon laquelle ils étaient les employeurs de personnes qu'ils n'avaient pas engagées, constituait une erreur.

[15]      Je ne partage pas cet avis. Même si les compagnies de répartition avaient quelque chose à voir avec l'embauche des chauffeurs, le seul fait d'avoir une part des responsabilités dans l'embauche n'est pas un élément déterminant du lien d'emploi. Pour conclure que les chauffeurs de taxi étaient les employés des compagnies de répartition, il faudrait faire abstraction de tous les autres éléments du contrat en vertu duquel les demandeurs louaient leurs véhicules aux chauffeurs. Je souligne que lors de la plaidoirie orale, l'avocat des demandeurs n'a pas contesté les conclusions du juge de la Cour de l'impôt qui portaient sur le lien entre les demandeurs et les chauffeurs en vertu du contrat de location.

[16]      Il n'est pas nécessaire que les demandeurs contrôlent tout le processus d'embauche pour être les employeurs d'un chauffeur de taxi. L'embauche n'est qu'une étape du lien d'emploi. Le juge de la Cour de l'impôt a correctement tenu compte de tous les éléments du lien entre les chauffeurs et les demandeurs pour conclure que ces derniers employaient les chauffeurs. De plus, même si je concluais que les compagnies avaient un réel contrôle lors du processus d'embauche, ce qui, selon moi, est loin de constituer une évidence, on pourrait vraisemblablement prétendre que dans les circonstances, les compagnies agissaient au nom des propriétaires des taxis.

La jurisprudence

[17]      Le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé sur deux décisions - 715341 Ontario Ltd c. Le ministre du Revenu national, (1993), 162 N.R. 392 et John Witwicki c. Le ministre du Revenu national, NR 13, le 31 juillet 1974 (le juge Mahoney).

[18]      Les deux parties conviennent que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en se fondant sur la décision Witwicki, car celle-ci va à l'encontre de sa conclusion en l'espèce. La Cour de l'impôt s'est servie de la décision Witwicki pour établir la prémisse selon laquelle le propriétaire du véhicule était la personne qui devait payer la cotisation au ministre. En fait, dans l'affaire Witwicki, se fondant sur les éléments de preuve présentés au juge-arbitre, la Cour avait conclu que les chauffeurs de taxis étaient employés par le service de répartition. Toutefois, cette erreur ne s'élève pas au rang d'erreur susceptible de révision pour deux raisons. Premièrement, la décision Witwicki n'avait pas force obligatoire pour le juge de la Cour de l'impôt et de toute façon, une distinction d'avec cette décision avait été faite dans la décision Harry Hrudey c. M.R.N., N.R. 24, le 3 septembre 1974 (le juge Heald), affaire dont les faits étaient très semblables à ceux de la présente affaire. Deuxièmement, la prise en considération par le juge de la Cour de l'impôt de la décision Witwicki n'a pas été déterminante pour sa décision. Le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé de manière plus significative sur la décision 715341 Ontario Ltd.

Évaluation des cotisations

[19]      Les demandeurs soumettent un argument subsidiaire qui n'avait pas été soulevé en première instance. La défenderesse ne s'y est pas opposé car il s'agit d'une question de droit et que, par conséquent, on n'a pas à se demander si la preuve au dossier est suffisante pour traiter de cette question.

[20]      Les demandeurs soutiennent que s'ils sont considérés comme les employeurs aux fins de l'application de la Loi, le montant réclamé ne devrait comprendre que la partie des cotisations payable par l'employeur. Les demandeurs prétendent que la Loi ne donne pas au ministre le pouvoir de réclamer de l'employeur la partie des cotisations payable par les employés. Ils soutiennent que le paragraphe 56(1) de la Loi sur l'assurance-chômage ne donne le pouvoir au ministre de réclamer que les montants payables en vertu de la Loi et non les montants payables en vertu des règlements. Pour ces motifs, les demandeurs allèguent que le ministre a seulement le pouvoir de percevoir de l'employeur la cotisation de ce dernier.

[21]      Selon moi, cet argument ne peut être retenu. Le paragraphe 56(1) de la Loi prévoit que « Le ministre peut établir une évaluation [...] de ce que doit payer un employeur [en vertu de la présente loi] [...] » . Rien dans cet article ne restreint son application à la part des montants payables par l'employeur. La position de la défenderesse est plus soutenable : le paragraphe 56(1) doit être lu conjointement avec les paragraphes 53(1) et (2) afin de déterminer les montants pour lesquels le ministre peut établir une cotisation. Les paragraphes 53(1) et (2) prévoient clairement que l'employeur doit remettre le montant de la cotisation de l'employé et le montant de sa propre cotisation.

[22]      Des modifications ont été apportées au paragraphe 53(1) de la Loi pendant la période pertinente en l'espèce6. Toutefois, je suis d'avis que l'essentiel du paragraphe n'a pas été modifié de manière significative comparativement à la version précédente, qui était en vigueur pendant deux des trois années visées par la présente demande. Les versions modifiées des paragraphes 53(1) et (2) prévoient :

53.(1) Every employer paying remuneration to a person employed by the employer in insurable employment shall deduct from that remuneration as or on account of the employee's premium payable by that insured person under section 51 for any week or weeks in respect of which that remuneration is paid

such amount as is determined in accordance with prescribed rules and shall remit that amount, together with the employer's premium payable by the employer under that section for such week or weeks, to the Receiver General at such time and in such manner as is prescribed.....

(2) Subject to subsection (3), every employer who fails to deduct and remit an amount from the remuneration of an insured person as and when required under subsection (1) is liable to pay Her Majesty the whole amount that should have been deducted and remitted from the time it should have been deducted.

53.(1) Tout employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution, au titre de la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l'article 51 pour la ou les semaines pour lesquelles cette rétribution est payée, un montant déterminé en

conformité avec les règles prescrites et est tenue de verser ce montant au receveur-général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de cet article, au moment et de la manière prescrits [...]


(2) Sous réserve du paragraphe (3), tout employeur qui n'effectue pas, aux conditions et au moment prévus au paragraphe (1), la retenue sur la rémunération d'un assuré et son versement est débiteur envers Sa Majesté, à partir de la date où la retenue aurait dû être effectuée, de la somme globale qui aurait dû être retenue et versée.

[23]      Les paragraphes 53(1) et (2) définissent le contenu de l'expression « ce que doit payer l'employeur » au paragraphe 56(1). Le montant payable par l'employeur comprend le montant perçu des employés à l'égard de leurs cotisations ou qui aurait dû être perçu des employés en application du paragraphe (1). Par conséquent, le ministre a le pouvoir de réclamer à l'employeur la totalité du montant des cotisations payables en vertu de la Loi.

[24]      Les demandeurs allèguent que l'article 53 ne s'applique pas en l'espèce étant donné qu'ils ne payaient pas de rémunération aux personnes qui conduisent leurs taxis. Cet argument renvoie à la question de la circulation de l'argent traitée précédemment. Les demandeurs se fondent sur le fait qu'ils ne donnent pas de chèque de paye aux chauffeurs pour appuyer leur prétention que l'article 53 ne s'applique pas à eux. Ils voudraient que la Cour restreigne le sens de l'expression « payer une rémunération » aux situations dans lesquelles l'employeur verse effectivement de l'argent à l'employé.

[25]      Je ne souscris pas à l'opinion des demandeurs sur cette question, opinion que je considère problématique pour plusieurs raisons. Premièrement, le paragraphe 12e) du Règlement sur l'assurance-chômage inclus expressément dans la catégorie des emplois assurables l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi. Par définition, une rémunération est payée aux employés. Il s'agit d'une différence importante entre un travailleur autonome et un employé. On était certainement conscient des pratiques de l'industrie du taxi quand on a rédigé le paragraphe 12e). À vrai dire, le fait que les chauffeurs de taxi aient été expressément inclus dans la catégorie des employés assurables semble signifier que ces pratiques auraient pu autrement créer de la confusion. Le Règlement sur l'assurance-chômage semble avoir été rédigé afin d'éviter cette confusion, en incluant expressément les chauffeurs de taxi dans la catégorie des employés assurables, et non dans celle des travailleurs autonomes.

[26]      Le seul fait que les chauffeurs remettaient l'argent à l'employeur et non le contraire ne signifie pas qu'ils n'étaient pas rémunérés. La manière selon laquelle le chauffeur reçoit concrètement l'argent n'est pas pertinente. L'argent perçu par les chauffeurs appartient en fait au propriétaire du véhicule. Le chauffeur ne peut en conserver que la part prévue au contrat passé avec le propriétaire. Théoriquement, cette relation est la même que celle découlant d'un contrat d'emploi plus traditionnel. L'employé produit des revenus et l'employeur lui redonne une partie de cet argent en guise de rémunération pour services rendus. En l'espèce, les parties ont simplement sauté l'étape où les employés remettent la totalité de l'argent à l'employeur, uniquement pour que celui-ci leur en remette une partie. Les chauffeurs conservent simplement leur part, conformément à l'entente avec l'employeur. Cela ne constitue pas une négation du fait que les chauffeurs sont rémunérés pour leur travail.

[27]      Enfin, les demandeurs se fondent sur la prémisse selon laquelle la rémunération n'a qu'une seule forme, soit un paiement réel de l'employeur à l'employé. La portée du mot « rémunération » a été examinée par la Cour dans l'arrêt Sheridan c. Le ministre du Revenu national (1985), 57 N.R. 69, à la page 74. Dans cette affaire, le juge Heald s'est fondé sur la définition suivante :

         Le Shorter Oxford Dictionary (3e édition) définit les termes « remunerate » et « remuneration » de la façon suivante :
             [traduction]
             1. Opération visant à rembourser, récompenser, payer de retour (des services etc.)
             2. récompenser (une personne); payer (une personne) pour des services rendus ou un travail accompli
             D'où rémunération, récompense, dédommagement, remboursement, paiement, salaire.
         Au volume 4 du Stroud's Judicial Dictionary (4th Ed.) on énonce entre autres que « rémunération » signifie contrepartie7.

[28]      La Cour suprême du Canada a aussi examiné la signification du mot « rémunération » dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Canada (P.G.), [1986] 1 R.C.S. 678. Le raisonnement de monsieur le juge La Forest, à la page 687, est particulièrement riche en enseignements.

         [...] l'expression « rétribution ... qui lui est payée par son employeur » dans la version française, « remuneration... paid by his employer » dans la version anglaise, peut sembler équivoque. Selon Le Petit Robert (1984), « rétribution » signifie « ce que l'on gagne par son travail » , ce qui ne nous éclaire pas tellement. Mais nous avons plus d'éclaircissement sur le mot remuneration qui se trouve dans la version anglaise. Dans l'arrêt Skailes v. Blue Anchor Line Ltd., [1911] 1 K.B. 360, la Cour d'appel d'Angleterre a interprété cette expression, pour les fins de la Workmen's Compensation Act de l'époque, comme englobant non seulement une prime payée au commissaire d'un navire par son employeur mais aussi les profits de vente d'alcool aux voyageurs.    Si nous acceptons cette façon de voir ce mot, il me semble qu'il peut aussi bien comprendre un pourboire qui a été versé à l'employeur pour distribution à ses employés. Quant au mot « payer » qui peut aussi bien signifier une simple distribution par l'employeur que le paiement d'une créance de l'employeur, je souligne simplement que si on donne au mot « rétribution » une portée large, il faut aussi donner une signification large au mot « payer » .

[29]      Il est clair que les mots « payer une rémunération » ne devraient pas être interprétés d'une manière qui serait assez restreinte pour exclure la situation en cause dans la présente affaire. Les chauffeurs sont « rétribués » pour leur travail, puisque ils conservent une certaine partie des revenus de la journée. En interprétant les mots « payer » et « rémunération » d'une manière large, il devient évident qu'il s'agit de l'effet de l'entente entre les demandeurs et les chauffeurs de taxi.

[30]      L'article 53 de la Loi s'applique donc aux demandeurs et doit servir à interpréter l'article 56. Plus particulièrement, l'article 53 fait clairement en sorte que le montant payable par l'employeur, dont traite le paragraphe 56(1), comprend le montant qui a été ou aurait dû être déduit des revenus des employés.

Conclusion

[31]      Les demandes devraient être rejetées avec dépens. Le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante dans ses conclusions de fait et n'a pas commis d'erreur de compétence en concluant que les demandeurs étaient les employeurs réputés aux fins de l'application de la Loi sur l'assurance-chômage. Enfin, le ministre avait le pouvoir de réclamer au demandeurs la totalité des cotisations dues.


[32]      Une copie des présents motifs devrait être déposée dans le dossier de la Cour no A-60-98, et devrait être considérée comme les motifs du jugement de chacune des affaires.


« F.J. McDonald »

J.C.A.

« Je souscris aux présents motifs,

     Alice Desjardins, J.C.A. »


« Je souscris aux présents motifs,

     Gilles Létourneau, J.C.A. »



Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  A-59-98 & A-60-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MANGIT K. MANGAT

et

SA MAJESTÉ LA REINE


ADAR MANGAT

et

SA MAJESTÉ LA REINE


LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 1er MAI 2000
MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE McDONALD
Y ONT SOUSCRIT :                      LE JUGE DESJARDINS

                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

EN DATE DU :              11 SEPTEMBRE 2000

ONT COMPARU

M. Timothy Clarke                          POUR LES DEMANDEURS
Mme Lynn Burch                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bull Housser & Tupper                      POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                 

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          POUR LA DÉFENDERESSE
__________________

1      L.R.C. (1985), ch. F-7.

2      R.S.B.C. 1979, ch. 286.

3      L.R.C. (1985), ch. U-1.

4      C.R.C. Vol. XVIII, ch. 1576.

5      C.R.C. Vol. XVIII, ch. 1575.

6      L.C. 1994, ch. 21, par. 129(1). En vertu du paragraphe 129(2) de la loi modificatrice, la nouvelle version était applicable après 1994. La version précédente peut être consultée à L.C. 1993, ch. 24, par. 151(1).

7      À la page 2324 - cette définition s'appuierait sur le jugement du juge Blackburn dans R. v. Postmaster General , 1 Q.B.D. 663, à la page 664.

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