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Date : 1999.01.13


Dossiers : A-92-98 et A-93-98

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE STRAYER

         LE JUGE DÉCARY

    

ENTRE :

     HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE et

     SYNTEX PHARMACEUTICALS

     INTERNATIONAL LIMITED,

    

     appelantes

     (requérantes),

    

     - et -

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

     ET DU BIEN-ETRE SOCIAL et

     NOVOPHARM LIMITED,

    

     intimés

     (intimés).

     Affaire entendue à Toronto (Ontario), le mercredi 13 janvier 1999

     Jugement prononcé à l'audience

     à Toronto (Ontario), le mercredi 13 janvier 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE STRAYER


Date : 1999.01.13


Dossiers : A-92-98 et A-93-98

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE STRAYER

         LE JUGE DÉCARY

ENTRE :     


HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE et

SYNTEX PHARMACEUTICALS

INTERNATIONAL LIMITED,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -


MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET

DU BIEN-ETRE SOCIAL et

NOVOPHARM LIMITED,


intimés

(intimés).

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario)

     le mercredi 13 janvier 1999)

LE JUGE STRAYER

[1]      Il s"agit de deux appels, entendus en même temps, qui ont été formés contre les décisions rendues ensemble le 27 janvier 1998 par le juge en chef adjoint Jerome, avec des motifs communs1. Les deux procédures sont identiques mais le dossier A-92-98 vise un avis de conformité ("AC") demandé par l'intimée Novopharm à l"égard des comprimés kératinisés de naproxen de 250, 375 et 500 mg, alors que le dossier A-93-98 vise un avis de conformité demandé par l'intimée Novopharm à l"égard des comprimés de naproxen de 125, 250, 375 et 500 mg.

[2]      Les appelantes avaient déposé des listes de brevets relativement au naproxen, en 1993. La liste comprenait les brevets 1,124,735 ("735"), 1,131,660 ("660"), 1,135,717 ("717"), 1,186,318 ("318"), 1,186,319 ("319"), 1,199,646 ("646"), 1,207,338 ("338") et 1,259,627 ("627").

[3]      En septembre 1996, Novopharm a déposé des avis d'allégation relativement aux comprimés en cause dans le dossier A-92-98, et en novembre 1996 relativement aux comprimés en cause dans le dossier A-93-98. Dans les deux cas, Novopharm a allégué que le médicament naproxen lui-même n'est revendiqué dans aucun des brevets de la liste de brevets susmentionnée.

[4]      Le 13 novembre 1996, les appelantes ont déposé une demande d"interdiction contre le ministre intimé en vertu de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)2 (le " Règlement") en ce qui à trait aux comprimés en cause dans le dossier A-92-98, et le 20 décembre 1996, elles ont intenté une poursuite semblable relativement aux comprimés en cause dans le dossier A-93-98.

[5]      Lorsque le juge en chef adjoint Jerome a entendu les deux affaires, le 14 novembre 1997, les appelantes ont déclaré qu'elles ne s'opposeraient pas au rejet de leur demande relative aux brevets nos 735, 318, 319, 646, 338, et 627. Des brevets restants, savoir les brevets nos 660 et 717, seule la revendication 27 de chacun d"eux était en litige. Le 27 janvier 1998, le juge en chef adjoint a déclaré que ces revendications visaient des "substances intermédiaires utilisées dans le procédé de fabrication d'un ingrédient actif" et non des réclamations sur le médicament lui-même. Il a déclaré :

                 [2]      Je souscris à l'argument de l'intimée suivant lequel si les revendications en question portent sur des substances intermédiaires utilisées dans le procédé de fabrication d'un ingrédient actif destiné à un usage pharmaceutique, suivant la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d'appel fédérale dans laquelle notre Cour est liée, ces revendications ne sont pas des revendications portant sur le médicament lui-même ou sur son utilisation. En outre, notre Cour a déjà examiné ces brevets précis et je fais miens les propos suivants formulés par ma collègue, le juge Reed :                 
                      De nombreux aspects des questions initialement soulevées dans les présentes demandes ont été réglés, du moins en ce qui concerne la Section de première instance. C'est le résultat de décisions comme celles-ci : Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 171 (C.F.1re inst.); confirmé par (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.) (des revendications de procédés ne sont pas des revendications qui comportent une revendication pour le médicament en soi); Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245 (C.F.1er inst.) (des revendications de procédés pour des substances intermédiaires ne sont pas des revendications pour le médicament en soi); Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 62 C.P.R. (3d) 58; confirmé par A-389-95, 5 décembre 1995 [publié à 67 C.P.R. (3d) 25] (des revendications de composition ou de formulation sont des revendications pour le médicament en soi).                         
                 L'ordonnance du juge Reed a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (1996) 70 C.P.R. (3d) 1. À la page 2 le juge Stone cite dans les termes suivants l'argument invoqué par les appelantes dans cette affaire (c.-à-d. par les intimés en l'espèce) :                 
                      "Aux paragraphes 19 et 25 de leur mémoire, les appelantes soutiennent ce qui suit :                         
                      [traduction]                 
                      19. Compte tenu des jugements que la Cour a rendus dans Deprenyl [...] (où elle a statué que les revendications de procédés n'étaient pas visées par le Règlement) et dans Eli Lilly and Co. [...] (où elle a décidé que les revendications pour des substances intermédiaires n'étaient pas visées par le Règlement) et du fait que les brevets nos 660, 717, 627 et 338 renferment uniquement des revendications de procédés et des revendications pour des substances intermédiaires, les appelantes ne s'opposeront pas au rejet de leur appel en ce qui à trait à ces brevets, sous réserve de leur droit d'appel [...]" (non souligné dans l'original).                         
                 [3]      Étant donné que, non seulement je suis d'accord avec ces deux décisions, mais encore que je suis liée par elles et que l'on ne m'a pas convaincue que les faits de la présente espèce sont suffisants pour justifier la réparation demandée, la demande de bref de prohibition est rejetée aux motifs que les revendications relatives aux brevets 660 et 717 sont des revendications portant sur des substances intermédiaires et non des revendications portant sur le médicament lui-même ou sur son utilisation.                 
     [6]      Lors de l'audition des demandes d"interdiction, l'appelante a également demandé au juge saisi de la requête d'interpréter les termes "rejetée, de façon définitive" du paragraphe 7.4 du Règlement. Voici les dispositions applicables :     
                 7. (1) Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :                 
                 ...                 
                 e) sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 30 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 6(1),                 
                 ...                 
                 (4) L"alinéa (1)e ) cesse de s"appliquer à l"égard de la demande visée au paragraphe 6(1) si celle-ci est retirée ou est rejetée par le tribunal, de façon définitive.                 
     Cette question n'avait pas été soulevée dans leur avis de requête, mais les appelantes ont demandé à la Cour de déclarer que le délai visé à l'article 7 du Règlement continue de s'appliquer tant que tous les appels possibles n"auront pas été épuisés. À leur avis, jusqu'à cette date, leurs demandes d"interdiction n"étaient pas "rejetées de façon définitive".     
     [7]      Le juge en chef adjoint n"a pas accordé la réparation demandée : en fait, il n'a même pas mentionné cette demande dans les motifs de rejet des demandes d"interdiction.     
     [8]      Les appelantes en l'espèce prétendent que le juge en chef adjoint Jerome a commis une erreur en déclarant qu"il n"y avait aucune revendication portant sur le médicament en soi, savoir le naproxen, dans les revendications 27 des brevets nos 660 et 717, et en refusant de déclarer que le délai visé à l'article 7 du Règlement continuait à s"appliquer.     
     Une revendication portant sur le médicament en soi     
     [9]      Pour l'essentiel, les appelantes prétendent, au regard de cette question, que le juge saisi de la requête, soit a commis une erreur de droit, soit ne s'est pas fondé sur les faits en déclarant qu'il était lié par la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)3.     
     [10]      Examinons, en premier lieu, la deuxième question. Dans l"affaire Hoffmann-La Roche mentionnée plus haut, la Cour a souligné que la même appelante avait reconnu, entre autres choses, dans son mémoire, que les revendications des brevets nos 660 et 717 n'étaient que des revendications portant sur les procédés ou des substances intermédiaires et que c"était pour cette raison qu'elle avait consenti au rejet de l"appel concernant ces brevets. Les appels ont donc été rejetés. Mais, en l"espèce, les appelantes prétendent que le juge en chef adjoint a commis une erreur en déclarant qu'il était lié par cette décision. Elles soutiennent que le principe de l"autorité de la chose jugée et de l"issue estoppel (irrecevabilité résultant de l"identité des questions en litige) ne s'applique pas lorsque les parties sont différentes. Dans la première affaire, c"était Apotex et non l"intimée en l"espèce, la compagnie Novopharm, dont les intérêts étaient en conflit avec ceux de l'appelante. Selon les appelantes, la règle du stare decisis n'est pas pertinente parce qu'elle ne s'applique qu'à des principes juridiques établis alors que l"interprétation régulière d'une revendication de brevet est une question mixte de droit et de fait.     
     [11]      Nous estimons qu"il n'est pas nécessaire de trancher cette question. Le juge en chef adjoint au paragraphe [2] de ses motifs (précité) a commencé par dire qu'il acceptait l'argument de l'intimé selon lequel "les revendications en question portent sur des substances intermédiaires utilisées dans le procédé de fabrication d'un ingrédient actif destiné à un usage pharmaceutique..." Il est vrai qu'il a ajouté qu'il était lié par la décision Hoffmann-La Roche rendue par cette Cour, mais il a également dit qu'il était d'accord avec cette décision et qu"il n'avait pas été     
                 convaincu que les faits de la présente espèce sont suffisants pour justifier la réparation demandée4.                 
    Il a donc conclu que les revendications des brevets nos 660 et 717 étaient des revendications portant sur des substances intermédiaires ou des procédés plutôt que des revendications portant sur le médicament en soi.      
    [12]      À notre avis, le juge saisi de la requête en a décidé ainsi à bon droit et il n"a commis aucune erreur compte tenu des éléments de preuve dont il était saisi. Il appartient à la partie qui demande l"interdiction, en vertu du Règlement, d'établir que l'avis d'allégation de l'intimé n'est pas justifié5. Dans les circonstances de l'espèce, il incombait aux appelantes d'établir que ces revendications visaient le médicament lui-même, savoir le médicament visé par les deux avis d'allégation concernant divers comprimés de la substance naproxen. À notre avis, les appelantes ne se sont pas acquittées de ce fardeau. Elles se sont contentées de déposer en preuve le texte des deux brevets. Il n'appert certes pas de ces brevets que la revendication 27 de chacun d"eux vise le médicament lui-même. Les appelantes n'ont fourni aucune preuve d'expert afin de démontrer au juge saisi de la requête qu"il en était ainsi et elles ne nous ont rien indiqué qui aurait pu amener le juge à tirer cette conclusion.      
    [13]      Cela étant, nous n'avons décelé aucune erreur susceptible d"examen dans la décision du juge en chef de rejeter les deux demandes d"interdiction.      
    Sens de l"expression "rejetée, de façon définitive"      
    [14]      Nous allons donc maintenant examiner la question de savoir si le juge saisi de la requête aurait dû déclarer que le délai visé au Règlement devait continuer de s'appliquer "jusqu"à ce que tous les appels formés contre la décision de la présente Cour soient épuisés". Un argument en ce sens a été soumis au juge, mais il ne l'a pas mentionné dans ses motifs ni dans son ordonnance. Il a également rejeté, sans motifs, la demande de nouvel examen de sa première ordonnance. Qu'il ait eu l'intention ou non de rejeter l'argument en rejetant la demande, nous estimons que l'argument qui lui a été soumis n"était pas fondé. Les intimés contestent la demande et prétendent que cette question n'avait pas été soulevée dans les avis de requête introductifs d"instance en vertu desquels les procédures relatives à l"interdiction ont été engagées conformément au Règlement. À notre avis, il n"aurait pas été approprié que cette réparation soit demandée dans les avis de requête introductifs d"instance puisque le Règlement ne prévoit par cette mesure de redressement. C'est le Règlement qui détermine la procédure applicable à l"égard d'une demande d"interdiction de délivrance d'avis de conformité et les appelantes ont précisément invoqué ce Règlement dans les avis introductifs d"instance. C'est le Règlement , et non la Cour, qui crée le délai automatique et qui précise les conditions qui y mettent fin. Le pouvoir spécial du tribunal en vertu du paragraphe 7(5) d"abréger ou de proroger le délai lorsqu'une partie n"a pas " collaboré raisonnablement " n'a pas été invoqué en l'espèce. Ainsi, le tribunal n'avait aucun pouvoir direct de proroger le délai comme le voudraient les appelantes. Il n'avait pas non plus le pouvoir, en vertu du Règlement, de statuer sur la bonne interprétation des termes "rejetée, de façon définitive" du paragraphe 7(4). Aucune disposition du Règlement ne prévoit de réparation de cette nature. Il aurait été plus approprié de solliciter la réparation prévue à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et d"ailleurs, c"est la mesure qu"ont demandée depuis, les appelantes dans d'autres procédures devant la Cour.      
    Dispositif      
    [15]      Par conséquent, les présents appels sont rejetés avec dépens.      
                                                          "B.L. Strayer"                                  Juge      
    Traduction certifiée conforme      
    Martine Guay, LL. L.      

             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits aux dossiers

Nos DU GREFFE :                  A-92-98 et A-93-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE et SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED,
                                         appelantes

                                         (requérantes),

                             - et -

                         MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et NOVOPHARM LIMITED,
                                         intimés

                                         (intimés).

DATE DE L'AUDIENCE :              LE VENDREDI 13 JANVIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT RENDUS PAR : LE JUGE STRAYER

Toronto (Ontario)

le mercredi 13 janvier 1999

ONT COMPARU :                  Sheldon Hamilton
                         Geneviève Prévost

                    

                                 pour les appelants
                         Donald Plumley, c.r.
                         Mark Mitchell
                                 pour l'intimée
                                 Novopharm
                         F.B. (Rick) Woyiwada
                                 pour l'intimé
                                 ministre
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Smart & Biggar
                         Avocats
                         438, avenue Université
                         Bureau 1500
                         Toronto (Ontario)
                         M5G 2K8
                                 pour l'appelante
                         Lang Mitchener
                         Avocats
                         Place BCE, C.P. 747
                         Bureau 2500
                         181, rue Bay
                         Toronto (Ontario)
                         M5J 2T7
                                 pour l'intimée
                                 Novopharm
                         Morris Rosenberg
                         Sous-procureur général du Canada
                                 pour l'intimé
                                 ministre
                                          COUR D"APPEL FÉDÉRALE     
                                          Date : 1999.01.13     
                                          Dossiers : A-92-98 et A-93-98     
                                          ENTRE :     
                                          HOFFMANN-LA ROCHE LIMITÉE et     
                                          SYNTEX PHARMACEUTICALS     
                                          INTERNATIONAL LIMITED     
                                               appelantes     
                                               (requérantes)     
                                          - et -     
                                          MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et     
                                          NOVOPHARM LIMITED     
                                               intimés     
                                               (intimés)     
                                              
                                               MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR     
                                              
                                              
__________________

1      (1988) 79 C.P.R. (3d) 486.

2      DORS/93-133

3      (1996), 70 C.P.R. (3d) 1.

4      Dossier d'appel, p.6

5      Merck Frosst c. Canada (1994) 55 C.P.R. (3d) 302 à la page 319 (C.A.F.).

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