Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20041007

Dossier : A-90-04

Référence : 2004 CAF 335

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                 MONIT INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                                intimée

                                Audience tenue à Montréal (Québec), le 22 septembre 2004.

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER


Date : 20041007

Dossier : A-90-04

Référence : 2004 CAF 335

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                 MONIT INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                Cet appel porte sur la responsabilité extra-contractuelle de l'Administration fédérale à l'endroit d'un soumissionnaire dont la proposition n'a pas été retenue.


[2]                Un récit détaillé des faits mis en preuve ayant été fait par monsieur le juge Beaudry de la Cour fédérale, [2004] CF 95, je me contenterai pour les fins de cet appel d'en esquisser les grandes lignes. Cela se justifie d'autant plus que l'appel ne porte que sur une partie des conclusions du juge, celles qui se retrouvent aux paragraphes 174 à 229 de ses motifs.

[3]                L'intimée (Monit) est propriétaire d'un édifice sis au 1000, rue Sherbrooke ouest, à Montréal. En novembre 1974, l'Organisation de l'aviation civile internationale (l'OACI) conclut un bail de 20 ans en vertu duquel elle occupe la majeure partie de l'édifice. Comme il incombe au Canada, à titre de pays hôte de l'OACI, de décider du choix des locaux qu'occupe l'OACI, le ministère des Affaires étrangères, en décembre 1991, confie au ministère des Travaux publics le mandat de lui faire des recommandations relativement à l'après-1994. Monit propose alors de renouveler le bail à long terme, mais Travaux publics refuse et offre plutôt, le 12 février 1992, de renouveler le bail jusqu'en avril 1996. (d.a. vol.6, p. 1108). Le 27 février 1992, Monit fait part à Travaux publics des conditions d'un tel renouvellement et donne à Travaux publics jusqu'au 30 juin 1992 pour accepter ces conditions (d.a. vol.6, p. 1110).

[4]                À la fin d'avril 1992, Travaux publics lance un appel d'offres (d.a. vol.19, 20 et 21), lequel renvoie à des baux d'une durée de 20 à 35 ans et fixe au 15 juin 1992 la date ultime du dépôt des propositions. Le préambule du devis décrit en ces termes les « procédures générales » :

Une fois les propositions reçues, un comité de TPC analysera d'abord toutes les propositions afin de juger de leur conformité avec les exigences, les normes et les standards. Les propositions acceptables seront par la suite analysées, en fonction de leurs implications financières.

TPC se réserve le droit de faire une évaluation comparative de toutes les propositions reçues et d'évaluer celles-ci sur des considérations, qui selon l'opinion de TPC, pourraient refléter la meilleure valeur pour le gouvernement du Canada.

                                                                                                              [d.a. vol.19, p. 3915]


[5]    Il sera utile de reproduire ici les clauses pertinentes du devis :

                                                                PARTIE 2

                                      INSTRUCTIONS AUX PROPOSANTS

1.     GÉNÉRALITÉS

[...]

(In fine) Le Gouvernement du Canada se réserve le droit absolu de négocier avec le proposant retenu, toute autre formule pour déterminer les ajustements appropriés. (d.a. vol.19, p.3921)

[...]

4.      MÉTHODE D'ÉVALUATION

[...]

4.4 Le Locataire pourra faire certaines estimations pour ce projet, incluant, mais ne se limitant pas aux suivantes : [...]

4.5 Aux fins de l'analyse financière, les dispositions suivantes s'appliqueront :

a)      toutes les estimations de coûts faites par le Locataire seront finales;

b)      les superficies cotées dans la Proposition seront utilisées;

c)      lorsqu'il existera des doutes à l'égard du traitement des allocations, la décision prise par le Locataire lors de l'analyse sera finale.

4.6 Le Locataire se réserve le droit absolu de comparer les propositions reçues et de les évaluer en fonction du meilleur rapport qualité-prix tel que déterminé par le Locataire, à sa seule discrétion. Cette évaluation peut porter sur certains aspects tels que, mais ne se limitant pas à ceux-ci, la qualité et la fonctionnalité des locaux proposés, la conception de l'édifice et son accessibilité, l'aspect sécuritaire, ainsi que le niveau de satisfaction aux exigences requises par rapport au taux de location demandé. (d.a. vol.19, p.3926)

5.      ACCEPTATION

5.1    Le Locataire peut accepter quelque proposition que ce soit, qu'elles soient de moindre coût ou non, ou peut rejeter l'une quelconque des propositions ou toutes les propositions. [...] (d.a. vol.19, p. 3927)


                                                                PARTIE 3

                                                  ÉNONCÉ DES BESOINS

6.      DURÉE DU BAIL/OPTIONS DE PROLONGATION

6.1    Le Locataire demande un terme de bail débutant le 1er mai 1996 ou avant et se terminant le 30 avril 2016.

En plus, le Proposant doit soumettre des termes de baux de 25 et 35 ans minimum. Dans tous les cas, les baux doivent commencer le 1er mai 1996 au plus tard. (d.a. vol.19, p. 3933)

[...]

7.      DATE DE DÉBUT DU BAIL

7.1    La Date de début du bail sera le 1er mai 1996 au plus tard, date à laquelle les locaux doivent être prêts à être utilisés et occupés.

7.2    Le locataire est actuellement logé dans des locaux loués situés au 1000 ouest, rue Sherbrooke, Montréal, dont le bail viendra à échéance le 31 octobre 1994.

Le locataire a l'intention de prolonger son occupation au 1000 ouest, rue Sherbrooke, Montréal, pour une période de dix-huit (18) mois, soit jusqu'au 30 avril 1996 (s'il y a lieu).

Les propositions, dont la date de début de bail sera préalable au 1er mai 1996, seront quand même considérées; dans cette éventualité, les propriétaires devront indiquer leurs intentions au sujet des baux existants (i.e. s'engager à payer le loyer ou transférer les baux à leur nom et dans ce cas, ils seront liés légalement au propriétaire du 1000 Sherbrooke ouest, Monit International Inc.). Une copie des baux existants peut être consultée en communiquant avec le représentant du locataire. (d.a. vol.19, p. 3934)

[6]                Neuf promoteurs, dont Monit, répondent à l'appel d'offres. Ils déposent quatorze propositions. Les propositions sont évaluées entre le 15 et le 24 juin 1992. Sept propositions sont disqualifiés lors d'une pré-évaluation (d.a. vol.6, p. 1201). Sept propositions sont retenues pour fins d'analyse; quatre d'entre elles, dont celle de Monit, visent un bail débutant en novembre 1994; les trois autres visent un bail débutant en mai 1996.(d.a. vol.6, p. 1201 et s.).


[7]                Travaux publics, après analyse des sept propositions, établit une « courte liste » , laquelle ne comprend que les trois propositions visant un bail débutant en mai 1996. Il explique sa décision comme suit :

ESTABLISHMENT OF SHORT LIST

Based on the results of the financial analysis of the 20 year lease proposals it was evident that a 1996 lease commencement was the lowest cost option. Due to this fact, as well as technical concerns with respect to proponent's ability to complete a project by November 1994, the proposals with a 1994 lease commencement were eliminated from further consideration.

                                                                                                                [d.a. vol.6, p. 1214]

[8]                Il appert par ailleurs du dossier que des quatre propositions visant un bail débutant en novembre 1994, celle de Monit était, de loin, la plus coûteuse (d.a. vol.6, pp. 1206, 1208). Cette proposition, évaluée par Monit à 184,5 millions de dollars mais évaluée par Travaux publics à quelque 210 millions de dollars selon une analyse indépendante faite par Ernst & Young, dépassait largement le budget de 153,3 millions de dollars autorisé par le Conseil du Trésor (voir paragraphe 182 des motifs de jugement).

[9]                Le 7 juillet 1992, Travaux publics informe Monit de sa décision dans les termes suivants:

This is to advise you that your proposal ... will not be considered in that the decision has been made to remain in the present premises until April 30, 1996. You only made a proposal with a start date of November 1, 1994.

The decision was based on a best value/least cost analysis of the proposals. The best proposals were made for projects with 1996 lease start dates.

                                                                                                                 [d.a. vol.6, p.1230]


[10]            Il appert aussi d'un document mis en preuve, intitulé « Proposal Call Results » , que Monit n'aurait pas été formellement disqualifiée et que c'est en raison de son coût qu'elle a été écartée : « Reason for disqualification: 'Price. Not officially disqualified.' » (d.a. vol. 7, p. 1332).

[11]            Entre-temps, soit le 29 juin 1992, Travaux publics avait exercé l'option que lui avait donnée Monit de prolonger le bail jusqu'en mai 1996.

[12]            Au cours de l'été 1992, les trois propositions qui avaient franchi avec succès l'étape de la « short list » sont disqualifiées.

[13]            Travaux publics lance un second appel d'offres en septembre 1992 auprès des soumissionnaires qui avaient répondu au premier. Monit dépose une nouvelle offre, qui fera l'objet d'une disqualification en mars 1993. C'est l'offre faite par la compagnie Westcliff de construire un immeuble au 999, rue Université, à Montréal, qui sera finalement retenue. C'est là où est maintenant situé le siège social de l'OACI. Ce second appel d'offres n'est plus en litige : l'attaque à son endroit qu'avait faite Monit a été rejetée par le juge Beaudry et Monit n'a pas contesté en appel cette partie de la décision. J'y réfère simplement parce que l'appelante invoque la participation de Monit à ce second appel d'offres pour plaider que Monit aurait, du fait de cette participation, renoncé implicitement à son droit de contester la décision de Travaux publics relativement à la première offre.


[14]            Dans son action, Monit reproche à Travaux publics d'avoir manqué à son obligation d'équité, de bonne foi ou de diligence, à trois moment différents : avant le premier appel d'offres, pendant le premier appel d'offres et pendant le deuxième appel d'offres. Elle réclame des dommages qu'elle évalue à 106 millions de dollars et qu'elle décrit comme suit :

227.          The damages sustained by Plaintiff MONIT as a consequence of the unfair treatment and misrepresentations of Defendants can be categorized as follows:

i/       expenses incurred by Plaintiff in the re-negotiations for the long term renewal and in the preparation of the First and Second MONIT Proposals;

ii/      additional cost to MONIT as result of Short Term Lease extension;

iii/     cost of releasing premises to third parties;

iv/     loss of reputation as a result of Defendant's actions;

v/      loss of existing and future tenants due to obligation of MONIT to ensure availability of space for ICAO in the event of acceptance of Call for Proposal;

vi/     loss of profit by reason of not being able to have Government-backed lease;

                                                                                                                  [d.a. vol.1, p.173]

[15]            Il avait été convenu au départ, et la Cour avait entériné cette entente, que le procès serait scindé en deux étapes, l'une visant la détermination de la responsabilité de l'Administration, l'autre, le cas échéant, l'établissement du quantum des dommages. La décision du juge Beaudry vient clore la première étape.

[16]            Le juge, après une longue enquête, en arrive à la conclusion que pendant les trois périodes en question, Travaux publics avait une obligation d'équité, de bonne foi ou de diligence envers Monit. Cette conclusion n'est pas remise en cause dans cet appel.


[17]            Il en arrive aussi à la conclusion qu'en ce qui a trait à la première période (celle précédant le premier appel d'offres) et à la troisième période (celle du deuxième appel d'offres), Travaux publics n'avait pas manqué à cette obligation. Monit n'en a pas appelé de cette conclusion.

[18]            Il en arrive enfin à la conclusion générale qu'en ce qui a trait à la seconde période (celle du premier appel d'offres), Travaux publics avait manqué à son obligation d'équité, de bonne foi ou de diligence :

en ne considérant pas la proposition de Monit après le premier appel d'offres malgré le fait qu'elle était la seule proposition qualifiée au niveau technique.

et que malgré le fait que Travaux publics avait évalué la proposition de Monit « de façon attentive, équitable et impartiale » , il

aurait dû considérer la proposition de Monit et entamer des négociations avec elle après avoir constaté que seule sa proposition était qualifiée au niveau technique.

                                                                                                   [paragraphe 353 des motifs]

C'est à cette conclusion générale que s'attaque l'appelante.

Système de droit applicable


[19]            Un mot, d'abord, sur le système de droit applicable. La question se pose, en effet, de déterminer s'il y a lieu d'appliquer ici le droit civil québécois ou la common law. L'adjudication de contrats par l'Administration est au départ affaire de droit public, ce qui amène en principe l'application de la common law de caractère public. Mais ce n'est pas si simple puisqu'il y a nécessairement, en matière d'adjudication de contrats et en matière de responsabilité découlant de semblable adjudication, des règles de droit privé qui entrent en jeu. Le droit privé, en l'espèce, est le droit civil du Québec. (Voir St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 CF 289 (C.A.) Il ne m'est heureusement pas nécessaire de me lancer ici dans une longue dissertation sur cette question puisqu'à mon avis tant les tribunaux que le Parlement y ont répondu d'une manière satisfaisante en ce qui a trait aux points que soulève cet appel.

[20]            Sur la question de la responsabilité en tant que telle de l'Administration, le Parlement a expressément voulu qu'au Québec ce soit le Code civil du Québec qui régisse les poursuites en responsabilité délictuelle contre l'Administration fédérale. (Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C-50; Loi d'harmonisation no1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4; La Couronne en droit canadien, Édition Yvon Blais, 1992, p. 405). En principe, ici, puisque les faits pertinents se sont déroulés avant le 1er janvier 1994, c'est le Code civil du Bas-Canada, notamment son article 1053, qui trouve application, mais tous les procureurs s'entendent pour dire que le Code civil du Québec, notamment son article 1457, a codifié le droit antérieur et qu'il est loisible de recourir à la jurisprudence établie en vertu de l'un ou l'autre code.


[21]            Sur la question du fondement des relations contractuelles entre l'Administration et les soumissionnaires qui servent de toile de fond à l'exercice du recours extra-contractuel et dont certains aspects relèvent peut-être davantage de la common law de caractère public, la Cour d'appel du Québec, dans Bau-Québec Ltée c. Ste-Julie (Ville de), [1999] R.J.Q. 2650 (C.A.) a « civilisé » , si je puis dire, le concept de l'existence de deux contrats - un contrat « A » entre l'État et chacun des soumissionnaires au stade de l'appel d'offres et un contrat « B » entre l'État et le soumissionnaire retenu après analyse des offres soumises - établi en common law par la Cour suprême du Canada dans Ontario c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111 et dans M.J.B. Enterprises c. Construction de Défense (1951) Ltée [1999], 1 R.C.S. 619. (Sur l'intégration au droit civil québécois du concept des contrats A et B, voir le texte de Me Pierre Giroux, Le mécanisme d'appel d'offres : quelques réflexions à la suite des arrêts M.J.B. Enterprises Ltd. et Martel Building Ltd., Développements récents en droit de la construction, 2002, Yvon Blais, p. 217 et s.) C'est ainsi par exemple que l'on retrouve, dans l'un et l'autre des régimes de droit, l'obligation de l'État, au stade du contrat « A » , de traiter tous les soumissionnaires équitablement et sur un pied d'égalité.

[22]            J'hésiterais cependant à poursuivre plus loin l'analogie avec la common law. Il existe, en effet, en droit civil québécois, un « corpus juris » qui s'est développé relativement à la responsabilité extra-contractuelle de l'Administration à l'égard de ses soumissionnaires et il m'apparaît inutile, pour ne pas dire imprudent, de recourir à la jurisprudence de common law à cet égard. Je donnerai à titre d'exemple l'obligation de bonne foi à laquelle est assujettie l'Administration : l'article 1376 C.c.Q. applique en effet à l'État les règles du chapitre consacré aux Obligations, dont la règle prescrite par l'article 1375 à l'effet que la bonne foi doit gouverner la conduite des parties. L'existence, en common law, d'une obligation de bonne foi ne m'apparaît pas aussi évidente.


[23]            J'aborde maintenant les motifs d'appel invoqués par l'appelante.

Motifs d'appel

[24]            L'appelante soutient que le juge a erré :

1)      en concluant que seule la proposition de Monit était qualifiée au niveau technique;

2)      en concluant que la proposition de Monit avait été écartée parce qu'elle visait un bail débutant en novembre 1994, ce qui constituait, selon le juge, un changement unilatéral de règles du jeu;

3)     en concluant que Travaux publics avait l'obligation de négocier avec Monit avant d'écarter sa proposition;

4)      en concluant que Travaux publics était responsable de la perte d'opportunité d'obtenir le contrat, sans que preuve ne soit faite par prépondérance des probabilités que le contrat aurait été octroyé à Monit n'eût été de la faute de Travaux publics.

5)      en concluant que la participation de Monit au second appel d'offres ne constituait pas une renonciation implicite à son droit d'attaquer le premier appel d'offres;

1)          La seule proposition qui soit conforme

[25]            Je ne décèle aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion du juge à l'effet que la proposition de Monit était la seule proposition conforme sur le plan technique.


[26]            Il y a certes ambiguïté, en ce sens que selon le processus décrit dans les Procédures générales du devis, Travaux publics devait d'abord analyser les propositions « afin de juger de leur conformité avec les exigences, les normes et les standards » , puis analyser les seules propositions acceptables « en fonction de leur implications financières » . Or, dans son rapport d'analyse, Travaux publics dit avoir disqualifié sept des quatorze propositions au premier stade de son analyse et n'avoir procédé au second stade - celui des implications financières - qu'à l'égard des sept autres propositions, lesquelles, présumément, étaient toutes conformes.

[27]            Cela dit, des lettres au dossier et un document interne font état de la disqualification pour défaut de conformité de tous les autres soumissionnaires dont la proposition avait pourtant été analysée au deuxième stade. Le juge Beaudry pouvait certainement s'appuyer sur le contenu de ces documents et sur le fait que Monit, contrairement aux autres, ne s'est jamais fait dire que sa proposition n'était pas conforme, pour tirer l'inférence que sur le plan technique, seule la proposition de Monit était conforme au devis.

2)         Le motif du rejet de la proposition Monit

[28]            Le juge se dit d'avis, au para. 186, que « Monit est écartée parce que dans sa proposition, le bail commence en 1994 » . Selon lui, le devis prévoyait expressément qu'une offre pouvait viser un bail débutant en 1994 et n'exigeait pas qu'un soumissionnaire fasse une offre, alternative, visant un bail débutant en 1996. Il conclut ce qui suit, au para. 194 de ses motifs :

En choisissant d'exercer la prolongation à court terme et en décidant d'éliminer la proposition de Monit, TPC a changé unilatéralement les règles du jeu. Selon moi, cela va à l'encontre des modalités prévues dans le devis.


[29]            Ici, je le dis avec égards, il y a méprise telle sur le motif du rejet de la proposition de Monit qu'elle constitue une erreur manifeste et dominante.

[30]            Il est certain, comme le dit le juge, que le devis permettait à un soumissionnaire de ne déposer qu'une seule offre visant un bail débutant en novembre 1994. Si l'offre de Monit avait été écartée pour cette raison, il y aurait eu, à n'en pas douter, un changement inacceptable des règles du jeu. Mais tel n'est manifestement pas le cas.

[31]            L'article 7.2 du devis précisait - ce qui n'était vraiment pas nécessaire - que « Les propositions, dont la date de début de bail sera préalable au 1er mai 1996, seront quand même considérées » (supra, para. 5).

[32]            Or, la proposition de Monit a bel et bien été considérée, même si elle ne visait qu'un bail débutant en novembre 1994, et elle a même franchi avec succès le premier stade de l'analyse - la conformité avec le devis. Qui plus est, des sept propositions retenues par Travaux publics à ce stade, quatre, dont celle de Monit, visaient un bail débutant en novembre 1994. Il appert du Rapport de Travaux publics (d.a. vol. 6, p. 1214) que si la proposition de Monit, tout comme celles qui visaient un bail débutant en novembre 1994, ont finalement été écartées, c'est parce qu'après analyse, elles étaient trop coûteuses et qu'il n'était pas certain qu'elles puissent être réalisées en temps utile. Je me permets de reproduire ici de nouveau la conclusion à laquelle en est arrivé Travaux publics :


ESTABLISHMENT OF SHORT LIST

Based on the results of the financial analysis of the 20 year lease proposals it was evident that a 1996 lease commencement was the lowest cost option. Due to this fact, as well as technical concerns with respect to proponent's ability to complete a project by November 1994, the proposals with a 1994 lease commencement were eliminated from further consideration.

                                                                                                               [d.a. vol. 6, p. 1214]

[33]            Le devis prévoyait précisément qu'en bout de ligne ce seraient les « implications financières » des « propositions acceptables » (supra, para. 4) qui dicteraient le choix ultime de Travaux publics, lequel s'était d'ailleurs réservé la discrétion d'évaluer les propositions « en fonction du meilleur rapport qualité-prix tel que déterminé [par lui-même] » (supra, para. 5).

[34]            Il s'est avéré, après réception et analyse en profondeur des propositions, que celles visant un bail débutant en novembre 1994 ne faisaient pas le poids en comparaison avec celles visant un bail débutant en mai 1996. C'est d'ailleurs ce constat qui devait mener Travaux publics, le 30 juin 1992, à finalement accepter de renouveler le bail avec Monit jusqu'en mai 1996.              

[35]            Je ne cache pas que le premier paragraphe de la lettre de rejet envoyée à Monit le 7 juillet 1992 pouvait laisser croire que la proposition avait été rejetée parce qu'elle ne visait qu'un bail débutant en novembre 1994. Le fait est, cependant, selon une preuve incontournable, que la proposition de Monit a été écartée en raison de son coût, ce qui est précisément le motif invoqué par Travaux publics dans le second paragraphe. La maladresse de certains termes utilisés ne saurait changer le motif véritable et manifeste du rejet.


3)         L'obligation de négocier

[36]            Le juge Beaudry a conclu que l'Administration avait l'obligation de négocier avec Monit et lui reproche en ces termes de ne pas l'avoir fait :

[212]       [...] L'usage et la pratique courante en semblable matière confirment ce pouvoir de négociation avec les soumissionnaires conformes en autant que les principes d'égalité et d'équité sont respectés. Les directives ou lignes directrices de la défenderesse prévoient la négociation avec un soumissionnaire conforme.

[213]        J'en viens à la conclusion que TPC aurait dû considérer la proposition de Monit et engager des négociations avec elle à la suite de sa soumission de juin 1992.

                                                                                                                [mon soulignement]

[37]            Le juge avait raison de dire, au para. 212, que l'Administration avait le pouvoir de négocier. Il a eu tort, en droit, de dire, au para. 213, que l'Administration aurait dû négocier.

[38]            Les termes du contrat sont clairs. L'Administration a toute discrétion, sous réserve de son obligation d'agir avec équité et bonne foi, pour accepter ou refuser une proposition même si celle-ci répond aux exigences techniques. En l'absence d'ambiguïté dans les termes du contrat, pis encore, en présence d'une intention clairement exprimée de n'imposer à l'Administration aucune obligation de négocier avant l'adjudication du contrat, il ne serait pas approprié de recourir à la règle d'interprétation des contrats prévue à l'article 1426 du Code civil du Québec selon laquelle « on tient compte ... des usages » .


[39]            Les usages n'en peuvent pas moins être pertinents en ce qui a trait à l'effet des contrats entre les parties puisque, selon l'article 1434 C.c.Q. qui traite « de la force obligatoire et du contenu du contrat » ,

1434.        Le contrat valablement formé oblige ceux qui l'ont conclu non seulement pour ce qu'ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d'après sa nature et suivant les usages, l'équité ou la loi.

1434.        A contract validly formed binds the parties who have entered into it not only as to what they have expressed in it but also as to what is incident to it according to its nature and in conformity with usage, equity or law.

                                                                                                                [mon soulignement]

Les usages peuvent aussi entrer en ligne de compte, selon l'article 1457 C.c.Q., pour déterminer la responsabilité civile qu'encourt une personne envers autrui :

1457.        Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas cause de préjudice à autrui. [...]

1457.        Every person has a duty to abide by the rules of conduct which lie upon him, according to the circumstances, usage or law, so as not to cause injury to another.

...

Le pont est établi, si je puis dire, entre les articles 1434 (responsabilité contractuelle) et 1457 (responsabilité civile) par l'article 1458 C.c.Q. qui prescrit que

1458.        Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

[...]

1458.        Every person has a duty to honour his contractual undertakings.

...

[40]            Que sont ces « usages » auxquels renvoit le Code Civil? Je me contenterai de citer, ici, ces extraits de l'ouvrage du professeur Vincent Karim, Les Obligations, vol. 1, Yvon Blais, 2002 :


L'appel à l'usage pour déterminer l'intention réelle des parties se traduit par la conclusion quant à l'existence d'une clause tacite dans le contrat permettant ainsi de déterminer soit l'existence d'un droit ou d'une obligation qui n'y est pas expressément prévu, ou bien de préciser la portée ou l'étendue d'un tel droit ou d'une obligation exprimée en des termes vagues et imprécis. C'est dans ce cas qu'il faut faire appel à l'usage connu dans le domaine du contrat afin de déterminer les droits et les obligations des parties.

L'article 1434 C.c.Q. prévoit que les droits et les obligations des parties ne se limitent pas à ceux stipulés dans le contrat mais peuvent s'étendre à tout ce qui découle de la nature du contrat, de la loi et de l'usage. L'usage a ainsi une très grande importance dans les contrats de nature commerciale. Le rôle discrétionnaire conféré au tribunal dans l'application des règles générales d'interprétation, permet au juge de prendre en considération l'usage comme partie intégrante de l'engagement des parties, à condition que cet usage ne contrevienne pas à une stipulation expresse du contrat, qui elle, ne serait ni ambiguë ni imprécise. L'usage en question doit respecter la volonté commune des contractants lorsque celle-ci est évidente. Il ne doit pas être contraire à l'ordre public ni contrevenir à quelque disposition d'une loi abordant spécifiquement la question en litige entre les parties.

Par ailleurs, pour que l'usage ait force probante au stade de l'interprétation du contrat, il doit remplir les conditions d'ancienneté, de généralité, de publicité et d'uniformité. Par conséquent, les situations qui ne se conforment pas à ces conditions préalables ne permettront pas de considérer l'application de l'usage lors de l'interprétation du contrat.

                                                                          [pp. 343, 344, relativement à l'article 1426]

                                                                                                 [notes en bas de page omises]

1263.        Voir : Stienberg Katz c. Empire Life Insurance Co., [1982] C.P. 1, où l'on énonce que : « L'usage, comme source d'obligation additionnelle découlant d'un contrat doit être prouvé. Cinq conditions sont nécessaires pour qu'un fait ou un acte devienne un usage : il doit être 1o uniforme 2o public 3o général 4o fréquent 5o ancien » . Canadian Indemnity Insurance Co. c. Bureau d'investigation Concorde du Canada Ltée, (1987) R.R.A. 105 (C.S.); Noël c. Massicotte, [1991] R.D.I. 522 (C.S.); Association des propriétaires du cemin Boyer inc. c. Autotte, J.E. 96-1672 (C.S.); Cima, société d'ingénierie c. Immeubles Marton ltée, J.E. 96-385 (C.S.); Poulin c. Centre de location Anjou inc., REJB 1999-11027, AZ-99021299 (C.S.) : L'usage est une pratique établie que les particuliers suivent dans leurs contrats et à laquelle ils sont censés se référer à moins de stipulation contraire.

                                                                  [note à la page 374, relativement à l'article 1434]


[41]            Il appert, ainsi, que les usages ne peuvent mettre en échec une stipulation expresse du contrat qui n'est ni ambiguë ni imprécise. Il appert, également, que les usages ne constituent une source d'obligation additionnelle que s'ils revêtent des qualités d'uniformité, de publicité, de généralité, de fréquence et d'ancienneté dont la preuve incombe à la partie qui les invoque.

[42]            En l'espèce, la seule preuve d'usages que Monit a tenté de faire se trouve dans le témoignage d'un expert que le juge a résumé comme suit :

[209]       Louis-Yves Lebeau (Macogep, expert de la demanderesse) affirme qu'il est fréquent et courant qu'un donneur d'ouvrage qui reçoit des soumissions s'adresse au plus bas soumissionnaire conforme et négocie avec lui certains éléments de sa proposition qui excèdent son budget. Il s'agit d'une pratique acceptable, en autant que cela ne défavorise pas le deuxième plus bas soumissionnaire conforme (témoignage non contredit du 24 avril 2003, volume 13, transcriptions sténographiques aux pages 160 et 161).

[43]            Ce que je retiens de cette conclusion du juge et de l'ensemble du témoignage de l'expert est que le donneur d'ouvrage exerce fréquemment sa discrétion de négocier avec le plus bas soumissionnaire conforme. Il y a là, tout au plus, preuve d'un pouvoir de négociation, mais je cherche en vain quelque preuve que ce soit d'une obligation de négociation qui constituerait un « usage » au sens du Code civil (voir Société immobilière Trans-Québec Inc. c. 2981092 Canada Inc., J.E. 98-389 (C.A.)). L'expert lui-même conviendra, lors de son contre-interrogatoire, que Travaux publics « avait, pouvait décider de faire avorter le processus puis de ne pas lui donner suite puis de se lancer dans un deuxième. C'était son choix, je pense qu'il avait cette possibilité, comme il avait également la possibilité de s'asseoir avec le promoteur... » (d.a., vol. 25, p. 5203) et qu' « on ne parle pas de coutume, là » (p. 5204).


[44]            Il va de soi, me semble-t-il, qu'un donneur d'ouvrage doit exercer de bonne foi son pouvoir de négocier lorsqu'il décide de l'exercer. Il est probable, aussi, vu l'exigence de bonne foi qui, au Québec, imprègne tout contrat (art. 7 et 1375 C.c.Q.), qu'un donneur d'ouvrage doive, lorsque les circonstances s'y prêtent, ne pas écarter le seul soumissionnaire conforme pour des motifs frivoles ou sans d'abord vérifier si des points mineurs ou accessoires de divergences ne pourraient pas faire l'objet de discussions dont la teneur et l'effet ne remettraient pas en cause l'obligation du donneur d'ouvrage de traiter tous les soumissionnaires avec équité. Mais de là à conclure que le donneur d'ouvrage a l'obligation de négocier avec le seul soumissionnaire conforme, il y a un pas qu'il n'est pas possible de franchir.

[45]            Ainsi, en l'espèce, l'écart entre le budget autorisé par le Conseil du Trésor et le prix proposé par Monit était d'une ampleur telle que l'Administration ne saurait être blâmée de n'avoir tenté aucun effort de rapprochement. Qui plus est, un rapprochement n'aurait pu être tenté dans les circonstances sans remettre en question, à l'égard des autres soumissionnaires, le principe d'équité qui régit l'adjudication des contrats.                             

[46]            J'en arrive ainsi à la conclusion que le juge a erré en droit en exigeant de l'Administration qu'elle respecte des usages qui n'avaient point été mis en preuve.


[47]            En plus des usages, le juge a aussi fait état de lignes directrices et autres documents internes émanant du Conseil du Trésor qui ont été mis en preuve lors du procès et dont Mont ignorait jusque-là l'existence. Tout en reconnaissant que des lignes directrices ne sont pas génératrices de droit, le juge affirme qu'elles ne doivent pas pour autant être ignorées et, s'appuyant sur trois courts extraits, il semble en arriver à la conclusion que les lignes directrices imposent une obligation de négocier le prix dès lors qu'une soumission est conforme.

[48]            Il est certain que, règle générale, des lignes directrices ne sauraient lier l'Administration (voir Issalys, P. et Lemieux, D, L'action gouvernementale, 2e ed., Yvon Blais, 2002, p. 567) . Même en acceptant, pour les fins du débat, qu'elles puissent servir à définir la toile de fond, à faire preuve d'un usage ou, qui sait, à élucider l'intention des parties - je note que dans Yves Germain Construction Inc. c. Hydro-Québec, J.E. 2000-1658 (C.A.), une décision que cite Monit, la Cour d'appel du Québec a fait état de règles internes apparemment spécifiques et « connues du public » qui « justifiaient les soumissionnaires de croire que le marché serait attribué au plus bas soumissionnaire dont la soumission serait conforme au Document d'appel d'offres, limitant d'autant la liberté et la discrétion dont [le donneur d'ouvrage] aurait pu autrement bénéficier en la matière » -, encore faudrait-il que ces lignes directrices soient à ce point précises, claires et connues pour que les soumissionnaires soient « justifiés » , pour reprendre l'expression de la Cour d'appel du Québec, de croire que si une seule soumission s'avérait conforme, l'Administration avait l'obligation, quel que soit le prix de ladite soumission, de négocier ce prix à la baisse.


[49]            Or, en l'espèce, les documents mis en preuve couvrent quelque 2500 pages (d.a. vols. 7 à 19). On y précise, d'entrée de jeu, que les lignes directrices « ne sont pas de rigueur, sauf indications contraires » (d.a. vol. 7, p. 1432) et que « chaque cas doit être examiné comme un cas d'espèce pour savoir si le prix doit jouer un rôle dominant ou un rôle secondaire dans le processus de sélection » (p. 1466). On y retrouve, certes, les passages cités par le juge, mais avec égards je ne vois rien dans ces passages, et encore moins dans le reste des textes, qui puisse laisser croire aux soumissionnaires qu'il suffit que la proposition de l'un d'eux soit conforme pour que soient entreprises des négociations sur le prix. Semblable suggestion, à mon avis, est tout à fait incompatible avec les règles de base d'adjudication des contrats qui sont définies dans les documents d'appel d'offres, avec le principe fondamental, qui imprègne les lignes directrices elles-mêmes, que le but premier de l'exercice d'appel d'offres est de s'assurer que les fonds publics soient utilisés à bon escient et de la manière la plus rentable possible pour l'État, et avec l'obligation d'équité envers les autres soumissionnaires établie par la jurisprudence. Pour reprendre, dans un autre contexte, les propos du juge Gonthier, siégeant alors à la Cour supérieure du Québec, dans Lepage c. Visitation-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie (Corp. Mun. de la paroisse de la), J.E. 83-29 (C.S.), p. 8, « Le prix excessif des soumissions est-il un motif valable de les refuser? Poser la question, c'est y répondre » .


[50]            L'Administration n'a donc pas commis, à mon avis, les fautes retenues contre elle par le juge du procès - il n'y a pas eu de changement unilatéral des règles du jeu et l'Administration n'avait encouru envers Monit aucune obligation de négocier. En l'absence de faute, il ne saurait y avoir de responsabilité.     Cette conclusion suffit à disposer de l'appel sans que je n'aie à trancher les autres arguments soulevés par l'appelante. Étant donné, cependant, l'effort déployé par les procureurs relativement à la question du lien de causalité, je crois utile de faire là-dessus quelques commentaires.

4)         Absence de preuve du lien de causalité

[51]            Quand bien même il y aurait eu faute, l'action de Monit n'aurait pu, je pense, être accueillie puisqu'il y a absence totale de preuve, en l'espèce, d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.


[52]            La jurisprudence québécoise me paraît claire : il n'est pas possible de conclure qu'une personne est responsable de la perte d'opportunité d'obtenir un contrat sans que preuve ne soit faite par prépondérance des probabilités que le contrat aurait été conclu n'eût été de la faute commise. Cette preuve et cette appréciation du lien de causalité sont affaires de responsabilité; elles ne sont pas affaires d'évaluation des dommages. Sans lien de causalité, il ne saurait y avoir de responsabilité. Le juge ne pouvait vraisemblablement pas, comme il l'a fait au para. 214 de ses motifs, laisser en suspens la question de savoir si « Monit aurait dû se voir octroyer le contrat » . Ainsi que le rappelait récemment la Cour d'appel du Québec,

[79]          La causalité, en droit québécois, doit être établie selon la balance des probabilités. L'intimée n'a présenté aucune preuve pour convaincre le premier juge que le marché était tel que la vente de cette propriété était probable et que la perception de sa commission l'était tout autant. Le dommage devant être la conséquence logique, directe et immédiate de la faute, il est impossible de conclure ici que, si la propriété avait continué d'être offerte en vente, il eût été probable (et non possible) qu'elle soit vendue.

[80]          Mais, en fait, et sans en avoir fait une argumentation théorique, l'intimée demande d'être indemnisée pour la perte d'une chance. En raison de l'acte fautif - avoir représenté faire une offre comptant plutôt que conditionnelle -, l'appelant aurait fait disparaître la possibilité qu'avait l'intimée de réaliser un gain. Mais comment affirmer avec certitude que, si la propriété n'avait pas été retirée du marché, elle se serait vendue? La preuve ne permet aucunement d'en arriver à une telle conclusion.

[...]

[85]          Au Québec, les règles de la responsabilité civile exigent généralement la preuve de la causalité, qui doit être établie selon la prépondérance des probabilités. Même en incorporant au droit québécois la théorie de la perte de chance dans les matières autres que médicales, encore faudra-t-il faire la démonstration que la chance est réelle et sérieuse et que la probabilité que cette chance se réalise existe.

                                          [Benakezouh c. Immeubles Henry Ho, [2003] R.R.A. 76 (C.A.)]

                                                                                                    [note en bas de page omise]

Dispositif

[53]            J'accueillerais l'appel, j'infirmerais le jugement rendu par la Cour fédérale et je rejetterais l'action de Monit International Inc., le tout avec dépens en Cour fédérale et devant cette Cour.

                                                                                                                                 « Robert Décary »                           

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je suis d'accord.

     Marc Noël, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

     J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                                                              A-90-04

APPEL D'UN JUGEMENT OU D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU

20 JANVIER 2004, NO DU DOSSIER DE LA COUR FÉDÉRALE T-878-93

INTITULÉ :                                       S.M. LA REINE c. MONIT INTERNATIONAL INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 22 septembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Décary

Y ONT SOUSCRIT :                                                              Le juge Noël

Le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 7 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Me Guy Sarault

Me Marie-Josée Hogue

POUR L'APPELANTE

Me Marc Laurin

Me Peter Cullen

Me Judith Dagenais

Me Patrice Deslauriers

POUR L'INTIMÉE                              

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie, s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L'APPELANTE

Stikeman Elliot, s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉE


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