Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051206

Dossier : A-364-04

Référence : 2005 CAF 409

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                               TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                             Audience tenue à Calgary (Alberta), les 16 et 17 novembre 2005

                          Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE LINDEN

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20051206

Dossier : A-364-04

Référence : 2005 CAF 409

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                               TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'un appel d'une décision-lettre du 26 mars 2004 et de la circulaire de télécom CRTC 2004-3 en date du 7 avril 2004, du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le Conseil), une autorisation pour procéder à cet appel ayant été accordée en vertu de l'article 64 de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38.


[2]                Le présent appel concerne l'imposition de droits d'utilisation par le Conseil, en vertu du Règlement de 1995 sur les droits de télécommunication, DORS/95-157 (Règlement), à « [t]oute entreprise canadienne qui a déposé une tarification auprès du Conseil » . En règle générale, ces droits permettent de recouvrer les frais de fonctionnement du Conseil auprès des entreprises canadiennes qui déposent une tarification, plutôt que de puiser dans les impôts.

LES FAITS

[3]                Telus Communications Inc. (TCI) est une entreprise canadienne qui dépose une tarification auprès du Conseil. TELE-MOBILE Company (TMC) est également une entreprise canadienne, soit une société en nom collectif (ou société de personnes) constituée sous le régime des lois de l'Ontario. TCI détient une participation de 99,99 p. 100 dans TMC. L'autre associée est 3817877 Canada Inc. TMC, fournisseur de services mobiles, ne dépose aucune tarification auprès du Conseil. Il n'est pas contesté que toutes deux relèvent de la compétence fédérale.

[4]                Dans sa décision-lettre du 26 mars 2004, le Conseil a imposé des droits d'utilisation à TCI, qui ont été calculés compte tenu des recettes d'exploitation de TCI et de 99,99 p. 100 des recettes d'exploitation de TMC. Les droits d'utilisation supplémentaires imputés à TCI pour l'exercice 2003-2004 par suite de l'inclusion de 99,99 p. 100 des recettes d'exploitation de TMC se sont élevés à environ 1,7 million de dollars.


LA QUESTION EN LITIGE

[5]                TCI allègue que le Conseil s'est trompé dans son interprétation du Règlement. Elle fait valoir que TMC est une entreprise canadienne distincte de TCI et que, comme TMC ne dépose pas de tarification auprès du Conseil, le Règlement qui autorise l'imposition de droits d'utilisation ne s'applique pas aux recettes d'exploitation de TMC. Le Conseil prétend pour sa part que TMC est une société en nom collectif et non une personne morale distincte, et que ses recettes d'exploitation reviennent à ses associés propriétaires. Dans cette optique, 99,99 p. 100 des recettes d'exploitation de TMC sont des recettes de TCI et relèvent donc du Règlement.

[6]                Voici ce que prescrivent les paragraphes 3(1) et 4(1) du Règlement :

3. (1) Toute entreprise canadienne qui a déposé une tarification auprès du Conseil paie à celui-ci à l'égard d'une année, à la réception de la facture envoyée par lui, des droits de télécommunication annuels calculés de la manière prévue à l'article 4 [...]

3. (1) A Canadian carrier for which tariffs are filed with the Commission shall, in respect of a year, pay to the Commission, on receipt of an invoice sent by the Commission, an annual telecommunications fee calculated in the manner set out in section 4 ...   

4. (1) Le Conseil calcule les droits de télécommunication annuels payables par une entreprise canadienne visée au paragraphe 3(1) en multipliant le montant total qu'il doit recouvrer pour l'exercice en cours au titre des droits de télécommunication par le rapport entre les recettes d'exploitation de l'entreprise canadienne provenant de la fourniture de services de télécommunication, indiquées dans ses derniers états financiers annuels, et l'ensemble de telles recettes de toutes les entreprises canadiennes visées au paragraphe 3(1).

4. (1) The annual telecommunications fee payable by a Canadian carrier, referred to in subsection 3(1), shall be calculated by the Commission by multiplying the total amount to be recovered by the Commission in respect of its current fiscal year through telecommunications fees by the ratio of the Canadian carrier's operating revenues, derived from the provision of telecommunications services and reported in that Canadian carrier's most recent annual financial statements, to the aggregate of such operating revenues of all the Canadian carriers referred to in subsection 3(1).


[7]                Il n'est pas contesté que TCI est une entreprise canadienne qui dépose une tarification auprès du Conseil. La question est de savoir si les mots suivants du paragraphe 4(1) « [...] les recettes d'exploitation de l'entreprise canadienne provenant de la fourniture de services de télécommunication, indiquées dans ses derniers états financiers annuels » prévoient que la part notionnelle de TCI dans les recettes d'exploitation de TMC est incluse dans les recettes d'exploitation de TCI aux fins du calcul des droits d'utilisation payables au Conseil.

DÉCISION DU CONSEIL

[8]                Le Conseil a tranché la question en appliquant le droit relatif aux sociétés en nom collectif. Il a établi qu'en droit, la société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice (voir l'article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P.5). Il n'est pas contesté que TCI et 3817877 Canada Inc. étaient des personnes qui exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Le nom de la société en cause était TMC. TMC offrait des services de télécommunications. Le Conseil a donc estimé que 99,99 p. 100 des recettes d'exploitation de TMC découlaient de la prestation de services de télécommunications, tout comme s'il s'agissait des recettes d'exploitation de TCI.. Il a ajouté que TCI avait choisi de constituer TMC sous forme de société de personnes et que TCI ne pouvait désavouer la structure commerciale qu'elle avait elle-même édifiée.


[9]                Pour rendre cette décision, le Conseil s'est appuyé sur sa décision du 19 juillet 1995 dans la cause fONOROLA. Cette décision ne figure ni au dossier ni dans le cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine et, pour autant que je le sache, elle n'est pas publiée. Il semblerait, d'après l'explication fournie dans la décision-lettre du 26 mars 2004 de la présente affaire, que la décision fONOROLA portait sur la question de savoir si une société de personnes satisfait aux conditions du paragraphe 16(1) de la Loi sur les télécommunications traitant de la propriété et du contrôle par des Canadiens, afin de pouvoir opérer comme entreprise de télécommunication. Voici le paragraphe 16(1) :

16. (1) Est admise à opérer comme entreprise de télécommunication l'entreprise canadienne qui est une personne morale constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales et est la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien.

16. (1) A Canadian carrier is eligible to operate as a telecommunications common carrier if it is a Canadian-owned and controlled corporation incorporated or continued under the laws of Canada or a province.

[10]            Dans fONOROLA le Conseil a statué que la société de personnes fONOROLA avait le droit d'opérer comme entreprise de télécommunication si chaque associé se conformait aux dispositions du paragraphe 16(1) sur la propriété et le contrôle par des Canadiens. S'appuyant sur cette décision, le Conseil a déclaré en l'espèce qu'il devait regarder plus loin que la seule société de personnes TMC et s'enquérir au sujet des associées-personnes morales de TMC pour garantir la conformité au paragraphe 16(1) de la Loi. Il a conclu qu'il fallait adopter une position logique sur, d'une part, l'entreprise visée au paragraphe 16(1) et, d'autre part, le Règlement.


NORME DE CONTRÔLE

[11]            Comme les parties conviennent que la norme de contrôle est la décision correcte, je traiterai de cette question de façon sommaire. Une fois l'autorisation d'appel accordée en vertu de l'article 64, le droit d'appel autorise une retenue moindre. Le domaine d'expertise du Conseil dans lequel il exerce ses pouvoirs discrétionnaires se situe essentiellement au niveau de la détermination des faits. En présence d'une question de droit, l'expertise du Conseil peut se révéler un facteur demandant une plus grande retenue mais dans des cas d'interprétation ordinaire des lois comme l'espèce, l'expertise de cet organisme relativement à la Cour ne justifie pas en temps normal une telle retenue. Dans la présente affaire, l'argument concerne l'interprétation de dispositions de la Loi sur les télécommunications et du Règlement ainsi que l'applicabilité du droit relatif aux sociétés en nom collectif, questions qui semblent toutes autoriser une norme de retenue moindre. Il ne s'agit pas d'une question d'équilibre entre les intérêts mais d'une question juridique. Pour toutes ces raisons, je suis d'accord avec les parties pour affirmer que la norme de contrôle est la décision correcte.

ANALYSE


[12]            TCI soutient que, en vertu des définitions à l'article 2 de la Loi sur les télécommunications, une entreprise canadienne est une entreprise de télécommunication, laquelle est un propriétaire ou exploitant d'une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis des services de télécommunication; est comprise dans « personne » la société de personnes. Comme la société de personnes TMC est une entreprise canadienne qui ne dépose pas de tarification, le Règlement ne s'y applique pas. Voici les définitions invoquées par TCI :

« _entreprise canadienne_ » Entreprise de télécommunication qui relève de la compétence fédérale.

"Canadian carrier" means a telecommunications common carrier that is subject to the legislative authority of Parliament;

« _personne_ » Sont compris parmi les personnes les particuliers, les sociétés de personnes, les personnes morales, les organisations non personnalisées, les gouvernements ou leurs organismes, ainsi que les fiduciaires, exécuteurs testamentaires, curateurs, tuteurs ou autres représentants légaux.

"person" includes any individual, partnership, body corporate, unincorporated organization, government, government agency, trustee, executor, administrator or other legal representative;

« _entreprise de télécommunication_ » Propriétaire ou exploitant d'une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par lui-même ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie.                                   

"telecommunications common carrier" means a person who owns or operates a transmission facility used by that person or another person to provide telecommunications services to the public for compensation;

[13]            Selon les règles de droit générales applicables à la société de personnes, celle-ci n'est pas une personne. Cependant, la Loi sur les télécommunications donne une définition élargie du mot « personne » , qui vise la société de personnes. Si une société de personnes comme TMC est une personne « propriétaire ou exploitant[e] d'une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par [elle]-même ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie » , elle est donc visée par la définition d' « entreprise de télécommunication » et d' « entreprise canadienne » . Il s'ensuit que TMC doit être traitée, à l'égard de toute question qui se rapporte au Règlement, comme toute autre personne qui est visée par cette définition d'entreprise canadienne.


[14]            Si l'on retient la démarche du Conseil, des droits de télécommunications sont exigés de l'entreprise canadienne TMC (une « personne » selon la définition élargie de ce terme dans la Loi), bien qu'elle ne dépose pas de tarification. Or cela va à l'encontre de l'esprit des paragraphes 3(1) et 4(1).

[15]            Je suis d'avis que le Conseil a appliqué de façon erronée la décision fONOROLA. Le paragraphe 16(1) a pour objet de fixer les critères qui permettent à une entreprise canadienne d'opérer comme entreprise de télécommunication. La propriété et le contrôle par des Canadiens sont l'un de ces critères. Pour établir si une entreprise canadienne qui est une société de personnes peut opérer comme une entreprise de télécommunication, le paragraphe 16(1) oblige le Conseil à examiner l'identité des propriétaires de la société de personnes afin de régler la question de la propriété et du contrôle de cette société. Il est nécessaire, dans un tel contexte, de voir si les propriétaires sont des personnes morales et, dans l'affirmative, si des Canadiens en sont propriétaires et les contrôlent. C'est la réponse à cette question qui établit si une société de personnes qui est aussi une entreprise canadienne a le droit d'opérer comme une entreprise de télécommunication. Les mêmes règles s'appliquent si l'entreprise de télécommunication est une personne morale. Il serait satisfait à l'obligation d'être une personne morale, mais il demeurerait nécessaire de s'informer sur les actionnaires et les administrateurs de l'entreprise afin d'évaluer la conformité au paragraphe 16(1).


[16]            Au contraire du paragraphe 16(1) de la Loi, le Règlement ne contient aucune disposition qui donnerait à entendre que le Conseil doit vérifier la société de personnes qui constitue l'entreprise canadienne. TMC étant une entreprise canadienne qui ne dépose pas de tarification, il ne faut pas inclure ses recettes d'exploitation aux fins du calcul des droits de télécommunications payables en vertu des paragraphes 3(1) et 4(1) du Règlement.

AUTRES ARGUMENTS

[17]            TCI soutient que le Conseil a enfreint les règles de l'équité procédurale et que sa politique de perception des droits est contraire à la politique sur les frais d'utilisation externe du Secrétariat du Conseil du Trésor (en date du 12 août 2003) ou à la Loi sur les frais d'utilisation, L.C. 2004, ch. 6. Il est inutile d'examiner ces arguments, à la lumière de mon interprétation du Règlement.

[18]            Au début de l'audition de l'appel, la Cour a entendu des plaidoiries au sujet de la requête du procureur général du Canada visant le rejet de l'appel relatif à la circulaire de télécom CRTC 2004-3 au motif qu'elle ne constitue pas une décision. TCI déclare qu'elle a interjeté appel de la circulaire afin d'invoquer la Loi sur les frais d'utilisation, qui est entrée en vigueur après la décision-lettre du 26 mars 2004 mais avant la circulaire du 7 avril 2004. Comme il n'est pas nécessaire d'examiner l'application de la Loi sur les frais d'utilisation, il est inutile de décider si la circulaire est une décision, et l'appel relatif à la circulaire devrait donc être rejeté.


CONCLUSION

[19]            L'appel de la décision-lettre du Conseil en date du 26 mars 2004 devrait être accueilli avec dépens, et cette décision devrait être annulée. Les droits d'utilisation que le Conseil a imposés à TCI devraient être calculés sans les recettes d'exploitation de TMC. L'appel de la circulaire de télécom CRTC 2004-3 en date du 7 avril 2004 devrait être rejeté.

                                                                                                                           « Marshall Rothstein »        

                                                                                                                                                     Juge                     

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               A-364-04

                                                                 

INTITULÉ :                                              TELUS COMMUNICATION INC. c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LES 16 ET 17 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                LE JUGE LINDEN

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                             LE 6 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

John Lowe                                                                               

Stephen Schmidt                                          POUR L'APPELANTE

John S. Tyhurst                                            POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Burnet, Duckworth & Palmer LLP                                            

Calgary (Alberta)                                         POUR L'APPELANTE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                          

Ottawa (Ontario)                                         POUR L'INTIMÉE

                                                                                                                                                           


Date : 20051206

Dossier : A-364-04

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 DÉCEMBRE 2005

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                               TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                  intimé

                                                                   JUGEMENT

L'appel de la décision-lettre du Conseil en date du 26 mars 2004 est accueilli avec dépens, et cette décision est annulée. Les droits d'utilisation que le Conseil a imposés à TCI doivent être calculés sans les recettes d'exploitation de TMC. L'appel de la circulaire de télécom CRTC 2004-3 en date du 7 avril 2004 est rejeté.

                                                                                                                               « A.M. LINDEN »        

                                                                                                                                                     Juge                   

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.