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Date : 20060525

Dossier : A-399-05

Référence : 2006 CAF 193

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

J.D. IRVING, LIMITED

demanderesse

et

GENERAL LONGSHORE WORKERS, CHECKERS, AND SHIPLINERS
OF THE PORT OF SAINT JOHN (N.-B.), SECTION LOCALE 273 DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS, et ASSOCIATION DES EMPLOYEURS DU PORT DE SAINT-JEAN INC.

 

défenderesses

 

 

 

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 16 mai 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 mai 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                      LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE NADON

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER

 

 


Date : 20060525

Dossier : A-399-05

Référence : 2006 CAF 193

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NADON               

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

J.D. IRVING, LIMITED

demanderesse

et

GENERAL LONGSHORE WORKERS, CHECKERS, AND SHIPLINERS
OF THE PORT OF SAINT JOHN (N.-B.), SECTION LOCALE 273 DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS, et ASSOCIATION DES EMPLOYEURS DU PORT DE SAINT-JEAN INC.

 

défenderesses

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

Nature de la procédure

[1]              Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, relativement à une décision du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) datée du 15 août 2005, dans le dossier 22323‑C, et prise en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code).

[2]              J.D. Irving a contesté la compétence du Conseil pour connaître des questions non réglées après qu’il eut conclu antérieurement qu’étant donné que J.D. Irving avait étendu ses activités pour englober le travail de débardage dans le port de Saint John, ces activités étaient soumises à l’ordonnance d’accréditation en vigueur.

 

Historique des procédures

[3]              Le 10 juillet 2001, l’Association internationale des débardeurs (l’AID) a demandé, en vertu des articles 18 et 34 du Code, que le Conseil déclare que J.D. Irving se livrait à des activités de débardage au quai 20, dans le port de Saint John.

 

[4]              Dans une décision datée du 21 janvier 2002, le Conseil a décidé que les activités de J.D. Irving au quai 20 étaient visées par l’ordonnance d’accréditation géographique antérieure qu’il avait rendue.

 

[5]              J.D. Irving a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision et la Cour d’appel fédérale, dans un jugement daté du 13 juin 2003 et publié dans [2003] 4 C.F. 1080, a rejeté cette demande.

 

[6]              Le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que la décision du Conseil n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[7]              J.D. Irving a demandé l’autorisation de porter en appel le jugement de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada et sa demande a été rejetée le 26 février 2004.

 

[8]              La demande d’autorisation a soulevé pour la première fois la question de savoir si les employés exerçaient un emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale.

 

[9]              Dans sa décision du 21 janvier 2002, le Conseil a indiqué qu’il demeurait saisi de l’affaire pour trancher toute question de redressement et, en conséquence, le 16 juillet 2003, l’AID lui a demandé de trancher la question du redressement.

 

[10]          Le 9 juin 2004, J.D. Irving a rappelé au Conseil qu’il n’avait pas encore décidé si les activités en question de J.D. Irving relevaient de la compétence fédérale.

 

[11]          Malgré l’objection de l’AID, qui a allégué l’abus de procédure, le Conseil a donné aux parties la possibilité de produire des observations écrites et il a ajourné l’audience relative au redressement jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue sur la contestation de la compétence constitutionnelle du Conseil.

 

[12]          Dans sa décision du 15 août 2005, sur laquelle porte la présente demande de contrôle judiciaire, le Conseil a confirmé que le déchargement des copeaux de bois au quai 20 constitue du travail de débardage, qu’il fait partie intégrante du transport maritime du produit de J.D. Irving jusqu’à un client ultime, et qu’il relève donc de la compétence fédérale.

 

Questions en litige

[13]          La demanderesse fait valoir qu’elle exploite une entreprise de produits forestiers de réglementation provinciale, ce qui n’est pas contesté. C’est la question de savoir si J.D. Irving exploite aussi une entreprise de transport maritime qui est en litige.

 

[14]          La défenderesse soulève également la question de l’abus de procédure au motif que la présente demande de contrôle judiciaire vise à obtenir que la Cour réexamine et reformule l’analyse factuelle du Conseil.

 

Norme de contrôle

[15]          L’avocat de la demanderesse soutient que la norme de la décision manifestement déraisonnable ne s’applique qu’à l’interprétation que fait le Conseil de sa propre loi habilitante, comme l’article 34. Il affirme que la norme de la décision correcte doit être appliquée dans le cas d’une question constitutionnelle, qu’il s’agisse du partage des compétences ou d’un motif fondé sur la Charte.

 

[16]          L’avocat des défenderesses fait valoir que la retenue s’impose à l’égard du Conseil dans les cas où la question constitutionnelle dont il est saisi est une question de compétence. Selon lui, lorsqu’il est question du partage des compétences, la norme de contrôle ne devrait pas être supérieure à celle de la décision raisonnable.

 

[17]          Comme l’a dit le juge Rothstein, alors juge à la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Halifax Longshoremen’s Association, Section locale 269 c. Offshore Logistics Inc. :

[15]         La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si le travail des employés de Offshore au quai de Mobil doit être considéré comme du débardage. L'application de la compétence conférée au Conseil par l'article 34 du Code est tributaire de cette question. Celle-ci peut donc, en un sens, être qualifiée de question de compétence. Par contre, chaque fois qu'un organisme tire une conclusion positive qui emporte l'exercice de sa compétence, sa décision peut être qualifiée de décision portant sur une question de compétence [...]

 

[17]         Bien que l'interprétation du terme « débardage » soit en cause, la décision du Conseil quant à savoir si un travail constitue du débardage repose en grande partie sur les faits et circonstances propres à chaque cas. Pour trancher cette question en l'espèce, il n'est pas nécessaire qu'il énonce une proposition de droit très générale concernant la signification du terme « débardage » dans l'article 34, cette tâche devant revenir à plus juste titre aux tribunaux.

[18]         Je suis donc convaincu que la question de savoir si le travail des employés de Offshore au quai de Mobil constitue ou non du débardage est une question que le législateur avait l'intention de confier au Conseil, même si cette décision a une incidence sur l'application de l'article 34 du Code. Compte tenu de l'existence d'une clause privative et de l'expertise du Conseil, la norme du caractère raisonnable simpliciter ne s'applique pas. La norme de contrôle est celle du caractère manifestement déraisonnable.

 

 

[18]          Le juge Rothstein a ajouté que, dans le cas du Conseil, il existe une clause privative de portée étendue et qu’il a été conclu que le Conseil est un tribunal administratif hautement spécialisé dont les membres sont des experts dans l’application d’un ensemble complet de lois du travail. Il a écrit que le Conseil s’est déjà prononcé à plusieurs reprises sur la question de savoir si un travail constituait ou non du débardage, et qu’il a l’expertise et l’expérience nécessaires pour décider si un travail constitue du débardage dans une situation donnée.

 

Analyse

[19]          La Cour d’appel fédérale a conclu que la décision initiale du Conseil selon laquelle les activités constituaient du débardage, même si l’entreprise était sans rapport avec les activités générales de navigation commerciale et, plus particulièrement, même si elles n’englobaient pas le déchargement de marchandises contre rémunération ni le déchargement de marchandises de navires de commerce, n’était pas manifestement déraisonnable [au paragraphe 33].

 

[20]          Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a aussi souligné qu’on n’avait pas donné à entendre que les conclusions de fait du Conseil étaient inexactes.

 

[21]          Dans la présente espèce, la décision du Conseil était de nature essentiellement factuelle et ce dernier, après avoir examiné les faits, lesquels n’étaient pas en litige, a conclu que les activités de la demanderesse constituaient du débardage.

 

[22]          Le Conseil a adopté une approche pragmatique à l’égard de la catégorisation des activités de débardage en se fondant sur les faits qui lui avaient été soumis, il a tiré les conclusions de fait suivantes et il a confirmé de nouveau sa décision antérieure, à savoir que J.D. Irving effectuait du travail de débardage.

[Traduction]

a.     Dans le cas de J.D. Irving, l’activité de déchargement n’est pas liée et n’est pas intégrée d’un point de vue fonctionnel à la fabrication ou à la transformation de copeaux de bois, et on ne peut pas raisonnablement considérer cette activité comme une simple tâche accessoire à ses activités de fabrication et de transformation. Comme il a été indiqué, la décision de J.D. Irving de retenir les services de sa filiale Atlantic Towing pour assurer le transport maritime des copeaux de bois, sur une partie du parcours de livraison, jusqu’à un client constituait une activité de transport maritime distincte, qui pouvait être dissociée des activités de fabrication et de transformation de copeaux de bois de la société mère.

 

b.     En outre, le déchargement au port de Saint John était un élément nécessaire au transport par voie maritime du produit fabriqué ou transformé jusqu’à Irving Pulp and Paper, Limited.

 

c.     Selon l’une ou l’autre conclusion, le transport par voie maritime peut être clairement dissocié des activités relatives aux copeaux de bois de J.D. Irving.

 

d.     Le travail des employés de J.D. Irving consistait notamment à décharger un navire de haute-mer qui avait transporté des copeaux de bois d’un côté à l’autre de la baie de Fundy, entre deux provinces. Ce travail était distinct des activités de sciage principales et constituait du transport maritime, une activité qui relève de la compétence fédérale en vertu de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

 

[23]          Vu la conclusion initiale du Conseil selon laquelle J.D. Irving effectuait du travail de débardage au port de Saint John – conclusion que la Cour d’appel fédérale a maintenue – la demanderesse ne peut maintenant la contester en attaquant indirectement la confirmation la plus récente que le Conseil a faite de cette conclusion.

 

[24]          Autrement dit, la présente formation de la Cour ne peut modifier la conclusion antérieure par laquelle la Cour a confirmé la décision du Conseil, savoir que l’activité constituait du débardage et que, par sa nature même, elle fait partie intégrante du transport maritime ([2002] CCRI no 153, au par. 35).

 

[25]          Le Code canadien du travail s’applique « aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale ». Une « entreprise fédérale » s’entend des « installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement ». Cela inclut « ceux qui se rapportent à la navigation et aux transports par eau, entre autres à ce qui touche l’exploitation de navires et le transport par navire partout au Canada » et « les lignes de transport par bateaux à vapeur ou autres navires, reliant une province à une ou plusieurs autres ». Ces passages tirés de la Loi ont la même portée que le texte de la Loi constitutionnelle de 1867. Le Code canadien du travail ne s’applique pas aux entreprises provinciales. Les ordonnances d’accréditation et les décisions du Conseil ne s’appliquent pas aux entreprises provinciales.

 

[26]          Ayant tiré les conclusions - qui ne peuvent maintenant pas être contestées – selon lesquelles l’activité des employés de la demanderesse constitue du travail de débardage et, par sa nature même, fait partie intégrante du transport maritime, le Conseil avait clairement le droit de conclure que cette activité relevait de la compétence législative du Parlement, au titre de la navigation et des bâtiments ou navires, et qu’il s’agissait donc d’une entreprise fédérale.

 

[27]          Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens payés par la demanderesse à la défenderesse, la section locale 273 de l’Association internationale des débardeurs.

 

« J. Richard »

Juge en chef

 

 

« Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

J.D. Denis Pelletier »

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-399-05

 

INTITULÉ :                                                                           J.D. IRVING, LIMITED et

                                                                                                GENERAL LONGSHORE WORKERS, CHECKERS, AND SHIPLINERS OF THE PORT OF SAINT JOHN (N.-B.), SECTION LOCALE 273 DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS, et ASSOCIATION DES EMPLOYEURS DU PORT DE SAINT-JEAN INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 16 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 25 MAI 2006

 

COMPARUTIONS :

 

David Stratas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Robert Breen, c.r.

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pink Breen Larkin

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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