Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



     Date: 20000307

     Dossier: ITA-1384-97


     DANS L'AFFAIRE DE LALOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

     - et -


DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION

OU DES COTISATIONS ÉTABLIES

PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

EN VERTU D'UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES:

LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU,

LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA,

LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE,


Entre:

     GILBERT GADBOIS

     Débiteur-judiciaire

     ET

     TRANSPORT H. CORDEAU INC.

     J.L. MICHON TRANSPORT INC.

     Tierces-saisies

     ET

     2951-7539 QUÉBEC INC.

     Mise-en-cause



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une requête de la créancière saisissante, Sa Majesté la Reine, aux fins d'obtenir une ordonnance définitive de saisie-arrêt contre la tierce-saisie, Transport H. Cordeau Inc. (ci-après Cordeau).

Les faits

[2]      Aux termes d'un certificat, qui a la même valeur et le même effet qu'un jugement de cette Cour, il a été certifié que Gilbert Gadbois (ci-après Gadbois) est endetté envers Sa Majesté la Reine du Chef du Canada pour la somme de 1 285 674,06 $, plus des intérêts composés quotidiennement au taux prescrit en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu sur ladite somme pour la période allant du 8 mars 1989 jusqu'au jour du paiement.

[3]      Cette somme de 1 285 674,06 $ et intérêts demeure due et impayée.

[4]      Le 28 avril 1997, une ordonnance provisoire de saisie-arrêt fut émise dans le présent dossier.

[5]      Face à la preuve soumise par la créancière-saisissante quant à l"état de fait et de droit existant entre Gadbois et la corporation 2951-7539 Québec Inc. (ci-après 2951), il fut édicté dans cette ordonnance à cet égard:

qu'il y a lieu de considérer, du moins prima facie et sous réserve de preuve contraire, que 2951 n'est que l'instrument, l'agent ou le mandataire de Gadbois aux fins de canaliser des sommes importantes qui lui appartiennent, de façon à lui permettre de se soustraire à ses obligations;
Considérant qu'il y a par conséquent lieu de lever le voile corporatif à l'égard de 2951 et de la constituer partie à la présente procédure de saisie-arrêt au même titre que Gadbois.

[6]      La même ordonnance ordonna que toutes les sommes dues ou à devoir par Cordeau à Gadbois ou 2951 soient saisies-arrêtées en faveur de la créancière-saisissante aux fins de satisfaire la dette fiscale de Gadbois.

[7]      Au terme d"un débat interlocutoire dans le présent dossier, il fut décidé par la Cour d"appel fédérale que la créancière-saisissante pouvait s'en remettre à l'article 1452 du Code civil du Québec (C.c.Q.) aux fins de se prévaloir d'un acte apparent intervenu entre Cordeau et Gadbois le 10 mai 1996, et ce, sans égard à une entente différente intervenue verbalement entre les mêmes parties au cours des mois précédant l'entente apparente.

[8]      Selon cet acte apparent, un solde hypothécaire de 100 000 $ demeure dû par Cordeau à Gadbois.

[9]      La créancière-saisissante soutient donc qu'aux termes de cette décision elle est bien fondée de vouloir saisir entre les mains de Cordeau le solde hypothécaire de 100 000 $ dû à Gadbois.

[10]      Mais voilà, en opposition à cette saisie de la créancière-saisissante, Cordeau soutient face à la poursuite du dossier que malgré la décision de la Cour d'appel fédérale, la créancière-saisissante ne peut saisir ledit solde hypothécaire de 100 000 $ puisque la créance hypothécaire (d'où provient le solde de 100 000 $) au montant total de 325 000 $ aurait fait l'objet d'une cession de créance en faveur de J.L. Michon Transport Inc. le 5 novembre 1996 et que, partant, tout solde dû le serait en faveur de Michon et non Gadbois.

[11]      Par ailleurs, s'appuyant sur une quittance de J.L. Michon à Cordeau en date du 25 mars 1997, Cordeau prétend qu'aucune autre somme n'est due à Gadbois. Il faut savoir que cette quittance du 25 mars 1997 découle ou fait suite à une autre quittance du 12 février 1997 entre Gadbois et Michon.

[12]      Cordeau soutient subsidiairement que la Cour ne doit pas soulever le voile corporatif de 2951 afin de permettre à la créancière-saisissante de saisir des sommes dues à 2951 pour une dette fiscale personnelle de Gadbois.

Questions en litige

[13]      À l"instar de la créancière-saisissante, il y a lieu de considérer que les questions en litige se posent en théorie comme suit:

     A)      Quant à la cession de créance du 5 novembre 1996:
         i.      Cette cession est-elle simulée?
         ii.      Subsidiairement, cette cession est-elle inopposable à Sa Majesté?
         iii.      La tierce-saisie Cordeau a-t-elle l'intérêt juridique voulu pour contester la demande de déclaration de simulation ou d'inopposabilité de cette cession?
     B)      Quant aux prétendues quittances des 12 février 1997 et 25 mars 1997:
         i.      Sont-elles valables et opposables à Sa Majesté en l'absence de paiement du solde de 100 000 $?
     C)      Quant à la levée du voile corporatif pouvant avoir existé entre Gadbois et 2951:
         i.      La tierce-saisie Cordeau a-t-elle l'intérêt juridique voulu pour contester la levée du voile?
         ii.      Dans l'affirmative, y a-t-il matière à lever le voile?

Analyse

La cession de créance du 5 novembre 1996

[14]      Quant à ce document, j"entends regarder en premier si cette cession est inopposable à la créancière-saisissante en vertu des articles 1631 et ss. du Code civil du Québec (C.c.Q.). Les articles pertinents se lisent comme suit:

Art. 1631. Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.

Art. 1632. Un contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable.

Art. 1633. Un contrat à titre gratuit ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder, même si le cocontractant ou le créancier ignofait ces faits, dès lors que le débiteur est insolvable ou le devient au moment où le contrat est conclu ou le paiement effectué.

Art. 1635. L'action doit, à peine de déchéance, être intentée avant l'expiration d'un délai d'un an à compter du jour où le créancier a eu connaissance du préjudice résultant de l'acte attaqué ou, si l'action est intentée par un syndic de faillite pour le compte des créanciers collectivement, à compter du jour de la nomination du syndic.

[15]      Il ressort de la jurisprudence à ce jour qu"un créancier peut soulever en contestation d"une opposition - ce qui est la situation qui nous occupe présentement - les principes d"inopposabilité des articles 1631 et suivants (voir Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Deschênes (Cour du Québec, dossier 200-02-016759-971, 17 octobre 1997, juge Bond) et Sa Majesté c. 158377 Canada Inc. et Auberge Bon conseil (1988) Inc., décision non rapportée du 16 novembre 1999, dossier ITA-4127-95, portée en appel).

[16]      Il est acquis qu"aux termes de l"article 1631, pour faire déclarer un acte inopposable à son égard, une partie doit faire la preuve de:

     -      son statut de créancier antérieur à l'acte attaqué;
     -      le préjudice causé par l'acte attaqué;
     -      le fait que cet acte a été fait en fraude de ses droits.

[17]      Quant au premier élément, la preuve démontre que la créancière-saisissante était créancière antérieurement à la cession de créance. De fait, les années d"imposition visées comprennent la période de 1984 à 1995. En date du 5 novembre 1996, la créance de la créancière-saisissante était donc liquide et exigible (art. 1634 C.c.Q.).

[18]      En ce qui a trait à l"élément de préjudice, il ne fait aucun doute face à la preuve soumise que cette cession cause un préjudice à la créancière-saisissante puisqu'il s'agit du seul actif connu par cette dernière à l'égard duquel elle pourrait exécuter sa créance.

[19]      Enfin, pour ce qui a trait à l"élément de fraude, il faut conclure, entre autres, des extraits de l"interrogatoire sur affidavit de Gadbois reproduits par la créancière-saisissante dans son mémoire déposé le 8 février 2000, que la preuve au dossier établit clairement que Gadbois se rendait ou cherchait à se rendre insolvable au moment où il a cédé sa créance; ce dernier ayant admis avoir agi ainsi en vue d'éviter toute saisie possible de la part du fisc (voir interrogatoire sur affidavit de Gadbois en date du 24 octobre 1997, pages 44, 45 et 46).

[20]      Les éléments de l"article 1631 se trouvent donc réunis et il n"est pas nécessaire d"envisager la situation sous l"angle des présomptions des articles 1632 et 1633 avant de déclarer la cession inopposable à la créancière-saisissante en vertu de l"article 1631 du C.c.Q.

[21]      D"autre part, lorsque la Cour d"appel fédérale a eu à regarder le présent dossier (Transport H. Cordeau Inc. c. Sa majesté la Reine , décision non rapportée du 27 octobre 1999, dossier A-139-98), il appert que la même perception du dossier était présente à son esprit. En effet, même si l"on considère l"extrait suivant (page 4) comme un obiter , sa lecture est tout de même très pertinente:

M. Gadbois, propriétaire de la Cie Québec Inc. [2951], fait l'objet de pressions de la part de Revenu Canada qui cherche à exécuter sa créance fiscale2. D'ailleurs, le 30 octobre 1996, l'intimée a saisi une somme de 3 337 $ dans le compte de banque de M. Gadbois3. Aussi le 5 novembre 1996, afin d'éviter une nouvelle saisie par l'impôt4, il fait une cession de sa créance de 325 000 $ à J.L. Michon Transport Inc. pour une somme de 225 000 $ et il en reçoit paiement par chèque daté du lendemain.

2 Voir le témoignage de H. Cordeau, Dossier d'appel, vol. 2, pp. 380-381.
3 Dossier d'appel, vol. 4, pp. 577 et 585.
4 Voir l'admission de M. Gadbois, Dossier d'appel, vol. 3, pp. 467 à 469.

[22]      De plus, contrairement aux prétentions de Cordeau, le délai d"une année prévu à l"article 1635 du C.c.Q. est ici respecté puisque les démarches de saisies administratives ont débuté aussi tôt que le 19 décembre 1996 en ce qui a trait à Michon et le 9 janvier 1997 pour ce qui est de Cordeau. Tel que mentionné plus avant, l"ordonnance provisoire de saisie-arrêt dans le présent dossier fut émise le 28 avril 1997. Cette ordonnance fait référence au dossier de requête contenant la preuve soumise alors par la créancière-saisissante pour l"obtention de cette ordonnance.

[23]      Vu notre conclusion sous l"article 1631, il n"y a pas lieu également de nous prononcer sur la possibilité pour la créancière-saisissante de se prévaloir en vertu de l"article 1452 du C.c.Q. de la contre-lettre existant entre Gadbois et Michon à l"effet que ce dernier s"engageait à remettre à Gadbois toute somme qu"il recevrait de Cordeau en vertu du prêt hypothécaire du 10 mai 1996 en sus et au delà de la somme de 225 000 $. Il devient également théorique de nous prononcer sur l"intérêt juridique de Cordeau de contester la demande d"inopposabilité de la cession.

Les quittances des 12 février et 25 mars 1997

[24]      Il y a lieu de constater d"entrée de jeu qu"à partir du moment où la cession de créance est écartée en vertu de l"article 1631 C.c.Q., ces quittances - qui suivent dans le temps cette cession et qui visent à contrer les effets à venir d"une contre-lettre à cette cession - doivent être vues comme des accessoires de ladite cession. Comme le principal est écarté, soit la cession, l"accessoire doit l"être également.

[25]      D"autre part, même si l"on se penche sur ces quittances, on constate que la quittance qui dirige le débat est celle du 12 février 1997 par laquelle Gadbois et 2951 donnent quittance à Michon et autorisent Michon - ce qu"il fera par la quittance du 25 mars 1997 - à donner quittance à Cordeau. Ce qui est applicable en termes d"inopposabilité à la quittance du 12 février l"est forcément à celle du 25 mars.

[26]      Or, il est indéniable ici également que cette quittance du 12 février 1997 constitue pour Gadbois un acte à titre gratuit (le solde de 100 000 $ n'ayant jamais été payé) rendant ou cherchant à rendre Gadbois insolvable. Il est incontestable que cette quittance a été faite en fraude des droits de la créancière-saisissante. Cette quittance du 12 février et celle du 25 mars ont donc été constituées en fraude des droits de la créancière-saisissante et, partant, elles lui sont inopposables en vertu de l"article 1631 C.c.Q. Notons, enfin, que le délai de l"article 1635 C.c.Q. est certes respecté eu égard aux dates de ces quittances et celle de l"ordonnance du 28 avril 1997.

Levée du voile corporatif entre Gadbois et 2951

[27]      Les présents motifs ont été rédigés jusqu"ici en tenant pour fondées les conclusions de l"ordonnance provisoire de saisie-arrêt du 28 avril 1997 quant à la levée dudit voile. Il y a de toute évidence lieu de maintenir et de réaffirmer cette conclusion. En effet, il existe au dossier une preuve non contredite et abondante démontrant que 2951 n"a servi à Gadbois qu"à masquer ses gestes frauduleux. Les principes de l"article 317 C.c.Q. sont pleinement applicables en l"espèce.

Conclusion

[28]      Vu les motifs qui précèdent, il y a lieu:

     1.      D"ordonner le maintien et la levée du voile corporatif à l'égard de 2951;
     2.      D'accueillir la requête de la créancière-saisissante pour l'obtention d'une ordonnance définitive de saisie-arrêt à l'encontre de Cordeau;
     3.      D'ordonner à Cordeau de payer à la créancière-saisissante:
         a)      la somme de 100 000 $, représentant le solde hypothécaire dû par Cordeau aux termes d'un acte d'hypothèque mobilière sans dépossession intervenu entre cette dernière et 2951 le 10 mai 1996 et publié le 13 mai 1996 au Registre des droits personnels et réels mobiliers sous le numéro 96-0056120-0001;
         b)      plus les intérêts sur ladite somme de 100 000 $ au taux de un pour cent (1%) par mois à compter du 1er juin 1996, tel que prévu à la clause numéro 1 dudit acte d'hypothèque, jusqu'au jour du paiement.

     Le tout avec dépens.


Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 7 mars 2000

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

ITA-1384-97

DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

- et -

DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU D'UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES: LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA, LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE,

CONTRE:

GILBERT GADBOIS

     Débiteur-judiciaire

ET

TRANSPORT H. CORDEAU INC.

J.L. MICHON TRANSPORT INC.

     Tierces-saisies

ET

2951-7539 QUÉBEC INC.

     Mise-en-cause


LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 15 février 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 7 mars 2000


COMPARUTIONS:


Me Chantale Comtois

pour la créancière saisissante

Me Patrick Ouellet

pour la tierce-saisie Transport H. Cordeau Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour la créancière saisissante

Dunton, Rainville, Toupin

Montréal (Québec)

pour la tierce-saisie Transport H. Cordeau Inc.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.