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Date : 20030401

Dossiers : A-34-02

A-398-02

Référence : 2003 CAF 168

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE

                                       ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

                                                    ACE EXPLOSIVES ETI LTD. ET

                                                       WESTERN EXPLOSIVES LTD.

                                                                                                                                                     appelantes

                                                                                   et

                                                 ALMECON INDUSTRIES LIMITED

                                                                                                                                                           intimée

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 février 2003

                                      Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 1er avril 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON


Date : 20030401

Dossier : A-34-02

Référence : 2003 CAF 168

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE

                                       ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

                                                    ACE EXPLOSIVES ETI LTD. ET

                                                       WESTERN EXPLOSIVES LTD.

                                                                                                                                                     appelantes

                                                                                   et

                                                 ALMECON INDUSTRIES LIMITED

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SHARLOW

[1]                 Il s'agit en l'espèce d'un jugement daté du 19 décembre 2001 dans lequel la Section de première instance a conclu que le brevet canadien no 1,220,134 (le brevet d'Almecon) est valide et a été contrefait par les appelantes : Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (2001), 17 C.P.R. (4th) 74 (C.F. 1re inst.) (dossier d'appel A-34-02).


Contexte

[2]                 L'exploration sismique consiste à forer d'abord, selon un plan, des trous profonds de 3,5 pouces de diamètre, puis à faire détoner une charge explosive déposée près du fond de chaque trou. L'effet des explosions est ensuite enregistré par des appareils installés à la surface du sol. Les trous sont ensuite remplis de terre, de boue ou de ciment. Les enregistrements, qui sont analysés par des experts, renseignent sur les formations géologiques entourant la zone de tir, ce qui facilite la localisation du pétrole et du gaz naturel.

[3]                 La cartouche est insérée dans un trou de prospection sismique au-dessus de la charge explosive et de 18 à 24 pouces sous la surface du sol. Avant 1987, on croyait que la cartouche idéale devait confiner l'explosion dans le trou de prospection (fonction de bourrage) et demeurer en place pour soutenir le remblayage (fonction d'obturation). Les cartouches utilisées avant 1987 étaient inclinées de manière à être expulsées du trou lors de la détonation; ces cartouches n'avaient donc pas de fonction de bourrage ou d'obturation.

[4]                 L'invention d'Almecon, une cartouche de prospection sismique inventée par Paavo Luomo et Jim Jackson, est venue remédier au problème. La demande concernant le brevet d'Almecon a été déposée le 25 janvier 1985. Le brevet d'Almecon a été délivré le 7 avril 1987 et doit expirer le 6 avril 2004. Almecon est titulaire du brevet Almecon et elle vend une réalisation commerciale de l'invention sous le nom de « King Plug » .


[5]                 Dans le résumé du brevet d'Almecon, on trouve la description suivante :

[TRADUCTION] On peut donc fabriquer une nouvelle cartouche qui bourre et obture efficacement les trous de prospection sismique et qui comprend un corps constitué d'une partie avant et d'une partie arrière, la partie avant étant fermée à son extrémité, et de nombreuses pièces allongées s'étendant vers l'extérieur et vers l'arrière à partir du corps, ces pièces étant disposées de manière à assurer la stabilité axiale de la cartouche lorsqu'elle est insérée dans un trou de prospection. Il existe d'ailleurs un moyen d'accroître, à l'aide d'une cartouche, la quantité de données.

[6]                 Le « corps » de la cartouche est cylindrique et d'un diamètre légèrement inférieur à celui du trou de prospection sismique. Il doit être inséré dans le trou de manière à ce que sa partie avant pointe vers le bas afin d'être exposée à l'explosion. Les pièces allongées qui s'étendent vers l'extérieur et vers l'arrière à partir du corps sont également appelées « griffes » et doivent pointer vers le haut lorsque la cartouche a été insérée dans le trou. On croit que l'explosion soulève quelque peu la cartouche et enfonce les griffes dans les parois du trou, ce qui confine l'explosion et immobilise la cartouche dans le trou afin qu'elle puisse soutenir le remblayage.

[7]                 Anchortek a fabriqué et vendu une cartouche de prospection sismique appelée « Energy Plug » de 1992 à 1996. Les autres appelantes sont des fournisseurs de matériel sismographique et elles ont acheté et vendu des Energy Plug pendant la même période. Almecon fait valoir que l'Energy Plug contrefait le brevet Almecon.


[8]                 L'Energy Plug et la King Plug partagent quelques similarités en ce qui a trait à leur apparence, mais elles partagent quelques différences également. L'Energy Plug s'apparente à la King Plug, car elle est pourvue de griffes qui s'étendent vers l'extérieur et vers l'arrière. La partie avant de l'Energy Plug comporte quelques ouvertures, ce qui n'est pas le cas de la King Plug. Par ailleurs, la partie avant de l'Energy Plug a la forme d'un cône qui a été tronqué très près de sa base et enfoncé dans le corps. La partie avant de la King Plug a la forme d'un cône qui a été tronqué près de son extrémité et qui n'est pas du tout enfoncé.

[9]              Les revendications 1 et 5 du brevet d'Almecon sont les seules en cause. Elles sont ainsi rédigées :

[Traduction]

1.     Une cartouche de bourrage et d'obturation utilisable dans un trou de prospection sismique et comprenant:

un corps comportant une extrémité avant et une extrémité arrière, et se terminant à son extrémité avant par un nez plus ou moins plat;

plusieurs membres allongés en projection vers l'extérieur et vers l'arrière, à partir d'au moins une extrémité dudit corps, lesdits membres étant disposés de manière à conférer à ladite cartouche une stabilité axiale lorsqu'elle est insérée dans un trou de prospection.

5.      La cartouche visée dans la revendication 1 et dont ledit nez a la forme d'un cône tronqué.

Les moyens d'appel

[10]           Plusieurs moyens d'appel sont exposés au paragraphe 22 du mémoire des faits et du droit des appelantes. Je considère qu'aucun de ces moyens n'est fondé. Mes motifs de décision suivent (mais ne respectent pas l'ordre dans lequel les moyens d'appel ont été présentés par les appelantes).

Alinéa 22a) du mémoire des faits et du droit des appelantes : « Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l' « Energy Plug » d'Anchortek contrefaisait la réclamation 5 du brevet puisque l'allégation de contrefaçon invoquée par l'intimée à l'égard de cette revendication a été abandonnée au début du procès » .


[11]            L'avocat d'Almecon n'a pas renoncé à l'allégation de contrefaçon de la revendication 5. Il a tout simplement dit, lors de son exposé préliminaire au procès, qu'une conclusion que la revendication 1 n'a pas été contrefaite établirait que la revendication 5 ne l'a pas été non plus. Les deux parties ont produit des éléments de preuve en ce qui a trait aux deux revendications.

Sous-alinéa 22b)(i) du mémoire des faits et du droit des appelantes : « Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l' « Energy Plug » d'Anchortek contrefaisait la revendication 1 du brevet (i) en n'appliquant pas l'interprétation faite par le juge Wetston » .

[12]            Les revendications 1 et 5 du brevet d'Almecon ont fait l'objet d'une action en contrefaçon dans Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd. (1996), 65 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge Wetston, tel était alors son titre, a conclu que le brevet d'Almecon était valide et contrefait par les cartouches vendues sous le nom de « Super Grip » . L'appel de cette décision a été rejeté : Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd. (1997), 72 C.P.R. (3d) 397 (C.A.F.), et l'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée : [1997] A.C.S. no 374 (QL).

[13]            Aucune des parties n'a remis en question l'interprétation qu'a faite le juge Wetston des revendications 1 et 5 du brevet d'Almecon, interprétation qui a été résumée de la manière suivante dans Almecon c. Nutron, aux pages 425-426 et 427-428 (non souligné dans l'original) :

Prises ensemble, ces revendications [1 et 5] décrivent l'invention réalisée en vertu du brevet d'Almecon. La cartouche King Plug déposée en preuve au procès représente la configuration optimale, c'est-à-dire celle où ses membres allongés se projettent vers l'extérieur et vers l'arrière.


Revendication 1

La cartouche décrite dans la revendication 1 du brevet d'Almecon (la « cartouche d'Almecon » ) comprend un corps avec des membres allongés en projection vers l'extérieur et vers l'arrière. Le corps de la cartouche sert à bourrer la charge dans le trou de prospection et à obturer le trou. Les membres allongés ne peuvent assurer en soi la fonction d'obturation; le corps, en tant que structure tridimensionnelle comportant des extrémités distinctes et une dimension linéaire importante, sert à obturer le trou. Pour assurer un bon ajustement, il faut que le diamètre du corps soit à peine inférieur au diamètre intérieur du trou. L'extrémité avant de la cartouche d'Almecon se termine par un [Traduction] « nez plus ou moins plat » . À mon avis, cela signifie que l'extrémité avant du corps de la cartouche est essentiellement fermée, sa surface se trouvant dans un plan normal à l'axe longitudinal du corps, de manière à intercepter l'onde de pression produite par la détonation de la charge. Si le nez plat n'était pas essentiellement fermé, la force du tir serait incapable de déplacer la cartouche légèrement vers le haut dans le trou de manière que ses membres allongés s'enfoncent dans les parois du trou, comme il est stipulé dans le brevet d'Almecon.

. . .

Revendication 5

La revendication 5 du brevet d'Almecon précise que le nez plus ou moins plat de la cartouche a la forme d'un cône tronqué. Il est raisonnable de conclure qu'il s'agit là d'une partie conique sans pointe. Le brevet d'Almecon indique clairement que cette partie en forme de cône est contiguë au corps de la cartouche, mais en est distincte. De plus, « tronqué » signifie que la cartouche ne se termine pas par une pointe. Comme il en a été question ci-haut, la cartouche d'Almecon se termine par un nez plat. J'en déduis que l'extrémité avant de la cartouche se termine par une surface plane. Comme la cartouche se termine à l'extrémité avant à la fois par un nez plat et par un cône tronqué, j'en conclus que la revendication 5 signifie que la pointe de l'extrémité conique a été remplacée par une surface plane qui est essentiellement ou complètement fermée.

[14]            Le juge Wetston termine son interprétation du brevet par les commentaires généraux suivants à la page 428 :

Le brevet d'Almecon indique aussi que l'extrémité avant de la cartouche peut avoir différents profils autres que celui d'un cône tronqué, par exemple un profil hémisphérique ou pyramidal. Les revendications s'appuient donc sur une variation de la forme de l'extrémité fermée.

Par conséquent, je conclus que l'invention décrite dans les revendications du brevet d'Almecon suppose que :

(1) la cartouche a un corps;

(2) le corps a des griffes en projection vers l'extérieur et vers l'arrière;

(3) les griffes et le corps assurent la stabilité axiale;

(4) l'extrémité de la cartouche est plus ou moins aplatie;

(5) la cartouche comporte un cône tronqué composé d'une partie conique dont la pointe a été remplacée par une surface plane.


[15]            L' « extrémité plus ou moins aplatie » dont il est question au point (4) doit être lue en corrélation avec la déclaration précédente du juge Wetston selon laquelle cette expression, dans la revendication 1, signifie que « l'extrémité avant du corps de la cartouche est essentiellement fermée, sa surface se trouvant dans un plan normal à l'axe longitudinal du corps, de manière à intercepter l'onde de pression produite par la détonation de la charge » . En d'autres mots, c'est l'extrémité avant de la cartouche qui est « plus ou moins aplatie » et l'extrémité avant est aussi « essentiellement fermée » .

[16]            Le juge de première instance a repris l'interprétation qu'a faite le juge Wetston des revendications, mais il a aussi exprimé la réserve suivante au sujet de cette interprétation (paragraphe 27 des motifs) :

...J'ai de la difficulté à concilier sa reconnaissance [celle du juge Wetston] des autres profils, hémisphérique ou pyramidal, pour l'extrémité avant avec son interprétation des revendications selon laquelle l'extrémité avant du corps de la cartouche a une surface se trouvant dans un plan normal à l'axe longitudinal du corps. Ce point de son interprétation est compatible avec une extrémité avant qui est un cône tronqué, mais ne semble pas compatible avec un profil de l'extrémité avant qui serait hémisphérique ou pyramidal dans le cas où l'hémisphère ou la pyramide ne serait pas elle-même tronquée.

[17]            Il est allégué au nom d'Anchortek que le brevet, lu dans son ensemble, envisage d'autres profils, tronqué ou aplati, et que la réserve exprimée par le juge de première instance indique qu'au lieu d'appliquer simplement l'interprétation apparemment correcte du juge Wetston, il a adopté et appliqué une interprétation erronée.


[18]            Si je comprends bien les motifs du juge de première instance, les problèmes que semble poser pour lui l'un des aspects de l'interprétation faite par le juge Wetston ne sont pas pertinents. En dernière analyse, il a adopté et correctement appliqué l'interprétation du juge Wetston et il a conclu à juste titre que l'extrémité avant de l' « Energy Plug » d'Anchortek était plus ou moins aplatie et essentiellement fermée.

Sous-alinéas 22b)(ii) et (v) du mémoire des faits et du droit des appelantes : « Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l' « Energy Plug » d'Anchortek contrefaisait la revendication 1 du brevet... (ii) en déterminant les éléments essentiels de la cartouche brevetée en se reportant à la réalisation commerciale de l'intimée plutôt qu'au texte de la revendication; ... et (v) en n'appliquant pas correctement les critères de contrefaçon formulés par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Électro Santé Inc. »

[19]            Divers arguments étroitement liés les uns aux autres sont inclus sous cette rubrique. J'examinerai ceux qui me semblent les plus importants.

[20]            Le premier argument est que le juge de première instance a commis une erreur en déterminant les éléments essentiels des revendications du brevet en se fondant sur les caractéristiques du King Klug d'Almecon plutôt que sur le texte des revendications. Le juge de première instance ne fournit pas son propre résumé de l'interprétation des revendications 1 et 5 dans la partie de ses motifs où il traite de l'interprétation. C'est sans doute parce que l'interprétation elle-même ne portait pas à controverse, les deux parties ayant accepté l'interprétation de ces revendications par le juge Wetston dans Almecon c. Nutron (examiné ci-dessus).


[21]            Le juge de première instance fait toutefois allusion à l'interprétation des revendications lorsqu'il analyse la différence entre la « contrefaçon littérale » et la « contrefaçon de la substance » . Au sujet des principes applicables tirés de l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, notamment en ce qui a trait aux « six propositions » contenues au paragraphe 31, le juge de première instance a comparé les caractéristiques de la King Plug d'Almecon et de l'Anchor Plug d'Anchortek. Il a dit au paragraphe 70 :

Compte tenu des six (6) propositions qui précèdent et sur le fondement d'une comparaison de la réalisation la plus pertinente du brevet d'Almecon qu'on m'a présentée, qui faisait l'objet d'un usage commercial le 7 avril 1987, la King Plug, et de la forme la plus pertinente de l'Energy Plug qui est en cause, je suis convaincu que les éléments « essentiels » de l'invention faisant l'objet du brevet d'Almecon sont un corps, une extrémité avant [Traduction] « se terminant par un nez plus ou moins plat » , une extrémité avant « essentiellement fermée » , des griffes en projection vers l'extérieur et vers l'arrière du corps, la stabilité axiale assurée par le corps et les griffes et le fait que toutes ces caractéristiques contribuent à prévenir ou à réduire au minimum les éjections de débris et à retenir l'énergie de l'explosion dans le trou de prospection sous la cartouche elle-même, et que la cartouche joue le rôle de « cartouche d'obturation » .

[22]            Si on l'examine indépendamment des autres motifs du juge de première instance, ce paragraphe pourrait donner l'impression que le juge de première instance a interprété les revendications du brevet, et a déterminé leurs éléments essentiels, une fois seulement après avoir comparé la réalisation commerciale de l'invention au produit qui était censé contrefaire la revendication. Il n'est pas approprié d'interpréter un brevet en fonction du mécanisme que l'on prétend contrefait : Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751; Whirpool Corp. c. Camco. Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 49a). Toutefois, je ne suis pas convaincue que le juge de première instance a commis cette erreur. À mon avis, son énumération des éléments essentiels au paragraphe 70 était essentiellement une reformulation de l'interprétation faite par le juge Wetston, interprétation dont la justesse n'a été remise en question par aucune des parties.


[23]            L'avocat d'Anchortek allègue en outre que le juge de première instance n'a pas examiné les éléments essentiels de la revendication comme l'aurait fait une personne versée dans l'art. La « personne versée dans l'art » est un être fictif pour lequel la teneur d'un brevet est présumée être écrite. Nombreuses sont les questions relatives à des brevets qui doivent être examinées du point de vue de cet être fictif, notamment l'interprétation des revendications et de leurs éléments essentiels : Free World Trust, précité. Quoi qu'il en soit, même si on considère qu'une question doit être examinée comme le ferait une personne versée dans l'art, c'est le juge de première instance qui doit déterminer le poids qui doit être accordé à un avis d'expert. Notre Cour ne peut pas modifier une telle détermination en l'absence d'une erreur manifeste et dominante.

[24]            Pour mieux comprendre cet argument, il faut tenir compte de la position qu'Anchortek a adoptée lors du procès, position qu'elle soutient toujours et selon laquelle la partie avant de l'Energy Plug n'est pas « essentiellement fermée » . À l'appui de cet argument, Anchortek a allégué que l'Energy Plug est une « cartouche d'évacuation » qui fonctionne selon des principes différents de la « cartouche d'obturation et de bourrage » décrite dans le brevet d'Almecon.


[25]            Voici mon résumé de l'explication d'Anchortek au sujet de la différence entre une cartouche d'évacuation et une cartouche d'obturation et de bourrage. Ces deux types de cartouche sont pourvus de griffes qui pointent vers le haut lorsque la cartouche est insérée dans un trou de prospection sismique. Lors de l'explosion, les griffes s'enfoncent dans les parois du trou et immobilisent la cartouche. La fonction de bourrage d'une cartouche d'obturation et de bourrage est réalisée par l'enfoncement des griffes dans les parois du trou lorsque la cartouche est soulevée par l'énergie de l'explosion qui frappe la partie avant (c'est-à-dire la partie qui pointe vers le fond du trou). Les griffes d'une cartouche d'évacuation s'enfoncent, elles aussi, dans les parois du trou, mais elles ne le font pas parce que l'explosion soulève la cartouche. Cela se produit plutôt à cause du fait que la partie avant de la cartouche est pourvue d'ouvertures conçues pour qu'une certaine quantité d'énergie puisse traverser la cartouche et pousser plus ou moins directement sur les griffes afin qu'elles s'enfoncent dans les parois du trou.


[26]            Le juge de première instance en l'espèce était d'accord avec le juge Wetston pour dire que dans le cas du brevet d'Almecon, la personne versée dans l'art serait un technicien possédant de l'expérience en prospection sismique. Quelques indices montraient qu'un technicien d'expérience en prospection sismique aurait conclu que les ouvertures dans la partie avant de l'Energy Plug pousseraient cette cartouche à réagir d'une manière très différente comparativement à la King Plug, c'est-à-dire comme une « cartouche d'évacuation » , tel qu'expliqué précédemment. Toutefois, l'expert Clifford J. Anderson, ingénieur et non technicien d'expérience en prospection sismique, était d'avis que l'Energy Plug a tendance à confiner l'explosion comme le fait la King Plug, et ce, même si sa partie avant est pourvue d'ouvertures. Il a expliqué que les ouvertures dans la partie avant de l'Energy Plug sont relativement petites et sont situées quelque peu à l'arrière de la partie médiane du cône, si bien qu'elles ne produisent pas une « évacuation » substantielle lors de l'explosion, comme Anchortek le prétendait.

[27]            Bien que le juge de première instance ait déclaré qu'il considérait que les éléments de preuve présentés par les deux parties n'étaient pas concluants, il ressort du paragraphe 83 de ses motifs qu'il a été considérablement influencé par le témoignage d'expert de M. Anderson, l'un des témoins d'Almecon. Il a même peut-être préféré l'avis de M. Anderson à celui d'un technicien expérimenté d'une équipe de prospection sismique. Le paragraphe 83 contient ce qui suit :

... Sur le fondement toujours de l'ensemble de la preuve, je préfère la conclusion que la nature et la taille des ouvertures dans l'extrémité avant de l'Energy Plug sont telles que, immédiatement après une explosion sous la cartouche, les ouvertures seraient obstruées et au moins une partie importante de l'énergie serait retenue dans le trou de prospection sismique. Vraisemblablement, l'Energy Plug remonterait légèrement sous la poussée de l'énergie contenue, ce qui tendrait à « ancrer » les griffes dans les parois du trou de prospection.

[28]            À mon avis, cette conclusion est justifiée par la preuve. Il aurait peut-être été préférable toutefois que le juge de première instance, au lieu de simplement déclarer qu'il se fondait sur « l'ensemble de la preuve » , explique plus précisément pourquoi il préférait l'avis d'un ingénieur professionnel à celui d'un technicien expérimenté d'une équipe de prospection sismique. L'absence d'une telle explication détaillée n'est cependant pas fatale pour le jugement.


[29]            Anchortek allègue également qu'en étudiant la question de la contrefaçon, le juge a commis une erreur, d'une part, en ne tenant pas compte des exigences essentielles voulant que l'extrémité avant du corps soit pourvue d'une partie plus ou moins plate et essentiellement fermée et, d'autre part, en concluant que l'Energy Plug est une « cartouche de bourrage » .

[30]            À mon avis, la réponse à ces arguments se trouve dans les éléments de preuve mentionnés ci-dessus. Des éléments de preuve étayaient la conclusion du juge de première instance que, malgré l'existence d'ouvertures dans l'extrémité avant de l'Energy Plug, elle « contenait » effectivement les explosions dans un trou de prospection sismique, et que cela était suffisamment expliqué par le fait que la configuration particulière de l'extrémité avant de l'Energy Plug était, en termes pratiques, plus ou moins aplatie et essentiellement fermée.

Sous-alinéas 22b)(iii) et (iv) du mémoire des faits et du droit des appelantes : « Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l' « Energy Plug » d'Anchortek contrefaisait la revendication 1 du brevet... (iii) en examinant des versions « hypothétiques » ou « falsifiées » de l' « Energy Plug » plutôt que le produit réel d'Anchortek, et (iv) en comparant les versions « falsifiées » de l' « Energy Plug » au produit de Nutron qui a été jugé contrefait dans l'action de Nutron » .


[31]            Almecon a prétendu au procès que l'Energy Plug comporte les éléments essentiels énoncés dans les revendications 1 et 5 et que, contrairement à la théorie d'Anchortek, elle fonctionne comme une « cartouche de bourrage » . Almecon a également soutenu au procès que l'Energy Plug ne se distingue pas de la cartouche au sujet de laquelle la Cour a conclu dans Almecon c. Nutron qu'elle contrefaisait le brevet d'Almecon. Afin d'étayer ces arguments, des échantillons de l'Energy Plug et de la cartouche de Nutron donnant lieu à contrefaçon ont été mis de côté et reconstruits d'une manière illustrant leurs caractéristiques de fonctionnement semblables à celles de la King Plug, qui est la réalisation commerciale du brevet d'Almecon. Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en admettant cet élément de preuve ni en s'appuyant sur celui-ci pour mieux comprendre les divers éléments de l'Energy Plug et son fonctionnement.

Alinéa 22c) du mémoire des faits et du droit des appelantes : « Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l'invention visée par le brevet comportait une cartouche reprenant la version de l' « Energy Plug » , même si les inventeurs ont dit (i) qu'ils avaient rejeté cette version au stade du « brainstorming » et (ii) qu'ils n'avaient aucune idée de l' « Energy Plug » » .

[32]            Si je comprends bien, on souhaite désigner par l'expression « version de l'Energy Plug » une cartouche de prospection sismique dont la partie avant (qui pointe vers le fond du trou) est pourvue d'ouvertures et par l'expression « idée de l'Energy Plug » l'idée d'une « cartouche d'évacuation » qui fonctionne, en théorie, tel qu'expliqué précédemment. Cet argument repose sur la prémisse selon laquelle l'Energy Plug est une « cartouche d'évacuation » dont la partie avant n'est pas essentiellement fermée. Comme je l'ai mentionné précédemment, les conclusions de fait du juge de première instance indiquent le contraire et reposent sur des éléments de preuve. Par conséquent, cet argument doit être rejeté.

Les dépens au procès

[33]            Le juge de première instance a rendu, le 23 mai 2002, un jugement supplémentaire dans lequel il donnait des directives quant à la taxation des dépens. Les appelantes interjettent appel de ce jugement supplémentaire (dossier d'appel A-398-02) pour trois motifs.


[34]            En règle générale, notre Cour ne modifiera pas une directive relative aux dépens du procès à moins qu'elle ne repose sur une erreur de droit ou une mauvaise interprétation des faits ou qu'elle ait été donnée sans tenir compte de toutes les considérations pertinentes : Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, par. 20. Je ne suis pas convaincue qu'il y a des motifs en l'espèce de modifier le jugement supplémentaire. Je commenterai brièvement chacun des motifs invoqués.

[35]            Les appelantes font tout d'abord valoir que le juge de première instance aurait dû ordonner que les dépens relatifs à la revendication 5 leur soient adjugés parce qu'Almecon s'est désistée de son allégation de contrefaçon relativement à cette revendication. Comme cela a été expliqué au paragraphe 13, il n'y a pas eu désistement.

[36]            Les appelantes invoquent comme deuxième motif le fait que le juge de première instance aurait dû ordonner qu'Almecon n'avait pas droit à des dépens relativement au témoignage d'expert de M. Anderson. Comme cela a été expliqué plus haut, le témoignage de M. Anderson était pertinent et a été utile au juge de première instance. Rien ne justifie une directive portant qu'Almecon devrait être privée des dépens relativement à ce témoignage.


[37]            Le troisième motif invoqué par les appelantes est que le juge de première instance aurait dû ordonner qu'Almecon n'avait pas droit au remboursement des frais pour les inventeurs, M. Luomo et M. Jackson, parce qu'ils sont les deux propriétaires d'Almecon. Le fait que M. Luomo et M. Jackson soient les propriétaires d'Almecon ne justifie pas d'ordonner qu'Almecon soit privée de tous les dépens relativement aux indemnités qui sont payables aux témoins. C'est à l'officier taxateur qu'il incombe de déterminer le montant des dépens à cet égard.


Conclusion

[38]            Pour les motifs qui précèdent, l'appel interjeté du jugement prononcé par le juge de première instance le 19 décembre 2001 et l'appel interjeté du jugement supplémentaire qu'il a rendu le 23 mai 2002 relativement aux dépens sont rejetés avec dépens.

    « K. Sharlow »                                                                         

J.A.

« Je souscris.

B.L. Strayer »

« Je souscris.

J. Edgar Sexton, J.A. »

Traduction certifiée conforme :

Suzanne Bolduc, LL. B.


                                                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

             Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                                        A-34-02; A-398-02

INTITULÉ :                                       ANCHORTEK LTD. ET AL.    et

ALMECON INDUSTRIES LTD.

LIEU D'AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :           LE LUNDI 10 FÉVRIER 2003

LE MARDI 11 FÉVRIER 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                         LES JUGES STRAYER ET SEXTON

DATE DES MOTIFS :                      1er avril 2003

COMPARUTIONS :

Glen B. Tremblay                                                                           pour les appelantes

Steven B. Garland                                                                         

Ron Dimock                                                                                   pour l'intimée

Bruce Stratton

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                

Smart & Biggar                                                                              pour les appelantes

Ottawa (Ontario)

Dimock Stratton Clarizio LLP                                                     pour l'intimée

Toronto (Ontario)


Date : 20030401

Dossier : A-34-02

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2003

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE

                                       ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

                                                    ACE EXPLOSIVES ETI LTD. ET

                                                       WESTERN EXPLOSIVES LTD.

                                                                                                                                                     appelantes

                                                                                  et

                                                 ALMECON INDUSTRIES LIMITED

                                                                                                                                                          intimée

                                                                        JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                                                 ___________B.L. Strayer                                                                                                                                               J.A.

Traduction certifiée conforme :

Suzanne Bolduc, LL. B.


Date : 20030401

Dossier : A-398-02

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2003

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE

                                       ANCHORTEK LTD., EXPLOSIVES LIMITED,

                                                    ACE EXPLOSIVES ETI LTD. ET

                                                       WESTERN EXPLOSIVES LTD.

                                                                                                                                                     appelantes

                                                                                  et

                                                 ALMECON INDUSTRIES LIMITED

                                                                                                                                                          intimée

                                                                        JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                                                 ___________B.L. Strayer                                                                                                                                                  J.A.

Traduction certifiée conforme :

Suzanne Bolduc, LL. B.

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