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Date : 19991021


Dossier : ITA-8660-98

     DANS L"AFFAIRE DE la Loi de l"impôt sur le revenu,

         ET DANS L"AFFAIRE D"UNE cotisation ou des cotisations établies par le Ministre du Revenu national en vertu d"une ou plusieurs des lois suivantes: La Loi de l"impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi de l"assurance-emploi;

CONTRE:

     9055-2563 QUÉBEC INC.

     (faisant parfois affaire sous le nom de

     RESTAURANT BAR COUNTRY CLUB)

     Débitrice-saisie

     9000-8384 QUÉBEC INC.

     Opposante

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      Il s"agit d"une requête de la part de l"opposante 9000-8384 Québec Inc. visant à faire déclarer nulle et illégale la saisie-exécution des biens pratiquée dans cette instance.


LES FAITS

[2]      La débitrice-saisie soit la compagnie 9055-2563 Québec Inc. est redevable au ministère du Revenu national de la somme de $27,518.81 en vertu d"un certificat déposé au dossier de cette Cour le 22 octobre 1998.


[3]      Le 22 octobre 1998 le greffe de cette Cour a émis un bref de saisie-exécution ordonnant à un huissier de la Province de Québec d"exécuter ledit certificat contre les biens meubles de la débitrice.


[4]      Un huissier a procédé à l"exécution dudit bref de saisie-exécution en saisissant, en date du 17 novembre 1998, les biens meubles de la débitrice-saisie à sa principale place d"affaires, soit le Restaurant-Bar Country Club situé au 2030, route 170, St-Bruno, Lac-St-Jean (Québec).


[5]      Le 14 décembre 1998, l"opposante en l"instance soit la compagnie 9000-8384 Québec Inc. a produit une requête en opposition à ladite saisie en invoquant la propriété de l"ensemble des biens saisis en l"espèce.


[6]      Les prétentions des deux parties peuvent se résumer de la façon suivante:


[7]      Le Ministre du Revenu national prétend essentiellement que la débitrice-saisie 9055-2563 Québec Inc. et l"opposante 9000-8384 Québec Inc. sont deux compagnies dûment incorporées qui formaient en fait une société en participation suivant les dispositions prévues au Code civil de la Province de Québec.


[8]      Le Ministre du Revenu national se base particulièrement sur la décision de la Cour suprême dans Beaudoin-Daigneault c. Richard1 laquelle a établi les trois critères sur lesquelles la Cour doit se fonder pour établir l"existence d"une société et le Ministre prétend que, dans le cas qui nous occupe, nous retrouvons les trois critères.


[9]      De son côté, les prétentions de l"opposante et de la débitrice-saisie sont à l"effet qu"il n"y a aucune preuve de l"existence d"une telle société et que les faits en l"instance démontrent clairement que la débitrice-saisie et l"opposante n"avaient aucunement l"intention de former une société et que tous les documents produits par l"opposante démontrent que les deux compagnies sont tout à fait séparées dans leur existence et dans leurs biens.


[10]      L"opposante soutient qu"elle n"agissait que comme locateur de la bâtisse et des meubles et équipements lui appartenant, lesquels étaient utilisés par la débitrice-saisie dans l"opération de son commerce de restaurant-bar.


[11]      L"opposante soutient qu"elle n"avait aucun pouvoir de gestion ou d"administration sur l"exploitation par la débitrice-saisie du restaurant et qu"elle ne participait d"aucune façon au partage des profits ou pertes de la débitrice-saisie, ne faisant que percevoir les loyers qui lui étaient dûs.


[12]      De son côté, le Ministre du Revenu national prétend que le fait que l"opposante ait ouvert un compte dans une institution financière pour le dépôt des sommes obtenues par la débitrice-saisie et le fait que les numéros de TPS et de TVQ n"aient pas été changés après que la débitrice-saisie eut décidé de cesser de louer la bâtisse et les équipements, ainsi que le paiement par l"opposante d"un certain nombre de factures dues par la débitrice-saisie après qu"elle eut cessé ses opérations, démontre clairement l"intention de former une société et leur responsabilité commune dans les circonstances.


QUESTION EN LITIGE

[13]      La situation juridique des deux compagnies, soit la débitrice-saisie et l"opposante rencontrait-elle les critères établis par l"arrêt Beaudoin-Daigneault c. Richard , et doit-on en conclure qu"elles formaient une société?


ANALYSE

[14]      La Cour a procédé à une analyse des faits entourant les opérations du restaurant-bar lesquels peuvent se résumer comme suit:


[15]      L"opposante a opéré le Restaurant-Bar Country Club situé au 2030, route 170, St-Bruno, Lac-St-Jean, à partir du 18 avril 1994.


[16]      À partir du 19 septembre 1997, l"opposante a conclu un contrat de location avec Madame Dorothée Verreault, Monsieur Daniel Audet et Madame Sylvie Paradis pour la location et l"exploitation du Restaurant-Bar Country Club.


[17]      En vertu de ce contrat, l"opposante fournissait aux locataires l"immeuble et les meubles meublants de l"établissement que les locataires s"engageaient à opérer.


[18]      Il appert de la preuve que Madame Dorothée Verreault, Monsieur Daniel Audet et Madame Sylvie Paradis ont constitué en compagnie le 2 octobre 1997 la débitrice-saisie et c"est cette compagnie qui a, dans les faits, entrepris l"exploitation du Restaurant-Bar Country Club.


[19]      La preuve révèle qu"il n"existe aucun contrat écrit entre l"opposante et la débitrice-saisie ou entre la débitrice-saisie et les locataires, régissant la location et l"exploitation du Restaurant-Bar Country Club par la débitrice-saisie.


[20]      La preuve non contredite a démontré que les actionnaires et administrateurs de la débitrice-saisie soit Madame Verreault et Monsieur Audet étaient déjà à l"époque pertinente de l"opération du commerce, à l"emploi de l"opposante au Restaurant-Bar Country Club et ce, avant la conclusion du contrat de location le 19 septembre 1997. Madame Verreault était comptable de l"entreprise et Monsieur Audet était cuisinier. Quant à Madame Paradis, elle est la conjointe de Monsieur Audet.


[21]      Il semble qu"à partir de septembre 1997, les nouveaux gestionnaires Verreault, Audet et Paradis ont commencé l"opération du restaurant-bar en utilisant l"immeuble, les meubles, la raison sociale et le permis d"alcool de l"opposante et en continuant d"employer la majorité des employés déjà à l"emploi du Restaurant-Bar Country Club.


[22]      Il semble que dans les mois subséquents, les administrateurs Verreault, Audet et Paradis ont tenté d"obtenir un permis d"alcool au nom de leur compagnie, soit la débitrice-saisie et ce, sans succès. Il semble admis que leur situation financière précaire ne leur permettait pas d"obtenir ce permis à leurs noms, ils ont donc continuer d"opérer à partir du permis détenu par l"opposante.


[23]      Quant à l"utilisation d"un compte dans une institution financière pour le dépôt des sommes obtenues par la débitrice-saisie lors de paiements effectués au restaurant par cartes de débit ou cartes de crédit, la preuve semble démontrer qu"il était encore une fois difficile pour les trois nouveaux associés d"obtenir une ouverture de compte au nom de leur compagnie, dans un premier temps pour l"opération de cartes de crédit ou de débit, particulièrement à cause de leur situation financière précaire.


[24]      À première vue, la description des faits précités pourrait tendre à démontrer que les deux compagnies formaient bel et bien une société puisqu"on pouvait déterminer l"apport de chaque associé, soit la bâtisse, les équipements, la raison sociale, le permis d"alcool et le compte de banque pour cartes de crédit par l"opposante et l"opération quotidienne du commerce par les trois employés nouvellement associés dont le travail et l"expertise constituaient l"apport.


[25]      Quant au deuxième critère, il s"agit du partage des pertes et des bénéfices. D"entrée de jeu, il semble que le commerce, sous la responsabilité des trois nouveaux associés, a opéré sur une courte période et il ne semble pas avoir généré de bénéfices puisque tant l"un des administrateurs que l"opposante ont dû payé des factures après que la débitrice-saisie eut cessé ses opérations; cependant, est-ce que le fait d"avoir encaissé à partir d"un compte de banque conjoint les sommes perçues à partir de cartes de crédit et de cartes de débit en plus du paiement de certaines factures après la fermeture de l"entreprise constituent des éléments suffisants pour rencontrer le critère de partage des pertes et des bénéfices de l"entreprise?


[26]      À mon avis, la réponse à cette question est négative. En effet, d"une part il apparaît clair que l"utilisation du compte de banque pour les fins de cartes de débit et de cartes de crédit est un arrangement purement pratique puisque les trois nouveaux associés auraient eu beaucoup de difficultés à opérer le commerce sans pouvoir accepter de cartes de crédit ou de débit et comme ils ne pouvaient démontrer un crédit suffisant pour l"obtenir auprès des institutions financières, l"aide de l"opposante dans ce cas, était très utile sans qu"on puisse en conclure qu"il s"agissait d"un partage des pertes et des bénéfices.


[27]      D"autre part, le fait que l"opposante ait payé un certain nombre de factures tout comme le fait que l"un des associés de la débitrice-saisie ait également payé certaines factures doit être évalué dans le contexte de l"opération d"un restaurant-bar.


[28]      Il semblait important pour l"opposante que le commerce puisse continuer même après l"échec constaté par la débitrice-saisie et la fidélité des fournisseurs est extrêmement importante dans un commerce semblable pour permettre la continuation des opérations.


[29]      À cet effet, le paiement des factures de bière, de boissons gazeuses, d"électricité et de pains ne permettaient, à mon avis, non pas de démontrer l"existence d"un partage des pertes ou des bénéfices mais plutôt une saine gestion administrative afin de s"assurer que les fournisseurs ne boycottent pas l"entreprise et continuent de livrer les marchandises pour assurer la continuité.


[30]      Le fait de continuer d"opérer sous les mêmes numéros de TPS et de TVQ en attendant que les changements soient effectués apparaît normal également pour limiter au minimum les soubresauts face à la clientèle et face aux fournisseurs.


[31]      Il en est de même pour la raison sociale où il paraît beaucoup plus facile pour une entreprise de continuer à opérer la même raison sociale afin de s"assurer de la loyauté de la clientèle.


[32]      Quant au troisième critère, il s"agit de l"intention d"agir en commun; les arguments avancés par la demanderesse-saisissante sont-ils concluants?


[33]      Le Ministre du Revenu national suggère que Madame Verreault, avant de s"associer pour former la compagnie débitrice-saisie, était la comptable employée par la compagnie opposante et s"occupait de la comptabilité de plusieurs autres entreprises propriétés de Monsieur Tremblay, l"actionnaire principal et administrateur de l"opposante.


[34]      Quant à Monsieur Audet, il était le cuisinier et également employé de la compagnie opposante.


[35]      Quant à Madame Paradis, elle est la conjointe de Monsieur Audet mais n"était pas employée de la compagnie opposante.


[36]      La preuve semble avoir démontré que Madame Verreault a continué à faire la comptabilité des deux compagnies, soit l"opposante et la débitrice-saisie et également des autres entreprises de Monsieur Tremblay.


[37]      Il apparaît clair pour le Ministre du Revenu national que les deux compagnies n"ont rien changé à l"utilisation de la raison sociale et que la débitrice-saisie a continué d"opérer le permis d"alcool détenu par l"opposante bien qu"elle ait tenté d"obtenir son propre permis et malgré le fait que l"opposante ait dû subir des poursuites pénales suite à l"utilisation irrégulière de son permis.


[38]      Le Ministre du Revenu national prétend que la compagnie opposante n"a pas agi comme simple locateur, mais comme associé en fournissant tous ses services, soit la raison sociale, le permis d"alcool et le compte en commun. De plus, suivant son témoignage, Monsieur Tremblay, président et actionnaire de la compagnie opposante, "allait faire son tour".


[39]      Malgré les nombreux indices présentés par le Ministre du Revenu national, la Cour n"est pas convaincue que les deux parties aient démontré une intention claire d"agir en commun suivant les prescriptions établies par la jurisprudence.


[40]      En définitive, bien que les apparences soient trompeuses dans les circonstances, la Cour n"est pas convaincue que la débitrice-saisie et l"opposante aient eu l"intention ou encore aient agi comme une société en participation et devraient être considérées comme tel suivant les dispositions du Code civil du Québec.


[41]      Quant à l"argument de solidarité, soulevé par le Ministre du Revenu national, il doit également être rejeté, considérant que la Cour ne considère pas que les deux entreprises, la débitrice-saisie et l"opposante, aient constitué une société au sens du Code civil .


[42]      La Cour rejette également l"argument basé sur l"article 317 du Code civil du Québec suggérant que la "personnalité juridique d"une personne morale ne peut être invoquée à l"encontre d"une personne de bonne foi dès lors qu"on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l"abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l"ordre public".


[43]      Il m"apparaît clair dans les circonstances que les parties en l"instance n"ont jamais eu l"intention de frauder qui que ce soit, il s"agissait de trois personnes de bonne foi dont deux travaillaient déjà dans une entreprise et étaient en mesure de connaître le fonctionnement et l"opération d"un commerce de restaurant-bar.


[44]      Ces trois personnes ont décidé sciemment de se lancer en affaires et de former une compagnie pour opérer le commerce et ont transigé de bonne foi un contrat de location pour la bâtisse et les équipements.


[45]      Malgré leurs efforts légitimes, ça n"a pas marché et ils ont dû remettre la clé au propriétaire après avoir essuyé des pertes. Il faut comprendre que pour obtenir du crédit auprès de certains fournisseurs, l"un des associés, Madame Verreault, a dû cautionné personnellement et a dû après la fermeture du commerce, rembourser les sommes dues en vertu de ses cautionnements personnels.


[46]      Il est à remarquer que le propriétaire de la bâtisse et des équipements, Monsieur Tremblay, président et actionnaire de l"opposante, a tenté de les aider en leur faisant bénéficier de la raison sociale, de son permis d"alcool et de l"utilisation d"un compte de banque pour pouvoir accepter les cartes de crédit et de débit. Peut-on lui reprocher cette aide dans les circonstances?


[47]      Que le propriétaire de la bâtisse et des équipements ait continué d"opérer le commerce après que la débitrice-saisie ait cessé ses opérations le 10 décembre 1998, considérant qu"il y avait déjà plusieurs réservations pour le Temps des Fêtes, apparaît tout à fait légitime et justifié ne serait-ce que pour mitiger les dommages puisque le propriétaire n"avait pas été payé pour tout le loyer échu à la fermeture.


[48]      Bien que les faits puissent démontrer un certain laxisme par rapport à certaines lois en vigueur, notamment l"utilisation irrégulière du permis d"alcool, cette question ne regarde pas directement le tribunal si ce n"est pour évaluer si les deux compagnies formaient bien une société à l"époque, ce qui n"est pas le cas.


[49]      Pour toutes ces raisons, la COUR:

     -      accueille la requête en opposition à la saisie mobilière de l"opposante;
     -      annule la saisie mobilière pratiquée en l"instance le 17 novembre 1998.

[50]      Le tout avec dépens.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 21 octobre 1999

__________________

1      (1984) 1 R.C.S. 2.

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