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Date : 20050321

 

Dossier : A‑385‑04

 

Référence : 2005 CAF 104

 

 

CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                            TRANSOCEAN OFFSHORE LIMITED

 

                                                                                                                                            appelante

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                                intimée

 

 

                                    Audience tenue à  Toronto (Ontario), le 28 février 2005

 

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 mars 2005

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                            LE JUGE MALONE

 


Date : 20050321

 

Dossier : A‑385‑04

 

Référence : 2005 CAF 104

 

 

CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                            TRANSOCEAN OFFSHORE LIMITED

 

                                                                                                                                            appelante

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                                intimée

 

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

 

[1]               Transocean Offshore Limited (« Transocean ») fait appel du jugement de la Cour canadienne de l’impôt daté du 25 juin 2004, qui a rejeté son appel relatif à la cotisation d’impôt établie en vertu de la Partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). La cotisation avait été établie relativement à un paiement de 40 millions de dollars américains versés en contrepartie de la rupture anticipée d’un contrat aux termes duquel un loyer aurait été payable pour l’usage, au Canada, d’une plate-forme de forage en mer. La décision contestée porte l’intitulé Transocean Offshore Limited c. Canada, 2004 D.T.C. 2915, [2004] 5 C.T.C. 2133.

 

[2]               La cotisation a pour fondement législatif l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui se trouve dans la Partie XIII (intitulée « Impôt sur le revenu des personnes non résidentes provenant du Canada »). Les passages utiles de l’alinéa 212(1)d) sont les suivants :

 

212. (1) Toute personne non‑résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25% sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie [...] au titre ou en paiement intégral ou  partiel :

 

 212. (1) Every non‑resident person shall pay an income tax of 25% on every amount that a person resident in Canada pays [...] to the non‑resident person as, on account or in lieu of payment of, or in satisfaction of,

 

                            [...]

 

                            [...]

 

d) du loyer, de la redevance ou d'un paiement semblable, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, un paiement fait :

 

(d) rent, royalty or similar payment, including, but not so as to restrict the generality of the foregoing, any payment

 

(i)       en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, au Canada, des biens [...]

 

(i)         for the use of or for the right to use in Canada any property [...]

 

mais à l’exclusion : [...]

 

but not including [...]

 

(ix) d'un loyer en vue d'utiliser ou d'obtenir le droit d'utiliser à l'étranger tout bien corporel [...].

 

(ix) a rental payment for the use of or the right to use outside Canada any corporeal property [...].

 

 

[3]               Transocean est une entreprise constituée en société dans les Îles Caïmans. Elle est affiliée à deux entreprises américaines. L’une des entreprises américaines affiliée est la Transocean Offshore Inc., que j’appellerai ici « Transocean maison-mère », parce qu’elle contrôle indirectement Transocean et l’autre entreprise américaine affiliée est la Transocean Offshore Ventures Inc. et que j’appellerai ici « Transocean no 2 ».

 

[4]               Transocean est propriétaire du « Transocean Explorer », une plate-forme semi-submersible de forage en mer. Tout au long de la période que concerne le présent appel, l’Explorer se trouvait dans la mer du Nord, en vertu d’un contrat avec Marathon Oil U.K. Ltd. Les trois entreprises de Transocean s’occupent d’affrètement de matériel de forage en mer et offrent des services auxiliaires. Aux fins d’impôt sur le revenu, aucune des entreprises de Transocean n’est considérée comme résidant au Canada.

 

[5]               En 1997, Petro-Canada et un certain nombre de ses entrepreneurs associés ont voulu réaliser un projet de forage en mer - le projet Terra Nova - dans les eaux canadiennes, au large  de Terre‑Neuve. Pour réaliser ce projet, Petro-Canada a conclu un certain nombre d’ententes pour son compte et pour le compte de ses entrepreneurs associés. L’une de ces ententes, datée du 5 mai 1997 et intitulée « Contrat d’affrètement coque nue », faisait obligation à Transocean maison-mère de louer l’Explorer pendant deux ans aux entrepreneurs associés pour réaliser le projet Terra Nova. Il était entendu que Transocean, propriétaire de l’Explorer, le mettrait à la disposition de Transocean maison-mère pour la durée nécessaire. Le dossier d’appel ne contient pas de renseignements sur les modalités de cette opération, mais cela n’est pas pertinent pour le présent appel.

 

[6]               Une deuxième entente, datée du 15 mai 1997 et intitulée « Contrat de services de forage en mer », prévoyait que Transocean no 2 exploiterait et entretiendrait l’Explorer pour le compte des entrepreneurs associés durant ces deux années.

 

[7]               Le contrat d’affrètement coque nue donnait aux entrepreneurs associés la possession exclusive de l’Explorer durant ces deux années et stipulait que le loyer serait payable à Transocean maison-mère à raison de 60 000 dollars américains par journée d’utilisation. Le total estimatif du loyer pour la durée de location prévue s’élevait à 43,8 millions de dollars  américains.

 

[8]               L’usage prévu de l’Explorer est décrit au paragraphe 4.1 du contrat d’affrètement coque nue, qui se lit comme suit :

 

[traduction] [...] aux fins du forage en mer dans le cadre du projet Terra Nova et d’autres opérations de forage ou opérations et services annexes au large de la côte Est du Canada, dans le cadre ou en dehors du projet Terra Nova, comme l’affréteur [les entrepreneurs associés] en décideront à leur discrétion.

 

 

[9]               Le contrat d’affrètement coque nue permettait aux entrepreneurs associés de choisir une zone d’exploitation différente pour l’Explorer, sous réserve du consentement écrit de Transocean maison-mère, qu’elle ne refuserait pas de donner pour des motifs déraisonnables. Ce droit n’a jamais été exercé. L’avocat de Transocean a concédé qu’il avait toujours été entendu que le loyer payable au titre de l’Explorer avait trait à son usage au Canada.

 

[10]           Le contrat d’affrètement coque nue stipulait que les entrepreneurs associés devaient  payer certaines améliorations apportées à l’Explorer, à raison d’un coût estimatif initial de         52 millions de dollars américains et de frais de transport de 11 millions de dollars américains pour transporter l’Explorer au chantier naval au Canada où les améliorations devaient être effectuées.

 

[11]           Les entrepreneurs associés étaient censés conserver le titre des améliorations, mais Transocean maison-mère avait la possibilité de racheter les améliorations au terme de la période de location à raison d’un montant équivalent à leur valeur comptable (calculée en fonction d’un amortissement sur huit ans et conformément aux principes comptables généralement reconnus), moins les frais d’enlèvement, aussi rapidement que possible, des améliorations et de rétablissement de l’Explorer dans son état initial. Si Transocean maison-mère n’exerçait pas son droit de rachat, les entrepreneurs associés pouvaient, au choix, renoncer à leurs droits sur les améliorations ou, à leurs frais, les enlever et rétablir l’Explorer dans son état initial. Le dossier  ne contient pas de renseignements concernant la valeur potentielle de ces améliorations ou sur  les coûts potentiels de leur enlèvement et du rétablissement de l’Explorer dans son état initial.

 

[12]           Tous les paiements versés par les entrepreneurs associés aux termes du contrat d’affrètement devaient être effectués nets d’impôt, c’est‑à‑dire que, si l’impôt du Canada avait été perçu sur le loyer payé à Transocean maison-mère, le montant en aurait été augmenté dans la mesure nécessaire pour que le paiement net d’impôt soit de 60 000 dollars américains par jour. On ne sait pas vraiment s’il y a jamais eu d’ambiguïté concernant le traitement fiscal du loyer. L’avocat de Transocean a concédé que l’impôt exigible en vertu de la Partie XIII aurait été payable sur tout loyer versé aux termes du contrat d’affrètement à l’égard de l’usage prévu de l’Explorer.

 

[13]           Le transport de l’Explorer au chantier naval canadien où les améliorations devaient être effectuées était censé avoir lieu au terme du contrat Marathon, mais pas avant le 31 décembre 1997. Le contrat d’affrètement stipulait que la période de location de deux ans commencerait au moment où les améliorations auraient été effectuées et où l’Explorer serait prêt à être remorqué vers la zone du projet Terra Nova, mais, à la demande des entrepreneurs associés, le contrat Marathon a été prolongé et, finalement, ne s’est terminé qu’à la fin du mois de décembre 1998, ce qui a nécessairement reporté la période de location.

 

[14]           La période de location n’a jamais commencé. Après la signature du contrat d’affrètement, la portée et la complexité des améliorations ont pris une ampleur considérable. Par ailleurs, la disponibilité de plates-formes à meilleur rendement avait entre-temps considérablement augmenté et les tarifs journaliers diminué d’autant. Les entrepreneurs associés se sont de plus en plus inquiétés de l’escalade des coûts d’amélioration et ont essayé de convaincre Transocean maison-mère de leur louer une autre plate-forme ou de limiter leur responsabilité à l’égard des améliorations. En décembre 1998, les améliorations étaient censées coûter, selon les estimations, 75 millions de dollars américains.

 

[15]           À la fin de novembre 1998, les entrepreneurs associés ont informé Transocean      maison-mère qu’ils n’étaient pas à l’aise avec les dispositions en cours concernant l’Explorer et qu’ils ne les croyaient pas à l’avantage de toutes les parties. Du 3 au 21 décembre 1998, des négociations ont été entamées pour déterminer le montant que les entrepreneurs associés paieraient à Transocean maison-mère et Transocean no 2 en conséquence de leur résiliation du contrat d’affrètement. Au moins une offre officielle a été proposée, a fait l’objet d’une contre-offre et a été rejetée.

 

[16]           Le 21 décembre 1998, une entente intitulée « Acte de règlement et de libération » a été signée, aux termes de laquelle, entre autres, les entrepreneurs associés étaient libérés de leurs obligations en vertu du contrat d’affrètement et devaient verser 40 millions de dollars à Transocean à titre d’indemnité complète et finale pour la résiliation volontaire du contrat. L’acte de règlement stipulait également que les entrepreneurs associés devaient verser à  Transocean no 2 environ 1,9 million de dollars américains au titre des dépenses de l’équipe chargée des améliorations. L’acte ne prévoyait pas de paiements à Transocean maison-mère.

 

[17]           Rien dans le dossier n’explique pourquoi les 40 millions de dollars américains ont été versés à Transocean, qui n’était pas partie au contrat d’affrètement, tandis qu’aucun paiement n’a été versé à Transocean maison-mère, qui était partie au contrat. Devant la Cour canadienne de l’impôt, ces faits ont été considérés comme n’ayant pas de rapport avec les enjeux du litige. Je dois supposer que c’est le cas.

 

[18]           L’Explorer n’a jamais été transporté de la mer du Nord à un chantier naval du Canada comme le prévoyait le contrat d’affrètement. À partir du terme du contrat Marathon et au moins jusqu’en avril 2004 (lorsque les parties ont rédigé l’entente soumise à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt), l’Explorer est resté inactif au Royaume-Uni et n’a pas été loué à une autre partie.

 

[19]           Les entrepreneurs associés ont versé 40 millions de dollars américains à Transocean comme le prévoyait l’acte de règlement, mais ils ont retenu 25 % de cette somme et l’ont versée aux autorités fiscales canadiennes, au titre de l’obligation fiscale qui pourrait être la leur en vertu de la Partie XIII à l’égard de ce paiement.

 

[20]           Le fait que les entrepreneurs associés aient retenu et versé 25 % du paiement de règlement n’a aucune incidence sur l’appréciation du bien-fondé de la cotisation faisant l’objet  de l’appel. Quiconque verse un paiement à une personne qui ne réside pas au Canada et qui s’inquiète que ce paiement puisse être assujetti à l’impôt en vertu de la Partie XIII a le droit de retenir un montant couvrant l’obligation fiscale éventuelle et de le verser aux autorités fiscales  du Canada, faute de quoi, s’il appert que le paiement était imposable, le payeur risque de devoir un montant égal à l’impôt.

 

[21]           Si le payeur retient et verse un montant d’impôt comme l’ont fait les entrepreneurs associés en l’espèce, le destinataire du paiement peut demander un remboursement. Si le ministre estime qu’il n’y avait pas d’impôt à payer, le montant est remboursable. Si, par contre, il estime qu’il y avait un impôt à payer, la demande de remboursement est rejetée, et un avis de cotisation est produit au titre de l’impôt à payer. Cette cotisation peut être contestée sous la forme d’un avis d’opposition adressé au ministre, puis d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[22]           Transocean a exercé son droit de demander le remboursement du montant retenu. Le 17 juillet 2000, un avis de cotisation a été produit, qui rejetait la demande de remboursement au motif que Transocean était assujettie à de l’impôt sur le paiement de règlement, conformément à l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, précité. Transocean s’est opposée à la cotisation. Lorsque celle-ci a été ratifiée, Transocean a adressé un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt. Une réponse a été versée au dossier pour le compte du ministre. Le paragraphe 9 de la réponse énonce les hypothèses sur lesquelles la cotisation a été fondée. Parmi ces hypothèses, il y avait les suivantes :

 

 

[traduction]   c) Petro‑Canada s’était entendue avec l’appelante [Transocean] pour lui louer une plate‑forme de forage qui serait exploitée au large de Terre‑Neuve, à raison de 60 000 dollars américains par jour.

 

d) Avant le début du forage, Petro‑Canada a décidé qu’elle ne voulait plus louer la plate‑forme et s’est entendue avec l’appelante pour lui verser 40 millions de dollars américains au titre du loyer.

 

e) Petro‑Canada a versé 40 millions de dollars au titre du loyer au sens de l’alinéa 212(1)d) de la Loi [de l’impôt sur le revenu].

 

 

[23]           L’appel a été entendu par la Cour canadienne de l’impôt le 7 avril 2004. Aucune des parties n’a produit de témoignage oral. Le dossier soumis était composé de plaidoiries,  d’énoncés des faits convenus et d’un certain nombre de documents, dont le contrat d’affrètement coque nue et l’acte de règlement.

[24]           L’appel a été rejeté pour des motifs qui ont été expliqués en détail par la juge et qui sont résumés dans les termes suivants au paragraphe 38 des motifs du jugement :

 

Pour conclure, j'estime que les dommages‑intérêts versés à l'appelante ont été payés pour la dédommager du loyer qui lui aurait été versé aux termes du contrat d'affrètement coque nue si celui‑ci n'avait pas été répudié. Conformément à la jurisprudence relative à l'imposition de montants de dommages‑intérêts reçus à titre de dédommagement pour rupture de contrats commerciaux, j'arrive donc à la conclusion que l'indemnité pécuniaire en cause a été payée au titre ou en paiement partiel ou intégral du loyer ou d'un paiement semblable en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, au Canada, un bien.

 

 

[25]           Transocean a par la suite fait appel devant la présente Cour.

 

[26]           Comme nous l’avons dit, l’avocat de Transocean a concédé que, si les entrepreneurs associés avaient rempli leurs obligations initiales aux termes du contrat d’affrètement, les versements de loyer pour l’usage de l’Explorer auraient été imposables en vertu de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, même si l’Explorer ne se trouvait pas au Canada lorsque l’entente a été conclue. La raison en est que le contrat d’affrètement stipulait que l’Explorer serait transporté au Canada avant le début de la période de location, et il avait été prévu que l’Explorer serait utilisé au Canada durant cette période.

 

[27]           L’avocat de la Couronne a concédé que les 40 millions de dollars américains n’étaient  pas un loyer, car aucun loyer n’était encore payable en vertu du contrat d’affrètement.  La position de la Couronne est que ces 40 millions sont assujettis à  l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu parce qu’ils ont été versés au titre du loyer prévu dans le contrat d’affrètement.

 

[28]           La conclusion de la juge, à savoir « que les dommages-intérêts versés à l'appelante ont  été payés pour la dédommager du loyer qui lui aurait été versé aux termes du contrat d'affrètement coque nue si celui-ci n’avait pas été répudié », est une conclusion de fait qui répond à la question «  à quel titre le paiement a-t-il été effectué? ». La juge déclare, au paragraphe 34 de ses motifs, que sa conclusion de fait est fondée sur les postulats énoncés dans la réponse du ministre, lesquels n’ont pas été directement contredits. Elle ne précise pas l’hypothèse sur laquelle elle s’est appuyée, mais il semblerait que ce soit celle qui est formulée à l’alinéa 9d) de la réponse, que je rappelle ici par commodité :

 

 

[traduction] d) Avant le début du forage, Petro‑Canada a décidé qu’elle ne voulait plus louer la plate‑forme et s’est entendue avec l’appelante pour lui verser 40 millions de dollars américains au titre du loyer.

 

 

[29]           L’avocat de Transocean n’a pas contesté la conclusion de fait de la juge dans son avis d’appel ou dans son mémoire des faits et du droit, et il semble que cette question n’ait pas été soulevée devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[30]           Cependant, à l’audition du présent appel, l’avocat de Transocean a fait valoir que la Cour ne devrait pas rejeter l’appel au seul motif de la conclusion de fait de la juge concernant l’objet du paiement. Il a évoqué une récente décision de la Cour canadienne de l’impôt pour affirmer qu’un contribuable n’a pas à réfuter une hypothèse factuelle de la Couronne si le fait en question est connu d’elle et que le contribuable n’en a pas connaissance. Il n’avait pas la citation proprement dite à ce moment-là, mais il a ultérieurement fourni à la Cour une copie de la décision Redash Trading Inc. c. Canada, 2004 G.T.C. 386, [2004] G.S.T.C. 82. (La Couronne a fait appel de cette décision (dossier de la Cour no A‑468‑04), mais s’est désistée le 2 février 2005.)

 

[31]           L’avocat de la Couronne a répondu en évoquant deux décisions ayant trait à la question du fardeau de la preuve porté par le contribuable dans les appels en matière d’impôt : Pollock c. Canada, 94 D.T.C. 6050, [1994] 1 C.T.C. 3 (C.A.F.), et Cadillac Fairview Corp. c. Canada, 97 D.T.C. 405, [1996] 2 C.T.C. 2197 (C.C.I.), confirmée sans examen sur ce point par : 99 D.T.C. 5121, [1999] 3 C.T.C. 353 (C.A.F.), demande de pourvoi rejetée, [1999] S.C.C.A no 194 (QL).

 

[32]           Dans l’affaire Redash, l’entreprise appelante avait demandé des crédits de taxe sur les intrants en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, à l’égard de 210 véhicules censés avoir été achetés entre le 1er octobre 1997 et le 30 septembre 1998 en vue de leur revente. L’impôt de l’appelante avait été recalculé au motif qu’elle n’avait pas droit aux crédits demandés. Il semble que la Couronne ait estimé que les opérations sur lesquelles l’appelante s’était appuyée pour prouver l’acquisition des véhicules étaient artificielles ou fictives. Entre autres hypothèses posées par la Couronne dans sa réponse, il y avait un certain nombre d’énoncés concernant les activités de certaines parties tierces qui étaient apparemment sans rapport avec l’appelante ou ne se trouvaient de toute façon pas sous son contrôle et qui n’entraient pas en ligne de compte dans l’appel.

 

 

[33]           Les tierces parties n’ont pas été appelées à témoigner, ni par la Couronne, ni par l’appelante. Cependant, un agent de l’appelante a rendu un témoignage oral, que la juge a estimé crédible, pour dire qu’il considérait que les opérations étaient valables et que rien ne lui permettait de croire que les tierces parties désignées dans les postulats de la Couronne s’étaient livrées à des opérations de mauvais aloi. La Couronne n’a pas produit de preuve. La juge a estimé que les hypothèses dans la mesure où elles étaient connues de l’appelante, avait été réfutées.

 

[34]           Dans la décision Redash, le juge a déclaré ce qui suit concernant les hypothèses factuelles non connues de l’appelante (au paragraphe 31) :

 

 

[...] Les perceptions de fait qui ne sont connues que de l'intimée et qui sont présentées dans la réponse à l'avis d'appel comme des hypothèses, n'étant pas connues de l'appelante et difficiles ou impossibles à réfuter sans que cette dernière n'ait à fournir un effort extraordinaire ou à engager des frais importants, ne doivent pas être considérées comme des faits simplement parce qu'ils n'ont pas été précisément réfutées par l'appelante dans son témoignage. Dans ces circonstances, les hypothèses de fait ne peuvent pas remplacer le devoir de l'intimée de présenter des preuves pour justifier ou appuyer ce qui peut être pertinent afin de contrer ou influencer la version des faits de l'appelante.

 

[35]           Cet énoncé part du principe général que, dans un appel en matière d’impôt, les  hypothèses factuelles de la Couronne sont considérées comme vraies à moins d’être réfutées (voir la décision Pollock, précité). Elle part aussi du principe que ce principe général, comme tous les principes généraux, comporte des exceptions. La justification du principe général est que le contribuable connaît ou peut connaître tous les faits relatifs à l’établissement de l’impôt sur le revenu. Le juge des faits est habilité à tirer une conclusion défavorable à l’égard d’une partie qui possède ou peut raisonnablement être présumée posséder des éléments de preuve ayant trait aux faits contestés, mais ne les produit pas. Il se peut cependant que l’équité exige que l’on ne fasse pas porter au contribuable le fardeau de réfuter une hypothèse factuelle de la Couronne. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un fait dont seule la Couronne aurait connaissance, mais je ne crois pas que ce soit le cas en l’espèce.

 

[36]           La seule controverse factuelle en l’espèce est la suivante : à quel titre les 40 millions de dollars américains ont-ils été versés? L’article 2 de l’acte de règlement prévoit que le paiement de 40 millions de dollars américains a été effectué «  [traduction] en contrepartie de la résiliation volontaire du contrat d’affrètement ».

 

[37]           La preuve dont la Cour canadienne de l’impôt a été saisie n’était constituée que de documents, dont un énoncé des faits convenus. Qu’établissent ces documents? Les termes du contrat d’affrètement stipulent que les entrepreneurs associés devaient payer un loyer dont le total se serait élevé à 43,8 millions de dollars américains pour l’usage de l’Explorer pendant deux ans. Le loyer anticipé n’a pas été payé en raison de la résiliation du contrat. Le fait que l’Explorer est resté inactif pendant quelques années après l’annulation du contrat donne à penser que la perte du loyer anticipé n’a pu être facilement atténué grâce à un autre usage de la plate-forme, de sorte que le loyer perdu était une perte sèche.

 

[38]           Le contrat d’affrètement stipulait que les entrepreneurs associés devaient verser              11 millions de dollars américains à Transocean maison-mère pour transporter l’Explorer à l’endroit où les améliorations seraient effectuées. Les documents ne révèlent pas ce qu’il en aurait coûté à Transocean maison-mère pour se charger de ce transport. Il n’est donc pas possible de déterminer si Transocean maison-mère aurait touché un bénéfice sur ce montant s’il avait été nécessaire de transporter la plate-forme.

[39]           Le seul autre élément économique substantiel du contrat d’affrètement était l’obligation faite aux entrepreneurs associés de payer certaines améliorations de l’Explorer (lesquelles, au départ, étaient censées coûter 52 millions de dollars américains, mais qui, plus tard, ont été évaluées à 75 millions de dollars américains). Les améliorations devaient rester la propriété des entrepreneurs associés, à moins que Transocean maison‑mère exerce l’option de les acheter. Les documents ne permettent pas de déterminer l’avantage qu’auraient pu tirer les entreprises Transocean de ces améliorations.

 

[40]           Il convient également de souligner que, aux termes de l’acte de règlement, Transocean no 2 a été indemnisée au titre de certaines dépenses engagées à l’égard des améliorations. L’acte de règlement stipulait que les entrepreneurs associés paieraient à Transocean no 2 environ 1,9 million de dollars pour couvrir les « dépenses de l’équipe chargée des améliorations ». Cela donne à penser que les 40 millions de dollars américains n’ont aucun lien avec les améliorations.

 

[41]           Au moins une personne du groupe Transocean a dû participer à la décision de conclure l’acte de règlement et connaît, pour cette raison, l’objet du paiement, du moins du point de vue de Transocean. Si Transocean croyait que le paiement était autre chose qu’une indemnité pour le loyer perdu, cette personne aurait pu témoigner, mais aucun membre de Transocean n’a été appelé à témoigner.

 

 

[42]           Vu la seule preuve qui lui était soumise, la juge pouvait conclure que le paiement de 40 millions de dollars américains versé à Transocean aux termes de l’acte de règlement avait pour unique objet de l’indemniser de la perte du loyer qui aurait été versé aux termes du contrat d’affrètement si celui-ci n’avait pas été résilié. C’est l’hypothèse factuelle que la Couronne a adoptée. La juge a donc avec raison déclaré que l’hypothèse de la Couronne n’avait pas été réfutée.

 

[43]           Voyons maintenant l’unique question juridique soulevée dans l’appel, à savoir si l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu a une portée telle qu’il couvre un montant versé au titre d’un loyer qui aurait été versé pour l’utilisation de l’Explorer au Canada si le contrat d’affrètement n’avait pas été résilié avant le début de la période de location. Pour Transocean, l’alinéa 212(1)d) n’est pas applicable parce que, si le contrat de location d’un certain bien pour une certaine durée est résilié avant le début de la période de location, ce bien n’a jamais été « utilisé », et aucun loyer n’est donc payable. Pour plus de commodité, je reproduis ici les passages utiles de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

212. (1)  Toute personne non‑résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25% sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie [...] au titre ou en paiement intégral ou  partiel :

 

212. (1) Every non‑resident person shall pay an income tax of 25% on every amount that a person resident in Canada pays [...] to the non‑resident person as, on account or in lieu of payment of, or in satisfaction of,

 

                            [...]

 

                            [...]


 

d) du loyer, de la redevance ou d'un paiement semblable, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, un paiement fait :

 

(d) rent, royalty or similar payment, including, but not so as to restrict the generality of the foregoing, any payment

 

 

(i) en vue d'utiliser, ou d'obtenir le droit d'utiliser, au Canada, des biens [...]

 

 

(i) for the use of or for the right to use in Canada any property [...]

 

mais à l’exclusion : [...]

 

but not including [...]

 

(ix) d'un loyer en vue d'utiliser ou d'obtenir le droit d'utiliser à l'étranger tout bien corporel [...].

 

(ix) a rental payment for the use of or the right to use outside Canada any corporeal property [...].

 

 

[44]           D’une façon générale, l’article 212 de la Loi de l’impôt sur le revenu fait partie d’un régime législatif qui impose certains paiements versés à des personnes qui ne résident pas au Canada, si ces paiements ont un lien précis avec une entreprise exploitant au Canada ou avec un bien produisant des revenus au Canada. L’alinéa 212(1)d), par exemple, impose tout loyer versé à un non-résident pour l’usage d’un bien au Canada ou pour le droit d’utiliser un bien au Canada.

 

[45]           Par loyer, on entend le montant versé en contrepartie de l’usage ou de l’occupation du bien ou au titre du droit de l’utiliser ou de l’occuper : Extendicare International Inc. v. Ontario (Minister of Revenue) (2000), 47 O.R. (3d) 1 (C.A. Ont.), Buonincontri c. Canada, 85 D.T.C. 5277, [1985] 1 C.T.C. 370 (C.F. 1re inst.), C.I. Burland Properties Limited c. Ministre du Revenu national, 67 D.T.C. 5289, [1967] C.T.C. 5289 (C.É.), infirmée sans examen de ce point, 68 D.T.C. 5229 (C.S.C.). Ainsi, un paiement versé à titre de contrepartie pour l’usage d’un bien au Canada ou pour le droit d’utiliser un bien au Canada entre dans le champ d’application de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu (s’il est versé à un non-résident).

 

[46]           En vertu des autres passages de l’alinéa 212(1)d), la disposition s’applique également à tout paiement versé en paiement intégral ou partiel. Cela semble couvrir à peu près toutes les situations où un paiement est versé dans le but de libérer l’intéressé, en partie ou en totalité, d’une obligation de payer un non-résident pour l’usage actuel ou antérieur d’un bien au Canada.

 

[47]           Cependant, l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu fait également état d’un paiement versé au titre (« in lieu of » dans la version anglaise) d’un loyer pour l’usage d’un bien, au Canada. Un certain nombre de dictionnaires donnent les équivalents suivants de l’expression anglaise « in lieu of » : « instead of » ou « in place of » (voir le Black’s Law Dictionary (7e éd., 1999), le Canadian Oxford Dictionary (2001, Oxford University Press), le Gage Canadian Dictionary (1983, Gage Publishing Limited), le Canadian Dictionary of English Law (2e éd., 1995, Thomson Canada Limited). Il semble axiomatique qu’un montant versé à la place d’un paiement à caractère juridique ou en remplacement de ce paiement n’a pas le même caractère juridique. En choisissant l’expression « in lieu of » à l’alinéa 212(1)d), le législateur avait sans doute l’intention d’élargir la portée de cet alinéa pour englober les paiements autres que les paiements ayant le caractère juridique d’un loyer.

 

[48]           Si les termes « in lieu of rent » (au titre du loyer) sont interprétés comme désignant uniquement les paiements versés au titre de l’usage antérieur ou actuel d’un bien, ce qui est, en gros, la position de Transocean, cela n’ajouterait rien à l’alinéa 212(1)d), et serait donc dépourvu de sens.  Toutefois, les termes auraient un sens si, comme le prétend la Couronne, était inclus le montant versé en compensation de la rupture anticipée d’un contrat de location. Selon moi, c’est une considération qui fait pencher la balance du côté de l’interprétation de la Couronne et non du côté de celle que propose l’avocat de Transocean.

 

[49]           À l’appui de son interprétation, la Couronne cite deux décisions où la Cour a estimé qu’un montant versé à un propriétaire en compensation de la résiliation anticipée d’un bail est imposable à titre de revenu si le paiement remplace un futur loyer : Grader c. Ministre du  Revenu national, 62 D.T.C. 1070, [1962] C.T.C. 128 (C.É.), Monart Corporation c. Ministre du Revenu national, 67 D.T.C. 5181, [1967] C.T.C. 263 (C.É.). Une décision récente illustre le même principe : R. Reusse Construction Co. c. Canada, [1999] 2 C.T.C. 2928, 99 D.T.C. 823 (C.C.I.).

 

[50]           Ces décisions ne traitent pas du sens de l’expression « in lieu of » et ne concernent aucunement l’application de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elles renvoient plutôt à l’application de la Partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui prévoit l’imposition de tous les bénéfices que les résidents du Canada tirent d’une entreprise ou d’un bien où qu’ils soient dans le monde. La notion de « bénéfice » est très large, mais pas suffisamment pour englober les rentrées de capital. La question soulevée dans ces affaires était donc de savoir si le paiement versé à un propriétaire à titre de dommages-intérêts ou de règlement en cas de résiliation d’un bail est un revenu ou une rentrée de capital. Pour les besoins de la Partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu, il faut, pour répondre à cette question, appliquer la règle jurisprudentielle, parfois appelée « principe de la substitution », voulant que le traitement fiscal d’un paiement en guise de dommages-intérêts ou de règlement soit le même que celui de l’objet du paiement. Un montant versé à titre de règlement ou de dommages-intérêts est donc un revenu s’il est versé en compensation d’un loyer futur (Grader, Monart, Reusse Construction, précités). Et c’est une rentrée de capital s’il s’agit d’une compensation pour la diminution du capital du destinataire : Westfair Foods Ltd c. Ministre du Revenu national, [1991] 1 C.T.C. 146, 91 D.T.C. 5073 (C.F. 1re inst.), confirmée par [1991] 2 C.T.C. 343, 91 D.T.C. 5625 (C.A.F.).

 

[51]           Le principe de substitution n’a pas besoin d’être examiné ici, car l’expression « in lieu of » à l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu exprime la même idée. Le processus de recherche des faits qui précède l’application du principe de substitution est semblable à celui qu’il faut entreprendre pour déterminer si un paiement a été versé au titre (« in lieu of ») de quelque chose. En l’espèce, la recherche des faits s’est conclue lorsque le juge a estimé que les 40 millions de dollars américains représentaient une indemnité pour le loyer perdu.

 

[52]           L’avocat de Transocean ne conteste pas le sens ordinaire de l’expression « in lieu of », mais il avance deux arguments pour en limiter le sens dans le contexte de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’un fondé sur la version française de l’alinéa, l’autre sur les décisions portant sur l’interprétation d’autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu où un vocabulaire semblable ou analogue est employé.

 

[53]           L’avocat de Transocean fait valoir que la version française de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu a un sens plus étroit que la version anglaise, parce que l’expression « au titre de » signifie « as » et non pas « instead of ». L’avocat de la Couronne répond à cet  argument en expliquant, nombreuses références à l’appui concernant l’historique législatif de la version française de la Loi de l’impôt sur le revenu, que l’expression « au titre de » employée dans la version française signifie « in respect of ». L’expression « in respect of » a été décrite comme suit par le juge Dickson s’exprimant au nom de la Cour (Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 39) : « Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien  quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression ‘quant à’ qui est la plus large. »

 

[54]           La version française de la disposition examinée dans l’arrêt Nowegijick n’était pas « au titre de », mais « quant à ». Cependant, la définition de l’expression « in respect of » dans l’arrêt Nowegijick a été appliquée dans La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, où la disposition législative en cause comportait les mots « in respect of » dans la version anglaise et « au titre de » dans la version française. Dans cette affaire, l’employée d’une compagnie d’assurance-vie avait reçu 300 dollars au titre de certains examens qu’elle avait passés, volontairement et sur son propre temps, pour mieux comprendre les principes de l’assurance-vie. Il s’agissait de savoir si ces 300 dollars étaient imposables comme revenu d’emploi au motif que, selon la formulation de l’alinéa 6(1)a) d’alors (Loi de l’impôt sur le revenu, S.R. (1970‑1971‑1972), ch. 63), un avantage :

 

 

 

[...] au titre, dans l’occupation ou en vertu de la charge ou de l’emploi.

 

[...] in respect of, in the course of, or by virtue of an office or employment.

                 [Non souligné dans le texte original.]

 

[55]           Le juge Dickson, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a conclu que le paiement entrait dans le champ d’application de cette disposition. (Il a ajouté que le paiement était exempt d’impôt parce qu’il entrait également dans le champ d’application d’une disposition plus spécifique, à savoir l’alinéa 56(1)n) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui prévoyait un impôt sur certaines allocations, mais seulement en sus de 500 dollars.)

 

[56]           Vu la façon dont l’expression « au titre de » est généralement employée dans la version française de la Loi de l’impôt sur le revenu, la Couronne fait pencher la balance de son côté. Je conclus que la version française de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu a un sens au moins aussi large que la version anglaise.

 

[57]           Le deuxième argument avancé pour le compte de Transocean dans le but de limiter la portée de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu renvoie à des décisions portant sur des dispositions semblablement formulées. L’avocat de Transocean a évoqué la décision  Puder c. Ministre du Revenu national, 63 D.T.C. 1282, [1962] C.T.C. 445 (C.É.) comme étant la décision qui appuie le plus solidement cet argument. Il s’agissait, dans la décision Puder, d’interpréter l’alinéa 6(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, (S.R.C. (1952), ch. 148), ainsi conçu :

 

 

 

 6(1) Sans restreindre la généralité de l’article 3, doivent être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition [...]

 

6(1) Without restricting the generality of section 3, there shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year [...]

 

b) les montants reçus ou à recevoir dans l’année (selon la méthode que suit régulièrement le contribuable dans le calcul de ses bénéfices) à titre d’intérêts, ou à compte ou au lieu de paiement, ou en acquittement d’intérêts [...].

 

(b) amounts received in the year or receivable in the year (depending upon the method regularly followed by the taxpayer in computing his profit) as interest or on account or in lieu of payment of, or in satisfaction of interest [...].

 

 

[58]           La question en l’espèce était de savoir si un montant versé à un prêteur en guise de remboursement anticipé d’une hypothèque entrait dans le champ d’application de   l’alinéa 6(1)b). La durée de l’hypothèque était de 7 ans et demi, mais l’emprunteur avait le droit de se libérer au bout de trois ans en payant le capital et un montant égal à trois mois d’intérêts. L’emprunteur a décidé de se libérer de l’hypothèque au bout de 15 mois seulement. Le prêteur a donné son accord à condition que l’emprunteur verse un « bonus » de 4 678 $, soit 4 161 $ d’intérêts payables pour le reste des trois premières années (21 mois), plus 517 $ d’intérêts payables pour les trois mois supplémentaires. Le paiement a été considéré non pas comme un versement d’intérêts, mais comme un montant versé au titre des intérêts, parce qu’il ne représentait pas une indemnité pour l’usage de l’argent emprunté (le montant principal du prêt hypothécaire ayant été remboursé en même temps qu’était versé le « bonus »).

 

[59]           La proposition générale formulée dans la décision Puder semble être que l’expression « in lieu of interest » signifie qu’il s’agit d’un montant ayant la même fonction que des intérêts, c’est-à-dire une indemnité pour l’usage de l’argent emprunté. La Cour y reconnaît, par exemple, que les dommages-intérêts versés en raison de la violation de l’obligation contractuelle de verser des intérêts cumulatifs constitueraient un montant versé ‘ « in lieu of interest ». Mais, suivant la décision Puder, lorsqu’une dette est remboursée avant son échéance, le montant versé au titre de la perte de futurs intérêts potentiels ne peut être considéré comme un montant versé au titre des intérêts, parce que, lorsque la dette est remboursée, l’emprunteur n’utilise plus l’argent du prêteur. Si l’on applique le même raisonnement ici, aucun montant ne peut être versé au titre du loyer (qui est une indemnité versée pour utiliser un bien), si le bien n’est jamais utilisé du fait que le contrat de location est résilié avant la période de location.

 

[60]           À mon avis, la décision Puder ne devrait pas faire autorité en l’espèce parce qu’elle impose une interprétation déraisonnablement étroite de l’expression «in lieu of ». Comme je l’ai déjà dit, le sens ordinaire de ces mots renvoie à quelque chose qui prend la place d’autre chose ou s’y substitue. En théorie, une chose peut en remplacer une autre si elle remplit exactement la même fonction ou si elle remplit une fonction qui n’est pas exactement la même, mais qui s’y substitue raisonnablement. Dans la décision Puder, la Cour admet la première possibilité, mais rejette la seconde, sans pour autant justifier cette décision.

 

[61]           Il se peut que la Cour ait statué dans ce sens dans la décision Puder parce que, à  l’époque, on considérait que les dispositions législatives en matière fiscale devaient être interprétées de façon stricte. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, l’interprétation d’une loi suppose qu’on s’interroge sur l’intention du législateur en lisant les termes de la disposition dans leur contexte et, suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi : voir R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 77. Cela suppose donc, à tout le moins, qu’on privilégie une interprétation qui donne sens à l’expression « in lieu of », de préférence à une interprétation qui la rend redondante.

 

[62]           L’avocat de Transocean a également invoqué l’arrêt La Reine c. Atkins, 76 D.T.C. 6258, [1976] C.T.C. 497 (C.A.F.), confirmant 75 D.T.C. 5263 (C.F. 1re inst.) pour appuyer l’interprétation qu’il proposait de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette décision porte sur l’application d’une disposition législative semblable, mais non identique à celle qui nous occupe.

 

[63]           Dans l’arrêt Atkins, la Cour a conclu qu’un montant versé à titre de dommages-intérêts pour résiliation injustifiée d’un contrat de travail n’était pas un avantage obtenu par le bénéficiaire « in respect of, in the course of, or by virtue of the office or employment » (« à l'égard, dans le cours ou en vertu de la charge ou de l'emploi ») et qu’il n’était donc pas imposable en vertu de la disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu qui employait ces termes. À mon sens, le résultat n’était pas dicté par l’interprétation de cette disposition, mais par une conclusion de fait. Le juge de première instance avait rejeté l’allégation de la Couronne que le paiement remplaçait un future salaire. Voici ce qu’il écrit à la page 5270 :

 

 

 

 

L’avocat représentant le demandeur [la Couronne] a soutenu qu’il y avait des preuves, ou tout au moins qu’on pouvait conclure, que l’employeur n’entendait indemniser que de la perte du salaire, que la somme de $18,000 représentait le salaire d’environ 42 semaines tenant lieu de préavis et que, si on avait donné un préavis, 42 semaines eussent constitué une période raisonnable. Aucun employé de la compagnie ne fut appelé à témoigner quant aux intentions de celle‑ci, ni à préciser ce qu’elle considérait comme étant un préavis raisonnable, ou quels facteurs économiques entraient dans la composition du montant de $18,000, pas plus qu’on nous a dit si, d’après ladite compagnie, la somme en question n’était versée qu’à titre de salaire. À ce que je sache, il est fort possible que la compagnie et ses conseillers aient considéré (en offrant d’abord $18,000 et, par la suite, en faisant d’autres concessions), que le montant total du règlement comprenait, outre le simple salaire, bien d’autres facteurs appelant une indemnité. Je constate que la clause 5a) de la pièce 1‑A ne décrit pas la somme de $18,000 comme étant un « salaire » mais plutôt comme étant une « indemnité de cessation d’emploi... en dédommagement de tous les recours que vous pourriez exercer contre la compagne à la suite de la cessation de votre emploi et en vertu de tous autres arrangements avec la compagnie... ». Au paragraphe 6, l’employé s’engage à décharger « la compagnie de tous les recours que vous pourrez avoir contre elle..., directement ou indirectement, sous quelque rapport que ce soit... ». La compagnie songeait‑elle aux réclamations résultant de la perte de l’usage de la voiture louée et de la contribution de la compagnie au régime de retraite et de bourse d’études, pensait‑elle à la perte de la protection fournie par l’assurance collective sur la vie, à celle d’un intéressement éventuel, et à d’autres sujets qui se présenteraient à un esprit pratique? La preuve n’en fait pas mention. Rien ne permet raisonnablement de conclure que la compagnie et le défendeur considéraient que l’indemnité se limitait à la perte du salaire. De plus, il est impossible de déterminer quelle portion des $18,000 représentait aux yeux des deux parties ou de l’une d’elles, cet aspect de la perte subie par le défendeur.  

 

 

 

 

[64]           Par conséquent, même si l’on suppose que la formulation en cause dans l’arrêt Atkins est analogue à la formulation actuelle de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les conclusions de fait dictaient, dans cette affaire, une conclusion favorable au contribuable. En l’espèce, la conclusion de fait pointe dans la direction opposée.

 

[65]           En résumé, je conclus que l’interprétation que la Couronne propose de l’alinéa 212(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu est plus fidèle au sens ordinaire des termes qui y sont employés et à son objet que l’interprétation qu’en propose l’avocat de Transocean. Je ne suis pas convaincue que les décisions invoquées par l’avocat de Transocean commandent à la Cour de rejeter l’interprétation proposée par la Couronne.

 

[66]           Pour ces motifs, le présent appel devrait être rejeté. La Couronne devrait avoir droit au remboursement de ses frais d’appel.

 

 

« K. Sharlow »

Juge

 

“Je souscris aux présents motifs

     Marshall Rothstein, juge »

 

 

“Je souscris aux présents motifs

     Brian Malone, juge »

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, réviseur


                                                     COUR D’APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                             A‑385‑04

                                                        

INTITULÉ :                                                                            TRANSOCEAN OFFSHORE LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                    28 FÉVRIER 2005

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

 

DATE :                                                                                    21 MARS 2005

 

 

COMPARUTIONS :

Richard Thomas                                                                       POUR L’APPELANTE

Michael Friedman

 

Kathryn Philpott                                                                       POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan Binch                                                                        POUR L’APPELANTE

Toronto (Ontario)

 

John H Sims, c.r.                                                                      POUR L’INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


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