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Date : 20050513

Dossier : A-80-04

Référence : 2005 CAF 183

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :                                                              

ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

appelantes

(demanderesses)

                                                                                                                                                           

                                                                             et

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

(défendeurs)

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 mai 2005.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 mai 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE LINDEN

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON


Date : 20050513

Dossier : A-80-04

Référence : 2005 CAF 183

CORAM :       LE JUGELINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

appelantes

(demanderesses)

                                                                                                                                                           

                                                                             et

                                                                APOTEX INC. et

                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                intimés

                                                                                                                                       (défendeurs)

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A)        INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'un appel qu'interjettent AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) d'une décision du juge Russell de la Cour fédérale, publiée sous l'intitulé suivant : AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. et le ministre de la Santé (2004), 245 F.T.R. 196, 2004 CF 44.


[2]                Le juge Russell a rejeté la demande d'AstraZeneca visant à obtenir, aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex Inc. un avis de conformité concernant ses comprimés d'Apo-Oméprazole et ce, jusqu'à l'expiration du brevet canadien no 2,166,794 d'AstraZeneca (le brevet 794).

[3]                À mon avis, en rejetant la demande le juge Russell n'a commis aucune erreur donnant matière à révision et, malgré le vaste terrain jurisprudentiel sur lequel nous a mené l'avocat des appelantes, M. Gaikis, il est possible de trancher le présent appel pour des motifs assez restreints.

B) QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Première question : le caractère suffisant de l'énoncé détaillé

[4]                AstraZeneca déclare que l'avis d'allégation d'Apotex ne fournit pas [traduction] « un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde » en vertu du sous-aliéna 5(1)b)(iv) du Règlement, à savoir qu'en recourant à « l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente » de ses comprimés d'Oméprazole, Apotex ne contrefera aucune revendication concernant le brevet 794, ni pour le médicament lui-même ni pour son utilisation. De ce fait, l'avis d'allégation n'est pas conforme aux dispositions de l'alinéa 5(3)a) du Règlement et est défectueux.


[5]                En particulier, AstraZeneca fait valoir que l'énoncé détaillé traitait de la revendication no 22 du brevet 794, portant sur des comprimés contenant de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité de plus de 70 %, mais non de la revendication indépendante concernant la matière première elle-même, dont il est question à la revendication no 1. AstraZeneca soutient donc que, même si l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex était suffisamment large pour englober les revendications nos 1 et 22 du brevet 794, l'énoncé détaillé n'étayait que la revendication no 22.

[6]                Enfin, AstraZeneca met en contraste cet avis d'allégation avec celui qu'Apotex a signifié en 1997 par rapport au même brevet, lequel avis répondait aux deux revendications en indiquant qu'Apotex n'utiliserait que de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité de moins de 70 %.

[7]                L'énoncé détaillé d'Apotex figure dans la lettre qu'elle a envoyée à AstraZeneca en date du 12 décembre 2001.

[traduction] Les revendications [du brevet 794] se rapportent seulement à l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité supérieur à 70 %, déterminé par diffraction de rayons X sur poudre, aux procédés de sa fabrication, aux compositions en contenant et à l'utilisation de celui-ci.

Nos comprimés ne seront pas contrefaisants du fait qu'ils ne contiendront que de l'oméprazole de magnésium amorphe. [Non souligné dans l'original.]

[8]               Dans les circonstances de l'espèce, le juge Russell a conclu (au paragraphe 66) que l'énoncé détaillé d'Apotex était suffisant, pour le motif suivant :


[...] il me semble que les deux paragraphes, lorsqu'on les lit ensemble, disent clairement qu'il n'y aura pas de contrefaçon des revendications de procédé, de composition ou d'utilisation parce qu'il ne s'agira que d'oméprazole de magnésium amorphe.

En d'autres termes, le juge a considéré que l'énoncé traitait des revendications nos 1 et 22 du brevet 794.

[9]                 Le fait de savoir si l'énoncé détaillé de l'avis d'allégation traitait dans une mesure suffisante des deux revendications est une question mixte de fait et de droit : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 329 N.R. 152, 2004 CAF 398. Étant donné qu'aucun principe de droit général ne peut être dégagé aisément de la conclusion du juge, la présente Cour ne peut intervenir que si elle est convaincue que la décision est viciée par une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33. Selon moi, elle ne l'est pas.

[10]             Premièrement, le premier paragraphe de l'énoncé détaillé d'Apotex, cité au paragraphe [7] ci-dessus, reconnaît explicitement que le brevet 794 revendique à la fois la « composition contenant » de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité supérieur à 70 % et « l'utilisation de celui-ci » . Il n'était donc pas déraisonnable pour le juge de conclure qu'un esprit disposé à comprendre interpréterait le second paragraphe comme englobant les deux revendications décrites dans le premier. Contrairement à la situation dont il est fait état dans l'arrêt Genpharm Inc. c. AB Hassle (2004), 329 N.R. 374, 2004 CAF 413, il n'est pas question ici d'une revendication manifestement manquée.


[11]            Deuxièmement, l'argument d'AstraZeneca selon lequel l'avis d'allégation était insuffisant parce que l'énoncé détaillé ne traitait pas de la revendication no 1 dépend de sa théorie selon laquelle l'oméprazole contrefait pourrait se transformer en sa forme amorphe au stade de la fabrication des comprimés. Cependant, le juge Russell n'a pas été convaincu, d'après la preuve soumise, qu'Apotex pouvait utiliser au départ de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité supérieur à 70 % et, au cours du processus de fabrication des comprimés, le transformer dans ces derniers en oméprazole amorphe non contrefait. Une seconde personne ne devrait pas être tenue d'anticiper la moindre théorie de contrefaçon possible, aussi conjecturale qu'elle puisse être, dans l'énoncé détaillé étayant ses allégations.

[12]            Troisièmement, un énoncé détaillé des fondements d'une allégation doit être suffisamment complet pour qu'un titulaire de brevet puisse décider de manière éclairée s'il convient de répliquer à l'allégation en introduisant une instance en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A F.) au paragraphe 21. Dans l'arrêtSmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (2001), 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.), au paragraphe 27, le juge Noël a décidé que, dans cette affaire, l'énoncé détaillé n'était pas insuffisant « au sens où il a contraint SmithKline à deviner les motifs réels de l'allégation des intimés selon laquelle il n'y aurait pas de contrefaçon du brevet » .


[13]            En l'espèce, il ressort clairement de l'avis de demande d'AstraZeneca que celle-ci comprenait qu'il lui serait loisible de tenter d'établir que l'allégation de non-contrefaçon figurant dans l'avis d'allégation était injustifiée, parce qu'Apotex pouvait utiliser de l'oméprazole contrefait dans le processus de fabrication des comprimés, et ce, même si, sous leur forme finie, les comprimés ne contenaient que de l'oméprazole de magnésium amorphe. Aucun affidavit n'a été produit pour le compte d'AstraZeneca qui indiquait que celle-ci n'était pas en mesure de décider si elle contesterait l'avis d'allégation d'Apotex en raison du manque de spécificité de l'énoncé détaillé.

[14]            Je ne suis donc pas persuadé qu'en concluant que l'avis d'allégation était suffisant, le juge Russell ait commis une erreur manifeste et dominante.

Deuxième question : la question de la preuve

[15]            AstraZeneca déclare que le juge Russell a commis une erreur donnant matière à révision lorsqu'il a conclu que son témoin expert, M. Ymén, n'appuyait pas la théorie d'AstraZeneca selon laquelle il était possible de transformer de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité supérieur à 70 % en oméprazole de magnésium amorphe lors du processus de fabrication des comprimés d'Apo-Oméprazole.

[16]            Dans le paragraphe pertinent de son affidavit, sur lequel il n'a pas été contre-interrogé, M. Ymén déclare ce qui suit :


[traduction] L'affirmation que les comprimés d'Apotex ne contiendront que de l'oméprazole de magnésium amorphe ne portait que sur l'état de l'oméprazole de magnésium dans le comprimé d'Apotex. Apotex ne formule pas d'affirmation au sujet de la cristallinité de l'oméprazole de magnésium utilisé pendant les étapes de traitement conduisant à ces comprimés, qui pourrait présenter un degré de cristallinité supérieur à 70 %.

[17]            Après avoir décrit (au paragraphe 80) le témoignage de M. Ymén comme étant « étonnamment court et peu utile » , le juge Russell a dit regretter (au paragraphe 82) que « sur une question si cruciale, M. Ymén n'en ait pas dit un peu plus au sujet du fondement de cette prétention... » . En outre, il a ajouté (au paragraphe 85) que « M. Ymén aurait pu facilement fournir davantage d'explications, mais il a choisi de ne pas le faire » . En fin de compte, le juge a conclu que la possibilité qu'Apotex puisse utiliser de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité supérieur à 70 % lors du processus de fabrication et le transformer ensuite en la forme amorphe contenue dans les comprimés d'Apo-Oméprazole n'était rien de plus qu'un « vague doute théorique » .

[18]            L'arrêt Housen c. Nikolaisen rappelle avec force (au paragraphe 25) qu'au moment d'apprécier les témoignages, même si, comme c'est le cas en l'espèce, ils n'étaient pas faits de vive voix, le juge de première instance a droit à un degré de retenue considérable de la part d'une cour d'appel. Et, dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2002), 22 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.), au paragraphe 30, il est dit aussi qu'une cour d'appel se doit de faire preuve de retenue à l'égard de la preuve documentaire des experts.


[19]            On ne m'a pas convaincu que l'évaluation qu'a faite le juge Russell du témoignage de M. Ymén était fondée sur une erreur de droit ou contenait une erreur manifeste et dominante. Je ne conclus pas non plus que la cause d'AstraZeneca est nettement favorisée par les réponses données par M. Sherman au contre-interrogatoire portant sur son affidavit, lorsqu'il a fait référence à la « conjecture » de M. Ymén selon laquelle Apotex pouvait entreprendre le processus de fabrication de comprimés avec une matière contrefaite. M. Sherman a catégoriquement nié que c'était ce qui se passait lors du processus de fabrication de l'Apo-Oméprazole. Dans la mesure où il a traité de la possibilité d'une conversion quelconque, M.Sherman a décrit la création de cristaux à partir d'une forme amorphe, et non l'inverse, contrairement à ce qui, selon AstraZeneca, pourrait se faire. Il n'appartient pas à la présente Cour de faire sa propre évaluation du témoignage de M. Sherman.

[20]            Enfin, je signale que, contrairement au brevet dont il était question dans l'arrêt Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 424 (C.F.1re inst.), le brevet 794 ne révèle pas la conversion.

Troisième question : l'abus de procédure


[21]            Dans un effort pour limiter la prolifération de litiges dans ce secteur notoirement des plus litigieux, la Cour a décidé qu'une seconde personne qui répète une allégation dans un second avis d'allégation commet un abus de procédure, à moins que les fondements juridiques et factuels soient distincts de ceux qui étayaient l'allégation antérieure : voir, par exemple, Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F.1re inst.), aux paragraphes 27 et 28; confirmé (2001), 14 C.P.R. (4th) 263 (C.A.F.).

[22]            En l'espèce, AstraZeneca dit que l'allégation d'Apotex qui donne lieu à la présente instance n'est pas « distincte » de l'allégation qu'elle a signifiée en 1997. Quand Apotex a retiré son avis d'allégation de 1997, AstraZeneca a mis fin à la procédure d'interdiction à la suite d'une entente entre les parties. Par conséquent, est-il allégué, la doctrine de l'abus de procédure empêche Apotex d'alléguer que ses comprimés ne contreferont pas la revendication no 22 du brevet 794 pour ce qui est du contenu des comprimés d'AstraZeneca.

[23]            Dans l'avis d'allégation de 1997, Apotex a déclaré que ses comprimés ne contreferaient pas le brevet 794 parce qu'elle n'utiliserait que de l'oméprazole de magnésium présentant un degré de cristallinité inférieur à 70 %. M. Sherman a déclaré qu'Apotex avait retiré cet avis d'allégation parce qu'elle avait de la difficulté à satisfaire aux normes réglementaires en matière d'innocuité et d'efficacité.

[24]            AstraZeneca soutient qu'étant donné que la forme amorphe d'oméprazole, que, d'après Apotex, contiennent maintenant ses comprimés, présente un degré de cristallinité de 0 %, son degré de cristallinité est inférieur à 70 %, ce qui était indiqué dans l'avis d'allégation de 1997.


[25]            À mon avis, même si 0 % est littéralement inférieur à 70 %, il n'était pas déraisonnable que le juge conclue que l'avis d'allégation de 1997 envisageait un certain degré de cristallinité, par opposition à l'avis d'allégation actuel, qui n'en envisage manifestement aucun, et que les allégations étaient donc nettement distinctes.

C)         CONCLUSIONS

[26]            Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens. L'avocat d'Apotex ayant demandé une occasion ultérieure de traiter du calcul des dépens, cette question sera tranchée sur la base d'une requête présentée par écrit en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales.

                                                                                « John M. Evans »                

                                                                                                     Juge                      

« Je souscris aux présents motifs.

      A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

      J. Edgar Sexton, juge. »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-80-04

INTITULÉ :                                                    ASTRAZENECA AB et ASTRAZENECA CANADA INC. c. APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                          LES JUGES LINDEN ET SEXTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 13 MAI 2005

COMPARUTIONS

Gunars Gaikus

Yoon Kang                                                       POUR L'APPELANTE

Andrew Brodkin                                                POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)                                              POUR L'APPELANT

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)                                              POUR L'INTIMÉ                               

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR L'INTIMÉ


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