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Date : 19990618

FAIT À OTTAWA (ONTARIO), le vendredi 18 juin 1999

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

     A-426-97

ENTRE

     GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     -----------------------------

     A-427-97

ET ENTRE

     GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     JUGEMENT

     L"appel interjeté dans le dossier A-426-97 est rejeté sans frais. L"appel interjeté par Global Communications Limited dans le dossier A-427-97 est rejeté et l"appel incident interjeté par Sa Majesté est accueilli. La décision rendue le 27 mai 1997 par la Cour canadienne de l"impôt est annulée, et l"affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu"il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que Global Communications Limited n"a pas droit à une déduction au titre de frais d"exploration au Canada pour l"année d"imposition 1992. L"intimée a droit à un mémoire de frais pour la présente instance et pour l"instance instruite devant la Cour canadienne de l"impôt.

     " B.L. Strayer "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


Date : 19990618

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

     A-426-97

ENTRE

     GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     ------------------------------

     A-427-97

ET ENTRE

     GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 18 mai 1999.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 18 juin 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE ROBERTSON

Y SOUSCRIVENT :      LE JUGE STRAYER

     LE JUGE DÉCARY


Date : 19990618

CORAM :      LE JUGE STRAYER

         LE JUGE DÉCARY
         LE JUGE ROBERTSON

     A-426-97

ENTRE

     GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     -------------------------

     A-427-97

ET ENTRE

     GLOBAL COMMUNICATIONS LIMITED,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROBERTSON

                        

     INTRODUCTION

[1]      L"article 66 de la Loi de l"impôt sur le revenu permet à un contribuable de déduire de son revenu des " frais d"exploration au Canada ", qui sont définis comme étant des dépenses engagées en vue de déterminer l"existence ou la localisation de gisements de pétrole ou de gaz au Canada. Cet article confère un avantage fiscal particulier à un contribuable puisqu"il permet la déduction complète d"une dépenses qui constituerait normalement une mise de fonds.

[2]      L"expression " données sismiques " est utilisée pour décrire l"information géophysique obtenue au moyen de l"installation de capteurs de son dans la surface de la terre et au moyen du suivi des résultats d"explosions (les tracés sismiques ayant fait l"objet d"une mise à feu). Cette expression décrit également le support physique (les rubans magnétiques, le film, la mémoire de données informatiques ou les relevés papier) sur lequel l"information est enregistrée. La fonction principale des données sismiques est de faciliter la localisation des gisements de pétrole et de gaz. Ces données sont considérées comme un " outil de recherche normal " en raison de leur coût beaucoup moins élevé que le forage. Les données sismiques peuvent être carrément vendues ou faire l"objet d"un permis accordé en contrepartie de certains frais.

[3]      La contribuable appelante, Global Communications Limited, a payé 15 millions de dollars pour l"achat de données sismiques. De ce montant, 1,8 million de dollars ont été payés en argent comptant. Le solde de 13,2 millions de dollars était garanti par un billet avec recours limité, c"est-à-dire, un billet en vertu duquel la responsabilité de Global est limitée au produit de la vente des données sismiques et à tout élément d"actif gazier et pétrolier détenu au moment de l"échéance du billet. Global a réclamé la déduction de la totalité du prix d"achat de son revenu pour les années d"imposition 1991 et 1992 au motif que ce montant constituait des frais d"exploration au Canada au sens de l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. Par voie de nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national a refusé la déduction dans sa totalité au motif que l"acquisition de données en vue de l"octroi de permis ne respectait pas le critère des fins visées qui est établi dans cette disposition. En outre, le ministre soutenait que Global n"avait pas utilisé les données sismiques pour faire sa propre exploration. En appel, le juge de la Cour de l"impôt a conclu que l"achat de données sismiques pour des fins d"octroi de permis constituait des frais d"exploration au Canada, mais il a limité la déduction au montant de la sortie de fonds. Il a apparemment agi ainsi au motif que le billet n"était pas conforme à la Loi sur les lettres de change . Global interjette appel auprès de la Cour au motif que la totalité du prix d"achat est déductible. Le ministre présente un appel incident au motif que ses nouvelles cotisations doivent être confirmées.

[4]      Dans les motifs qui suivent, j"adopte avec égards la position que la contribuable n"a pas droit à une déduction fiscale totale ou partielle. Dans la présente affaire, la stratégie fiscale était viciée tant dans sa conception que dans son exécution. Plus particulièrement, je conclus que les données sismiques achetées à des fins de revente ou d"octroi de permis ne constituent pas des frais d"exploration au Canada au sens de l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. En outre, je suis d"avis que Global n"a pas démontré qu"on avait fait de l"exploration pétrolière et gazière en son nom avec l"aide des données sismiques qu"elle avait achetées. Subsidiairement, je conclus que, dans l"hypothèse où les opérations menées par Global respectent le critère des fins visées qui est établi par l"alinéa 66.1(6)a ), Global est alors limitée à une déduction pour frais d"exploration au Canada de 1,8 million de dollars. Je tire cette conclusion subsidiaire pour deux motifs. Premièrement, Global n"a pas réussi à démontrer que les données sismiques avaient une juste valeur marchande supérieure au montant en argent comptant. Deuxièmement, le solde du prix d"achat garanti par le billet constitue une dette éventuelle, de sorte qu"il n"est pas déductible du revenu pour l"année où l"obligation a pris naissance.

LES FAITS ET LA DÉCISION DU TRIBUNAL D"INSTANCE INFÉRIEURE1

[5]      Global est une société de radiodiffusion canadienne bien connue. En 1984 et en 1985, elle a acquis des parts dans trois sociétés en commandite dans le cadre de l"achat de 20 000 kilomètres de données sismiques. Toutes les transactions ont été mises sur pied par Leonard Shapiro, de Calgary, qui contrôle un certain nombre de sociétés liées, généralement appelées " Shapco ". Shapco oeuvre dans le domaine de l"exploration et de la production pétrolières; elle gère également une bibliothèque comprenant 200 000 kilomètres de données sismiques. En 1991, Global projetait un autre achat de données sismiques qui, selon le président de la société, [TRADUCTION] " pourrait transformer entièrement la situation fiscale de Global pour l"année en cours " et [TRADUCTION] " pourrait nous faire économiser jusqu"à 9 millions de dollars d"impôts ". Les événements qui ont mené aux achats en question sont les suivants.

[6]      À l"automne 1989 ou 1990, M. Shapiro a su que Petroseis Energy Surveys Ltd. (Petroseis), un courtier de données sismiques, était intéressé à vendre 7 850 kilomètres de données sismiques. M. Shapiro a communiqué avec Robert Kondrat, le propriétaire de Karon Resources Ltd. (Karon), pour que ce dernier acquière les données de Petroseis pour Shapco à un prix se situant entre 2 millions et 2,5 millions de dollars. Petroseis exigeant 3 millions de dollars pour les données, aucune entente n"a été conclue. Au printemps 1991, M. Shapiro a de nouveau demandé à M. Kondrat d"acquérir les données possédées par Petroseis, offrant entre 2,15 et 2,25 millions de dollars, dans la mesure où la " valeur estimée " se situait entre 18 et 20 millions de dollars. C"est en juillet 1991 que Petroseis a finalement accepté de vendre les 7 850 kilomètres de données à Karon en contrepartie de 2 millions de dollars en argent comptant, sous réserve de la confirmation de sa valeur estimée, et de 50 % des revenus nets tirés de l"octroi de permis par Karon au cours d"une période de trois ans. L"entente écrite n"a pas été conclue avant le 28 août 1991, date de clôture de la transaction. La clôture était cependant assujettie à certaines conditions préalables qui n"ont pas été entièrement remplies avant le 2 octobre 1991.

[7]      Karon a séparé les 7 850 kilomètres de données sismiques en deux blocs. L"un des blocs, qui consistait en 6 400 kilomètres de données, a été vendu à une société incorporée par Shapco dans cet unique but. Il s"agissait de Technical Data Holdings Ltd. (Technical). Le prix d"achat était de 15 millions de dollars, consistant en un montant de 1,8 million de dollars en argent comptant et en un montant de 13,2 millions de dollars garantis par un billet avec recours limité. En vertu d"une entente écrite datée du 29 août 1991, ces données ont alors été revendues par Technical à Global pour la même somme et selon les mêmes modalités que le contrat précédent. Avant de conclure le contrat, Shapco a obtenu trois évaluations " indépendantes " relativement à la valeur marchande des données sismiques devant être achetées. Les évaluations se situaient dans une fourchette de 15 à 19 millions de dollars.

[8]      Relativement au deuxième bloc de données sismiques, Karon a vendu les derniers 1 450 kilomètres à Technical en contrepartie de 0,5 million de dollars en argent comptant et d"un billet avec recours limité de 2,8 millions de dollars. Ces données ont alors été revendues par Technical à trente-trois investisseurs individuels.

[9]      En bref, en contrepartie des 7 850 kilomètres de données sismiques possédées par Petroseis, Karon a payé 2 millions de dollars en argent comptant et a accepté de verser 50 % de tout revenu tiré de l"octroi de permis au cours des trois années suivantes. Karon a alors fait volte-face et a vendu ces données le lendemain à Technical pour 18,3 millions de dollars : 2,3 millions en argent comptant et 16 millions garantis par un billet avec recours limité. Sur les 2,3 millions de dollars versés à Karon, Petroseis a reçu 2 millions tandis que M. Kondrat a gagné 300 000 $ au nom de sa société, Karon.

[10]      En vertu du billet remis par Global à Technical, les intérêts couraient au taux de 5 % par année et n"étaient pas exigibles avant l"échéance du billet, soit le 29 août 1998 ou la date prorogée, le 29 août 2001. Le recours prévu par le billet se limitait à ce qui pouvait être réalisé sur la vente des données possédées par Global et sur toute concession pétrolière et gazière détenue par Global à l"échéance du billet. Bref, Global ne pouvait pas être poursuivie pour quelque manquement que ce soit en vertu du billet. En vertu des modalités de la convention d"achat, Global était tenue d"appliquer les montants suivants au paiement du billet, dans la mesure et au moment où ils étaient reçus : 1) 50 % des revenus bruts provenant de la vente des données de Global ou de l"octroi de permis à leur égard, moins les frais de courtage et de gestion; 2) 50 % des revenus pétroliers et gaziers nets. On a prévu la cession à Technical des revenus tirés par Global de l"octroi de permis. À son tour, Technical a cédé ses revenus de permis à Karon, qui a elle aussi cédé les siens à Petroseis.

[11]      Un contrat de gestion des données de Global a été conclu avec Four Star International Corporation (Four Star), une autre société Shapco. En vertu de cette convention, Four Star devait recevoir un honoraire mensuel de 6 250 $ pour la gestion de ces données. Toutefois, elle n"avait aucun employé et ne faisait " rien "2. Après avoir versé plus de 400 000 $ en frais de gestion à Four Star, Global a unilatéralement mis fin au contrat avant son échéance. Au procès, Global a produit des éléments de preuve au soutien de son argument que Shapco avait exécuté les obligations contractuelles auxquelles s"était initialement engagée Four Star. Si je comprends bien les faits, Technical était responsable de l"octroi de permis quant aux données possédées par Global, tandis que Shapco se chargeait en principe de la partie exploration de l"entreprise.

[12]      Il n"est pas contesté que les données de Global constituaient une source de revenus de permis pour celle-ci. Les parties ne s"entendent toutefois pas sur la question de savoir si de l"exploration gazière ou pétrolière a été faite à l"aide de ces données et si des revenus ont découlé de telles activités. Il n"est également pas contesté que le droit de propriété des données n"a pas été transféré à Global avant le 2 octobre 1991.

[13]      Pour son année d"imposition 1991, Global a réclamé la déduction de frais d"exploration au Canada au montant de 5,2 millions de dollars. Elle a réclamé la déduction de frais s"élevant à 9,6 millions de dollars pour son année d"imposition 1992. Relativement à l"année d"imposition 1991, le juge de la Cour de l"impôt a conclu qu"aucune déduction ne pouvait être réclamée. Il s"est exprimé ainsi : " [l]a Cour conclut que l"appelante n"a pas payé, acquis ou possédé les données sismiques dans son exercice 1991 et que celles-ci ne lui appartenaient pas à ce moment-là. Les conventions qu"elle a conclues avec TDHL le 29 août 1991 étaient nulles "3.

[14]      Le rejet de l"appel interjeté par Global pour l"année d"imposition 1991 a fait l"objet d"un appel auprès de la Cour (A-427-97). Toutefois, les parties s"entendent maintenant pour que l"appel soit rejeté sans frais puisque les transactions n"étaient pas finalisées à la fin de l"année d"imposition 1991 de Global. Elles conviennent également que ce fait n"a pas rendu les contrats nuls, mais que la loi et la preuve indiquent plutôt que la date de clôture de chaque contrat a été prorogée au 2 octobre 1991. À cette date, Petroseis a transféré la propriété des données sismiques directement à Global, et Global a versé à Technical 1,8 million de dollars en argent comptant. Il n"est donc pas contesté que si Global a droit à une déduction, c"est pour son année d"imposition 1992.

[15]      Le juge de la Cour de l"impôt s"est ensuite penché sur la question de savoir si Global avait droit à une déduction au titre de frais d"exploration au Canada d"un montant de 15 millions de dollars pour son année d"imposition 1992. L"une des principales conclusions du juge de la Cour de l"impôt était que l"achat de données sismiques pour des fins d"octroi de permis constituait des frais d"exploration au Canada. Il a appliqué la décision de la Cour d"appel de l"Alberta Fulcrum Resources Ltd. v. Alberta (Minister of Energy and Natural Resources)4 au soutien de cette conclusion. Il n"a toutefois tiré aucune conclusion particulière quant à la question de savoir si Global avait utilisé les données à des fins d"exploration. Il n"a pas tiré de conclusion non plus relativement au caractère raisonnable de la dépense de 15 millions de dollars. Le ministre avait adopté la position subsidiaire que si Global avait droit à une déduction, celle-ci se limitait à la sortie de fonds de 1,8 million de dollars. Selon les " présomptions " du ministre, toute déduction excédant ce montant était déraisonnable dans les circonstances. Bien que le juge de la Cour de l"impôt ait limité le montant de la déduction à 1,8 million, il n"a donné aucune raison formelle à l"appui de cette décision. Auparavant dans ses motifs, le juge de la Cour de l"impôt a souligné que le billet n"était pas conforme à la Loi sur les lettres de change . L"article 176 de cette loi définit un billet comme étant une " promesse [...] sans condition " de payer. Le juge de la Cour de l"impôt a fait remarquer qu"étant donné que le recouvrement en vertu du billet était limité à la valeur des données sismiques et qu"aucune donnée n"avait été transférée, le billet n"avait aucune valeur. Il a également mentionné que, puisque le billet en question était un billet avec recours limité, sa valeur se limitait à la valeur des données sismiques à la date du recouvrement. Il a conclu en disant qu"on ne pouvait pas qualifier de billet ce " bout de papier ". Je présume qu"il s"agit là de la raison sous-jacente à la décision du juge de la Cour de l"impôt de limiter le montant de la déduction pour frais d"exploration au Canada au paiement en argent comptant de la somme de 1,8 million de dollars.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]      La Cour doit se prononcer sur plusieurs questions en litige. La première question est de savoir si l"achat par Global de données sismiques constitue des frais d"exploration au Canada au sens de l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. Énoncé succinctement, l"achat par Global des données respecte-t-il le critère des fins visées qui est prévu par cette disposition; c"est-à-dire, s"agit-il d"une dépense engagée pour les fins de repérer ou de localiser des gisements de pétrole et de gaz au Canada? Pour répondre à cette question, nous devons examiner deux questions supplémentaires. Premièrement, l"achat de tracés sismiques en vue de l"octroi de permis (ou de la revente) constitue-t-il des frais d"exploration au Canada? Dans l"affirmative, le critère des fins visées est respecté. Dans la négative, nous devons nous poser une deuxième question, à savoir, si Global utilisait les données à des fins d"exploration pétrolière et gazière. Cette question mène à une conclusion de fait. Si elle donne lieu à une réponse négative, Global n"a alors droit à aucune déduction. Cependant, si on tient pour acquis que Global satisfait au critère des fins visées qui est établi par l"alinéa 66.1(6)a ), il reste à trancher la question de savoir si le montant de la déduction doit être limité à la sortie de fonds de 1,8 million de dollars ou s"il doit refléter le prix d"achat de 15 millions de dollars. Le ministre invoque deux motifs pour soutenir que le montant approprié est de 1,8 million de dollars. En premier lieu, il prétend que la véritable valeur des données sismiques n"excédait pas 2 million de dollars, de sorte que tout montant supérieur à ce chiffre est déraisonable. En deuxième lieu, et subsidiairement, il prétend que le montant de 13,2 millions de dollars garanti par le billet constitue une dette éventuelle, qui, en vertu du droit fiscal, ne constitue pas une dépense. J"aborde chacun de ces arguments à tour de rôle. Auparavant, je dois souligner que deux des questions mentionnées mènent à des conclusions de fait qui n"ont pas été tirées par le juge de la Cour de l"impôt. L"avocat de Global a cependant insisté pour que la Cour se prononce sur toutes les questions soulevées plutôt que de les renvoyer à la Cour de l"impôt pour nouvel examen.

ANALYSE

[17]      La première question en litige est une question de droit pure : l"achat de données sismiques en vue de l"octroi de permis ou de la revente constitue-t-il des frais d"exploration au Canada au sens de l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu? Cette disposition prévoit :

66.1(6) "Canadian exploration expense" of a taxpayer means any expense incurred after May 6, 1974 that is

(a)      any expense including a geological, geophysical or geochemical expense incurred by him (other than an expense incurred in drilling or completing an oil or gas well or in building a temporary access road to, or preparing a site in respect of, any such well) for the purpose of determining the existence, location, extent or quality of an accumulation of petroleum or natural gas (other than a mineral resource) in Canada,

66.1(6) < < frais d"exploration au Canada > > d"un contribuable s"entend des dépenses suivantes engagées après le 6 mai 1974: a ) une dépense, y compris une dépense à des fins géologiques, géophysiques ou géochimiques, engagée par le contribuable (à l"exception d"une dépense engagée pour le forage ou l"achèvement d"un puits de pétrole ou de gaz, la construction d"une route d"accès temporaire au puits ou la préparation d"un emplacement pour un tel puits) en vue de déterminer l"existence, la localisation, l"étendue ou la qualité d"un gisement de pétrole ou de gaz naturel (à l"exception d"une ressource minérale) au Canada,




[18]      Les passages essentiels de cette disposition sont ceux qui indiquent qu"une dépense, y compris une dépense à des fins géophysiques, doit avoir été engagée par le contribuable en vue de déterminer l"existence ou la localisation d"un gisement de pétrole ou de gaz au Canada. Il y a quatre groupes de contribuables qui auraient la possibilité de réclamer la déduction de frais d"exploration au Canada. Premièrement, il y a ceux qui font leur propre mise à feu et qui utilisent ensuite les données obtenues pour leurs propres fins d"exploration. Ce groupe de contribuables tombe directement sous l"application du critère des fins visées qui est prévu par l"alinéa 66.1(6)a ). Le deuxième groupe est composé de ceux qui font des mises à feu uniquement en vue de la vente ou de l"octroi de permis. Ce groupe de contribuables ne se livre pas à l"exploration pétrolière et gazière; cependant, en vertu de l"arrêt Fulcrum , ce groupe a droit à la déduction au titre de frais d"exploration au Canada relativement aux dépenses engagées dans le cadre de l"obtention de données sismiques. Le troisième groupe de contribuables est composé de ceux qui achètent des données sismiques de tiers ou qui se font octroyer des permis et qui utilisent les données pour leurs propres fins d"exploration. Il est reconnu que ce groupe a droit à la déduction au titre de frais d"exploration au Canada relativement au coût d"acquisition des données sismiques. Global prétend avoir utilisé les données qu"il avait achetées en vue d"effectuer sa propre exploration pétrolière et gazière. Le quatrième groupe de contribuables est formé par ceux qui achètent des données sismiques existantes pour des fins de revente ou d"octroi de permis. Ils n"effectuent pas de mises à feu et ne font pas d"exploration pétrolière et gazière. En bref, ils agissent uniquement en tant que courtiers de données sismiques. Global soutient que même si elle n"a pas utilisé les données achetées pour faire des travaux d"exploration, elle a le droit de réclamer la déduction de frais d"exploration au Canada parce que l"achat de données sismiques uniquement pour des fins d"octroi de permis ou de revente satisfait au critère des fins visées que prévoit l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. J"aborde cette question en premier lieu.

[19]      À mon avis, une lecture attentive de l"alinéa 66.1(6)a ) montre que les dépenses visées sont celles que le contribuable engage relativement au terrain lui-même. En vertu de la Loi, les frais d"exploration reçoivent le traitement fiscal le plus généreux. Le montant total est déductible. La déduction pour frais de développement est limitée à 30 % des dépenses. Le taux diminue à 10 % pour les frais d"exploitation de biens pétroliers et gaziers. L"objectif visiblement poursuivi au moyen de la déduction des frais d"exploration au Canada est d"encourager l"exploration réelle dans une industrie soumise à d"importants risques financiers dans le cadre de la recherche de gisements de pétrole et de gaz. En théorie, si ce n"était de l"incitatif fiscal, ce type d"exploration pourrait ne pas être entreprise. Il est cependant tout aussi évident que l"objet de la loi n"est pas d"encourager l"accumulation de larges inventaires de données sismiques qui peuvent être ou ne pas être de quelque valeur pour ceux qui oeuvrent vraiment dans le domaine de l"exploration pétrolière et gazière. Les courtiers de données sismiques ne sont pas exposés aux types de risques financiers auxquels font face ceux qui font de l"exploration pétrolière et gazière. Le seul risque avec lequel ces entrepreneurs doivent composer est le risque que les revenus liés à l"octroi de permis ou à la revente ne couvrent pas les coûts d"achats. Même dans ce cas, il ne peut y avoir aucune exposition à des risques financiers si, en réalité, les économies d"impôt excèdent les sorties de fonds requises pour l"achat de ce type de données. Par nature, les billets avec recours limité n"exposent pas l"acheteur au risque de perte financière. Ils constituent simplement une façon pratique de gonfler la valeur et le prix de vente de données sismiques sans engager la responsabilité personnelle de l"acheteur pour le montant garanti par le billet. Je me propose d"approfondir cette question plus loin.

[20]      La décision rendue par la Cour dans Gulf Canada Ltd. v. Canada5 appuie l"idée que les achats de données sismiques pour des fins d"octroi de permis ou de revente ne constituent pas des frais d"exploration au Canada. Cette affaire portait sur un contribuable corporatif qui cherchait à déduire des paiements de location faits à des gouvernements provinciaux relativement à des droits pétroliers et gaziers souterrains. Une des questions soulevées était de savoir si ces paiements constituaient des frais d"exploration au Canada en vertu de l"alinéa 66.1(6)a ). S"exprimant au nom de la Cour, le juge Hugessen a dit, aux pages 6127 et 6128, que :

                 [p]our ce qui est du droit, il faudrait que les loyers en question soient une " ... dépense ... faite aux fins de déterminer l"existence, la localisation, l"étendue ou la qualité d"un gisement de pétrole ou de gaz naturel " au sens de la définition contenue au sous-alinéa 66.1(6)a)(i) pour être admissibles en tant que frais d"exploration au Canada. Nous partageons l"opinion, manifestement acceptée par le juge de première instance, selon laquelle les paiements destinés au maintien de stocks de terre sur lesquelles des travaux d"exploration, d"aménagement ou de production peuvent ou non être exécutés à une date ultérieure indéterminée ne sont pas visés par cette définition. Nous sommes également d"accord avec le juge Mahoney, alors juge de première instance, qui a dit, dans l"arrêt New Continental Oil Co. c. La Reine , qu"il y a une distinction entre des " paiements en vue de l"obtention du droit de forer et d"explorer " et des " frais assumés dans le cadre de travaux de forage et d"exploration ". D"autre part, nous nous attendrions normalement à ce qu"il y ait tout au moins un lien entre une dépense dont on dit qu"elle a été engagée aux fins de déterminer l"existence, etc. de pétrole ou de gaz naturel sur un bien et les travaux véritablement faits au sol . Par conséquent, et quoique les loyers versés à l"égard de ces portions des stocks de terre sur lesquelles des activités d"exploration ont véritablement eu lieu au cours d"une année d"imposition puissent être admissibles en tant que frais d"exploration au Canada, nous ne jugeons pas nécessaire de nous prononcer sur ce point étant donné que le contribuable n"a pas tenté de chiffrer ces frais, dont le montant serait de toute façon fort peu élevé. Nous sommes tout à fait convaincus que la raison d"être du traitement dont bénéficiaient les frais d"explorations aux termes de la loi était d"encourager l"exploration véritable et non de financer à partir des fonds publics l"accumulation d"énormes stocks inactifs de droits d"exploitation souterraine. [non souligné dans l"original; notes de bas de pages omises]                 

[21]      Est particulièrement pertinente pour les fins du présent appel la conclusion selon laquelle il devrait " normalement " y avoir un lien entre une dépense et les travaux véritablement faits au sol pour que cette dépense ait été engagée en vue de déterminer, notamment, l"existence de pétrole ou de gaz. On peut prétendre que la reconnaissance d"exceptions possibles à la règle constitue une justification valable pour établir une distinction avec la décision rendue par la Cour d"appel de l"Alberta dans Fulcrum . Cette affaire portait sur une loi provinciale, inspirée de la Loi de l"impôt sur le revenu, qui conférait des subventions à ceux qui engageaient des dépenses constituant des frais d"exploration au Canada. Il s"agissait de savoir si les fonds engagés pour des examens géophysiques et pour la production de données sismiques satisfaisaient au critère des fins visées qui était établi dans la disposition correspondant à l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. Le demandeur avait fait effectuer les travaux sismiques par un tiers en vue de vendre les résultats ou de négocier une participation dans une entreprise pétrolière ou gazière. Les données sismiques ont donc été acquises uniquement en vue de leur revente. La Cour d"appel de l"Alberta a confirmé le droit du demandeur à une subvention provinciale relativement à la dépense au motif que celle-ci respectait le critère des fins visées. À la page 316 de ses motifs, cette cour a dit que : [TRADUCTION] " [l]e simple fait que la demanderesse aurait pu vendre les travaux à des étrangers ne lui enlève pas le droit à l"avantage [conféré par la loi provinciale] ".

[22]      Il me semble que l"arrêt Fulcrum peut facilement faire l"objet d"une distinction au niveau des faits. Dans la présente affaire, le contribuable n"a pas engagé de fonds pour procéder à une mise à feu en vue de la vente des données ou de l"octroi de permis à l"égard de leur utilisation, comme dans l"arrêt Fulcrum . De plus, si on tient pour acquis que l"arrêt Fulcrum est incompatible avec la décision rendue par la Cour dans Gulf, la courtoisie judiciaire exige que nous appliquions cette dernière. Mais, il existe une autre raison de ne pas suivre l"arrêt Fulcrum en l"espèce. Cette raison découle d"une analogie faite par la Cour d"appel de l"Alberta. Dans ses motifs, cette cour a déclaré que les données sismiques ne constituaient rien d"autre qu"un " outil de recherche " devant être utilisé dans le cadre de l"exploration gazière ou pétrolière. Dans ce cas, ni le demandeur dans Fulcrum ni Global ne sont donc en position de réclamer une déduction au titre de frais d"exploration au Canada.

[23]      Si on accepte le fait que les données sismiques ne sont rien d"autre qu"un outil de recherche, il faut se demander si un détaillant comme Global ou un manufacturier comme Fulcrum peut prétendre avoir droit à une déduction au titre de frais d"exploration au Canada. La réponse me paraît évidente. Ni l"une ni l"autre de ces entités n"ont engagé de dépenses pour déterminer l"existence de gisements de pétrole et de gaz. Elles ont plutôt engagé des dépenses en vue de favoriser leurs propres intérêts financiers en offrant un produit qui permet à d"autres de faire de l"exploration pétrolière et gazière. À mon avis, un contribuable qui achète des données sismiques en vue de l"octroi de permis ou de la revente n"a pas plus droit à la déduction au titre de frais d"exploration au Canada qu"un détaillant ou un grossiste d"équipement conçu pour faciliter l"exploration pétrolière et gazière. Il me semble que la seule manière d"expliquer l"arrêt Fulcrum est au moyen d"une analyse fondée sur l"objet de l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. Par exemple, on pourrait prétendre que ceux qui recueillent vraiment les données sismiques fournissent un service complet et nécessaire à ceux qui entreprennent l"exploration elle-même. Je remets à une autre occasion l"examen de cette question.

[24]      En bref, je suis d"avis que Global n"a pas droit à une déduction au titre de frais d"exploration au Canada relativement aux données sismiques qu"elle a achetées et pour lesquelles elle a ensuite octroyé des permis. Cela mène à la question de savoir si Global exploitait une entreprise d"exploration pétrolière et gazière. Comme je l"ai mentionné précédemment, le juge de la Cour de l"impôt n"a tiré aucune conclusion de fait explicite sur cette question. Naturellement, il n"avait pas à trancher cette question une fois qu"il avait déterminé que le simple fait d"octroyer des permis d"utilisation des données possédées par Global satisfaisait au critère des fins visées qui est établi par l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu. Le juge de la Cour de l"impôt a toutefois tiré certaines conclusions connexes qui sont pertinentes pour les fins de cette question.

[25]      Les motifs du juge de la Cour de l"impôt et la preuve montrent clairement que Four Star, la société formée dans le but de gérer les données de Global, n"a rien fait pendant plusieurs années sans que Global ne réagisse, et que cette dernière a néanmoins payé des centaines de milliers de dollars à titre de frais de gestion avant de résilier le contrat. C"est là où l"exécution du stratagème fiscal commence à faire défaut.

[26]      Le juge de la Cour de l"impôt a commencé par souligner qu"au cours de la période de dix ans pendant laquelle Global a pris part à des entreprises communes avec Shapco, elle n"avait amassé aucun profit, malgré le fait qu"elle avait dépensé plusieurs millions de dollars. Le seul résultat que Global pouvait exhiber de sa relation de dix ans avec Shapco était " à peu près deux puits [de pétrole] "6.

[27]      Quant aux éléments de preuve selon lesquels de l"exploration pétrolière et gazière a justement été faite à l"aide des données de Global, la preuve est nettement insuffisante. En 1994, soit trois ans après que Global ait acquis les données et que le ministre ait commencé à étudier les transactions en question, Shapco a chargé Ralph Landberg, un géophysicien, de procéder à une " vérification rapide " des données de Global. Le juge de la Cour de l"impôt n"a pas hésité à qualifier cette preuve intéressée comme visant à " donner à la Cour l"impression que [les données de Global] étaient utilisées aux fins d"exploration "7.

[28]      Le vice-président de Shapco, M. McMullen, a témoigné que Shapco gérait les données sismiques de Global pour des fins d"exploration, comme elle le faisait pour d"autres dont les données étaient conservées dans sa bibliothèque. Le juge de la Cour de l"impôt a conclu que Shapco gérait des données sismiques au nom de ses associés en commandite. M. McMullen a témoigné que la procédure suivie par Shapco dans l"exécution de travaux d"exploration consistait à examiner les données sismiques et à choisir ensuite des sites d"exploration appropriés. Il revenait à M. McMullen de décider où forer et qui reçoit quelle participation dans un puit. Le juge de la Cour de l"impôt a conclu de la preuve que les choix personnels de M. McMullen semblaient bénéficier à Shapco plutôt qu"aux investisseurs pour lesquels cette dernière agissait en principe à titre de " fiduciaire ". Le juge de la Cour de l"impôt a fait remarquer que les possibilités d"abus de la part de Shapco étaient nombreuses compte tenu de l"absence de toute entente écrite par laquelle les investisseurs comme Global pouvaient exercer un contrôle sur Shapco8. En outre, le juge de la Cour de l"impôt a souligné que seulement un rapport avait été fourni à Global concernant de l"exploration présumément faite à l"aide des données sismiques achetées par Global en 1992.

[29]      Le juge de la Cour de l"impôt a conclu que, sur les 6 400 kilomètres de données sismiques possédées par Global, M. McMullen pouvait indiquer uniquement que deux ensembles de ses données étaient susceptibles d"avoir été utilisées par Shapco pour décider de forer des puits ou non (il a également conclu que le témoignage de M. McMullen relativement à l"utilisation des données de Global dans le cadre d"autres programmes de forage ne portait pas sur des périodes pendant lesquelles Global possédait les données). Un ensemble de données, qui portait sur 16 kilomètres, constituait la première utilisation possible des données sismiques de Global par Shapco pour des fins d"exploration au nom de Global9. La méthode utilisée pour choisir le chantier de forage en question est décrite par les membres de l"industrie pétrolière comme étant du " ramassage d"ordures", étant donné que le forage est entrepris aux limites d"un champ reconnu ou d"un puit existant. Le juge de la Cour de l"impôt a semblé accepter cette qualification10. Le juge de la Cour de l"impôt a conclu que le deuxième ensemble de données, qui portait sur 120 kilomètres, se rapportait " à la région dans laquelle sont situés les deux puits que Global a aidé à forer "11. Ses motifs n"indiquent pas clairement si les deux puits découlaient de l"entente d"association intervenue antérieurement entre Global et Shapco.

[30]      J"estime que les conclusions du juge de la Cour de l"impôt et la preuve n"appuient pas l"argument que Global utilisait ses données sismiques à des fins d"exploration. Une autre façon d"énoncer cette conclusion est de dire que Global n"a pas réussi à démontrer qu"elle exploitait une entreprise d"exploration pétrolière et gazière. Cela ne veut pas dire que Global était tenue de faire sa propre exploration. Il aurait été suffisant de prouver que quelqu"un d"autre exploitait cette entreprise en son nom, comme, par exemple, Four Star.

[31]      La définition d"" entreprise " qui figure au paragraphe 248(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu n"aide pas à établir ce que constitue une entreprise. D"après la jurisprudence, une entreprise se décrit le mieux comme étant une activité organisée qui est exercée en fonction d"une attente raisonnable de profit. J"aborde ces critères en ordre inversé.

[32]      Lors de leurs plaidoiries, les avocats du ministre ont mis l"accent sur le fait que les revenus découlant de l"octroi de permis relatifs à l"utilisation des données de Global ne suffisaient même pas pour couvrir l"intérêt au taux de 5 % courant sur les 13,2 millions de dollars garantis par le billet avec recours limité. L"essentiel de leur argument était qu"il ne pouvait pas y avoir d"attente raisonnable de profit. Il est facile de comprendre pourquoi Global ne se souciait pas de la question de savoir si l"octroi de permis et les activités d"exploration étaient rentables. Dans la mesure où la totalité du prix d"achat des données sismiques constituait des frais d"exploration au Canada, l"investissement de 1,8 million de dollars en argent comptant fait par Global était compensé par l"économie d"impôt prévue de 9 millions de dollars. Bien que j"aie été impressionné par l"argument des avocats, je ne suis pas prêt à l"accepter parce que demeure la question de savoir quel est le montant des revenus découlant de l"exploration effectuée au nom de Global. Compte tenu de la complexité de la preuve factuelle portant sur cette question, je rejette la demande de me prononcer à cet égard. Pour ce motif, j"aborde maintenant la question de savoir si les activités entreprises au nom de Global peuvent être qualifiées d"effort systématique de gagner un revenu. La stratégie fiscale de Global fait également défaut sur cette question.

[33]      À mon avis, le fait que Four Star n"ait pas effectué d"exploration au nom de Global était fatal pour la stratégie fiscale de Global. Le fait que Shapco ait consacré des efforts au nom de Global ne change rien à cette conclusion. La présumée entente informelle que Global avait avec Shapco (M. McMullen) relativement à l"utilisation des données de Global à des fins d"exploration ne démontre pas qu"une entreprise était exploitée, c"est-à-dire, que ses données étaient utilisées d"une manière organisée et systématique dans le cadre de la recherche de gisements de pétrole et de gaz en fonction d"une attente raisonnable de profit. L"argument selon lequel Shapco a agi en tant que " fiduciaire " est contredit par la conclusion du juge de la Cour de l"impôt que Shapco était plus encline à s"occuper de ses propres intérêts que des intérêts de ceux pour qui elle agissait en principe. En conclusion, l"entente informelle entre Shapco et Global est insuffisante pour démontrer que Global oeuvrait dans le domaine de l"exploration pétrolière et gazière. Subsidiairement, même si cette entente informelle était jugée acceptable, je suis d"avis que la preuve est manifestement insuffisante pour démontrer que Shapco a utilisé les données de Global de façon systématique ou dans une optique commerciale. Seules deux petites parties des données de Global ont vraiment été utilisées à des fins d"exploration. Cela est insuffisant pour appuyer l"argument que Global oeuvrait dans le domaine de l"exploration pétrolière et gazière.

[34]      En conclusion, je suis d"avis que l"achat de données sismiques et l"octroi de permis à leur égard par Global ne satisfont pas au critère des fins visées qui est établi par l"alinéa 66.1(6)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu, et que la preuve n"appuie pas non plus la conclusion que Global utilisait ses données de manière systématique ou dans une optique commerciale à des fins d"exploration pétrolière et gazière. Global n"a donc pas le droit de déduire quelque partie que ce soit du prix d"achat des données au titre de frais d"exploration au Canada pour son année d"imposition 1992. Si toutefois je me trompe et que Global a droit à une déduction, il faut alors déterminer si le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur en limitant la déduction à la sortie de fonds de 1,8 million de dollars.

[35]      Je suis d"accord avec la conclusion du juge de la Cour de l"impôt que le billet avec recours limité au montant de 13,2 millions de dollars n"était pas conforme à la Loi sur les lettres de change . Cependant, le fait que je souscrive à cette opinion ne change pas le fait que ce billet est valide entre les parties. La Loi sur les lettres de change n"entre en jeu que lorsque l"effet de commerce est négocié auprès d"un tiers. En effet, les droits de ce tiers envers le tireur du billet dépendent de la question de savoir si le billet est conforme à cette loi . Cette question ne se pose toutefois pas en l"espèce.

[36]      Le ministre fait valoir deux arguments principaux au soutien de sa position que Global est limitée à une déduction de 1,8 million de dollars. Le premier argument est que la véritable valeur des données sismiques n"excède pas 2 millions de dollars. Le ministre prétend effectivement que la dépense de 15 millions de dollars est déraisonnable au sens de l"article 67 de la Loi de l"impôt sur le revenu. Le deuxième argument est que le billet de 13,2 millions de dollars constitue une dette éventuelle, de sorte qu"il ne constitue pas une dépense, et encore moins des frais d"exploration au Canada. J"aborde les arguments du ministre dans cet ordre.

[37]      On ne peut pas faire autrement que de se poser des questions sur le sens des affaires de Global, qui a accepté de payer 15 millions de dollars pour 6 400 kilomètres de données sismiques alors qu"elle savait, le jour de l"achat, que ces données, conjointement à 1 450 kilomètres de données supplémentaires, avaient été vendues en contrepartie de 2 millions de dollars et du droit de récolter 50 % de tous les revenus provenant de l"octroi de permis au cours des trois années suivantes. Au cours des plaidoiries, il a été admis que les revenus de permis n"étaient pas d"une grande importance puisque personne n"avait l"obligation de produire de tels revenus. Fait important à souligner, toutefois, les revenus de permis qu"a récoltés Global au cours d"une période de cinq ans étaient de 2,7 millions de dollars. De plus, il faut présumer que le montant de la vente faite par Petroseis à Karon représentait la juste valeur marchande puisque les parties n"étaient manifestement pas liées. Comment les soi-disant experts sont-ils donc arrivés à une juste valeur marchande se situant entre 15 millions de dollars et 19 millions de dollars pour les données? Il est évident que les évaluateurs mandatés par Global n"étaient pas prêts à examiner le prix payé pour les données sismiques sur le marché libre. Selon les éléments de preuve non contredits qui ont été présentés par le ministre, les données sismiques se vendent à environ 10 % de la valeur de leur évaluation.

[38]      J"estime que les évaluations qui ne tiennent pas compte des transactions en argent comptant ne sont que des opinions intéressées qui visent à gonfler la valeur des données sismiques et qui doivent donc être rejetées pour les fins fiscales. La statégie fiscale de Global reposait sur une valeur estimée excédant de beaucoup la véritable sortie de fonds. Par conséquent, des contribuables comme Global peuvent rester indifférents à la question de savoir si de l"exploration pétrolière et gazière est faite ou si les données sismiques font l"objet de l"octroi de permis. Cela vient du fait qu"une sortie de fonds de 1,8 million de dollars entraîne une déduction de 15 millions de dollars, résultant en une économie d"impôt de 9 millions de dollars. En outre, Global peut ne pas se soucier de sa responsabilité continue quant au montant de 13,2 millions de dollars garanti par le billet, et ce, pour deux raisons. Premièrement, en vertu du billet avec recours limité, il n"existe aucune possibilité de responsabilité personnelle parce que le recouvrement est limité à la liquidation des données sismiques et de tout élément d"actif pétrolier et gazier détenu à la date de la réalisation. Étant donné que le seul résultat de son association de dix ans avec Shapco que Global pouvait exhiber était une participation dans deux puits, la perspective de perdre ces éléments d"actif n"a pas pu être très inquiétante pour Global. Deuxièmement, et ce qui est le plus pratique, Global ne peut pas être poursuivie pour quelque manquement que ce soit et elle n"est pas tenue non plus de faire des paiements minimum au titre du capital ou des intérêts en vertu du billet. Sa seule obligation consiste à verser un pourcentage de tout revenu de permis, dans la mesure et au moment où ce revenu est reçu. Il revenait à Technical, qui était le vendeur des données sismiques et une société Shapco, de décider de produire ou non de tels revenus. En réalité, Global aurait pu conférer à Technical un billet pour un montant de 15 milliards de dollars sans sourciller, dans la mesure où il s"agissait d"un billet avec recours limité. Il est compréhensible que le ministre ne puisse s"empêcher de froncer les sourcils, que le prix d"achat soit de 15 millions ou de 15 milliards de dollars.

[39]      Il y a un autre fait qui indique la véritable valeur des données sismiques. Apparemment, le rachat de billets avec recours limité pour un prix équivalant à quelques cents par dollar constitue une pratique normale dans l"industrie. Dans la présente affaire, une autre société Shapco a acheté les deux billets que Technical avait remis à Karon relativement à l"achat des données sismiques de Petroseis. La valeur nominale de ces billets totalisait 15 millions de dollars, ce qui n"a pas empêché leur achat pour un montant de 100 000 $. Dans un autre cas, Shapco a acheté dix-sept billets ayant une valeur nominale de 36 millions de dollars pour un montant de 600 000 $. Ces éléments de preuve appuient la conclusion que la véritable valeur des billets n"a aucune relation avec le montant qu"ils indiquent ni, par conséquent, avec le prix payé pour les données sismiques.

[40]      Global réplique en affirmant que seuls ses quatre évaluateurs (trois ont été mandatés avant l"achat et le quatrième pour le procès) avaient une expérience pratique en matière d"évaluation tandis que le témoin-expert du ministre n"avait pas ce point de vue pratique. J"estime que la preuve d"évaluation présentée par Global est irrémédiablement viciée. Le fait que les évaluateurs de Global aient été d"avis que le prix auquel Petroseis a vendu les données à Karon n"avait aucun effet sur la valeur à laquelle ils estimaient les données va à l"encontre tant du sens des affaires que du bon sens.

[41]      En bout de ligne, il est compréhensible que le ministre qualifie les transactions en question de " combine " plutôt que de " frime ". La frime implique la tromperie de la part d"un contribuable; c"est-à-dire, une conduite visant à induire le ministre en erreur quant à la véritable situation. Autrement dit, les documents indiquent une chose tandis que le contribuable en fait une autre. En l"espèce, la documentation ne vise pas à induire le ministre en erreur, mais plutôt à profiter de sa crédulité. Que les contribuables organisent leurs affaires de façon à transférer une perte fiscale d"une société liée à une autre, comme dans l"arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine12, est une chose. C"est une toute autre chose que de créer un marché qui n"existerait pas si ce n"était des valeurs gonflées liées à un produit qui n"est rien de plus qu"une déduction fiscale avec un fort effet de levier.

[42]      En conclusion, je suis d"avis que Global n"a pas réussi à démontrer que les données sismiques qu"elle a achetées avaient une valeur supérieure à 1,8 million de dollars. Si je me trompe à cet égard, ma conclusion subsidiaire est que la dette sous-jacente qui est constatée au moyen du billet ne constitue pas une dépense, et encore moins des frais d"exploration au Canada, parce qu"elle constitue une dette éventuelle. En conséquence, Global ne peut pas réclamer la déduction de la partie du montant du prix d"achat que représente le billet.

[43]      Je partage l"opinion du ministre que le billet de 13,2 millions de dollars constitue une dette éventuelle et qu"en vertu de l"arrêt Mandel v. The Queen13, aucune déduction ne peut être réclamée pour l"année d"imposition 1992 de Global. Dans l"arrêt Mandel , les contribuables réclamaient une déduction pour amortissement relativement à l"acquisition d"un film au montant de 577 000 $. Le prix d"achat n"avait toutefois pas été entièrement payé. Les contribuables avaient versé un acompte de 150 000 $ et avaient convenu de payer le solde à partir des profits engendrés par suite de l"achèvement et de la distribution du film. Les contribuables n"assumaient aucune responsabilité pour le solde du prix de vente si le film n"engendrait pas suffisamment de profits. Le ministre n"a permis que la déduction du montant qui avait réellement été payé. Le juge de la Cour de l"impôt, la Cour d"appel et la Cour suprême ont accepté cette cotisation. Il a été conclu que l"obligation des contribuables de payer le solde du prix d"achat constituait une dette éventuelle parce que ces derniers n"étaient tenus au paiement que si un événement vraiment incertain se produisait, à savoir si le film engendrait suffisamment de profits.

[44]      En l"espèce, le billet avec recours limité constitue une dette éventuelle puisqu"il ne devient exigible que dans la mesure où des revenus de permis sont réalisés, ce qui, par définition, est un événement incertain. Il ne fait aucune doute qu"il existe une dette sous-jacente relativement à l"achat par Global des données sismiques. Il est également vrai que Global assumera une responsabilité personnelle relativement aux revenus de permis réellement reçus. Jusqu"à la réception de ces revenus, toutefois, l"obligation de Global de payer le produit et, en bout de ligne, le solde du prix d"achat, est éventuelle. Naturellement, le droit fiscal ne permet pas la déduction d"une dépense qui peut ne jamais devoir être défrayée.

[45]      À mon avis, les faits de la présente affaire se prêtent parfaitement à l"application des critères établis dans l"arrêt Mandel . De plus, il est clair que Global invoque à tort l"arrêt de la Cour suprême Holt c. Telford14. Il faudrait un autre volume pour expliquer en détails les faits et les questions en litige dans cette affaire, de sorte que je m"en tiendrai à l"essentiel. Dans l"arrêt Telford , la Cour suprême examinait l"article 41 de la Law of Property Act , R.S.A. 1980, ch. L-8, qui restreint les droits d"un créancier hypothécaire dans un cas de défaut d"un débiteur hypothécaire autre qu"une société. Dans un tel cas, le prêteur doit régler la dette sous-jacente en exerçant des recours contre l"immeuble et non pas contre l"emprunteur. S"il y a un manque à gagner suite à la liquidation (par saisie) de l"immeuble, le prêteur ne peut pas poursuivre l"emprunteur personnellement, c"est-à-dire, en vertu de la convention, parce qu"il n"existe aucune responsabilité personnelle du débiteur hypothécaire en vertu de l"article 41. L"arrêt Telford n"est donc valable que pour la proposition que la loi pertinente ne pouvait pas éteindre la dette sous-jacente. L"arrêt Telford ne change rien à ma conclusion, selon laquelle la dette constatée par le billet de 13,2 millions de dollars constitue une dette éventuelle.

DISPOSITIF

[46]      Je suis d"avis de rejeter l"appel interjeté dans le dossier A-427-97 sans frais, comme les parties l"ont convenu. Je suis également d"avis de rejeter l"appel interjeté par Global dans le dossier A-426-97, d"accueillir l"appel incident interjeté par le ministre en annulant le jugement rendu le 27 mai 1997 par la Cour de l"impôt, et de renvoyer l"affaire au ministre pour qu"il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que Global n"a pas droit à une déduction au titre de frais d"exploration au Canada pour l"année d"imposition 1992. Le ministre a droit à un mémoire de frais pour la présente instance et pour l"instance instruite devant la Cour canadienne de l"impôt.

     " J.T. Robertson "

     J.C.A.

" Je souscris aux présents motifs

B.L. Strayer J.A. "

" Je souscris aux présents motifs

Robert Décary J.A. "

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D"APPEL


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                  A-426-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Global Communications Limited c. Sa Majesté La Reine

LIEU DE L"AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)

DATES DE L"AUDIENCE :      les 18 et 19 mai 1999     

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ROBERTSON

Y SOUSCRIVENT :          le juge Strayer

                     le juge Décary

DATÉ DU :                  18 juin 1999

ONT COMPARU :

M. Warren J.A. Mitchell, c.r.                  POUR L"APPELANTE

M. Lorne Green

M. Donald G. Gibson                      POUR L"INTIMÉE

Mme Wendy Burnham

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

THORSTEINSSONS                      POUR L"APPELANTE

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                      POUR L"INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1 Maintenant publiée sous [1997] 3 CTC 2499 (C.C.I.).

2 Ibid., à la page 2520.

3 Ibid., à la page 2518.

4 (1986), 45 Alta. L.R. (2d) 315 (C.A.).

5 92 DTC 6123 (C.A.F.); autorisation d"appeler à la Cour suprême refusée.

6 Global Communications Ltd. v. R., précité, note 1, à la page 2520.

7 Ibid., à la page 2523.

8 Ibid., aux pages 2522 et 2523.

9 Ibid., à la page 2521.

10 Ibid., à la page 2524.

11 Ibid., à la page 2520.

12 [1984] 1 R.C.S. 536.

13 78 DTC 6518 (C.A.F.), conf. par 80 DTC 6148 (C.S.C.).

14 [1987] 2 R.C.S. 193.

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