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Date : 20051219

Dossier : A-258-04

Référence : 2005 CAF 427

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

EURO EXCELLENCE INC.

                                                                                                                                            appelante

et

KRAFT CANADA INC.

KRAFT FOODS SCHWEIZ AG

et

KRAFT FOODS BELGIUM SA

                                                                                                                                              intimées

Audience tenue B Montréal (Québec), le 14 septembre 2005.

Jugement rendu B Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER


Date : 20051219

Dossier : A-258-04

Référence : 2005 CAF 427

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

EURO EXCELLENCE INC.

                                                                                                                                            appelante

et

KRAFT CANADA INC.

KRAFT FOODS SCHWEIZ AG

et

KRAFT FOODS BELGIUM SA

                                                                                                                                              intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS


1.          L'affaire en litige a trait B l'importation parallPle, connue également sous le terme de « marché gris » (voir W. Lee Webster, "Restraining the gray marketer policy and practice" (1987) 4 C.I.P.R. 211).

2.          Le terme « marché gris » (gray market or grey market) s'étend généralement de biens qui sont importés contrairement aux souhaits du titulaire du droit d'auteur ou d'un importateur autorisé dans un territoire spécifique. Il s'agit d'un bien qui, rPgle générale, est légitimement mis sur le marché étranger mais dont la présence sur le marché local est assombrie par suite d'allégations de contrefaçon. D'oj le nom « marché gris » , par opposition au marché noir, oj il y a contravention au droit d'auteur, et au marché blanc, oj il n'y a pas contravention au droit d'auteur (W.L. Hayhurst Q.C., "Intellectual property as a non-tariff barrier in Canada, with particular reference to 'grey goods' and 'parallel imports'" (1990), 31 C.P.R. (3d) 289, B la p. 298).

3.          Il s'agit en l'espPce de déterminer si l'intimée Kraft Canada Inc. (KCI), qui détient depuis octobre 2002 une licence exclusive de production, de reproduction et de distribution pour le Canada du droit d'auteur sur l'éléphant CÔTE D'OR et sur l'ours dans la montagne TOBLERONE, peut, suivant le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d'auteur (L.R. 1985, ch. C-42), (la Loi) obliger l'appelante, Euro Excellence, B masquer l'éléphant CÔTE D'OR et l'ours dans la montagne TOBLERONE reproduits sur les emballages des produits CÔTE D'OR et TOBLERONE vendus par lui. Euro Excellence importe et distribue ces produits au Canada d'une source anonyme en provenance d'un pays européen non identifié. KCI ne conteste pas le caractPre véritable des produits en cause.

4.          MLme si l'éléphant CÔTE D'OR est aussi gaufré dans le chocolat CÔTE D'OR lui-mLme, KCI ne prétend pas empLcher Euro Excellence de poursuivre ses activités d'importation

et de distribution de ces produits. Libre B Euro Excellence de le faire, soutient KCI, B la condition toutefois de respecter les droits d'auteur de KCI sur l'emballage.

5.          Euro Excellence interjette appel d'une décision de la Cour fédérale du Canada (Kraft Canada Inc. et al c. Euro Excellence Inc., [2004] 4 R.C.F. 410, 2004 CF 652, Harrington J.), laquelle a prononcé une injonction permanente l'enjoignant de cesser de vendre, de distribuer, de mettre ou d'offrir en vente des exemplaires des oeuvres protégées (soit l'éléphant CÔTE D'OR et l'ours dans la montagne TOBLERONE). Le juge Harrington soulignait que KCI s'en prenait non pas au produit vendu mais plutôt aux illustrations figurant sur les papiers d'emballage (paragraphe 3 de ses motifs). Dans le but de maintenir une apparence de paix et d'ordre, il n'exigeait pas qu'Euro Excellence rappelle les produits dont elle n'avait plus le contrôle ou qu'elle remette ses stocks B KCI (paragraphe 64 de ses motifs). Le juge Harrington obligeait plutôt l'appelante B masquer les éléments graphiques des emballages, des listes de prix et autres éléments préalablement B la vente, la distribution, la mise ou l'offre en vente, des produits de confiserie CÔTE D'OR et TOBLERONE, notamment des tablettes de chocolat.

6.          Euro Excellence fut condamnée B payer une somme de 300 000 $, calculée en proportion des profits réalisés, en application de l'article 35 de la Loi.

7.          Le juge Harrington émit par la suite une premiPre directive le 9 juin 2004 (Kraft Canada c. Euro Excellence Inc. (2004), 33 C.P.R. (4th) 242, 2004 CF 832), puis une seconde, le 3 septembre 2004 ((2004), 35 C.P.R. (4th) 193, 2004 CF 1215), oj il se déclarait satisfait des mesures de collage prises par Euro Excellence pour masquer l'éléphant CÔTE D'OR et l'ours dans le montagne TOBLERONE sur les emballages des produits importés et distribués au Canada.

8.          Par voie d'appel incident, les intimées demandent B cette Cour de modifier le libellé de l'injonction permanente afin de défendre expressément B l'appelante d'importer et de posséder ces oeuvres en vue de l'accomplissement de l'un des actes visés aux alinéas a) Bc) du paragraphe 27(2) de la Loi.

          I. LES FAITS

9.          Les faits essentiels de cette affaire sont décrits ainsi aux paragraphes 13 B 20 des motifs du premier juge :


13 Kraft Foods Belgium S.A., de Halle en Belgique, fabrique la gamme de produits de confiserie Côte d'Or en Europe. En 1993, elle a autorisé Euro Excellence Inc. B agir comme distributeur canadien. Il s'en est suivi un contrat de distribution exclusive pour le Canada d'une durée de trois ans; ce contrat s'est terminé en décembre 2000. On invoque deux motifs de non-renouvellement. Kraft soutient que bien qu'Euro Excellence ait commercialisé avec succPs Côte d'Or au Québec, elle a fait peu de gains dans le reste du Canada. Euro Excellence soutient pour sa part que Kraft se comportait comme un prédateur, voulait tirer avantage de ses contacts et de son renom et qu'elle tente de la sacrifier sur l'autel de l'intégration multinationale.

14 Kraft Canada Inc. a commencé B distribuer la gamme Côte d'Or en 2001 en vertu d'un contrat. En fait, elle avait eu un contrat antérieur qui remontait B 1990 pour la distribution de Côte d'Or mais n'y avait jamais donné suite. Au début de 2001, Euro Excellence distribuait toujours les produits Côte d'Or. Kraft ne s'en inquiétait pas particuliPrement car elle supposait qu'Euro Excellence liquidait des stocks accumulés, mais elle a bientôt réalisé qu'elle vendait de nouveaux produits venant d'une autre source.

15 Par ailleurs, Euro Excellence a commencé l'importation parallPle de tablettes de chocolat Toblerone que Kraft Canada Inc. distribuait au Canada depuis 1990. Ce qui a particuliPrement irrité Kraft, c'est le fait que le fournisseur d'Euro Excellence lui procure également les tablettes dites "Golden". Ces tablettes, qui, selon ma compréhension, sont beaucoup plus grosses que les tablettes de format normal, ne sont censées Ltre vendues que dans les boutiques hors taxes. En fait, le fabricant Kraft Foods Schweiz AG de GenPve ne les a jamais offertes B Kraft Canada Inc. En conséquence, Euro Excellence distribue un assortiment plus large de produits Toblerone, ce qui peut lui conférer un certain avantage sur le marché.

16 Il n'est pas difficile de voir que le différend s'envenimait. Kraft fait valoir qu'Euro Excellence tire parti de sa publicité, ce qui lui donne un avantage de marché, ajoute des étiquettes autocollantes bon marché qui nuisent B la nature d'un produit de premiPre classe, ne s'est pas conformée aux lois et rPglements canadiens applicables en matiPre d'emballage et d'étiquetage et pourrait de fait avoir menacé la santé et mis Kraft en situation de risque en ne "canadianisant" pas la liste française des ingrédients. A titre d'exemple, un ingrédient était désigné comme "fruits secs", ce qui en Europe semble assez large pour englober les noix, alors que l'expression ne serait pas interprétée de cette maniPre au Canada.

17 En revanche, Kraft Canada Inc. dit prendre beaucoup de soin pour offrir un produit de premiPre classe du point de vue de l'emballage. Dans certains cas, l'emballage dans les usines européennes se fait selon ses propres spécifications, ou alors des étiquettes trPs professionnelles, peu susceptibles d'attirer l'attention, sont apposées sur les produits de maniPre B se conformer B la législation canadienne.

...

18 Dans le but de déjouer Euro Excellence, Kraft Foods Belgium SA a, en octobre 2002, enregistré au Canada dans la catégorie des oeuvres artistiques les trois droits d'auteur se rapportant B Côte d'Or. L'auteur était désigné comme un certain Thierry Bigard. Le mLme jour, un contrat de licence entre elle et Kraft Canada Inc. était également enregistré. La licence conférait B Kraft Canada Inc. :


[TRADUCTION] [...] l'autorisation et le droit exclusifs de produire, de reproduire et d'adapter les Oeuvres ou toute partie importante de celles-ci sur le Territoire, sous quelque forme matérielle que ce soit et d'utiliser et de représenter publiquement les Oeuvres en liaison avec la fabrication, la distribution ou la vente au Canada de produits de confiserie notamment du chocolat.


19 Le mLme jour, Kraft Foods Schweiz AG enregistrait l'ours dans la montagne de Toblerone comme droit d'auteur dans la catégorie des oeuvres artistiques ainsi qu'un contrat de licence similaire avec Kraft Canada Inc.


20 Euro Excellence a été mise en demeure de cesser de distribuer les produits sur lesquels apparaissent l'écriture, l'éléphant et le bouclier rouge de Côte d'Or et l'ours dans la montagne de Toblerone. Elle a refusé d'obtempérer. MLme si l'éléphant de Côte d'Or est aussi gaufré dans le chocolat Côte d'Or lui-mLme, Kraft a précisé qu'elle ne cherche pas B empLcher Euro Excellence de vendre le chocolat, mais uniquement de le distribuer dans le papier d'emballage comportant les oeuvres artistiques enregistrées B titre de droits d'auteur.



II. LA DÉCISION SOUS APPEL

10.        En premiPre instance, Euro Excellence a invoqué des défenses de nature technique basées sur la Loi elle-mLme, ainsi que des défenses fondées sur la compétence en equity de la Cour fédérale. Elle a aussi invoqué les limites constitutionnelles qu'elle prétendait applicables aux dispositions législatives en cause, auxquelles elle ajoutait des limites d'ordre public.

11.        Euro Excellence prétendait que la montagne, l'ours, l'éléphant, l'écriture CÔTE D'OR et le bouclier rouge ne sont pas des illustrations originales et ne peuvent, par conséquent, faire l'objet d'un droit d'auteur. Euro Excellence invoquait également que la chaîne de titres menant B la licence de CÔTE D'OR par KCI était déficiente. Dans le cas de TOBLERONE, la chaîne de titre n'était pas contestée mais la créativité de l'oeuvre l'était. L'appelante mettait en doute le caractPre original d'une oeuvre représentant une montagne couverte de neige, oj la neige adopte en partie la forme d'un ours.

12.        En equity, Euro Excellence prétendait qu'aucune injonction ne pouvait Ltre émise car KCI n'était pas sans reproche. Euro Excellence soutenait que KCI était un prédateur qui essayait de tirer avantage du renom et des contacts qu'aurait établis Euro Excellence qui avait déjB été un distributeur exclusif de la gamme CÔTE D'OR au Canada. Euro Excellence soutenait que le seul objectif poursuivi par les intimées était de lui nuire.


13.        A cela Euro Excellence ajoutait que les dispositions législatives sur le droit d'auteur doivent Ltre interprétées restrictivement afin de ne pas empiéter sur la compétence provinciale en matiPre de propriété et droit civil.

14.        Eu égard B l'ordre public, l'appelante faisait valoir que le droit d'auteur ne saurait Ltre utilisé pour créer un monopole qui porte atteinte au marché du libre échange des biens.

15.        Le premier juge rejeta toutes les prétentions d'Euro Excellence.

16.        Trois droits d'auteur distincts ont été réclamés a l'égard de CÔTE D'OR. L'un porte sur un éléphant tourné ver la droite dont la trompe est courbée vers le haut. Le deuxiPme se rapporte au style d'écriture utilisé pour former les mots « CÔTE D'OR » . Le troisiPme est un genre de bouclier rouge qui sert de fond B la fois pour l'éléphant et pour l'écriture de CÔTE D'OR.


17.        Le premier juge retint de la preuve que Thierry Bigard, en sa qualité de directeur de la création au bureau européen de Landor Associates B Paris, fut responsable, en 1998, de la conception d'une nouvelle identité visuelle pour les produits CÔTE D'OR. La politique chez Landor Associates voulait que les droits découlant du travail créatif des employés appartenaient B Landor en sa qualité d'employeur. Cet obstacle une fois franchi, la chaîne de propriété allant de Thierry Bigard aux diverses sociétés Kraft en passant par Landor était sans reproche.

18.        S'appuyant sur la décision de la Cour suprLme du Canada dans CCH canadienne Ltée c. Barreau du Haut Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, 2004 CSC 13 (CCH), le premier juge conclut que l'éléphant CÔTE D'OR figurant sur les emballages était d'un caractPre original car il était le fruit du talent et du jugement. MLme si l'éléphant avait figuré sur la marque CÔTE D'OR

au moins depuis 1906, et qu'il avait probablement été inspiré d'un timbre-poste de la Guinée, les concepteurs avaient réalisé plusieurs dessins de l'éléphant avant d'arrLter leur choix. Le dessin obtenu résultait d'un effort intellectuel et méritait la protection du droit d'auteur en tant qu'oeuvre originale.

19.        Le premier juge fut cependant d'avis qu'on ne pouvait pas en dire autant de l'écriture CÔTE D'OR et du bouclier rouge. Le texte écrit était un simple changement de police de caractPres, lequel ne bénéficiait pas de la protection du droit d'auteur. Le bouclier rouge, lui non plus, n'avait rien d'original et ne méritait pas la protection du droit d'auteur.


20.        Quant B l'ours TOBLERONE B l'intérieur de la montagne, le premier juge retint que mLme si la montagne représentait le Mont Cervin et que l'ours était l'emblPme du canton de Berne en Suisse oj sont fabriqués les chocolats, l'oeuvre avait néanmoins un caractPre original, et ce, mLme si elle n'était pas représentative de l'art abstrait.

21.        Le premier juge rejeta les prétentions d'Euro Excellence B l'égard des prétendues pratiques commerciales adoptées par les intimées.

22.        Sur le plan constitutionnel, le premier juge fut d'avis qu'il fallait donner pleine force et plein effet au libellé de la Loi, qui relevait de la compétence fédérale, et que l'infraction prévue au paragraphe 27(2) de la Loi ne constituait pas un empiétement sur la compétence des provinces en matiPre de propriété et droits civils. Il rejeta de plus les allégations d'Euro Excellence relatives B l'atteinte B l'ordre public.

23.        S'appuyant sur la jurisprudence canadienne et australienne, le premier juge conclut B l'application du paragraphe 27(2) de la Loi. Il ajouta (para. 60 de ses motifs), qu'il ne s'opposait pas B ce que l'appelante remplace les emballages ou dissimule autrement le matériel protégé par le droit d'auteur. Il accorda B KCI :


1. une injonction permanente interdisant B Euro Excellence Inc., B toute personne morale du mLme groupe, B ses dirigeants, administrateurs, employés, agents et B toute personne sous son autorité, de vendre, distribuer, exposer ou offrir en vente une copie de la totalité ou d'une partie importante des oeuvres artistiques, B savoir des éléments du dessin de l'emballage désignés comme étant l'ours B l'intérieur d'une montagne relativement B Toblerone et l'éléphant relativement B Côte d'Or, décrits ci-dessous :






2. une injonction permanente obligeant Euro Excellence, toute personne morale du mLme groupe, ses dirigeants, administrateurs, employés, agents et toute personne sous son autorité, B prendre les mesures nécessaires, avant de vendre, distribuer, exposer ou offrir en vente tout produit de confiserie Toblerone ou Côte d'Or, notamment des tablettes de chocolat, pour faire en sorte que tout élément du dessin de l'emballage, toute liste de prix ou tout autre article ne constituent pas une contrefaçon;

3. des dommages-intérLts de 300 000 $;

4. l'intérLt avant jugement sur ces dommages-intérLts calculé au taux de 5% par an pour la période du 29 octobre 2002 B la date du jugement;

5. l'intérLt aprPs jugement sur le montant accordé par jugement B un taux commercial, B savoir le taux préférentiel moyen des banques canadiennes majoré de 1%;

6. les dépens.


III. L'APPEL DEVANT NOUS

24.        Euro Excellence a repris devant nous les mLmes arguments que ceux qu'elle avait fait valoir devant le premier juge.


25.        Le premier juge n'ayant, selon nous, commis aucune erreur sur les questions traitées plus haut, sauf peut-Ltre sur deux, nous avons choisi d'entendre l'intimée précisément sur ces deux questions, que nous avons formulées ainsi:

A.     Euro Excellence, en agissant comme elle l'a fait, contrevenait-elle au paragraphe 27(2) de la Loi?

                        B.     Dans l'affirmative, y a-t-il lieu au prononcé d'une détermination des profits comme l'a fait le premier juge?

26.        Je traiterai de ces deux questions.

27.        Je disposerai ensuite de l'appel incident.

            IV. ANALYSE

28.        Avant de procéder B l'analyse des deux questions formulées plus haut, il est utile d'apporter des précisions quant aux produits vendus et B leurs emballages et quant aux licences détenues par les intimées.


29.        KCI importe et distribue au Canada des articles de confiserie sous le nom Jacobs Suchard Canada. Jacobs Suchard Canada détient, depuis le 1er janvier 2001, un permis de distribution exclusive, lequel fut porté B la connaissance d'Euro Excellence. Ce permis se lit comme suit :


La présente est pour confirmer que depuis le 1er janvier 2001, Jacobs Suchard Canada est la seule compagnie autorisée B importer les produits Côte d'Or au Canada directement des usines de production. De fait, Côte d'Or est manufacturé en Belgique sous Kraft Europe.


[C.A., vol. I, p. 133, para. 21 et p. 152]


30.        Kraft Foods Belgium SA (KFB) fabrique les produits vendus sous la marque CÔTE D'OR. Kraft Foods Schweiz AG (KFS) par ailleurs fabrique les produits vendus sous la marque TOBLERONE. Les produits de confiserie vendus par KCI au Canada proviennent uniquement des usines de KFB et de KFS en Europe (affidavit de Marilyn I. Miller, "category business director", KCI, C.A., vol. I, B la p. 131, para. 14). KCI et KFB sont des sociétés affiliées dont la société-mPre est Kraft Foods Inc. (C.A., vol. III, p. 720 et vol. IV, p. 822). Et quoique la preuve ne soit pas spécifique B ce sujet, il y a également lieu de présumer qu'il en est de mLme pour KFS. Le premier juge a noté (voir para. 17 de ses motifs reproduits plus haut) que KCI prend soin d'offrir un produit de premiPre classe du point de vue de son emballage. Dans certains cas, l'emballage dans les usines européennes se fait selon ses propres spécifications ou alors des étiquettes spéciales sont apposées sur les produits de maniPre B se conformer B la Loi sur les aliments et drogues (L.R.C. 1985, ch. F-27), la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation (L.R.C. 1985, ch. C-38) et la Loi sur les poids et mesures (L.R.C. 1985, ch. W-6).

31.        KCI met sur le marché neuf produits CÔTE D'OR alors qu'Euro Excellence en met plus de quarante. KCI a créé cinq emballages spécifiques pour le Canada pour cinq des neuf produits CÔTE D'OR qu'elle vend. Quant aux quatre autres produits CÔTE D'OR, KCI applique un collant sur l'emballage utilisé par le fabricant (C.A., vol. I, p. 136, para. 36 a) et b)).

32.        Quant au produit TOBLERONE, KCI refait l'emballage des produits qu'elle reçoit de KFS de façon B ce qu'ils soient conformes aux lois canadiennes précitées.


33.        KCI n'a pu mettre en preuve aucun bon de commande rempli par Euro Excellence afin d'établir l'origine des produits vendus par Euro Excellence (contre-interrogatoire de Marilyn I. Miller, C.A., vol. III, p. 670, B la p. 744). KCI a demandé B Euro Excellence d'établir la provenance des produits vendus mais celle-ci s'est refusée B répondre (contre-interrogatoire de M. André Clémence, président d'Euro Excellence, C.A., vol. III, p. 466, aux p. 479-481 et 577; contre-interrogatoire de Marilyn I. Miller, C.A., vol. III, p. 670, aux p. 742, 743, 744, 745, 755 bis. 756, 823) ou a simplement affirmé ne pas comprendre la question, telle qu'elle était formulée (contre-interrogatoire de M. André Clémence, C.A., vol. III, p. 466, B la p. 564, ligne 13 et suivantes).

34.        Les intimées admettent par ailleurs que le chocolat vendu par l'appelante est le véritable TOBLERONE et le véritable CÔTE D'OR. Le premier juge a conclu (para. 1 des motifs du jugement) qu'Euro Excellence s'approvisionne « d'une source anonyme dans un pays européen non identifié; elle les importe et les distribue au Canada dans leurs papiers d'emballage européens, en y apposant une étiquette pour se conformer B la réglementation canadienne en matiPre d'emballage » . Rien cependant dans la preuve n'indique l'origine exacte des exemplaires des oeuvres protégées sur les emballages des produits mis sur le marché canadien par Euro Excellence (contre-interrogatoire de Marilyn I. Miller, C.A., vol. III, p. 670, B la p. 743, lignes 2 B 5, ligne 25 et suivantes).

35.        Les intimées ont fait état de l'enregistrement de leurs droits d'auteur et des droits dont elles sont les titulaires en vertu de la Loi (article 53 de la Loi) et en vertu de contrats signés entre elles.


36.        KFB est titulaire du droit d'auteur, enregistré le 25 octobre 2002, sur les titres CÔTE D'OR (C.A., vol. I, p. 48), CÔTE D'OR SHIELD (C.A., vol. I, p. 52), et CÔTE D'OR ÉLÉPHANT (C.A., vol. I, p. 55).

37.        KFS est titulaire du droit d'auteur dans l'oeuvre « TOBLERONE MOUNTAIN » , lequel fut enregistré au Canada le 25 octobre 2002 (CA., vol. I, p. 98).

38.        Le mLme jour, soit le 25 octobre 2002, KCI obtenait l'enregistrement de deux documents, chacun intitulé « Copyright licence agreement » . Ces documents furent signés le 9 octobre 2002. Ces documents accordaient B KCI des licences exclusives pour le Canada sur le droit d'auteur détenu par KFS et sur le droit d'auteur détenu par KFB. Les termes pertinents de ces licences sont les suivants :


2.01      The Licensor grants to the Licensee the sole and exclusive right and license in the Territory to produce, reproduce and adapt the Works or any substantial part thereof, in any material form whatever, and to use and publicly present the Works in association with the manufacture, distribution or sale in Canada of confectionery products, including, but not limited to, chocolate;

2.02       The Licensee shall have no right to sublicense any rights granted to it pursuant to this Agreement, or to consent to the use by any Person of the Works, without the prior written consent of the Licensor;

                                                                                                                 [Je souligne.]


            [C.A., vol. I, p. 101, B la p. 103; p. 120, B la p. 122.]



39.        L'article 2.7 de la Loi confirme que les licences exclusives de KCI lui donnent le droit exclusif de produire et de reproduire les oeuvres protégées (article 3 de la Loi) sur le territoire canadien B l'exclusion des deux titulaires KFB et KFS :

Licence exclusive

2.7 Pour l'application de la présente loi, une licence exclusive est l'autorisation accordée au licencié d'accomplir un acte visé par un droit d'auteur de façon exclusive, qu'elle soit accordée par le titulaire du droit d'auteur ou par une personne déjB titulaire d'une licence exclusive; l'exclusion vise tous les titulaires. Exclusive licence

2.7 For the purposes of this Act, an exclusive licence is an authorization to do any act that is subject to copyright to the exclusion of all others including the copyright owner, whether the authorization is granted by the owner or an exclusive licensee claiming under the owner.

1997, ch. 24, art. 2.

                                                                                                                                         [Je souligne.]             1997, c. 24, s. 2.

                                                                                                                               [Emphasis is mine.]

40.        Euro Excellence reçut notification de l'existence de ces licences exclusives le 28 octobre 2002 (C.A., vol. I, p. 142, para. 47, et p. 226). Ainsi, depuis le 28 octobre 2002, B la connaissance d'Euro Excellence, KCI est devenue la seule personne au Canada qui soit autorisée Bproduire et reproduire les oeuvres sur lesquelles elle détient des licences exclusives de droits d'auteur, mLme B l'encontre des titulaires KFB et KFS.

41.        Les titulaires du droit d'auteur, soit KFB et KFS, n'ont aucun rôle actif dans ces procédures. Elles n'y apparaissent que pour rencontrer les exigences du paragraphe 36(2) de la Loi.

42.        J'aborde maintenant la premiPre question.

A.     Euro Excellence, en agissant comme elle l'a fait, contrevenait-elle au paragraphe 27(2) de la Loi?

1. Le droit

43.        Le paragraphe 27(2) traite de la violation du droit d'auteur B une étape ultérieure. Il peut arriver, en effet, qu'un défendeur soit réputé contrevenir B un droit d'auteur mLme s'il n'a pas produit ou reproduit lui-mLme l'oeuvre protégée.

44.        Le paragraphe 3(1) ainsi que les paragraphes 27(1), (2) et (3) de la Loi se lisent comme suit :


PARTIE I

DROIT D'AUTEUR ET DROITS MORAUX SUR LES OEUVRES            PART I

COPYRIGHT AND MORAL RIGHTS IN WORKS            

Droit d'auteur

3(1) Droit d'auteur sur l'oeuvre

3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

...          Copyright

3(1) Copyright in works

3. (1) For the purposes of this Act, "copyright", in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

...

PARTIE III

VIOLATION DU DROIT D'AUTEUR ET DES DROITS MORAUX, ET CAS D'EXCEPTION    PART III

INFRINGEMENT OF COPYRIGHT AND MORAL RIGHTS AND EXCEPTIONS TO INFRINGEMENT

Violation du droit d'auteur

RPgle générale

RPgle générale

27. (1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.        Infringement of Copyright

General

Infringement generally

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

Violation Bune étape ultérieure

27.(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-aprPs en ce qui a trait Bl'exemplaire d'une oeuvre, d'une fixation d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'une fixation d'un signal de communication alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit :

a) la vente ou la location;

b) la mise en circulation de façon B porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

c) la mise en circulation, la mise ou l'offre en vente ou en location, ou l'exposition en public, dans un but commercial;

d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) B c);

e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) B c).       Secondary infringement

27.(2) It is an infringement of copyright for any person to

(a) sell or rent out,

(b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

(c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

(d) possess for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), or

(e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c),

a copy of a work, sound recording or fixation of a performer's performance or of a communication signal that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.


Précision

(3) Lorsqu'il s'agit de décider si les actes visés aux alinéas (2)a) Bd), dans les cas ojils se rapportent Bun exemplaire importé dans les conditions visées Bl'alinéa (2)e), constituent des violations du droit d'auteur, le fait que l'importateur savait ou aurait df savoir que l'importation de l'exemplaire constituait une violation n'est pas pertinent.             Knowledge of importer

(3) In determining whether there is an infringement under subsection (2) in the case of an activity referred to in any of paragraphs (2)(a) to (d) in relation to a copy that was imported in the circumstances referred to in paragraph (2)(e), it is irrelevant whether the importer knew or should have known that the importation of the copy infringed copyright.

                                                                                                                 [Je souligne.]                         [Emphasis is mine.]


45.        A cela il faut ajouter la définition du mot « contrefaçon » , telle que prévue B l'article 2 de la Loi :


DÉFINITIONS ET DISPOSITIONS INTERPRÉTATIVES INTERPRETATION

Définitions

2. Les définitions qui suivent s'appliquent B la présente loi.            Definitions

2. In this Act,

...          ...


« contrefaçon »

a) A l'égard d'une oeuvre sur laquelle existe un droit d'auteur, toute reproduction, y compris l'imitation déguisée, qui a été faite contrairement B la présente loi ou qui a fait l'objet d'un acte contraire B la présente loi;        "infringing" means

(a) in relation to a work in which copyright subsists, any copy, including any colourable imitation, made or dealt with in contravention of this Act,

...          ...

La présente définition exclut la reproduction -- autre que celle visée par l'alinéa 27(2)e) et l'article 27.1 -- faite avec le consentement du titulaire du droit d'auteur dans le pays de production.       The definition includes a copy that is imported in the circumstances set out in paragraph 27(2)(e) and section 27.1 but does not otherwise include a copy made with the consent of the owner of the copyright in the country where the copy was made;

                                                                                                                 [Je souligne.]                         [Emphasis is mine.]


46.        La derniPre phrase du dernier paragraphe de cette définition indique clairement que les exemplaires d'une oeuvre protégée au Canada mise en circulation Bl'extérieur du Canada peuvent Ltre contrefaisants lorsqu'ils sont importés au Canada. La version française est moins claire puisqu'elle utilise le terme « reproduction » plutôt qu'importation, mais la référence B l'alinéa 27(2)e), qui ne traite que de l'importation, rend le mLme sens que la version anglaise du texte. La version française par ailleurs rend trPs claire l'idée que, hormis le cas visé par l'alinéa 27(2)e), il n'y a pas contrefaçon lorsque la reproduction est faite avec le consentement du titulaire du droit d'auteur dans le pays de production.

47.        Le libellé actuel du paragraphe 27(2) de la Loi est entré en vigueur le 1er septembre 1997. Avant cet amendement, le libellé était demeuré presque inchangé depuis son adoption initiale dans la Loi sur le droit d'auteur de 1921, promulguée en 1924, bien que le numérotage de ce paragraphe était distinct. Le libellé antérieur publié dans les Lois révisées du Canada (1985), c. C-42, était le suivant :


27. (4) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur quiconque, selon le cas:            27. (4) Copyright in a work shall be deemed to be infringed by any person who

a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente ou en location;

       (a) sells or lets for hire, or by way of trade exposes or offers for sale or hire,

b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon Bporter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

       (b) distributes either for the purposes of trade or to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

c) expose commercialement en public;

       (c) by way of trade exhibits in public, or

d) importe pour la vente ou la location au Canada,      

       (d) imports for sale or hire into Canada,


une Éuvre qui, B sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada. any work that to the knowledge of that person infringes copyright or would infringe copyright if it had been made within Canada.

                                                                                                                 [Je souligne.]                         [Emphasis is mine.]


48.        L'amendement de 1997 a donc fait en sorte que les mots « une Éuvre qui [...] viole le droit d'auteur oule violerait si elle avait été produite au Canada » ont été remplacés par les suivants : « exemplaire d'une Éuvre [...] alors que [...] la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit [d'auteur], ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit » (les italiques sont ajoutés).

49.        L'ajout des mots « par la personne qui l'a produit » constitue un changement significatif.


50.        Avant l'ajout dans le texte des mots « par la personne qui l'a produit » , la jurisprudence canadienne les avait déjB inclus. La décision de principe B ce sujet est l'affaire Clarke, Irwin & Co. c. C. Cole & Co. Ltd., [1960] O.R. 117 (H.C.) (Clarke), oj le juge Spence a examiné la violation du droit d'auteur en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur le droit d'auteur de 1952 (S.R.C. 1952, c. 55) dont le texte était presque semblable au paragraphe 27(4) de la Loi de 1985 reproduit plus haut.

51.        Le demandeur dans l'affaire Clarke était le propriétaire exclusif B l'échelle mondiale du droit d'auteur d'un livre. Le demandeur avait vendu B un tiers, Henri Holt & Co. Inc., le droit exclusif de publier l'Éuvre aux États-Unis. Le défendeur avait acheté d'un revendeur américain des exemplaires de l'édition américaine publiée par Henry Holt & Co. Inc. et les avait importés au Canada en vue de les vendre sur le marché canadien.

52.        Le juge Spence a examiné le droit jurisprudentiel britannique et australien concernant le Copyright Act, 1911 du Royaume-Uni (sur lequel la disposition canadienne a été modelée), ainsi que le Rapport sur le droit d'auteur de la Commission royale sur les brevets, le droit d'auteur, les marques de commerce et les dessins industriels (la Commission Ilsley) (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1958). S'appuyant sur ces autorités, le juge Spence a conclu que « the words 'would infringe copyright if it had been made in Canada' mean when applied to the present situation, that the work would infringe copyright if it had been made within Canada by others than the plaintiff including Holt [the authorized US publisher] » .

53.        Dans la décision Clarke, le juge Spence a cité avec approbation le passage suivant du Rapport de la Commission Ilsley (provenant de la page 102 du Rapport dans la version française, et de la page 91 du Rapport dans la version anglaise:)


On remarquera qu'aux termes de notre article 27 [l'actuel article 44], l'importation d'exemplaires d'une Éuvre n'est interdite que si ces exemplaires, s'ils étaient fabriqués au Canada, violeraient le droit d'auteur. Les mots « s'ils étaient fabriqués au Canada » doivent signifier, selon nous, « s'ils étaient fabriqués au Canada par la personne qui les a fabriqués » . Si, par exemple, le titulaire du droit d'auteur canadien au Canada et dans un pays A, avait autorisé leur fabrication par X dans le pays A, mais n'avait pas autorisé leur fabrication par X au Canada, l'article interdirait B toute personne l'importation au Canada d'exemplaires fabriqués par X, aprPs que l'avis approprié aurait été donné. Si quelqu'un tentait d'importer de tels exemplaires, il pourrait les voir arrLter B la frontiPre. Il ne serait pas un contrefacteur B moins que son importation ne soit pour la vente ou la location et qu'il ne sache que l'Éuvre violerait le droit d'auteur si elle avait été fabriquée au Canada. Il ne serait cependant pas capable d'importer les exemplaires.         It will be noted that under our Section 27 [now section 44] the importation of copies of a work is not prohibited unless these copies if made in Canada would infringe copyright. The words "if made in Canada" must mean, we think, "if made in Canada by the person who made them". If, for example, the owner of the Canadian copyright in Canada and in country A had authorized the making of them in country A by X but had not authorized them to be made in Canada by X, the section would prohibit the importation of copies made by X into Canada by anybody after the appropriate notice was given. If anyone attempted to import such copies he might find them stopped at the border. He would not be an infringer unless his importation was for sale or hire and he knew that the work would infringe copyright if it had been made in Canada. But he nevertheless would not be able to import the copies."

                                                                                                                                         [Je souligne.]                                                                                                                                            [Emphasis is mine.]


54.        Ce passage du Rapport de la Commission Ilsley traitait de la disposition qui a trait au recours pour l'importation des exemplaires défendus (l'ancien article 27 et l'actuel article 44) et non pas la disposition concernant la violation B une étape ultérieure par l'importation (l'ancien paragraphe 17(4) et l'actuel alinéa 27(2)e)). Dans l'arrLt Clarke, le juge Spence a cependant étendu l'application de ce raisonnement B la violation B une étape ultérieure par l'importation.

55.        Les décisions jurisprudentielles qui ont suivi n'ont fait qu'appliquer l'affaire Clarke, précité. Voir : Roy Export Co. Establishment c. Gauthier (1973), 10 C.P.R. (2d) 11 (C.F. 1re inst.); Godfrey, MacSkimming & Bacque Ltd. et al. c. Coles Book Stores (1973), 13 C.P.R. (2d) 89 (H. C. Ontario); Fly by Nite Music Co. c. Record Wherehouse Ltd., [1975] C.F. 386 (C.F. 1re inst.); A & M Records of Canada Ltd. et al. c. Millbank Music Corp. Ltd. et al. (1984), 1 C.P.R. (3d) 354 (C.F. 1re inst.); Les Dictionnaires Robert Canada SCC et al. c. Librairie du Nomade Inc. (1987), 16 C.P.R. (3d) 319, [1987] A.C.F. No. 1 (QL) (C.F. 1re inst.). Dans toutes ces causes, pour établir la violation de son droit d'auteur B une étape ultérieure concernant un produit importé, les demandeurs ont prouvé qu'ils avaient le droit exclusif d'employer au Canada le droit d'auteur en question et que les exemplaires importés par les défendeurs n'avaient pas été produits par les demandeurs.

2. Application du droit aux faits

56.        Il n'y a aucune preuve directe identifiant la personne qui a reproduit en Europe les oeuvres protégées sur les emballages des produits mis sur le marché canadien par Euro Excellence. Sans doute le premier juge a-t-il inféré des faits qui étaient devant lui que ces exemplaires des oeuvres protégées avaient été produits en Europe en vertu d'une licence qui n'était pas celle de KCI puisqu'en l'absence de preuve contraire, KCI est présumée ne pas avoir outrepassé les limites de sa licence. Il s'ensuit que cette reproduction, faite vraisemblablement en Europe par KFB et KFS ou sous licences autorisées par elles, n'enfreint pas la Loi, vu les termes du dernier paragraphe de la définition de « contrefaçon » ("infringing") B l'article 2 de la Loi :


La présente définition exclut la reproduction [...] faite avec le consentement du titulaire du droit d'auteur dans le pays de production.         The definition ... does not otherwise include a copy made with the consent of the owner of the copyright in the country where the copy was made;

                                                                                                                 [Je souligne.]                         [Emphasis is mine.]


57.        L'importation des oeuvres protégées en vue de la vente, etc., dans les circonstances décrites B l'alinéa 27(2)e) de la Loi, constitue cependant une violation B une étape ultérieure, pour les raisons qui suivent.


58.        Dans l'affaire CCH, précitée, paragraphe 81, la Cour suprLme du Canada, citant avec approbation le juge Rothstein de notre Cour ([2002] 4 F.C. 213, paragraphe 271), affirmait que trois éléments étaient en général requis pour prouver la violation B une étape ultérieure : (1) qu'il y ait d'abord une violation initiale du droit d'auteur; (2) que l'auteur de la violation B une étape ultérieure sache ou aurait df savoir qu'il utilisait le produit d'une violation initiale du droit d'auteur; (3) et que cet auteur ait posé un des actes contenus dans l'énumération du paragraphe 27(2) de la Loi. La Cour suprLme du Canada ajoutait, au paragraphe 82 : « Vu l'absence de violation initiale, il ne peut y avoir de violation B une étape ultérieure » .

59.        La preuve d'une violation initiale du droit d'auteur n'est cependant pas requise dans le cas de l'alinéa 27(2)e) de la Loi. Dans le cas d'un exemplaire importé dans les circonstances visées par l'alinéa 27(2)e), la Loi reconnaît en effet, au dernier paragraphe de la définition de « contrefaçon » ("infringing") Bl'article 2 de la Loi, l'existence de la contrefaçon :


La présente définition exclut la reproduction - autre que celle visée par l'alinéa 27(2)e) ... The definition includes a copy that is imported in the circumstances set out in paragraph 27(2)(e) ...

                                                                                                                 [Je souligne.]                         [Emphasis is mine.]


60.        Ceci dit, de par les termes mLmes du paragraphe 27(2) de la Loi, dans le cas d'un produit importé dans les conditions visées B l'alinéa 27(2)e), il y a violation du droit d'auteur B une étape ultérieure dans l'accomplissement des actes énumérés aux alinéas 27(2) a) B c), quand la production ou la reproduction de l'oeuvre en question constituerait une violation si elle avait été produite au Canada par la personne qui l'a produite. Ainsi, les reproductions des oeuvres protégées faites hors du Canada, mLme par les titulaires des droits d'auteur KFB et KFS, ne peuvent Ltre importées au Canada par Euro Excellence en vue de l'un ou l'autre des actes énumérés aux alinéas 27(2) a) B c), sans qu'il y ait violation du droit d'auteur de KCI B une étape ultérieure, puisque KCI détient un droit exclusif de reproduction pour le Canada, mLme B l'égard de KFB et de KFS, et qu'Euro Excellence connaissait l'enregistrement pour le Canada des licences exclusives de KCI sur les deux oeuvres.

61.        Il y a donc eu violation B une étape ultérieure du droit d'auteur de KCI par Euro Excellence.

62.        J'aborde maintenant la seconde question.

B.     Dans l'affirmative, y a-t-il lieu au prononcé d'une détermination des profits, comme l'a fait le premier juge?

63.        Le paragraphe 35(1) de la Loi dispose :


Violation du droit d'auteur : responsabilité Liability for infringement

35. (1) Quiconque viole le droit d'auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages-intérLts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu'il a réalisés en commettant cette violation et qui n'ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérLts.            35. (1) Where a person infringes copyright, the person is liable to pay such damages to the owner of the copyright as the owner has suffered due to the infringement and, in addition to those damages, such part of the profits that the infringer has made from the infringement and that were not taken into account in calculating the damages as the court considers just.

                                                                                                                 [Je souligne.]                         [Emphasis is mine.]



64.        Le premier juge, au paragraphe 67 de ses motifs, a fixé B la somme de 300 000 $ les profits qui originent de la contrefaçon. Il qualifie cette somme de dommages-intérLts. Le premier juge a expliqué son raisonnement de la façon suivante :


¶ 67 ... Les ventes brutes d'Euro Excellence ont été divulguées dans le cadre d'une ordonnance de confidentialité et les parties ont convenu que si des dommages-intérLts étaient accordés, ceux-ci devraient Ltre de l'ordre d'un pourcentage convenu des ventes brutes. Ayant cela B l'esprit, je fixe les dommages-intérLts dus B Kraft Canada Inc. B 300 000 $.



65.        L'appelante soutient que le premier juge a fait une application erronée et non justifiée des principes en matiPre de remise des profits. Selon elle, les parties se sont entendues et l'appelante a admis, lors de l'audience, que la marge bénéficiaire de l'appelante sur la vente des produits en litige est de l'ordre de 25 pour cent (25%). C'est donc, dit-elle, de maniPre totalement arbitraire que le premier juge a retenu la responsabilité de l'appelante B environ 42 pour cent (42%) des profits attribuables B la vente des produits TOBLERONE et CÔTE D'OR.

66.        L'appelante prétend de plus que le premier juge a omis de déduire les cofts encourus par elle, notamment ceux relatifs B la machine B étiqueter (C.A., vol. II, onglet 21, p. 236 para. 38 et p. 352-354).

67.        Les intimées soumettent pour leur part, au paragraphe 123 de leur mémoire :


123. In the instant case, however, it was expressly agreed by both parties at the hearing of the Application that the benefit derived by Euro Excellence from its infringement fell within an agreed-upon range of between 10% and 25% of gross revenues. During the relevant period (October 28, 2002 to May 3, 2004), those gross revenues were no less than $2.8 million.




68.        Le dossier ne nous indique pas comment les intimées peuvent affirmer que durant la période pertinente du 28 octobre 2002 au 3 mai 2004, « these gross revenues were no less than $2.8 million » . Par ailleurs, ce dont parle l'appelante est de sa marge bénéficiaire sur la vente des produits en litige.

69.        Devant le caractPre peu satisfaisant du dossier B cet égard, et dans l'intérLt de la justice, je n'ai d'autre choix que celui de retourner le dossier au premier juge pour qu'il puisse clarifier les représentations des parties et qu'il adjuge de nouveau sur les bénéfices dérivant de la contrefaçon. A cela j'ajoute la révision des intérLts, de façon B ce que ce sujet puisse Ltre considéré dans son ensemble.

          V. L'APPEL INCIDENT

70.        KCI sollicite une ordonnance de la Cour défendant B Euro Excellence de posséder ou d'importer les produits en cause au Canada en vue de l'accomplissement de l'un ou l'autre des actes prévus aux alinéas 27(2)a) B c) de la Loi.

71.        Le premier juge ne fit pas écho B ces demandes qui étaient pourtant contenues dans la demande d'injonction (C.A., vol. I, p. 37, B la p. 39). Il rejeta une requLte B cet effet présentée par KCI aprPs le prononcé du jugement (Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. (2004), 33 C.P.R. (4th) 242, 2004 CF 832, para. 1 B 5). Il s'expliqua ainsi aux paragraphes 1 et 4 de ses motifs :


¶ 1       [...] Étant donné que le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d'auteur stipule que la possession ou l'importation au Canada d'oeuvres protégées B ces fins constitue une violation du droit d'auteur, Kraft soutient que j'ai omis par inadvertance d'inclure possession et importation dans l'ordonnance. Ce n'est pas le cas. J'ai délibérément exclus les termes possession et importation dans l'ordonnance.


...


¶ 4      [ ...] Il n'est pas contraire B la Loi sur le droit d'auteur d'importer au Canada et de posséder des tablettes de chocolat Toblerone et Côte d'Or dans des emballages affichant les oeuvres protégées. Ce qui importe, c'est de déterminer dans quel but elles sont importées et possédées. Un voyageur qui apporte une tablette de chocolat Toblerone ou Côte d'Or au Canada, la consomme ici, et jette l'emballage n'est pas en violation de la loi. Je n'avais pas l'intention d'interdire B Euro Excellence d'importer et de posséder les tablettes de chocolat dans leur emballage original. Je n'ai certainement pas mentionné qu'il fallait corriger le problPme de la contrefaçon des emballages en Europe. Pourvu qu'Euro Excellence fasse en sorte que les emballages ne constituent pas des contrefaçons, que ce soit au Canada ou ailleurs, avant de vendre, mettre en circulation, exposer ou offrir en vente le produit en question, elle ne se trouvera pas B violer le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d'auteur.   




72.        Lors de l'audition devant nous, KCI a concédé que l'ajout des interdictions contenues aux alinéas 27(2)d) et e) n'est pas nécessaire vu que le premier juge a prononcé l'injonction B l'égard de l'accomplissement des actes prévus aux alinéas 27(2)a), b) et c). Ainsi, puisqu'Euro Excellence ne peut ni vendre, ni mettre en circulation, ni offrir en vente les produits protégés, Euro Excellence ne peut non plus les posséder ou les importer en vue de les vendre, les mettre en circulation, ou les offrir en vente.

73.        Les demandes contenues dans l'appel incident sont donc superflues. L'appel incident devrait Ltre rejeté.

          VI. CONCLUSION

74.        Je rejetterais l'appel B l'égard des paragraphes 1, 2 et 6 du jugement prononcé par le premier juge. J'accueillerais l'appel B l'égard des paragraphes 3, 4 et 5, j'infirmerais la décision du premier juge B leur sujet et je lui retournerais le dossier pour une nouvelle détermination de ces paragraphes B la lumiPre des motifs exprimés plus haut.

75.        Je rejetterais l'appel incident.

76.        Je n'accorderais pas de dépens vu le succPs partagé.

                                                                                                                                                      

                                                                                                                                     « Alice Desjardins »               

                                                                                                                                                  j.c.a.

« Je suis d'accord.

     Marc Noël j.c.a. »

« Je suis d'accord.

     J.D. Denis Pelletier j.c.a. »



COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                              A-258-04

INTITULÉ :                                                                              EURO EXCELLENCE INC.                          et KRAFT CANADA INC. KRAFT FOODS SCHWEIZ AG et KRAFT FOODS BELGIUM SA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                         Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 14 septembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 19 décembre 2005

COMPARUTIONS:

François Boscher

Pierre-Emmanuel Moyse                            POUR L'APPELANTE      

Timothy M. Lowman

Ken McKay                                               POUR LES INTIMÉES      

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

François Boscher

Avocat

Montréal (QC)                                           POUR L'APPELANTE

Sim, Hughes, Ashton & McKay LLP

Toronto(ON)

                                                                 POUR LES INTIMÉES


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