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Date : 20050808

Dossier : A-441-04

Référence : 2005 CAF 264

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                                      ONALEE KATHLEEN FRYE

                                                                                                                                                  intimée

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 5 mai 2005.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 août 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                                LA COUR


Date : 20050808

Dossier : A-441-04

Référence : 2005 CAF 264

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                                      ONALEE KATHLEEN FRYE

                                                                                                                                                  intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA COUR

Introduction


[1]                Le caporal Lee Arnold Berger, militaire de carrière, a été tué tôt le matin du 3 août 1994, lorsqu'il a été frappé par un camion-remorque. L'accident est survenu alors que le caporal revenait au camp après avoir pris un bain de minuit dans un lac situé près de sa base temporaire à Penticton, en Colombie-Britannique. Plus tôt ce soir-là, il avait signé le registre de sortie et quitté le camp pour aller en ville et était revenu peu avant minuit. Il est ressorti peu de temps après pour aller à la plage, malgré le couvre-feu, mais n'a pas signé le registre.

[2]                Le caporal Berger était en vacances lorsqu'il a été rappelé pour prendre part à la lutte contre les incendies de forêt en Colombie-Britannique. Pendant la durée de son déploiement, il était « de service » 24 heures par jour, sept jours par semaine. Il avait participé aux opérations de lutte contre les incendies pendant 16 heures le jour où il est allé se baigner à la plage.

[3]                Le ministre des Anciens combattants a refusé la demande de pension que la veuve du caporal Berger, Onalee Kathleen Frye, a présentée au motif que celle-ci n'avait pas prouvé que le décès du caporal Berger résultait d'une blessure « consécutive ou rattachée directement » au service militaire, comme l'exige l'alinéa 21(2)b) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-7 (la Loi). Ce refus a été confirmé dans une série de décisions du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal). Cependant, dans une demande de contrôle judiciaire, un juge de la Cour fédérale a cassé la décision et renvoyé l'affaire au Tribunal pour qu'il la réexamine en prenant en considération que le décès de M. Berger était consécutif ou rattaché directement au service militaire : Frye c. Canada (Procureur général) (2004), 256 F.T.R. 285. Le ministre a interjeté appel devant la Cour d'appel fédérale, soutenant que le juge avait en fait substitué son opinion à celle du Tribunal en ce qui concerne le fond de l'affaire plutôt que de s'en remettre à celui-ci.


[4]                Onze années se sont écoulées depuis le décès tragique du caporal Berger. L'affaire n'aurait probablement pas été litigieuse et Mme Frye aurait sans doute touché une pension si l'accident était survenu après que la Loi a été modifiée par les articles 1 à 3 du chapitre 12 des Lois du Canada de 2003. Les modifications en question ont eu pour effet de permettre à une personne de réclamer une pension en démontrant qu'un membre des Forces armées avait été blessé ou tué alors qu'il était en « service spécial » , ce qui pouvait comprendre le service comportant un « risque élevé » , comme c'est le cas des opérations de lutte contre les feux de forêt. En pareil cas, la personne qui réclame une pension ne serait pas tenue de prouver que le décès ou la blessure était consécutif ou rattaché directement au service militaire du membre. Les modifications ne s'appliquaient pas rétroactivement à l'année 1994.

Les faits à l'origine du litige

[5]                Après le refus de sa demande de pension par le ministre, Mme Frye a demandé au Tribunal de réviser cette décision. Un comité de révision du Tribunal a confirmé la décision du ministre, concluant que le décès du caporal Berger n'était pas consécutif ou rattaché directement au service militaire du membre, comme l'exige l'alinéa 21(2)b) de la Loi, dont voici le libellé :

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

b) des pensions sont accordées à l'égard des membres des forces, conformément aux taux prévus à l'annexe II, en cas de décès causé par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(b) where a member of the forces dies as a result of an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall be awarded in respect of the member in accordance with the rates set out in Schedule II;

[6]                Mme Frye a interjeté appel de la décision du comité de révision, que le comité d'appel du Tribunal a confirmée dans une décision datée du 14 juillet 1999 au motif que, étant donné que le caporal Berger « profitait de la politique de loisir et de détente » lorsqu'il a été tué, son décès n'était pas consécutif ou rattaché directement à son service militaire.

[7]                Le comité d'appel a également décidé que le décès ne pouvait être réputé être consécutif au service militaire au sens de l'alinéa 21(3)f) de la Loi, dont le texte est le suivant :

(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

...

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

...

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

...

f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member;

...


[8]                Mme Frye a demandé un réexamen de la décision rendue en appel au motif que l'alinéa 21(3)f) s'appliquait. Cependant, dans la décision de réexamen qu'il a rendue le 23 septembre 2003, un comité d'appel a confirmé cette décision, concluant que les circonstances entourant l'accident ne satisfaisaient pas au critère de la présomption énoncée à l'alinéa 21(3)f). Plus précisément, le comité s'est fondé sur le fait que le caporal Berger avait quitté le camp sans signer le registre et a conclu comme suit (à la page 2 de la décision de réexamen) :

[TRADUCTION]

Il pouvait se livrer aux activités de son choix pendant cette absence et aucun élément de preuve ne montre qu'il a été influencé d'une façon ou d'une autre par les ordres de son supérieur à cet égard.

[9]                Dans les motifs de sa décision d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, le juge a décidé que Mme Frye n'avait droit à une pension que si elle pouvait prouver que le décès de son mari était « rattaché directement » au service militaire de celui-ci et non simplement « consécutif » au service en question. Cependant, il a conclu que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, Mme Frye avait établi le lien de causalité direct ou étroit nécessaire entre le décès du caporal Berger et le service militaire de celui-ci.

La décision visée par le contrôle judiciaire

[10]            Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, Mme Frye mentionne que la décision en cause est la décision de réexamen du Tribunal. Néanmoins, il est admis de part et d'autre que, au cours de la révision de cette dernière décision, la Cour doit également examiner la décision relative à l'appel que le Tribunal a rendue.


La norme de contrôle

[11]            Se fondant sur une analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) a conclu, dans McTague c. Canada (Procureur général), [2001] C.F. 647 (1re inst.), que les décisions du Tribunal sur la question de savoir si une blessure était « consécutive ou rattachée directement » au service militaire pour l'application de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[12]            Cependant, lorsque les questions en litige sont purement factuelles, la norme s'apparente à la décision manifestement déraisonnable, comme le prévoit l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (Bradley c. Canada (Procureur général) (2004), 257 F.T.R. 73, 2004 C.F. 996, au paragraphe 11). Lorsque l'interprétation que le Tribunal donne à la Loi est en litige, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit (Bradley c. Canada (Procureur général) (2001), 208 F.T.R. 253, 2001 CFPI 793, au paragraphe 18 (Bradley I).

[13]            Les mêmes facteurs pragmatiques et fonctionnels sont tout aussi pertinents quant à la décision fondée sur l'alinéa 21(2)b) et les mêmes normes de contrôle s'appliquent.


L'interprétation de la Loi

une interprétation libérale et généreuse

[14]            La législation relative au bien-être social doit être interprétée de manière libérale. Ce principe a été énoncé pour la première fois par la Cour suprême du Canada dans Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, dans le contexte de l'assurance-chômage, où la juge Wilson s'est exprimée comme suit (à la page 10) :

Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.

Voir également, dans le même sens, Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada) c. Gagnon, [1988] 2 R.C.S. 29, et Caron c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 1 R.C.S. 48.

[15]            Ces principes d'interprétation ont également été appliqués dans le contexte de la législation relative aux normes d'emploi. Ainsi, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a souligné que, à titre de loi conférant des avantages, la Loi sur les normes d'emploi devrait être interprétée de façon libérale et généreuse et que tout doute découlant de son texte devrait être résolu en faveur du demandeur. Voici comment elle s'est exprimée (à la page 47) :


Enfin, en ce qui concerne l'économie de la loi, puisque la LNE constitue un mécanisme prévoyant des normes et des avantages minimaux pour protéger les intérêts des employés, on peut la qualifier de loi conférant des avantages. À ce titre, conformément à plusieurs arrêts de notre Cour, elle doit être interprétée de façon libérale et généreuse. Tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeur (citations omises) Il me semble que, en limitant cette analyse au sens ordinaire des art. 40 et 40a de la LNE, la Cour d'appel a adopté une méthode trop restrictive qui n'est pas compatible avec l'économie de la Loi.

[16]            Dans la même veine, dans le contexte du Régime de pensions du Canada, le juge en chef Isaacs a tenu les propos suivants dans Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 C.F. 130, au paragraphe 28 (C.A.) :

Il me semble manifeste que le Régime est une loi conférant des avantages semblable à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Le Régime prévoit le paiement de prestations d'invalidité à des personnes qui ont cotisé au régime [...]

[17]            À l'instar du Régime de pensions du Canada, la Loi sur les pensions prévoit des pensions et des prestations d'invalidité en faveur des demandeurs et des personnes à leur charge et est donc une loi « conférant des avantages » . Le préambule comporte le texte suivant :

Loi prévoyant des pensions et d'autres avantages [...]

[18]            Le principe selon lequel, à titre de loi conférant des avantages, la Loi devrait recevoir une interprétation libérale est appuyé non seulement par la jurisprudence, mais également par des dispositions claires du texte législatif en cause, notamment l'article 2 :

2. Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

2.The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.


[19]            La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, appuie elle aussi une interprétation et une application libérales et généreuses de la Loi. Elle énonce que la Loi doit être interprétée de façon large et que le Tribunal doit tirer des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possibles au demandeur, accepter tout élément de preuve non contredit que celui-ci lui présente et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence et trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande. Voici le texte des dispositions pertinentes :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


[20]            L'effet de l'article 39 a été examiné dans Metcalfe c. Canada (Procureur général) (1999), 160 F.T.R. 281, où le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) s'est exprimé comme suit (au paragraphe 17) :

Bien que les alinéas a), b) et c) de cette disposition ne peuvent avoir pour effet d'inverser le fardeau de la preuve en exigeant que le défendeur établisse que la blessure ou l'état pathologique de l'ancien combattant n'est pas attribuable au service militaire, ils vont largement en ce sens; ils prévoient, en effet, qu'il convient de trancher toute incertitude raisonnable en faveur des demandeurs

« consécutive ou rattachée directement » au service militaire

[21]            Pour interpréter la Loi sur les pensions de manière libérale, conformément à la volonté exprimée par le Parlement et aux principes exposés plus haut, il est nécessaire de donner aux mots « arising out of » (consécutive) de l'alinéa 21(2)b) une interprétation large. Ainsi, dans Amos c. Insurance Corp of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405, les mots « arising out of » (découle de) utilisés dans un autre texte législatif ont reçu une interprétation large et le juge Major a tenu les propos suivants (au paragraphe 21) :

La question est de savoir si le lien de causalité requis existe entre les coups de feu et la propriété, l'utilisation ou la conduite de la fourgonnette. En ce qui concerne la causalité, il est clair qu'on ne requiert pas l'existence d'un lien de causalité direct ou immédiat entre les blessures subies et la propriété, l'utilisation ou la conduite d'un véhicule. L'expression « découle de » est plus générale que l'expression « causé par » et doit recevoir une interprétation plus libérale.


[22]            Plusieurs tribunaux ont depuis appliqué ce raisonnement pour décider si les blessures subies découlaient de l'utilisation d'un véhicule automobile dans le contexte des assurances. Même si, dans certains cas, le véhicule n'a joué qu'un rôle mineur en ce qui concerne les blessures, les tribunaux ont conclu qu'un lien de causalité suffisant existait entre celles-ci et l'utilisation du véhicule : voir, par exemple, Lefor (Litigation guardian of) c. McClure (2000), 49 O.R. (3d) 577 (C.A.).

[23]            Dans la présente affaire, le juge des demandes a adopté à bon escient une interprétation large de la Loi sur les pensions. Cependant, il a également décidé que le mot « consécutive » du texte français de l'alinéa 21(1)b) a introduit une nuance qui ne figure pas dans l'expression anglaise correspondante « arising out » , qui est plus large. En conséquence, il a décidé (au paragraphe 22) que les mots déterminants étaient « rattachée directement » qui, selon lui, sont synonymes de « causée directement par » .

[24]            Cependant, nous ne sommes pas d'accord avec cette analyse. Elle va à l'encontre de l'interprétation large que le juge avait adoptée et n'est pas exigée par le texte de la Loi.

[25]            D'abord, comme le juge lui-même l'a souligné (au paragraphe 20), il est significatif que les mots « consécutive » et « rattachée directement » sont unis par le mot « ou » . Cela semblerait indiquer que le Parlement n'avait pas l'intention de prévoir que le demandeur serait admissible à toucher une pension uniquement si la blessure ou le décès était à la fois « consécutif » et « rattaché directement » au service militaire.


[26]            En deuxième lieu, nous ne sommes pas convaincus que le mot « consécutive » impose la restriction que le juge des demandes a décrite et nous ne croyons pas que le Tribunal a commis une erreur parce qu'il n'a pas examiné le sens du mot « directement » .

[27]            Ainsi, dans le Harrap's Standard French and English Dictionary de 1980, le mot « consécutif » est ainsi défini :

consécutif, -I've : [...] fatigue consécutive à une longue marche, fatigue resulting from a long march; infirmité consécutive à une blessure, infirmity due to, following upon, consequent upon a wound.

[Non souligné dans l'original.]

Dans la même veine, les définitions de « consécutif » qui figurent dans Le nouveau petit Robert, Nouv. Ed. du petit Robert, comprennent :

qui suit, résulte de, est une conséquence de ...

À notre avis, ces définitions ne suggèrent pas un lien de causalité plus étroit entre les événements que l'expression anglaise non spécifique « arising out of » .


[28]            Même si nous avons tort de penser qu'il n'y a aucune différence entre les deux versions officielles de l'alinéa 21(1)b), il convient de choisir le sens plus large lorsque ce sens exprime mieux l'intention du Parlement. Ainsi, dans R. c. Compagnie Immobilière, [1979] 1 R.C.S. 865, la Cour suprême du Canada devait décider si les mots « dispose of » du paragraphe 1100(2) du Règlement de l'impôt sur le revenu devraient être interprétés de façon restrictive en raison du mot « aliénés » de la version française, qui a un sens plus restreint. La Cour a décidé que, étant donné que le mot anglais favorisait davantage la réalisation des objets de la disposition législative, il n'y avait pas lieu de retenir la version française qui était plus restrictive. Les commentaires suivants du juge Pratte (à la page 872) s'appliquent tout aussi bien en l'espèce :

J'estime donc qu'il ne faut pas retenir la version la plus restrictive si elle va clairement à l'encontre du but de la loi et compromet la réalisation de ses objets au lieu de l'assurer.

Pour un exemple plus récent de l'application de ce principe, voir Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, à la page 879.

[29]            Par conséquent, étant donné que l'objet de la Loi sur les pensions est de prévoir des pensions dans des circonstances définies, qui doivent être interprétées de façon libérale et généreuse, une interprétation large de l'alinéa 21(1)b) s'impose afin de faciliter l'admissibilité. Nous sommes donc d'avis qu'un demandeur peut être visé par l'alinéa 21(1)b) en établissant que le décès ou la blessure est consécutif au service militaire, qu'il y ait ou non un lien direct entre eux. En d'autres termes, même s'il ne suffit pas de prouver que la personne servait dans les Forces armées à l'époque, il n'est pas nécessaire que le demandeur établisse un lien de causalité direct ou immédiat entre le décès ou la blessure et le service militaire.

L'erreur du Tribunal


[30]            Il appert des motifs de la décision relative à l'appel qui a été rendue le 14 juillet 1999 que le Tribunal a mal interprété le mot « consécutive » en disant que ce mot exigeait un lien de causalité immédiat entre le décès du caporal Berger et son service militaire. L'extrait qui suit des motifs de la décision relative à l'appel (à la page 7) montre implicitement que, de l'avis du Tribunal, le décès du caporal n'était pas consécutif ou rattaché directement au service militaire parce qu'il est survenu pendant que le caporal s'adonnait à un loisir :

[TRADUCTION]

[...] Le Tribunal en arrive à la conclusion que, lorsque le caporal Berger est allé en ville, il a débuté une activité récréative et mis fin à la relation qu'il avait avec le service.

Dans la même veine, le Tribunal estime que la baignade qui a suivi la randonnée en ville était une activité récréative. La baignade, dans ce cas-ci, est une activité courante à laquelle le défunt pouvait s'adonner en tout temps lorsqu'il n'exerçait pas les fonctions auxquelles il avait été affecté.

[31]            Le Tribunal semble donc avoir considéré les activités récréatives et les activités du service militaire comme des catégories qui s'excluent l'une et l'autre, de sorte que, étant donné que le décès du caporal Berger est survenu pendant une activité récréative, il n'était pas consécutif au service militaire. Par ce raisonnement, le Tribunal a omis d'examiner l'ensemble des circonstances pour savoir si, tout en étant lié à une activité récréative, le décès du caporal Berger n'était pas également suffisamment lié au service militaire pour qu'il soit permis de dire qu'il était consécutif à celui-ci. Cette interprétation restrictive des mots « consécutive ou rattachée directement » n'est pas compatible avec l'interprétation libérale et généreuse que la Loi doit recevoir.

[32]            Une erreur similaire a été décelée dans Bradley I, où le demandeur avait subi une blessure pendant qu'il prenait sa douche à bord d'un navire. La demande de pension du demandeur a été refusée parce que le fait de prendre une douche a été considéré comme une « activité normale » . Le juge MacKay s'est exprimé comme suit (au paragraphe 25) :


En l'espèce, le Tribunal a déclaré que le demandeur s'adonnait à une activité personnelle de la vie courante lorsque l'accident s'est produit et que, comme il s'agit d'une activité courante qui peut être exercée n'importe où, la blessure n'était pas consécutive à son service militaire et n'y était pas rattachée directement. Ce n'est toutefois pas l'activité de prendre une douche considérée isolément et indépendamment du service militaire de M. Bradley qui importe. Cette activité pouvait avoir lieu n'importe où, mais en l'espèce le demandeur se trouvait en service commandé à bord d'un navire et il ne pouvait prendre une douche qu'à bord de ce navire, qui se trouvait alors loin de son port d'attache. Bien qu'il n'ait pas reçu l'ordre de prendre une douche, M. Bradley a pris une douche à bord du NCSM Qu'Appelle parce qu'il n'avait pas d'autre choix. Si l'on suppose pour l'instant que l'invalidité dont il affirme être victime est consécutive à cette activité, la question de savoir si elle est consécutive à son service militaire est la question que le Tribunal aurait dû trancher. Je constate que, dans la décision qu'il a rendue au sujet de la première demande de contrôle judiciaire, mon collègue le juge Blais a expressément conclu que le demandeur était en formation au moment de l'incident qui serait survenu à bord du « Qu'Appelle » .

[33]            Pour interpréter l'alinéa 21(2)b) de façon libérale et généreuse, le Tribunal aurait dû examiner l'ensemble des circonstances dans lesquelles le caporal Berger a été tué afin de décider si le lien de causalité entre la baignade « récréative » et le service militaire était suffisant pour établir l'admissibilité de Mme Frye à une pension.

[34]            Dans ce contexte, le Tribunal aurait dû accorder une certaine importance à l'affirmation du commandant, le lieutenant-colonel Leslie, selon laquelle il avait approuvé une politique de loisir et de détente afin d'éviter que les soldats ne s'épuisent après avoir travaillé de longues heures à combattre les feux de forêt dans des conditions sales, pénibles et dangereuses.


[35]            Bien que la preuve ne permette pas de savoir si la baignade à la plage était autorisée par la politique de loisir et de détente, la baignade peut raisonnablement être considérée comme une activité bénéfique qui permet aux soldats de se détendre avant de reprendre les activités de lutte contre les feux de forêt le lendemain. De plus, l'inscription des mots [TRADUCTION] « plage » et [TRADUCTION] « ville » comme destinations dans les registres du camp permet de déduire que les officiers toléraient les sorties à la plage et à la ville, que la baignade « récréative » ait été officiellement approuvée ou non dans une politique.

La réparation

[36]            Le ministre soutient que le juge des demandes a commis une erreur lorsqu'il a renvoyé l'affaire au Tribunal pour qu'il la réexamine en prenant en considération que le décès de M. Berger est consécutif ou rattaché directement au service militaire. Selon le ministre, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale ne devrait ordonner le résultat définitif d'un litige que dans les cas les plus patents, ce que la présente affaire n'est pas.

[37]            Il est loisible au juge des demandes de déterminer les directives à donner au tribunal dont il infirme la décision. Nous ne sommes pas convaincus que le juge a commis une erreur de principe dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a donné la directive en question. À notre avis, le juge pouvait conclure à bon escient que, si le Tribunal avait interprété la Loi correctement et l'avait appliquée d'une manière libérale et généreuse, comme l'exige la loi, la seule conclusion raisonnable qu'il aurait pu tirer des faits était que le décès du caporal Berger était consécutif ou rattaché directement à son service militaire.


Conclusion

[38]            Pour les motifs exposés ci-dessus, l'appel sera rejeté avec dépens.

                  « A.M. Linden »                  

                                                                                                     Juge                                    

                  « J. Edgar Sexton »              

                                                                                                     Juge                                     

                  « John M. Evans »               

                                                                                                     Juge                                     

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                A-441-04

INTITULÉ :               LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

ONALEE KATHLEEN FRYE

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 5 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR :         LES JUGES LINDEN, SEXTON et EVANS

DATE DES MOTIFS :           LE 8 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Cynthia Koller et Natalie Henein                                    POUR L'APPELANT

Brad Moore                              POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR L'APPELANT

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Toronto (Ont.)                           POUR L'INTIMÉE


Date : 20050808

Dossier : A-441-04

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                               appelant

                                                     et

                              ONALEE KATHLEEN FRYE

                                                                                                  intimée

                                           JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                   « A.M. Linden »                  

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

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