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                                                                                                                           ITA-5021-95

                                                                                                                           ITA-1325-96

 

 

AFFAIRE intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

 

ET une ou plusieurs cotisations établies par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l'impôt sur le revenu contre

 

                                    GORDON VICTOR BUCK

                                    44834 South Sumas Road

                                    Sardis, en la province de la Colombie-Britannique

                                    V2R 1B3

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le protonotaire JOHN A. HARGRAVE

 

 

            Les présents motifs se rapportent à la dette fiscale de M. Gordon Buck envers le ministre du Revenu national et à la requête qu'il a introduite pour empêcher celui-ci de saisir ses biens meubles et immeubles et pour se faire restituer des actions de catégorie «A» dans Gordon Buck Investments Ltd., saisies par huissier en vertu d'un bref de saisie-exécution.

 

LE CONTEXTE

            Les mesures prises par la Couronne pour recouvrer la créance fiscale remontent à 1994, année au cours de laquelle diverses propositions de paiement échelonné ont été discutées et certains paiements effectués.  Par la suite, le ministre a établi et déposé deux certificats sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, le premier en mai 1995 pour la somme de 75 250,13 $, et le second en février 1996 pour la somme de 15 087,38 $.  À un moment donné, la Couronne a enregistré ces deux certificats à titre d'hypothèques  contre la maison de M. Buck.  C'est en octobre 1996 que le shérif a saisi les actions de la compagnie.  Jusqu'ici la Couronne n'en a encore réalisé aucune.

 

            Au mois de septembre 1996, la dette fiscale s'élevait, selon le ministre, à 46 000,00 $.  M. Buck estime que la somme due devait être bien inférieure, mais il n'a pas tenu compte dans ses calculs des intérêts réclamés par le ministre.  Ce qu'il faut cependant examiner en l'espèce, c'est si le ministre a abusé des moyens de recouvrement en ce qu'il a non seulement enregistré les certificats d'impôt contre la maison de M. Buck, mais a aussi saisi ses actions assorties du droit de vote dans son entreprise de construction.

 

            M. Buck, qui occupe pour lui-même, estime que le ministre dispose d'une garantie plus que suffisante dans la valeur nette de sa maison, et n'avait aucune raison de saisir les actions dans sa compagnie.  Il fait savoir qu'il a subi des pertes et des difficultés en raison de la conjoncture défavorable, mais que sa compagnie, tout en manquant pour le moment de liquidités en raison du marasme du marché immobilier, avait une valeur nette substantielle sous forme de logements en copropriété non encore vendus, et que la perte de contrôle sur la compagnie, par suite de la perte des actions assorties du droit de vote, signifiait qu'il ne pouvait pas poursuivre son entreprise.

 

            L'avocat du ministre fait valoir que la Couronne n'a pas pour commerce de vendre des maisons et qu'étant donné la situation nette substantielle de M. Buck, telle qu'en fait état son bilan arrêté au 24 mars 1995, il devrait être en mesure d'acquitter son arriéré d'impôt.

 

            À la clôture de l'audience tenue le 13 janvier 1997 et compte tenu du principe qu'il faut trouver un juste milieu entre le droit du créancier au paiement et la protection du débiteur contre la coercition abusive, je me suis référé à la jurisprudence Gawler v. Chaplin (1848), 2 Ex. 503, 154 E.R. 590, où le baron Parke a fait observer que [TRADUCTION] «En cas de saisie-exécution des biens d'une personne, le shérif a pour obligation de ne saisir que la quantité de biens qui seraient raisonnablement suffisants pour régler la somme inscrite sur le bref» (E.R., p. 592)[1].  J'ai évoqué ce principe non pas pour diminuer le droit de la Couronne au règlement des certificats d'impôt correctement établis, mais, comme je l'ai noté, pour m'assurer qu'il y a un juste milieu entre les droits respectifs du créancier et du débiteur et que ce dernier n'est pas victime de moyens de recouvrement excessifs.  À l'issue de l'audience, j'ai pris l'affaire en délibéré.  Par la suite, et avant que je ne sois parvenu à aucune conclusion, l'avocat de la Couronne a demandé à présenter d'autres arguments écrits, en indiquant que les actions en question ne seraient pas mises en vente avant l'issue de sa requête.  Considérant qu'il est conforme à la justice que l'une et l'autre parties aient la possibilité, dans un délai déterminé, de présenter leurs conclusions au regard du principe dégagé dans Gawler v. Chaplin, je lui en ai accordé la permission.  La Couronne a présenté d'autres arguments.  M. Buck ne l'a pas fait.

 

ANALYSE

            La valeur nette des actions de M. Buck dans la compagnie, du moins en 1995, était de quelque 112 000,00 $.  Sa dette fiscale s'élevait, selon les calculs de la Couronne, à quelque 46 000,00 $.  L'avocat de la Couronne oppose l'exception de l'élément d'actif unique à la règle Gawler v. Chaplin, laquelle exception pose que si le débiteur n'a qu'un seul élément d'actif, dont la valeur dépasse de beaucoup la somme adjugée par jugement, le shérif peut toujours le saisir, le vendre puis payer au créancier la somme due, et retenir le solde pour le débiteur; voir par exemple Wooddye v. Coles Baily of Southwark, [1595] Noy 59, 74 E.R. 1027.  L'ouvrage Creditor-Debtor Law in Canada de Dunlop (Carswell, 1995) fait état en page 298 de nouvelles illustrations de cette exception, dont Anderson v. Liddell (1967-1968), 117 C.L.R. 36, pages 45, 50 et 51, décision de la Cour d'appel de l'Australie sur la vente d'un terrain valant peut-être deux fois la somme accordée par jugement au créancier.  Jugé que le shérif avait le droit de saisir un bien d'importance, aussi excessif que pût être le produit de sa vente, puisqu'il s'agissait là de son obligation envers le créancier reconnu par jugement.  Cependant, la saisie en l'espèce du certificat d'actions représentant les actions assorties du droit de vote dans la compagnie de M. Buck, qui valaient plus de deux fois le montant de la dette fiscale, ne représente pas le véritable problème.  Le problème tient à la conjugaison de cette saisie des actions dans la compagnie et de l'enregistrement des certificats d'impôt, qui ont valeur de jugements, contre la maison de M. Buck.  Il est vrai que le créancier peut exercer des voies de droit cumulatives, mais l'exécution cumulative peut être un abus des procédures.

 

            La réponse réside en partie dans le principe que l'enregistrement d'un jugement, en l'occurrence d'un certificat d'impôt, contre un bien immeuble n'est en soi ni une saisie ni une saisie-exécution; voir par exemple Power v. Grace, [1932] 2 D.L.R. 793, page 798 (Cour d'appel de l'Ontario), et Re Roadburg and Cedarhurst Properties Ltd. (1979), 93 D.L.R. (3d) 582, page 587 (C.A.C.-B.).  Il faut au moins que la vente soit annoncée et probablement que le shérif soit investi d'un droit spécial sur le bien par suite de la saisie avant que le processus ne devienne une saisie-exécution, soumise à la règle Gawler v. Chaplin.

 

            Vue sous un angle légèrement différent, la règle Gawler v. Chaplin est fondée sur l'équilibre à établir entre l'obligation du shérif envers le créancier d'une part, et l'équité envers le débiteur, que représente le caractère raisonnable de la saisie, de l'autre.  Est-il équitable et raisonnable de la part de la Couronne d'enregistrer un certificat d'impôt contre la propriété de M. Buck, puis de saisir ses actions dans la compagnie et d'entraver ainsi ses activités commerciales, et ce dans le but de réaliser les actions pour couvrir l'arriéré d'impôt en exécution des certificats?  D'autant plus que la moitié au moins de la dette fiscale a été réglée, en partie par paiements, mais surtout par reports rétrospectifs.  La réponse à cette question réside dans le fait que la Couronne a droit au paiement.  Elle n'a pour commerce ni de détenir des hypothèques, contrairement au troisième motif de plainte en l'espèce, sous forme de certificats d'impôt enregistrés qui produisent intérêts, ni de vendre des maisons.

 

            Tout bien pesé, les mesures prises par la Couronne pour garantir la créance par une inscription d'hypothèque contre la maison puis pour trouver un bien plus commode à saisir, sont équitables et raisonnables.  D'autant plus que, comme noté supra, elle n'a pas agi de façon précipitée, mais a donné à M. Buck le temps nécessaire pour payer.

 

            Par ces motifs, la requête est rejetée.  La Couronne aura droit aux dépens à taxer dans la fourchette médiane de la colonne III, non pas pour deux requêtes séparées, mais pour une requête unique.

 

                                                                                                        Signé : John A. Hargrave        

                                                                                ________________________________

                                                                                                                            Protonotaire                

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 21 février 1997

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

                     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :AFFAIRE intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

 

ET une ou plusieurs cotisations établies par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l'impôt sur le revenu contre

 

                                                                        GORDON VICTOR BUCK

                                                                        44834 South Sumas Road

Sardis (Colombie-Britannique)

                                                                        V2R 1B3

 

NUMÉRO DU GREFFE :   ITA-1325-96

                                                            ITA-5021-95

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 13 janvier 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

 

 

LE :                                                    21 février 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Gordon Buck                                             pour son propre compte

 

 

M. Michael Gianacopoulos                             pour S.M. la Reine

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Farris, Vaughan, Wills & Murray                    pour S.M. la Reine

Vancouver (C.-B.)



[1]La règle dégagée par Gawler v. Chaplin a été récemment adoptée par la Cour d'appel dans Moore v. Lambeth County Court Registrar (No. 2), [1970] 1 Q.B. 560.

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