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     Date : 20000510

     A-806-99

     (T-1618-93)

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 MAI 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW


ENTRE :

     CCH CANADIENNE LIMITÉE,

     appelante

     (demanderesse)

     et

     BARREAU DU HAUT-CANADA,

     intimé

     défendeur,

     et

     A-807-99

     (T-1619-93)

     THOMSON CANADA LIMITÉE, faisant affaire sous la raison sociale

     CARSWELL THOMSON PROFESSIONAL PUBLISHING,

     appelante

     (demanderesse)

     et

     BARREAU DU HAUT-CANADA,

     intimé

     (défendeur)

     A-808-99

     (T-1620-93)

     CANADA LAW BOOK INC.,

     appelante

     (demanderesse)

     et

     BARREAU DU HAUT-CANADA,

     intimé

     (défendeur)




     ORDONNANCE


     La demande présentée par la Canadian Copyright Licensing Agency en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir à l'instance est rejetée avec dépens.


     Karen R. Sharlow

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.






     Date : 20000510

     A-806-99

     (T-1618-93)


ENTRE :

     CCH CANADIENNE LIMITÉE,

     appelante

     (demanderesse)

     et

     BARREAU DU HAUT-CANADA,

     intimé

     défendeur,

     et

     A-807-99

     (T-1619-93)

     THOMSON CANADA LIMITÉE, faisant affaire sous la raison sociale

     CARSWELL THOMSON PROFESSIONAL PUBLISHING,

     appelante

     (demanderesse)

     et

     BARREAU DU HAUT-CANADA,

     intimé

     (défendeur)

     A-808-99

     (T-1620-93)

     CANADA LAW BOOK INC.,

     appelante

     (demanderesse)

     et

     BARREAU DU HAUT-CANADA,

     intimé

     (défendeur)


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW


[1]      La Canadian Copyright Licensing Company (Cancopy) demande l'autorisation d'intervenir dans les présents appels. Les trois appelants (les éditeurs) consentent à cette intervention. L'intimée, le Barreau du Haut-Canada (le Barreau) s'y oppose. J'en suis arrivée à la conclusion, pour les motifs qui suivent, que la demande d'intervention doit être rejetée avec dépens.

[2]      Les éditeurs publient des recueils de jurisprudence, des ouvrages de doctrine et d'autres ouvrages juridiques. Ils soutiennent que ces publications sont protégées par le droit d'auteur, qu'ils sont titulaires de ce droit d'auteur et que le Barreau a violé leur droit d'auteur en exploitant un service personnalisé de photocopie à la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall, à Toronto, et en fournissant l'accès à des photocopieuses individuelles de libre-service à la Grande bibliothèque. Les services en question sont offerts aux avocats membres du Barreau du Haut-Canada, ainsi qu'à la magistrature.

[3]      En 1993, les éditeurs ont chacun poursuivi le Barreau du Haut-Canada pour présumée violation du droit d'auteur. Le Barreau a contesté les demandes et a présenté une demande reconventionnelle en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant notamment qu'il ne viole pas le droit d'auteur des éditeurs, que ses agissements et ses services constituent une utilisation équitable au sens des articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 et qu'il ne reproduit pas une partie importante d'une oeuvre quelconque appartenant aux éditeurs. Le Barreau affirme également qu'il est exonéré de toute déclaration de violation du droit d'auteur pour des raisons d'ordre public. Le Barreau fait reposer sa demande reconventionnelle sur plusieurs principes juridiques et en particulier sur des principes constitutionnels.

[4]      Les trois affaires ont été entendues ensemble par le juge Gibson. Sa décision est maintenant publiée à (1999), 169 F.T.R. 1, (1999), 179 D.L.R. (4th) 609, (1999), 2 C.P.R. (4th) 129. Il a conclu que les éditeurs avaient un droit d'auteur sur leurs ouvrages juridiques et notamment sur leurs ouvrages de doctrine et que le Barreau avait violé ce droit d'auteur en effectuant et en distribuant des photocopies d'extraits de ces ouvrages. Il a toutefois conclu que les éditeurs ne possédaient aucun droit d'auteur sur leurs recueils de jurisprudence. Il a refusé de prononcer une injonction contre le Barreau en faveur des éditeurs.

[5]      Le juge Gibson a également débouté le Barreau de sa demande reconventionnelle. Voici ce qu'il déclare, au paragraphe 202 de ses motifs :

     [202]      La déclaration recherchée par le défendeur constitue un exemple typique de mesure excessive, plus particulièrement à la lumière de l'exception relative aux bibliothèques ajoutée à la Loi sur le droit d'auteur tout récemment entrée en vigueur, et qui n'a pas été débattue au fond devant la Cour. Aucun jugement déclaratoire ne sera rendu en faveur du défendeur.


[6]      Des appels et des appels incidents ont été formés dans les trois causes. Ils seront instruits ensemble conformément à l'ordonnance de jonction d'instances.

[7]      Cancopy est une société de gestion qui représente plus de 4 500 auteurs et éditeurs, ainsi que 31 organismes qui représentent des auteurs et des éditeurs. Le Barreau affirme que les éditeurs sont membres de Cancopy. Cancopy défend les intérêts de ses membres de diverses manières. À titre d'exemple, elle conclut des ententes au nom des titulaires de droit d'auteur relativement à la perception des redevances payables au titre des droits de reprographie et elle distribue les redevances aux titulaires de droit d'auteur. Cancopy affirme qu'elle gère un répertoire de plus de 1,7 million d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Elle affirme également qu'elle a conclu des ententes avec l'Administration fédérale et plusieurs gouvernements provinciaux, de même qu'avec des écoles publiques, des bibliothèques publiques, des universités, des services commerciaux de reprographie et d'autres grands organismes. Cancopy soutient qu'en raison du fait qu'elle est partie à plusieurs accords internationaux conclus avec des organismes semblables dans d'autres pays, elle participe à la mise en oeuvre des accords internationaux conclus par le Canada en matière de protection du droit d'auteur. Il semble qu'au procès, Cancopy a présenté des éléments de preuve tendant à démontrer qu'elle avait offert au Barreau de signer une entente mais que cette offre ait été refusée.

[8]      Le Barreau a introduit devant la Cour supérieure de l'Ontario une action dans laquelle elle a nommément désigné Cancopy et les éditeurs comme parties défenderesses. Elle sollicite dans cette action un jugement déclaratoire qui s'apparente à celui qu'elle réclame en l'espèce par sa demande reconventionnelle. Il semble que l'action ontarienne ait été introduite avant que le Barreau ne formule sa demande reconventionnelle en l'espèce. Le Barreau a donc présenté sa demande en l'espèce avec l'accord de toutes les parties pour éviter toute répétition inutile. L'action introduite en Ontario a été suspendue de consentement. Je présume que cette suspension demeurera jusqu'à ce que les présents appels aient été tranchés.

[9]      Les points litigieux sur lesquels Cancopy souhaite formuler des observations dans le cadre du présent appel peuvent être paraphrasés de la manière suivante :

a)      Le Barreau a-t-il le droit d'invoquer l'exception de l'utilisation équitable prévue aux articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d'auteur ou l'exception applicable aux bibliothèques ?
b)      L'exception relative aux bibliothèques constitue-t-elle un motif valable de rejeter la demande de jugement déclaratoire du Barreau ?
c)      Le Barreau est-il exempté de toute déclaration de violation de droit d'auteur pour des raisons d'ordre public et d'intérêt public prépondérant ?
d)      Le Barreau peut-il invoquer un ou plusieurs principes constitutionnels au soutien de sa demande de jugement déclaratoire, notamment le principe de la primauté du droit et l'alinéa 2d) et les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ?

[10]      Voici le libellé des articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d'auteur, où l'on trouve les « exceptions fondées sur l'utilisation équitable » :

29. Fair dealing for the purpose of research or private study does not infringe copyright.



29.1 Fair dealing for the purpose of criticism or review does not infringe copyright if the following

are mentioned:



(a) the source; and

(b) if given in the source, the name of the


(i) author, in the case of a work, [...]

29. L'utilisation équitable d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude

privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d'auteur.

29.1 L'utilisation équitable d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins de critique

ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d'auteur à la condition que soient

mentionnés :

a) d'une part, la source;

b) d'autre part, si ces renseignements figurent dans la source :

(i) dans le cas d'une oeuvre, le nom de l'auteur, [...]




[11]      L'exception prévue dans le cas des bibliothèques se trouve aux articles 30.1 et 30.2 de la Loi sur le droit d'auteur, qui ont été édictés par L.C. 1997, ch. 24, art. 18, qui est entrée en vigueur le 1er septembre 1999 (SL/99-86), c'est-à-dire après le procès mais avant le prononcé du jugement.

[12]      Il y a plusieurs aspects de l'exception applicable aux bibliothèques qui peuvent jouer en l'espèce. Ainsi, le paragraphe 30.2(1) dispose que ne constituent pas des violations du droit d'auteur les actes accomplis par une bibliothèque, un musée ou un service d'archives ou une personne agissant sous l'autorité de ceux-ci pour une personne qui peut elle-même les accomplir dans le cadre des articles 29 et 29.1. Le paragraphe 30.3(1) prévoit pour sa part qu'un établissement d'enseignement, une bibliothèque, un musée ou un service d'archives ne

viole pas le droit d'auteur en offrant des services de photocopie à condition que certaines conditions soient respectées. Une de ces conditions est que des dispositions aient été prises au sujet du paiement de redevances, notamment par la conclusion d'une entente avec une société de gestion, comme Cancopy, qui est habilitée par les titulaires du droit d'auteur à octroyer des licences.

[13]      Les questions à se poser pour déterminer s'il y a lieu d'autoriser une intervention ont été précisées par le juge Rouleau dans le jugement Rothmans, Benson & Hedges c. Canada, [1990] 1 C.F. 74. Son résumé des principes applicables a été approuvé en appel à [1990] 1 C.F. 90. En l'espèce, il suffit à mon avis de citer deux de ces principes. Le premier est celui de savoir si Cancopy sera directement touchée par l'issue de la cause. L'autre est celle de savoir si le tribunal peut statuer équitablement sur le fond de la cause sans la participation de Cancopy.

[14]      Dans les arguments qu'elle invoque au soutien de sa demande d'intervention à l'appel, Cancopy affirme qu'elle a un intérêt direct dans l'issue de la cause en raison de son statut dans l'instance introduite en Ontario. Le Barreau conteste cette assertion. Il affirme qu'aucune réparation n'est sollicitée contre Cancopy dans l'action ontarienne. Le Barreau soutient que l'intérêt de Cancopy se borne à son intérêt comme mandataire des éditeurs en ce qui concerne la perception des redevances. Je suis d'accord avec le Barreau pour dire que le statut de Cancopy dans l'instance introduite en Ontario n'est pas suffisant pour justifier son intervention dans les présents appels.

[15]      Cancopy affirme toutefois qu'elle a un intérêt en ce qui concerne la décision que la Cour rendra au sujet du moyen tiré de l'intérêt public, de l'exception prévue dans le cas des bibliothèques et d'autres points litigieux. Cancopy soutient que la décision que la Cour rendra sur ces questions pourrait nuire à ses contrats de licences actuels ou à venir et, partant, aux redevances que pourraient toucher les titulaires de droit d'auteur représentés par Cancopy. Elle fait valoir que d'autres professions autonomes qui ont pour mission de servir le public peuvent invoquer des moyens de défense similaires qui porteront aussi atteinte aux ententes conclues par Cancopy et nuiront aux titulaires de droit d'auteur. Elle affirme aussi qu'elle possède des connaissance et compétences spécialisées qui peuvent aider la Cour à répondre à ces questions.

[16]      Je suis d'accord avec le Barreau pour dire que l'intérêt que possède Cancopy à l'égard des questions susmentionnées n'est rien de plus qu'un intérêt théorique. Cet intérêt ne diffère en rien de celui de toute personne ayant ou pouvant avoir un droit d'auteur sur une oeuvre ou qui agit en son nom pour protéger ses intérêts. Le Barreau cite à cet égard deux décisions de notre Cour, le jugement Tioxide Canada Inc. C. Canada, [1994] F.C.J. No. 634 (QL) et l'arrêt La Reine c. Bolton, [1976] 1 C.F. 252. Dans l'arrêt Bolton, le juge en chef Jackett déclare, à la page 253 :

     À mon avis, même l'interprétation la plus large de ce pouvoir de la Cour ne permet pas d'y inclure le pouvoir d'autoriser l'audition d'une personne simplement parce qu'elle est intéressée dans un autre litige où il est possible que soit soulevée le même point de droit que celui susceptible d'être plaidé en l'espèce.


[17]      Je suis convaincue que les moyens tirés par le Barreau de l'utilisation équitable, de l'intérêt public, de l'ordre public et des principes constitutionnels seront examinés en appel et que les éditeurs sont tout à fait capables d'y répondre d'une manière efficace. Je ne suis pas persuadée que Cancopy est en mesure de présenter des observations que les éditeurs ne peuvent formuler avec autant d'impact ou que Cancopy a sur les questions en litige un point de vue qui diffère à ce point de celui des éditeurs pour que sa participation soit utile à la Cour.

[18]      Par ces motifs, la demande d'intervention sera rejetée avec dépens.

     Karen R. Sharlow

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :              A-806-99
                     A-807-99
                     A-808-99

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU LE 9 NOVEMBRE 1999 PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA DANS LE DOSSIER No T-1618-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CCH Canadienne Limitée c. Barreau du Haut-Canada Thomson Canada Limitée c. Barreau du Haut-Canada
                     Canada Law Book Inc. c. Barreau du Haut-Canada

DATE DE L'ORDONNANCE :      Le mercredi 10 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Sharlow en vertu de la règle 369


AVOCATS COMMIS AU DOSSIER :

Me Roger T. Hughes                      pour l'appelante

Toronto (Ontario)

Me A. Kelly Gill                      pour l'intimée

Toronto (Ontario)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & McKay              pour l'appelante

Avocats et procureurs

Gowling, Strathy & Henderson              pour l'intimée

Avocats et procureurs

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