Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Date: 20000118


Dossiers : A-413-99

et A-414-99

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LINDEN

         MADAME LE JUGE ROBERTSON

        

ENTRE :

     A-413-99

     MANSOUR AHANI,

     appelant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimées.

    

     A-414-99

     MANSOUR AHANI,

     appelant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimée.


Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 6 octobre 1999.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mardi 28 janvier 2000.

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE ROBERTSON,

AUXQUELS ONT SOUSCRIT LE JUGE DÉCARY

                 ET LE JUGE LINDEN.



Date: 20000118


Dossiers : A-413-99

et A-414-99

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LINDEN

         MADAME LE JUGE ROBERTSON

        

ENTRE :

     A-413-99

     MANSOUR AHANI,

     appelant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimées.

    

     A-414-99

     MANSOUR AHANI,

     appelant,

     et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimée.


     MOTIFS DU JUGEMENT


MADAME LE JUGE ROBERTSON

Le dossier A-414-99 concerne un appel interjeté à l"égard d"un jugement portant rejet d"une demande de contrôle judiciaire relative à une " lettre d"opinion " que la ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration a délivrée en application de l"alinéa 53 (1)b) de la Loi sur l"immigration. Dans cette lettre, la ministre a indiqué qu"à son avis, l"appelant constitue [TRADUCTION] " un danger pour la sécurité du Canada ". Cette conclusion permet à la ministre de renvoyer (" refouler ") l"appelant, qui est réfugié au sens de la Convention, au pays même qu"il a quitté pour demander refuge. Cependant, le statut de l"appelant à titre de réfugié au sens de la Convention est touché par l"existence de motifs raisonnables de croire qu"il est un assassin formé appartenant aux services secrets iraniens.

L"autre dossier, A-413-99, est un appel d"un jugement portant rejet de l"action que l"appelant a intentée afin de faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur l"immigration, y compris l"alinéa 53 (1)b). L"appelant a engagé cette procédure parallèle probablement parce qu"il craignait que la réparation demandée, soit le jugement déclaratoire, ne puisse être obtenue dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire. Cependant, tel n"est pas le cas : voir Moktari c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1999] A.C.F. no 1864 (C.A.F.). Par conséquent, je dois trancher uniquement l"appel concernant la demande de contrôle judiciaire, soit l"appel interjeté dans le dossier A-414-99. Le résultat de l"autre appel découlera nécessairement des conclusions que je tirerai en l"espèce.

L"appel interjeté dans le dossier A-414-99 a été entendu immédiatement après celui de l"affaire Suresh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration et Le procureur général du Canada, A-415-99, au sujet duquel de longs motifs sont communiqués concurremment. Étant donné que presque toutes les questions de fond qui ont été soulevées dans l"affaire Suresh l"ont également été dans le présent appel, il n"est pas nécessaire que je répète ce qui est établi dans cette décision. Il suffit de dire que j"ai rejeté tous les arguments visant à contester pour des motifs constitutionnels la validité de différentes dispositions de la Loi sur l"immigration. Toutefois, je dois commenter brièvement une question concernant une différence sur le plan des faits. Cette question est celle de savoir si la participation présumée de l"appelant à titre d"assassin au sein du ministère du renseignement et de la sécurité de l"Iran (" MRSI ") constitue un acte de terrorisme. Par suite de ces commentaires, deux autres questions seulement devront être examinées.

La première est celle de savoir si, dans les circonstances de la présente affaire, la décision de renvoyer l"appelant en Iran constituerait un manquement aux principes de justice fondamentale découlant de l"article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés , au motif que l"appelant risquerait d"être torturé s"il était refoulé en Iran. Il est admis de part et d"autre que, pour que son argument soit retenu, l"appelant doit d"abord établir l"existence de motifs importants permettant de croire que le refoulement l"exposerait à un risque de torture. En d"autres termes, l"appelant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu"il serait exposé à un risque de torture aux mains des autorités iraniennes ou, selon le critère retenu dans l"arrêt Suresh , à un risque sérieux de préjudice. Dans la présente affaire, la ministre a conclu que le refoulement en Iran exposerait l"appelant à un risque minime de préjudice seulement. Cette conclusion appelle l"examen de la seconde question à trancher, soit celle de savoir s"il existe des motifs permettant d"infirmer la décision de la ministre. Saisie de la demande de contrôle judiciaire, Madame le juge McGillis, la juge des requêtes, a répondu à cette question par la négative en tenant compte de deux normes d"examen, soit celles de la décision " correcte " et de la décision " raisonnable ". À mon humble avis, elle n"a pas commis d"erreur, pas plus que ne l"a fait la ministre lorsqu"elle a délivré la lettre d"opinion. Je débute mon analyse par un résumé des faits pertinents.

L"appelant est un citoyen de l"Iran qui est entré au Canada, plus précisément à Vancouver, le 14 octobre 1991 et a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. À l"origine, l"appelant a soutenu qu"il craignait d"être persécuté parce qu"il avait été emmené au bureau du comité révolutionnaire islamique et battu par des membres du corps de garde révolutionnaire iranien au motif qu"il avait consommé des substances intoxicantes. Plus tard, devant la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et des réfugiés de Toronto, il a allégué qu"au cours de son service militaire obligatoire en Iran, il avait reçu une formation comme agent antidrogue en poste près des frontières du Pakistan et de l"Afghanistan. Il a également mentionné qu"il était venu au Canada en passant par Bandar Abbas et Dhubai. [Il a été mis en preuve subséquemment qu"avant son arrivée au Canada, l"appelant a vécu et travaillé pendant un certain temps à Singapour, où il a laissé sa " première " épouse.] L"appelant allègue qu"il a participé au Pakistan à une descente de drogue dans une maison qui s"est avérée être celle d"un dissident iranien. Il ajoute que, lorsqu"il a été mis au courant de ce fait et de la présence de femmes et d"enfants dans la maison, il a refusé de participer à la descente. Il précise qu"il a passé quatre ans en prison par suite de cet événement et qu"il a été remis en liberté après avoir feint le repentir. Craignant d"être affecté à une autre mission, l"appelant s"est enfui de l"Iran en faisant préparer de faux documents de voyage. À son arrivée au Canada, il a demandé et obtenu le statut de réfugié.

Peu après l"audition de sa demande de statut de réfugié, l"appelant a été joint par un dénommé Akbar Khoshkooshk, un agent du renseignement de l"Iran. " Akbar " serait un commandant au sein du ministère du renseignement et de la sécurité de l"Iran (" MRSI ") qui coordonne l"assassinat des dissidents iraniens demeurant tant à l"intérieur qu"à l"extérieur de l"Iran. L"appelant soupçonne Akbar d"avoir été en mesure de le joindre par l"entremise d"une personne-ressource du système d"immigration canadien. Il soutient qu"Akbar lui a demandé de le rencontrer en Europe afin de discuter avec lui de ce que l"appelant avait dit aux autorités canadiennes. L"appelant a d"abord commencé par refuser, mais il a accepté après avoir été prévenu que, s"il ne collaborait pas, sa famille pourrait être en péril. L"appelant a demandé un faux passeport aux mêmes personnes qui l"avaient aidé à se rendre au Canada. Il a obtenu une somme d"argent qui avait été envoyée de l"Iran à un bureau de change de Toronto. Il s"est ensuite rendu à Zurich (Suisse), où il a téléphoné à Akbar, qui se trouvait encore en Iran. Dix ou douze heures plus tard, il a reçu un appel téléphonique d"Akbar, qui lui demandait de le rencontrer près d"un restaurant. Lors de cette rencontre, d"une durée d"une demi-heure, Akbar a révélé que tous deux pourraient être sous surveillance en Suisse et que l"appelant devrait donc se rendre à Urbino (Italie), où il essaierait de le rencontrer à nouveau. Les deux se sont effectivement rencontrés dans une chambre d"hôtel à Urbino, Akbar transportant alors un sac de sport contenant une importante somme d"argent en devises américaines. Le lendemain, les deux hommes se sont rendus à Fermignano, en Italie, où résident apparemment un certain nombre de dissidents iraniens. L"appelant et Akbar se sont rendus à une certaine partie de la ville où Akbar a demandé à l"appelant de le photographier devant certains immeubles. Les deux hommes ont été arrêtés par la police italienne. Après l"avoir détenu dix à douze heures, la police a raccompagné l"appelant jusqu"aux frontières italiennes. [Le dossier d"appel n"indique pas clairement si l"appelant a été accusé, puis remis en liberté. S"il a été accusé, ce serait relativement, par exemple, à la possession d"un faux passeport.]

Après être retourné en Suisse, l"appelant s"est rendu à Istanbul (Turquie), où il a passé vingt-cinq jours. Pendant son séjour à Istanbul, l"appelant aurait téléphoné à son père en Iran, qui avait reçu un appel l"informant que l"appelant devait apporter la pellicule contenant les photographies d"Akbar au consulat iranien à Istanbul. L"appelant a obtempéré à cette demande. À Istanbul, l"appelant a pu acheter un autre passeport à l"aide d"une somme de 2 000 $ qu"il avait reçue de sa " deuxième " épouse à Toronto. À son retour au Canada, l"appelant a été joint par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), dont il a rencontré des représentants à plusieurs reprises. Le SCRS soutient qu"au cours de ces rencontres, l"appelant a admis que son entraînement militaire faisait partie de son recrutement au MRSI et qu"Akbar était un ancien associé qui travaillait avec lui. Il est admis que l"appelant a dévoilé les détails concernant l"assassinat de deux dissidents par les services secrets de l"Iran.

Les 9 et 15 juin 1993, conformément au paragraphe 40.1(1) de la Loi sur l"immigration, le solliciteur général du Canada et la ministre ont attesté qu"à leur avis, l"appelant appartenait à une catégorie inadmissible visée par les dispositions de la Loi qui concernent l"anti-terrorisme, soit le sous-alinéa 19(1)e )(iii), la disposition 19(1)e)(iv)(C), le sous-alinéa 19(1)f)(ii), la disposition 19(1)f)(iii)(B) et l"alinéa 19(1)g ). Le 17 juin 1993, l"attestation du solliciteur général du Canada et de la ministre a été déposée auprès de la Cour fédérale. L"appelant a été arrêté en application de l"alinéa 40.1(2)b ) de la Loi et est demeuré sous garde depuis cette date.

L"attestation fondée sur l"article 40.1 a été établie sur la foi d"un rapport de sécurité préparé par le SCRS. Dans ce rapport, le SCRS a fait valoir qu"il existait des motifs raisonnables de croire que l"appelant est membre du ministère du renseignement et de la sécurité de l"Iran, lequel parraine ou poursuit directement une gamme variée d"activités terroristes, y compris l"assassinat de dissidents politiques à l"échelle mondiale. Le SCRS a ajouté que l"appelant avait reçu de cette organisation une formation spécialisée qui permet de le considérer comme un assassin, qu"il aurait, après avoir obtenu le statut de réfugié, quitté le Canada pour aller en Europe, où il a été arrêté en compagnie d"Akbar, un assassin connu du MRSI, et que, même si l"appelant est maintenant de retour au Canada, il y a de bonnes raisons de penser que, pendant qu"il était en Europe, il a participé à un complot visant à assassiner un dissident iranien connu qui vivait en Italie.

L"appelant a contesté la validité constitutionnelle de l"article 40.1 de la Loi; cependant, le 12 septembre 1995, Madame le juge McGillis a conclu que l"article 40.1 était valable : voir Ahani c. Canada , [1995] 3 C.F. 669 (C.F. 1re inst.); conf. (1996), 201 N.R. 233 (C.A.F.); autorisation d"interjeter appel devant la C.S.C. (no 25580) refusée avec dépens le 3 juillet 1997.

Après la confirmation de la validité constitutionnelle de l"article 40.1, le juge Denault a présidé des audiences d"une durée de neuf jours à Toronto et deux audiences à huis clos à Ottawa afin de décider si l"attestation établie en application de cette disposition était raisonnable. Le 17 avril 1998, le juge Denault a conclu que l"attestation était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et des renseignements disponibles. Il a souscrit à l"avis des ministres quant à l"existence de motifs raisonnables de croire que l"appelant est une personne qui a poursuivi ou poursuivra des activités terroristes ou qu"il est ou était membre d"une organisation visée par des soupçons similaires. Pour en arriver à sa conclusion, le juge Denault a accepté la preuve du SCRS quant à l"existence de motifs raisonnables de croire que l"appelant est membre du ministère du renseignement et de la sécurité de l"Iran, qui parraine ou poursuit directement une gamme variée d"activités terroristes, y compris l"assassinat de dissidents politiques à l"échelle mondiale. Avant d"en arriver à ces conclusions, le juge Denault a reconnu que [TRADUCTION] " la crédibilité de M. Ahani est au coeur du litige ". En résumé, l"appelant a été jugé non crédible.

Le 28 avril 1998, un arbitre a conclu que l"appelant était une personne visée par l"alinéa 27(2)a ), le sous-alinéa 19(1)e)(iii), la disposition 19(1)e)(iv)(C), le sous-alinéa 19(1)f)(ii), la disposition 19(1)f)(iii)(B) et l"alinéa 19(1)g ) de la Loi et a ordonné son expulsion du Canada.

Le 22 avril 1998, l"appelant a été avisé de l"intention de la ministre de délivrer un avis de danger fondé sur l"alinéa 53(1)b ) de la Loi sur l"immigration. Cet avis a pour effet d"éliminer l"interdiction de renvoyer les individus déclarés réfugiés au sens de la Convention dans le pays d"où ils s"étaient enfuis. Dans la lettre du 22 avril, l"appelant a été informé que la ministre évaluerait le risque qu"il représentait pour la société canadienne ainsi que le danger auquel il serait exposé s"il devait retourner en Iran. L"appelant a ensuite obtenu un délai de quinze jours pour formuler des observations écrites. Le 13 mai 1998, l"avocat qui représentait alors l"appelant a déposé un document de quatorze pages [dossier d"appel, 203 à 216], dans lequel il a fait allusion à l"obligation d"accorder à une personne un délai raisonnable pour lui permettre de se trouver un troisième pays sûr. En passant, je souligne qu"il n"existe aucun élément de preuve indiquant que l"appelant a tenté de trouver un troisième pays ou sollicité l"aide du gouvernement canadien. Le document présenté au nom de l"appelant concerne principalement des questions touchant la validité constitutionnelle des dispositions législatives ainsi qu"un certain nombre de moyens de contestation accessoires à l"égard de la décision par laquelle le juge Denault a confirmé le caractère raisonnable de l"attestation fondée sur l"article 40.1. En ce qui a trait au risque de torture, l"appelant a fait valoir qu"il serait exposé à un risque du fait qu"il avait présenté une demande de statut de réfugié et qu"il avait dévoilé aux autorités canadiennes des renseignements au sujet de sa participation aux activités antidrogue iraniennes et à la descente au Pakistan, renseignements qui, selon lui, sont embarrassants pour le gouvernement iranien. L"appelant a souligné que l"ambassade iranienne avait demandé directement aux autorités de l"immigration canadiennes des renseignements à son sujet et avait également tenté d"obtenir des renseignements directement de la GRC. C"est en raison de ces circonstances que l"appelant affirme qu"il était disposé à demeurer incarcéré au Canada depuis le 17 juin 1993. Il appert de ces observations écrites que l"appelant n"admet pas être un assassin faisant partie des services secrets iraniens.

Le 31 juillet 1998, Graham Alldridge, analyste de la Direction générale du règlement des cas du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration, a préparé à l"intention du sous-ministre par intérim et de la ministre un mémoire auquel il a joint les observations écrites de l"appelant ainsi que d"autres documents pertinents [dossier d"appel, p. 169]. Dans ce mémoire, l"analyste recommande à la ministre de déclarer que l"appelant constitue un danger pour la sécurité du Canada. M. Alldridge reprend les différents arguments juridiques que l"appelant a invoqués dans ses observations et les commente à la lumière des jugements que la Cour fédérale avait rendus jusqu"à cette date. [Une lettre d"opinion du service juridique de la ministre est jointe au mémoire.] M. Alldridge souligne que l"appelant continue à nier qu"il est un représentant iranien, mais qu"il manque de crédibilité, compte tenu des conclusions que le juge Denault a formulées dans l"instance fondée sur l"article 40.1. Invoquant la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Alldridge mentionne que la norme à appliquer relativement à l"évaluation du risque réside dans l"existence de motifs importants de croire que le refoulement exposerait une personne à la torture, c"est-à-dire que la personne doit elle-même être en danger. Il en arrive à la conclusion qu"aucune allégation ne permet de croire que l"appelant serait exposé à un danger s"il était renvoyé en Iran. Plus précisément, M. Alldridge souligne ce qui suit : (1) les arguments de l"appelant au sujet du risque ont été jugés douteux au cours des audiences tenues dans le cadre de l"instance fondée sur l"article 40.1; (2) les arguments de l"appelant renvoient à la situation générale du pays, laquelle s"applique aux personnes qui s"opposent au régime et non aux personnes comme l"appelant; (3) l"appelant a été en contact avec le gouvernement iranien (" Akbar ") après l"audition de sa demande de statut de réfugié. M. Alldridge souligne en dernier lieu dans son mémoire qu"une comparaison entre le risque que l"appelant représente pour la sécurité canadienne et le " risque minime " de danger auquel il serait exposé s"il devait retourner en Iran indique que le premier est nettement supérieur au second.

Le 12 août 1998, l"avis ministériel fondé sur l"alinéa 53(1)b ) de la Loi sur l"immigration, selon lequel l"appelant constitue un danger pour la sécurité du Canada, a été délivré.

Le 18 août 1998, l"appelant a déposé une demande visant à obtenir l"autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire au sujet de l"avis ministériel; dans cette demande, il a soulevé, notamment, plusieurs questions d"ordre constitutionnel liées à l"alinéa 53(1)b ) de la Loi. Au début de l"audition de la demande de contrôle judiciaire, qui a eu lieu le 15 juin 1999, l"avocat de la ministre a demandé par requête préliminaire à la juge des requêtes, Madame le juge McGillis, d"appliquer la décision que le juge McKeown avait rendue dans l"affaire Suresh c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (dossier no IMM-117-98, 11 juin 1999) à la présente instance et aux dossiers connexes, dans la mesure où elle portait sur les mêmes questions constitutionnelles. Le 15 juin 1999, Madame le juge McGillis a prononcé oralement des motifs dans lesquels elle a fait droit à la requête et appliqué la décision du juge McKeown dans la mesure où elle portait sur les mêmes questions constitutionnelles.

Devant Madame le juge McGillis, l"appelant a soutenu que la décision de la ministre de déclarer qu"il constituait un danger pour la sécurité du Canada au sens de l"alinéa 53(1)b ) de la Loi sur l"immigrationt n"était pas " raisonnable ". Il a ajouté qu"il n"était pas raisonnable pour la ministre de conclure qu"il serait exposé uniquement à un " risque minime " en Iran. Madame le juge McGillis a conclu que la preuve au dossier était plus que suffisante pour justifier la décision discrétionnaire de la ministre selon laquelle l"appelant constitue un danger pour la sécurité du Canada au sens de l"alinéa 53(1)b ) de la Loi sur l"immigration. Elle en est arrivée à la conclusion que la décision de la ministre était raisonnable. Subsidiairement, même si la norme d"examen n"était pas celle de la décision raisonnable, Madame le juge McGillis a statué que la ministre n"a commis aucune erreur justifiant l"intervention de la Cour.

Tel qu"il est mentionné au début des présents motifs, toutes les contestations d"ordre constitutionnel qui ont été soulevées dans le présent appel au sujet des différentes dispositions de la Loi sur l"immigration ont été tranchées dans l"affaire Suresh , dont le jugement est communiqué en même temps que les motifs en l"espèce. Un des arguments invoqués dans cette affaire est le fait que le mot " terrorisme " employé à l"article 19 de la Loi sur l"immigration (les catégories inadmissibles) est inopérant parce qu"il manque de précision. Selon la théorie applicable à ce sujet, une disposition qui n"est pas assez précise pour fournir suffisamment d"indices permettant d"orienter le débat juridique pourrait aller à l"encontre des principes de justice fondamentale découlant de l"article 7 de la Charte. Dans l"affaire Suresh, il a été allégué que le mot " terrorisme " ne pouvait être défini. Au soutien de cet argument, l"appelant a souligné que la communauté internationale n"en était pas arrivée à un consensus au sujet du sens de ce mot. Cependant, j"ai finalement rejeté cet argument [voir Suresh, par. 65 et suivants] et décidé qu"un groupe (les " tigres tamouls ") qui cherche à obtenir une réforme politique par l"utilisation de la violence à l"endroit de civils innocents pouvait être décrit à juste titre comme une organisation terroriste. Dans la même veine, je n"ai aucun mal à dire que le terrorisme comprend l"assassinat visant à réduire au silence les dissidents politiques qui veulent apporter des changements par l"exercice de la libre expression. Il est possible que je ne puisse donner une définition exhaustive du mot " terrorisme ". Cependant, cela ne signifie pas que je ne puis reconnaître certains actes de terrorisme évidents lorsque je les vois. S"il est vrai que " ceux qui luttent pour la liberté des uns pourraient être des terroristes pour d"autres ", il n"en demeure pas moins que les traits distinctifs résident dans la façon dont ces libertés sont exercées et dans la cible visée par ces agissements.

Il est admis de part et d"autre qu"il appartenait à l"appelant de prouver l"existence de motifs importants de croire qu"il risquerait d"être torturé en Iran s"il était refoulé dans ce pays. La ministre a conclu que l"appelant serait exposé seulement à un " risque minime " à cet égard s"il était renvoyé dans ce pays, et cette conclusion est bien compréhensible. Le juge Denault ayant jugé raisonnable l"attestation fondée sur l"article 40.1, selon laquelle l"appelant était un assassin formé agissant pour les services secrets iraniens, l"appelant ne peut revenir sur sa demande de statut de réfugié et invoquer les motifs qu"il avait alors allégués pour affirmer qu"il craignait d"être persécuté. Le juge Denault a conclu que l"appelant n"était pas crédible et cette conclusion ne peut être contestée de façon indirecte devant la Cour en l"espèce.

Au cours des plaidoiries, l"avocat de l"appelant a longuement passé en revue la transcription de l"audience relative à l"instance fondée sur l"article 40.1 pour tenter de prouver qu"il n"était pas logique qu"un Iranien soupçonné d"être un assassin aurait été disposé à rester incarcéré depuis 1993 plutôt que de retourner tout simplement en Iran. La ministre réplique en disant que, même si l"appelant a été démasqué comme assassin étranger, il se peut qu"il soit réactivé un peu plus tard. L"avocat de la ministre a également attiré l"attention de la Cour sur l"explication peu plausible que l"appelant a donnée au sujet de son séjour en Europe et de ses voyages en compagnie d"Akbar, qui est un assassin connu des services secrets iraniens. Cependant, à mon humble avis, ces questions n"ont rien à voir avec le présent appel. La ministre a le droit de procéder à une évaluation du risque en présumant que l"appelant est effectivement un assassin formé pour les services secrets iraniens (MRSI), comme le SCRS l"a soutenu. Cette raison à elle seule permet à la ministre de conclure à bon droit que l"appelant ne serait pas exposé à un risque sérieux de préjudice et encore moins à la torture.

À l"instar de Madame le juge McGillis, je ne vois aucune raison de modifier la décision par laquelle la ministre a déclaré que l"appelant constitue un danger pour la sécurité du Canada. J"en arrive à cette conclusion indépendamment de la question de savoir si la norme d"examen qu"il convient d"appliquer à l"égard de la décision de la ministre est celle de la décision correcte, de la décision raisonnable ou de la décision manifestement déraisonnable. De plus, la norme d"examen constitutionnelle ne s"applique pas. Si l"appelant avait été en mesure de prouver que le refoulement l"exposerait à un risque sérieux de préjudice, il aurait pu soutenir que la décision de la ministre va à l"encontre des principes de justice fondamentale découlant de l"article 7 de la Charte. Selon la norme d"examen applicable en matière constitutionnelle, il aurait été nécessaire de se demander si la décision de la ministre de renvoyer l"appelant en Iran choquerait la conscience canadienne.

Je rejetterais l"appel dans le dossier A-414-99. Par conséquent, l"appel dans le dossier A-413-99 doit être rejeté. L"intimé a droit à un seul mémoire de frais pour les deux appels.

Tout comme il l"avait fait dans l"affaire connexe, Suresh c. Canada (M.C.I.) , A-415-99, l"appelant nous a demandé de ne pas communiquer de jugement officiel afin de lui permettre de déposer une demande d"autorisation d"interjeter appel devant la Cour suprême ainsi qu"une requête portant suspension, ce qui empêcherait son expulsion pendant l"examen de ces requêtes. Cette demande est accueillie conformément aux motifs exposés dans l"affaire Suresh .

     " J.T. Robertson "

J.C.A.

" Je souscris aux motifs exprimés par Madame le juge Robertson.

Robert Décary J.C.A. "

" Je souscris aux motifs exprimés par Madame le juge Robertson.

A.M. Linden J.C.A. "


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D"APPEL

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

APPELS INTERJETÉS À L"ENCONTRE DES ORDONNANCES RENDUES LE 29 JUIN 1999 PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA DANS LES DOSSIERS T-1767-98 ET IMM-4204-98

Nos DU GREFFE :                  A-413-99 et A-414-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MANSOUR AHANI c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL
                         MANSOUR AHANI
                         c.
                         LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le mercredi 6 octobre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :              Madame le juge Robertson
AUXQUELS ONT SOUSCRIT :          les juges Décary et Linden

EN DATE DU :                  18 janvier 2000

ONT COMPARU :

Me Barbara Jackman

Me Ronald Poulton                          POUR L"APPELANT

Me Donald MacIntosh

Me Toby Hoffman                          POUR LES INTIMÉES

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman and Associates

Toronto (Ontario)                          POUR L"APPELANT

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          POUR LES INTIMÉES
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.