Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040209

Dossier : A-120-03

Référence : 2004 CAF 59

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                   SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                           TELUS MOBILITÉ et

                                                                DAVID WELLS

                                                                                                                                                intimés

                       Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 janvier 2004.

                                     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 février 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20040209

Dossier : A-120-03

Référence : 2004 CAF 59

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                   SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                           TELUS MOBILITÉ et

                                                                DAVID WELLS

                                                                                                                                                intimés

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                Un différend a surgi entre le Syndicat des travailleurs des télécommunications (le STT) et Telus Mobilité (Telus) en raison de certaines modifications apportées par Telus à la méthode par laquelle les comptes de communication sans fil des clients de Telus sont activés ou modifiés par l'entremise de concessionnaires indépendants. Le STT a obtenu une sentence arbitrale concernant la méthode contestée. La sentence est enregistrée auprès de la Cour fédérale et elle a donc le statut d'une ordonnance judiciaire.


[2]                Le STT croit que Telus, ne s'étant pas conformée à l'ordonnance, est coupable d'outrage au tribunal, et que M. David Wells, vice-président exécutif des services aux employés chez Telus, en tant que personne chargée au premier chef d'assurer la conformité à telles ordonnances, est lui aussi coupable d'outrage au tribunal.

[3]                La procédure d'outrage introduite par le STT contre Telus a été rejetée par jugement de la Cour fédérale le 6 décembre 2002 : Telus Mobilité c. Syndicat des travailleurs des télécommunications, [2002] A.C.F. n ° 1744 (QL), (2002) 226 F.T.R. 133. Le STT fait maintenant appel de ce jugement.


[4]                Les principes régissant l'outrage au tribunal sont bien établis et ne sont pas contestés. La procédure d'outrage est de nature criminelle ou quasi criminelle et elle met en jeu les garanties de procédure propres aux infractions criminelles. La norme de preuve qui est applicable est la preuve hors de tout doute raisonnable. La charge de la preuve incombe au demandeur. Un constat d'outrage au tribunal ne peut s'appuyer sur une ordonnance judiciaire qui est ambiguë, ou sur une ordonnance qui est simplement déclaratoire. La conduite dictée doit être énoncée clairement dans l'ordonnance. Nombreux sont les exemples où des procédures d'outrage ont échoué parce que l'ordonnance était obscure ou imprécise : voir par exemple les espèces suivantes : United Steelworkers of America, Local 663 v. Anaconda Co. (Canada) Ltd. (1969), 3 D.L.R. (3d) 577 (C.S. C.-B.), et Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes, [1987] A.C.F. n ° 1021, (1987) 16 F.T.R. 4 (1re inst.).

[5]                Le juge Rouleau a expliqué les faits et arguments d'une manière très détaillée. Ses conclusions sont résumées aux paragraphes 48, 49 et 50 de ses motifs (dossier d'appel, volume 1, pages 51 -52) :

[par. 48] Telus Mobilité avait l'intention de se conformer à l'ordonnance de l'arbitre et, de bonne foi, a consacré beaucoup de temps, d'argent et de soin pour remédier à la situation. Son interprétation de l'ordonnance était raisonnable. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'ordonnance de l'arbitre aurait pu entraîner une ambiguïté et, en conséquence, cela laisse la place à un doute raisonnable qui devrait être interprété en faveur de la société et de M. Wells.

[par. 49] La preuve hors de tout doute raisonnable doit être établie afin de confirmer une ordonnance d'outrage. Cette ordonnance est de nature quasi criminelle et ne devrait être accordée que dans des circonstances très claires. Ayant examiné avec soin le libellé de l'ordonnance de l'arbitre, je ne peux que conclure, selon la preuve, que le syndicat ne s'est pas déchargé de son fardeau d'amener la Cour à rendre une ordonnance portant condamnation à l'égard de Telus Mobilité et de David Wells pour outrage au tribunal. Par conséquent, la demande est rejetée.

[par. 50] La Cour a l'entière discrétion de l'adjudication des dépens. En raison des circonstances et des diverses interprétations que l'on pourrait attribuer à l'ordonnance de l'arbitre, je décide qu'il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

[6]                Le STT fait appel du rejet de sa demande. Telus forme un appel incident sur la question des dépens. Il n'y a pas d'appel incident formé par M. Wells.


L'appel formé par le STT

[7]                Essentiellement, le différend qui est l'objet du présent appel concerne la signification de l'ordonnance qui sert de fondement à l'accusation d'outrage portée par le STT. Selon le STT, le juge Rouleau n'a pas bien compris l'ordonnance. Telus soutient qu'il l'a fort bien comprise. Pour avoir une bonne idée de leurs arguments, il est nécessaire de connaître les circonstances qui sont à l'origine de l'ordonnance.

[8]                Deux accords conclus entre le STT et Telus (y compris son prédécesseur BC TEL Mobility) jouent un rôle ici. L'un, qui prend la forme d'une lettre datée du 4 décembre 1992, est appelé par les parties la « lettre d'accord » . Elle est ainsi rédigée :

[traduction]

                                                LETTRE D'ACCORD

COMPTE RENDU DES COMMANDES DE SERVICES DE BC TEL MOBILITY CELLULAR

La Compagnie et le Syndicat reconnaissent que les agents ou concessionnaires de BC TEL Mobility Cellular n'ont pas la capacité d'accéder aux systèmes informatiques de BC TEL Mobility Cellular (par exemple dossiers de facturation, dossiers d'activation et/ou autres dossiers de clients). Les systèmes resteront entièrement sous le contrôle de BC TEL Mobility Cellular et seront utilisés uniquement par ses employés.

La Compagnie s'engage à discuter de tout changement qui surviendrait. L'affaire sera soumise aux membres du STT du Comité mixte permanent sur la sous-traitance et le changement technologique.


[9]                L'autre accord est une convention collective conclue entre Telus et le STT, accord qui notamment interdit à Telus de sous-traiter des travaux sans l'approbation du Comité mixte permanent sur la sous-traitance et le changement technologique (le comité même dont fait état la lettre d'accord).

[10]            Les plaintes portant sur les cas où une partie néglige, en violation de l'un ou l'autre accord, de soumettre une affaire au Comité mixte permanent de la sous-traitance et du changement technologique sont soumises à l'arbitrage, le président du Comité tenant alors lieu d'arbitre. L'historique de la présente affaire révèle deux arbitrages du genre, l'un en 1998, qui s'est déroulé devant Me Paul Fraser, c.r., et l'autre en 2001, qui s'est déroulé devant Me Stephen Kelleher, c.r. (qui était à l'époque avocat).

[11]            Avant 1998, les comptes sans fil de Telus pouvaient être activés ou modifiés par l'entremise d'un concessionnaire indépendant, mais uniquement avec la participation d'employés de Telus appelés « préposés aux activations » , lesquels sont membres de l'unité de négociation représentée par le STT. L'information sur le client était envoyée à Telus par téléphone ou télécopieur. Les préposés aux activations introduisaient l'information dans les systèmes informatiques de Telus pour la commutation, la facturation, les vérifications de crédit des clients et l'enregistrement des numéros de série des combinés sans fil appartenant aux clients. Le processus fut automatisé davantage au milieu de la décennie 1990 par la mise en service d'un nouveau système de facturation appelé « FAST » .


[12]            En 1998, Telus adoptait un système appelé « transfert électronique de contrat » (le TEC), qui fut utilisé par les concessionnaires indépendants disposant de l'accès à l'Internet. Avec ce système, le concessionnaire introduisait dans un ordinateur l'information sur les clients, et l'information était transmise par l'Internet à Telus, où elle était stockée dans une mémoire-tampon. Les préposés aux activations accédaient à l'information et prenaient les mesures nécessaires pour s'assurer que l'information sur les clients était envoyée aux divers systèmes informatiques de Telus. La somme de travail requise des préposés aux activations avec le TEC était considérablement moindre qu'auparavant, parce que le travail de saisie effectué auparavant par les préposés aux activations était effectué par les concessionnaires indépendants. Telus n'avait pas fait intervenir le Comité dans la mise en service du TEC.

[13]            Le STT s'est opposé à la mise en service du TEC au motif qu'il contrevenait aux dispositions de la convention collective sur la sous-traitance. Ce différend fut arbitré par Me Fraser, qui a rendu une décision favorable à Telus le 20 mai 1998. Sa décision renferme notamment ce qui suit (dossier d'appel, volume 1, pages 17-18) :


[traduction] Le Syndicat voudrait établir une distinction cruciale entre d'une part l'ancien processus, où l'information venant du concessionnaire arrivait par télécopieur et était introduite dans la base de données par les préposés aux activations et, d'autre part, le système actuel, où l'information est transférée à la mémoire-tampon et extraite électroniquement par les préposés aux activations. À mon avis, c'est là une distinction sans importance. La nature essentielle du travail reste la même. La seule chose qui ait changé est que le traitement de l'information se déroule beaucoup plus efficacement et, j'imagine, plus rapidement. Le préposé aux activations n'a pas à extraire manuellement, d'une manière sélective, l'information transmise par télécopieur. Il lui suffit d'accéder à la mémoire-tampon dans laquelle l'information est stockée et insérée.

La Compagnie a le droit, d'après la convention collective, telle que je l'interprète, de tirer parti de tout nouvel équipement qu'elle peut acquérir pour abréger le traitement de l'information, pour autant que le travail nécessaire à cette fin continue d'être effectué par l'unité de négociation, puisque les préposés aux activations ont toujours fait le travail dans le cadre d'un processus qui existe depuis 1985. Le processus d'extraction de l'information s'est modifié avec le nouveau système TEC, mais il reste que les préposés aux activations continuent de faire le travail d'extraction. La Compagnie n'a donc pas sous-traité le traitement ultime des données électroniques transmises par ses concessionnaires indépendants au Centre d'activation des clients.

[14]            Durant l'arbitrage de 1998, le STT n'avait pas prétendu qu'il y avait eu contravention à la lettre d'accord. Le dossier ne dit pas pourquoi ce point n'a pas été soulevé à ce moment-là.

[15]            En juin 2001, Telus adoptait deux nouvelles procédures pour l'activation et la modification des comptes sans fil par l'entremise de concessionnaires indépendants. Les nouvelles procédures étaient appelées téléactivation par le concessionnaire (TAC) et réponse vocale interactive (RVI). Là encore, Telus ne s'est pas adressée au Comité.

[16]            Avec la TAC, comme avec le TEC, le concessionnaire indépendant qui voulait activer un nouveau compte sans fil introduisait dans un ordinateur l'information relative au client et transmettait l'information à Telus par l'Internet. Cependant, l'information n'était pas stockée dans une mémoire-tampon. Elle était plutôt saisie automatiquement dans les systèmes informatiques de Telus. Le résultat, c'était qu'un nouveau compte sans fil pouvait être activé par un concessionnaire indépendant, sans aucune intervention d'un préposé aux activations.


[17]            La RVI est un système semblable, qui permet d'apporter des modifications à un compte existant. Avec la RVI, le concessionnaire indépendant utilise un téléphone à clavier pour modifier un compte existant, sans l'intervention d'un préposé aux activations.

[18]            Avec la TAC comme avec la RVI, l'intervention d'un préposé aux activations était requise si, et seulement si, le client était une société et non un particulier, ou si la tentative d'activation ou la tentative de modification du compte posait un problème. Dans la plupart des cas, il n'y avait aucun problème.

[19]            Le STT a protesté contre la mise en service de la TAC et de la RVI, affirmant que cela contrevenait aux dispositions de la convention collective concernant la sous-traitance, et que cela contrevenait aussi à la lettre d'accord. Dans une décision datée du 26 juin 2001, Me Kelleher estima qu'il n'y avait eu aucune sous-traitance, mais qu'il y avait eu contravention à la lettre d'accord. Il a ordonné que d'autres rencontres aient lieu en vue de trouver une solution.

[20]            Il est utile d'examiner plus en détail la décision de Me Kelleher, du 26 juin 2001, parce que les deux parties ont invoqué divers passages de son analyse et de sa conclusion, exposées dans la partie III et la partie IV de la décision. Ces deux passages de la décision sont reproduits intégralement ci-après (dossier d'appel, volume 1, pages 7 à 10) :


[traduction]

                                                              III

La position de la Compagnie est qu'il n'y a pas eu sous-traitance. La TAC a simplement remplacé le système FAST. Un logiciel fait maintenant ce que les préposés aux activations faisaient auparavant.

Le Syndicat affirme que ces événements doivent être considérés dans leur contexte. Lorsque le système TEC a été adopté, les concessionnaires se sont mis à saisir les données. Ces données finissaient par se retrouver dans les diverses bases de données de la Compagnie : commutation, facturation et ainsi de suite. Il est clair, au vu de la décision de Me Fraser sur le TEC [l'arbitrage de 1998], que le point important, c'était que les préposés aux activations faisaient encore le travail. Tout ce qui avait changé, c'était que le commis qui extrayait les données de la mémoire-tampon n'avait plus à les réintroduire. Ainsi que le disait Me Fraser :

... Les préposés aux activations font encore le travail d'extraction. La Compagnie n'a donc pas sous-traité le traitement ultime des données électroniques transmises par ses concessionnaires indépendants au Centre d'activation des clients.

Bien sûr, avec la mise en service de la TAC, les préposés aux activations ne font plus le travail d'extraction. Dans une simple commande personnelle qui ne comporte pas de complications, le préposé aux activations n'intervient plus. Le travail consistant à introduire les données dans les systèmes de la Compagnie est fait en réalité par le concessionnaire. Le travail du préposé aux activations à cet égard a été réduit à l'extraction (par l'adoption du système TEC) et il est maintenant éliminé par la TAC, sauf pour les nombreuses activations qui entraînent des complications.

Le changement adopté en juin 2001 [c'est-à-dire la mise en service de la TAC et de la RVI] signifie que ce sont les concessionnaires qui introduisent les données dans les bases de données de la Compagnie.

Je passe à la lettre du 4 décembre 1992. Le premier paragraphe contient deux phrases :

· la Compagnie et le Syndicat reconnaissent que les agents ou concessionnaires de BC TEL Mobility Cellular n'ont pas la capacité d'accéder aux systèmes informatiques de BC TEL Mobility Cellular (par exemple dossiers de facturation, dossiers d'activation et/ou autres dossiers des clients);

· les systèmes resteront entièrement sous le contrôle de BC TEL Mobility Cellular et seront utilisés uniquement par ses employés.

La première phrase peut être lue de deux manières. Le Syndicat fait valoir que les concessionnaires « accèdent » aux systèmes informatiques de TELUS Mobilité, en ce sens qu'ils introduisent l'information directement, sans l'intervention d'aucun employé membre de l'unité de négociation. C'est là un argument plausible. La position de la Compagnie est que les concessionnaires n'accèdent pas aux systèmes informatiques. Ils n'obtiennent pas l'information de ces systèmes. Cela est également plausible. C'est conforme à la définition du verbe « accéder à » , donnée par le American Heritage Dictionary : « consulter la mémoire d'un ordinateur » . Le Canadian Oxford Dictionary donne cette définition du mot « accès » : « l'action ou le procédé consistant à obtenir des documents, données, etc., qui sont mémorisés » .

À mon avis, cependant, la deuxième phrase n'est pas ambiguë. Avec l'arrivée de la TAC et de la RVI, les systèmes informatiques ne sont plus « ... entièrement sous le contrôle de [TELUS Mobilité] et utilisés uniquement par les employés de [TELUS Mobilité] » .

Il n'est pas donné à entendre que cette lettre ne lie pas la Compagnie. La Compagnie aurait dû soumettre l'affaire aux « membres STT » du Comité ainsi que le prévoit le deuxième paragraphe de la lettre.

                                                              IV

Je suis arrivé à la conclusion que la mise en service de la TAC par la Compagnie sans une discussion préalable est contraire à la lettre du 4 décembre 1992.

S'agit-il là de sous-traitance? À mon avis, il y avait sous-traitance lorsque des concessionnaires ont été à l'origine recrutés pour donner un débouché aux produits de TELUS Mobilité. Une condition de ce recrutement était que le concessionnaire communiquerait à la Compagnie tous les renseignements pertinents. Le concessionnaire ne fait aujourd'hui, essentiellement, pas plus que cela. Le changement est l'adoption graduelle d'une technologie au point que l'activation se fait maintenant sans l'intervention d'un préposé aux activations.

La question qu'il faut maintenant régler concerne les conséquences de la conclusion selon laquelle l'adoption de la TAC est incompatible avec la lettre d'accord du 4 décembre 1992.

Je suis prêt à entendre les conclusions sur le sujet et à examiner si une solution adéquate peut être trouvée.


[21]            Après que fut rendue cette décision, Telus a contesté la compétence de Me Kelleher pour accorder un redressement. Dans une décision datée du 17 septembre 2001, Me Kelleher a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Telus. Telus a introduit devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Me Kelleher du 17 septembre 2001. La demande a été rejetée le 21 mai 2002 par le juge Paris : Tele-Mobile, Inc. v. Telecommunications Workers Union, 2002 BCSC 776.

[22]            Alors que la demande de contrôle judiciaire était pendante, Me Kelleher a tenu des audiences sur la question du redressement. Sa décision a été rendue le 30 janvier 2002. Les derniers paragraphes de cette décision sont ainsi rédigés (dossier d'appel, volume I, pages 22-23) :

[traduction] Le Syndicat voudrait une ordonnance obligeant la Compagnie à cesser de contrevenir à la lettre d'accord. Il se réserve aussi le droit de réclamer des dommages-intérêts pour la mise en service de la TAC (y compris de la RVI) par la Compagnie sans l'assentiment préalable du Comité.

La position de la Compagnie concernant le redressement est qu'il n'y a rien à redresser. En raison de la réorganisation, l'unité de négociation de la Colombie-Britannique n'a pas été touchée.

La Compagnie dit aussi que, si elle n'était pas autorisée à recourir à la TAC, elle serait forcée de recourir à l'ancienne technologie et à embaucher des employés inutilement. Ce serait là limiter le rendement de la production.

J'ai déjà rendu une décision définitive et contraignante. La Compagnie contrevient à la lettre d'accord. Les parties ont eu l'occasion de trouver des accommodements ou de s'entendre sur la question, mais elles ne l'ont pas fait. J'ordonne donc qu'il soit mis fin à la violation et que la TAC et la RVI ne soient pas utilisées d'une manière qui exclut les employés membres de l'unité de négociation. J'ordonne que les systèmes informatiques de TELUS Mobilité demeurent entièrement sous le contrôle de TELUS Mobilité et ne soient utilisés que par les employés de TELUS Mobilité.

Dans ma décision du 17 septembre 2001, je disais que « il se peut que je sois limité par le champ de la convention collective de la Colombie-Britannique » . J'ai examiné cet aspect et je suis d'avis que je suis ainsi limité. La présente ordonnance ne s'applique donc qu'aux activations faites par les concessionnaires dans la province de Colombie-Britannique.

[23]            Le 8 février 2002, Me Kelleher rendait l'ordonnance suivante :

[traduction] L'employeur a contrevenu à la lettre d'accord entre le Syndicat et l'employeur datée du 4 décembre 1992. J'ordonne que l'employeur cesse de contrevenir à la lettre d'accord du 4 décembre 1992, que la téléactivation par le concessionnaire (TAC) et la réponse vocale interactive (RVI) ne soient pas utilisées d'une manière qui exclut les employés membres de l'unité de négociation, enfin que les systèmes informatiques de TELUS Mobilité demeurent entièrement sous le contrôle de TELUS Mobilité et ne soient utilisés que par les employés de TELUS Mobilité.

L'ordonnance ne s'applique qu'aux concessionnaires de la province de Colombie-Britannique.

[24]            L'ordonnance de Me Kelleher du 8 février 2002 fut déposée auprès de la Cour fédérale et enregistrée le 11 mars 2002, en application de l'article 66 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. La sentence arbitrale devenait par le fait même exécutoire en tant qu'ordonnance de la Cour fédérale. Voici le texte de l'article 66 du Code canadien du travail :


66. (1) La personne ou l'organisation touchée par l'ordonnance ou la décision de l'arbitre ou du conseil d'arbitrage peut, après un délai de quatorze jours suivant la date de l'ordonnance ou de la décision ou après la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l'ordonnance ou de la décision.

66. (1) Any person or organization affected by any order or decision of an arbitrator or arbitration board may, after fourteen days from the date on which the order or decision is made or given, or from the date provided in it for compliance, whichever is the later date, file in the Federal Court a copy of the order or decision, exclusive of the reasons therefor.

(2) L'ordonnance ou la décision d'un arbitre ou d'un conseil d'arbitrage déposée aux termes du paragraphe (1) est enregistrée à la Cour fédérale; l'enregistrement lui confère la valeur des autres jugements de ce tribunal et ouvre droit aux mêmes procédures ultérieures que ceux-ci.

(2) On filing an order or decision of an arbitrator or arbitration board in the Federal Court under subsection (1), the order or decision shall be registered in the Court and, when registered, has the same force and effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the order or decision were a judgment obtained in the Court.


[25]            Au début de février 2002, Telus commençait de travailler sur une réponse technologique à l'ordonnance de Me Kelleher. La solution porte le nom « Apollo 2.0 » et se présente ainsi. Les concessionnaires indépendants introduisent l'information sur les clients dans un ordinateur, et l'information est transmise à Telus. Cependant, l'information n'entre pas automatiquement dans les systèmes informatiques de Telus. Elle est plutôt conservée dans une mémoire-tampon, comme c'était le cas avec le TEC avant juin 2001. Un message apparaît alors sur l'écran du préposé aux activations, qui lui indique qu'un concessionnaire indépendant souhaite l'activation ou la modification d'un compte sans fil. Le message désigne le concessionnaire indépendant, mais ne contient pas de détails sur le client ou sur le compte. À la réception de ce message, la tâche du préposé aux activations est de faire un simple clic de souris, dont le résultat est que l'information fournie par le concessionnaire indépendant se dirige électroniquement vers les systèmes informatiques de Telus. Le préposé aux activations n'a pas la possibilité de se dispenser de faire le clic de souris lorsqu'il a reçu le message du concessionnaire indépendant. La tâche que doit exécuter le préposé aux activations n'a aucune fonction, si ce n'est celle de lui donner une tâche, si symbolique soit-elle, sans laquelle un compte sans fil ne peut être activé ou modifié. Apollo 2.0 était en service au 1er juillet 2002.

[26]            La position de Telus est que le simple clic de souris requis des préposés aux activations avec Apollo 2.0 corrige la contravention de Telus à la lettre d'accord, parce que les systèmes TAC et RVI ne sont plus utilisés d'une manière qui exclut les préposés aux activations. La position du STT est que Telus n'a pas corrigé sa contravention à la lettre d'accord et que, par conséquent, s'agissant de l'ordonnance judiciaire du 11 mars 2002, Telus est encore en infraction, se rendant par là coupable d'outrage au tribunal.

[27]            Le 24 mai 2002, dès que l'exception d'incompétence soulevée par Telus fut rejetée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, le STT engageait une procédure d'outrage. Une ordonnance d'exposé de moyens fut rendue le 10 juin 2002 contre Telus et M. Wells. Le juge Rouleau a instruit l'affaire en novembre 2002 et rendu son jugement le 6 décembre 2002, en rejetant la demande du STT. Le STT fait appel de ce jugement.

[28]            Le STT et Telus ne s'entendent pas sur le sens de l'ordonnance, ou sur ce que Telus est tenue de faire pour s'y conformer. Les dispositions principales de l'ordonnance sont reproduites ici par commodité :


[traduction] J'ordonne que l'employeur cesse de contrevenir à la lettre d'accord datée du 4 décembre 1992, que la téléactivation par le concessionnaire (TAC) et la réponse vocale interactive (RVI) ne soient pas utilisées d'une manière qui exclut les employés membres de l'unité de négociation, enfin que les systèmes informatiques de TELUS Mobilité demeurent entièrement sous le contrôle de TELUS Mobilité et ne soient utilisés que par les employés de TELUS Mobilité.

[29]            La manière dont le STT interprète l'ordonnance s'appuie sur l'idée selon laquelle elle impose ce que le STT a appelé une « norme d'exclusivité » . C'est l'expression employée par le STT pour communiquer l'idée suivante : compte tenu de l'exigence selon laquelle « les systèmes informatiques de TELUS Mobilité doivent demeurer entièrement sous le contrôle de TELUS Mobilité et être utilisés uniquement par les employés de TELUS Mobilité » , il ne saurait y avoir de conformité à l'ordonnance si l'information sur les clients qui est nécessaire pour activer ou modifier un compte sans fil est introduite par des concessionnaires indépendants directement dans les systèmes informatiques de Telus sans qu'un travail soit nécessaire de la part des préposés aux activations. Le STT soutient que, fondamentalement, le travail des préposés aux activations a tout simplement disparu en juin 2001 lorsqu'ont été instituées la TAC et la RVI, et la situation n'a pas été corrigée par le simple clic de souris requis des préposés aux activations à compter du 1er juillet 2002.


[30]            Telus ne conteste pas que la lettre d'accord, telle que l'a interprétée Me Kelleher, requiert que les préposés aux activations interviennent de quelque manière dans le processus consistant à introduire l'information dans les systèmes informatiques de Telus pour activer ou modifier des comptes sans fil. Cependant, Telus soutient que la qualité de cette intervention n'est pas précisée dans l'ordonnance et que Telus ne saurait donc avoir contrevenu à l'ordonnance ni être coupable d'outrage au tribunal simplement parce qu'elle a adopté un processus dans lequel l'intervention des préposés aux activations est symbolique.

[31]            Après examen de l'ordonnance et des diverses décisions de Me Kelleher, il m'est impossible de dire, comme le voudrait le STT, que l'ordonnance impose une « norme d'exclusivité » , selon le sens donné à cette expression par le STT. Accepter cette conclusion, c'est admettre la proposition selon laquelle un concessionnaire indépendant qui introduit dans un ordinateur l'information sur le client et transmet cette information par l'Internet à la mémoire-tampon de Telus, où elle doit demeurer jusqu'à ce qu'un préposé aux activations fasse un clic de souris, exerce par le fait même un contrôle sur les systèmes informatiques de Telus ou utilise les systèmes en question. Cette proposition n'apparaît pas dans l'ordonnance. Et elle ne s'y trouve pas implicitement.


[32]            Les décisions de Me Kelleher portent sur la situation postérieure à juin 2001, au moment où, avec la TAC et la RVI, les concessionnaires indépendants commençaient d'introduire l'information directement dans les systèmes informatiques de Telus. Il a estimé que l'intégralité du travail des préposés aux activations avait été éliminée dans la plupart des situations normales. Il a conclu que l'élimination du travail des préposés aux activations n'était pas une sous-traitance et que Telus n'était pas en contravention avec le premier élément de fond de la lettre d'accord ( « ... que ... les concessionnaires n'ont pas la capacité d'accéder aux systèmes informatiques de BC TEL Mobility Cellular... » ). Il a relevé que la disposition sur l' « accès » est ambiguë et ne signifiait sans doute pas le simple fait d'introduire des informations dans un système informatique.

[33]            Cependant, Me Kelleher a estimé que Telus avait contrevenu au deuxième élément de la lettre d'accord ( « les systèmes demeureront entièrement sous le contrôle de BC TEL Mobility Cellular et seront utilisés uniquement par ses employés » ). Il n'en dit pas plus sur cette conclusion. Cependant, il va de soi que, s'il y a contravention, il doit s'agir de l'action consistant à déplacer vers les concessionnaires indépendants tel ou tel aspect du contrôle ou du fonctionnement des systèmes informatiques de Telus. La seule chose qui ait changé en juin 2001 lorsqu'ont été instituées la TAC et la RVI était que, dans la plupart des cas, les préposés aux activations étaient totalement exclus du processus consistant à introduire dans les systèmes informatiques de Telus l'information requise pour activer ou modifier un compte sans fil. Il est donc raisonnable de conclure, comme l'a fait Telus, que c'était le fait d'exclure totalement les préposés aux activations de ce processus qui ferait que Telus négligerait de s'assurer que ses systèmes informatiques demeurent entièrement sous son contrôle et ne sont utilisés que par ses employés.


[34]            Cette conclusion est appuyée par plusieurs constats faits par Me Kelleher sur la manière dont le travail des préposés aux activations s'est modifié en juin 2001, lorsqu'ont été instituées la TAC et la RVI, notamment les constats suivants extraits de la décision du 26 juin 2001 (dossier d'appel, volume 1, pages 7 et 8) :

[traduction] ... Bien sûr, avec la mise en service de la TAC, les préposés aux activations ne font plus le travail d'extraction. Dans une simple commande personnelle qui ne comporte pas de complications, le préposé aux activations n'intervient plus. Le travail consistant à saisir les données dans les systèmes de la Compagnie est fait en réalité par le concessionnaire. Le travail du préposé aux activations à cet égard a été réduit à l'extraction (par l'adoption du système TEC) et il est maintenant éliminé par la TAC, sauf pour les nombreuses activations qui entraînent des complications.

Le changement adopté en juin 2001 [c'est-à-dire la mise en service de la TAC et de la RVI] signifie que ce sont les concessionnaires qui introduisent les données dans les bases de données de la Compagnie.

[35]            Voir aussi les propos suivants, tirés de la décision du 17 septembre 2001 (dossier d'appel, volume I, page 12) :

[traduction] La TAC permet aux concessionnaires de TELUS Mobilité d'activer un téléphone mobile sans qu'intervienne l'unité de négociation. Je suis d'avis que la mise en service de la TAC est contraire à une lettre d'accord datée du 4 décembre 1992.


[36]            Je ne vois rien non plus dans l'ordonnance, ni dans l'une quelconque des décisions de Me Kelleher, qui impose un niveau particulier ou une qualité particulière d'intervention de la part des préposés aux activations dans le processus consistant à activer ou à modifier des comptes sans fil. Un simple clic de souris, ce n'est pas beaucoup de travail. Cela ne requiert pas beaucoup d'habilité ni beaucoup de réflexion. Il est difficile d'imaginer un niveau plus faible d'intervention dans un processus. Cependant, il n'y a dans l'ordonnance absolument rien qui permette d'affirmer qu'il faut davantage qu'un simple clic de souris pour corriger la contravention à la lettre d'accord.

[37]            La conclusion inévitable, c'est que Telus n'a pas contrevenu à l'ordonnance et qu'elle ne saurait donc être déclarée coupable d'outrage au tribunal. Dans ces conditions, M. Wells ne peut être trouvé coupable d'outrage au tribunal.

Appel incident interjeté par Telus sur la question des dépens

[38]            Le juge Rouleau n'avait pas adjugé de dépens « en raison des circonstances environnantes, ainsi qu'en raison des diverses interprétations que l'on pourrait attribuer à l'ordonnance de l'arbitre » (paragraphe 50 de ses motifs, dossier d'appel, volume 1, page 52). Telus fait valoir que ni les « circonstances environnantes » ni l'ambiguïté de l'ordonnance ne sauraient être invoquées pour lui nier les dépens auxquels elle a en principe droit en tant que partie qui a obtenu gain de cause.

[39]            Une adjudication de dépens est discrétionnaire et ne sera pas réformée en appel à moins qu'elle ne soit fondée sur une erreur de droit ou sur une absence de prise en compte des facteurs pertinents. Les facteurs qui peuvent être pris en compte sont nombreux, et ils comprennent tout aspect que le juge estime à propos : Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, paragraphe 400(2). Après examen du dossier et étude des arguments de Telus, je ne crois pas qu'il soit opportun ici de modifier la décision relative aux dépens.


Dispositif

[40]            L'appel et l'appel incident devraient être rejetés, avec dépens.

                                                                                                                                      _ K. Sharlow _                

                                                                                                                                                     Juge                        

« Je souscris aux présents motifs

     Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          A-120-03

INTITULÉ :                                         SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

c.

TELUS MOBILITÉ et DAVID WELLS

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 29 JANVIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                           LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                        LE 9 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

MORLEY D. SHORTT                                                                       POUR L'APPELANT

ISRAEL CHAFETZ                                                                              POUR L'INTIMÉE

ROY C. FILION                                                                                  POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shortt, Moore & Arsenault                                                                    POUR L'APPELANT

Taylor, Jordan & Chafetz                                                                       POUR L'INTIMÉE

Filion Wakely Thorup Angeletti LLP                                                      POUR L'INTIMÉ


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.