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Date: 19980206


Dossier: A-347-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 6 FÉVRIER 1998.

EN PRÉSENCE DE :          MONSIEUR LE JUGE MARCEAU

                 MADAME LE JUGE DESJARDINS

                 MONSIEUR LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     ROBERT C. JOHNSTON,

     requérant,


et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     JUGEMENT

         La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens, la décision du juge de la Cour de l"impôt est annulée et l"affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l"impôt pour qu"elle statue de nouveau sur celle-ci en tenant compte du fait que le requérant a droit au crédit d"impôt pour déficience prévu à l"article 118.3.

     " Louis Marceau "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date: 19980206


Dossier: A-348-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 6 FÉVRIER 1998.

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE MARCEAU

                 MADAME LE JUGE DESJARDINS

                 MONSIEUR LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     ROBERT C. JOHNSTON,

     requérant,


et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     JUGEMENT

         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du juge de la Cour de l"impôt est annulée et l"affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l"impôt pour qu"elle statue de nouveau sur celle-ci en tenant compte du fait que le requérant a droit au crédit d"impôt pour déficience prévu à l"article 118.3.

     " Louis Marceau "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date: 19980206


Dossiers: A-347-97

A-348-97

CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     ROBERT C. JOHNSTON,

     requérant,


et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     Audience tenue à Edmonton (Alberta), le mercredi 14 janvier 1998.

     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 6 février 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y A SOUSCRIT :      LE JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT EN PARTIE :      LE JUGE MARCEAU


Date: 19980206


Dossiers: A-347-97

A-348-97

CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     ROBERT C. JOHNSTON,

     requérant,


et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

Les faits et les questions en litige

[1]      Il s"agit de demandes de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un juge de la Cour de l"impôt a refusé d"accorder au requérant le crédit d"impôt pour déficience prévu aux alinéas 118.3(1)a .1) et 118.4(1)c) de la Loi de l"impôt sur le revenu (la Loi).

[2]      En vertu de l"alinéa 118.3(1)a .1), le contribuable a droit à un crédit d"impôt pour déficience mentale ou physique si les conditions suivantes sont réunies :

     a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;         
     a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;         
     a.2) un médecin en titre ou, s"il s"agit d"une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;         
     b) le particulier présente au ministre l"attestation visée à l"alinéa a .2) pour une année d"imposition;         
     c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n"est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d"une déduction en application de l"article 118.2 pour l"année (autrement que par application de l"alinéa 118.2(2)b .1)).         

[3]      L"article 118.4 définit la déficience de la façon suivante :

     118.4: Déficience grave et prolongée.         
     (1)      Pour l"application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:         
         a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d"affilée ou s"il est raisonnable de s"attendre à ce qu"elle dure au moins 12 mois d"affilée;         
         b) la capacité d"un particulier d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l"aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;         
         c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier:         
             (i) la perception, la réflexion et la mémoire,         
             (ii) le fait de s"alimenter et de s"habiller,         
             (iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,         
             (iv) le fait d"entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,         
             (v) les fonctions d"évacuation intestinale ou vésicale,         
             (vi) le fait de marcher;         
         d) il est entendu qu"aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n"est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.         

[4]      En l"espèce, il s"agit de déterminer si, en raison d"une déficience physique grave et prolongée, la capacité du requérant de marcher, de s"alimenter et de s"habiller est limitée de façon si marquée que l"on peut dire que celui-ci est incapable d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne ou qu"il est incapable d"accomplir une telle activité sans y consacrer un temps excessif.

[5]      Le requérant est né en juillet 1935. Il est atteint d"une déficience congénitale, la dysplasie spondiloépiphysaire. Cette déficience empêche les articulations du corps de se former normalement et donne lieu à une forme d"arthrite dégénérative qui se manifeste de plusieurs façons. Cette déficience n"a pas été diagnostiquée chez le requérant à sa naissance ni au cours de sa petite enfance. Vers l"âge de neuf ans, sa hanche droite a commencé à le faire souffrir. Elle s"engourdissait et faisait qu"il s"écroulait s"il courait ou s"adonnait à une activité physique. Le médecin de famille du requérant, croyant qu"il s"agissait d"une fêlure de la hanche droite, a ordonné à ce dernier de marcher avec des béquilles, ce qu"il a fait pendant presque deux années. Or, tout juste avant de cesser de marcher avec des béquilles, le requérant a subi des rayons X qui ont révélé l"existence d"un problème de dos. Le requérant a alors appris qu"il était atteint d"arthrose.

[6]      Bien qu"il habitât Edmonton avec sa famille, le requérant a passé près de deux années au Children"s Red Cross Hospital, à Calgary. Il devait coucher dans un lit qui gardait son dos en position arquée et plaçait sa tête et ses pieds à des niveaux différents. Lorsqu"il a quitté l"hôpital vers l"âge de 13 ans, il a dû réapprendre à marcher. Il est retourné vivre avec sa famille à Edmonton, où il a complété ses études secondaires; il ne pouvait cependant pas participer à des sports d"équipe. Lorsqu"il a complété ses études secondaires en 1952, le requérant, alors âgé de 17 ans, savait qu"il devait se trouver un emploi qui lui permettrait de travailler en position assise, car il ne pouvait pas travailler debout, vu ses problèmes de dos et de hanches. Il s"est trouvé un emploi au sein du service de la comptabilité d"Alberta Government Telephones (AGT); il y a gravi les échelons et travaillé pendant 35 années, jusqu"à ce qu"il prenne sa retraite en 1987, à l"âge de 52 ans. Il a pris sa retraite à ce moment-là pour des raisons de santé, mais il a attendu d"avoir 55 ans, soit jusqu"en 1990, avant de toucher sa pension, pour éviter que celle-ci ne soit réduite.

[7]      Le requérant a eu plusieurs graves problèmes de santé qui semblent liés directement ou indirectement à la dysplasie spondiloépiphysaire, dont il est atteint. En 1977, on a remplacé sa hanche droite. En 1980, on a enlevé le cartilage de son genou gauche. En 1982, il a subi une intervention chirurgicale au cours de laquelle son genou gauche a été fracturé et replacé. En 1983, il a fait une crise cardiaque qui était probablement lié aux problèmes affectant ses os et ses articulations, lesquels l"empêchaient de faire assez d"exercice pour assurer le bon fonctionnement de son système cardio-vasculaire. En 1990, il a subi un triple pontage. En mars 1994, on a remplacé sa hanche gauche. Les techniques de remplacement de hanche se sont grandement améliorées au cours des 20 dernières années, mais en 1977, il avait été avisé que sa hanche droite artificielle ne fonctionnerait que pendant 15 à 20 ans.

[8]      Malgré tous ces problèmes de santé, le requérant a mené une vie active. En effet, il s"est procuré divers appareils, dont certains ont été installés dans sa maison, qui lui permettent d"accomplir certaines activités courantes de la vie quotidienne, soit le fait de marcher, de s"habiller et de s"alimenter.

[9]      Le juge de la Cour de l"impôt a conclu, bien que la déficience du requérant fût grave et prolongée, que la capacité de celui-ci de marcher, de s"alimenter et de s"habiller n"était pas, en 1992 et 1993, limitée de façon marquée au sens de l"alinéa 118.4(1)b ) et qu"il n"avait donc pas droit au crédit pour déficience, pour ces années d"imposition.

Objectif et historique des dispositions légales

[10]      L"objectif des articles 118.3 et 118.4 ne vise pas à indemniser la personne atteinte d"une déficience mentale ou physique grave et prolongée, mais plutôt à l"aider à défrayer les coûts supplémentaires liés au fait de devoir vivre et travailler malgré une telle déficience. Comme le juge Bowman le dit dans l"arrêt Radage v. R.1, à la p. 2528 :

     L"intention du législateur semble être d"accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L"intention n"est pas d"accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d"un tel allégement fiscal, et l"intention est que cette disposition profite à de telles personnes.         

Le juge poursuit à la p. 2529 en faisant la remarque suivante, à laquelle je souscris :

     Pour donner effet à l"intention du législateur, qui est d"accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu"à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.         

[11]      En effet, même si elles ne s"appliquent qu"aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l"intention du législateur, voire irait à l"encontre de celle-ci.

[12]      Dans l"arrêt Landry v. Her Majesty the Queen2, le juge Lamarre Proulx a fait l"historique de ces dispositions légales. Avant 1986, dit-elle, la déduction était accordée aux personnes atteintes de cécité totale ou dans l"obligation de garder le lit ou de rester dans un fauteuil roulant chaque jour, pendant de longues périodes, en raison d"une maladie, d"une blessure ou d"une infirmité. Le contribuable avait alors droit au crédit d"impôt s"il n"avait demandé aucune déduction pour les sommes versées à un préposé ou à une maison de santé en échange de soins dont il avait besoin en raison de sa déficience.

[13]      En 1986, on a décidé d"accorder également la déduction aux personnes victimes de l"un ou l"autre de plusieurs handicaps qui, bien que graves, ne les obligeaient pas à garder le lit ou à rester dans un fauteuil roulant3 :

     Une nouvelle définition applicable aux années d"imposition 1986 et suivantes, et dont l"application sera vérifiée par les experts médicaux du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, a été élaborée afin de s"appliquer à tous les Canadiens victimes d"un handicap grave. Elle s"appliquera aux personnes souffrant, par exemple, de cécité, d"une insuffisance cardio-respiratoire grave, d"une maladie ou déficience mentale, de surdité bilatérale profonde et de lésion fonctionnelle du système neuro- ou musculosquelettique, qui ont également besoin d"une aide fiscale. Les personnes chargées d"appliquer cette définition médicale générale évalueront l"admissibilité des demandeurs en évaluant les renseignements fournis par la personne handicapée (ou son représentant). Si le handicap a pour effet de restreindre sensiblement les activités de la personne dans sa vie quotidienne et que l"incapacité a duré ou est censée durer pendant une période ininterrompue d"au moins 12 mois, la personne recevra un certificat d"invalidité et aura droit à la déduction fiscale. La nouvelle définition est conforme à l"objectif d"existence autonome des personnes handicapées qui est énoncé dans le rapport du Comité parlementaire spécial concernant les invalides et les personnes handicapées.         

[14]      L"expression " activités de la vie quotidienne " utilisée dans la loi de 1986 n"avait pas été définie. Cependant, Revenu Canada considérait dans ses lignes directrices administratives publiées que l"expression renvoyait à des fonctions élémentaires telles le fait de voir, d"entendre, de parler et de marcher, mais excluait le fait de travailler, de s"adonner à des activités sociales ou récréatives ou d"accomplir des travaux ménagers4.

[15]      En 1991, le Parlement a modifié la Loi en y ajoutant une définition de l"expression " activités de la vie quotidienne ". Cette définition ne faisait qu"incorporer dans la Loi les lignes directrices administratives appliquées jusque-là par Revenu Canada. Comme l"a fait remarquer à juste titre le juge Lamarre-Proulx, cette " nouvelle définition " se voulait conforme à l"objectif d"existence autonome des personnes handicapées. Les personnes gravement handicapées avaient droit à un allégement fiscal sans avoir à demeurer clouées au lit la majeure partie de leur vie. Le ministère de la Santé a donné aux termes " activités de la vie quotidienne " le sens d"" activités fondamentales de la vie quotidienne "5. En fait, la modification de 1991 de la Loi laissait intacts les critères d"admissibilité alors en vigueur, lesquels étaient appliqués conformément aux lignes directrices administratives de Revenu Canada6.

Le critère auquel le réclamant doit satisfaire

[16]      Pour avoir droit au crédit d"impôt prévu à l"art. 118.3, le contribuable atteint d"une déficience physique grave et prolongée doit établir que sa capacité d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée.

[17]      Il a déjà été défini que l"expression " limitée de façon marquée " renvoyait à l"incapacité d"une personne, en tout temps ou presque, même avec des soins thérapeutiques et l"aide des appareils et des médicaments indiqués, d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne. En outre, on considère que la capacité d"une personne est limitée de façon marquée si cette dernière doit consacrer un temps excessif pour accomplir une telle activité.

[18]      On n"a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. À mon avis, l"expression " temps excessif " renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé. Il implique une différence marquée d"avec ce que l"on considère normal.

L"activité courante qui consiste à marcher

[19]      Le juge de la Cour de l"impôt a conclu que la capacité du requérant de marcher n"était pas limitée de façon marquée vu que celui-ci était capable de marcher lentement, qu"il ne devait pas consacrer un temps excessif pour accomplir cette activité et que sa déficience ne l"affectait pas toujours ou presque toujours.

[20]      L"avocate de l"intimée a souscrit à cette conclusion du juge et prétendu devant nous qu"un juge pouvait examiner le mode de vie d"un réclamant pour déterminer si sa capacité d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne était limitée de façon marquée. Cette prétention de l"avocate de l"intimée doit être précisée davantage.

[21]      L"article 118.4 mentionne clairement qu"il est entendu qu"aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n"est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne. Cela veut dire, d"une part, que le réclamant n"a pas droit au crédit d"impôt si la déficience dont il est atteint l"empêche d"avoir des rapports sociaux ou de s"adonner à des activités récréatives. Cependant cela signifie également, d"autre part, que le réclamant ne peut être pénalisé et privé du crédit s"il est capable d"établir des rapports sociaux ou de s"adonner à des activités récréatives.

[22]      Cependant, il peut ressortir de la nature des activités sociales ou récréatives du réclamant que sa capacité de marcher, de s"habiller ou de s"alimenter n"est pas limitée de façon marquée. À mon avis, ce n"est pas le mode de vie comme tel du réclamant qui est pertinent pour évaluer l"incapacité de ce dernier, mais plutôt la nature, la durée et la fréquence de toute autre activité à laquelle il s"adonne, étant donné que le fait d"accomplir une telle autre activité peut contribuer à établir que sa capacité d"accomplir les activités courantes de la vie quotidienne n"est pas limitée de façon marquée.

[23]      Je suis convaincu que pour évaluer la capacité du requérant de marcher et la distance ainsi couverte, le juge de la Cour de l"impôt pouvait à bon droit tenir compte d"autres activités de ce dernier, tel le fait de conduire son auto et de se déplacer souvent pour aller jouer au bridge ou recevoir des soins thérapeutiques.

[24]      Cependant, j"estime qu"il a mal compris les exigences prévues dans la Loi de même que l"ensemble de la preuve lorsqu"il a conclu, sur la question de la marche, que le requérant n"avait pas droit au crédit d"impôt pour déficience vu qu"il marchait beaucoup et que la déficience dont il était atteint ne l"affectait pas toujours ou presque toujours.

[25]      Il ressort de la preuve que le requérant éprouve énormément de difficulté à marcher, qu"il doit se servir d"une ou de deux cannes ou encore de mains courantes pour parcourir de courtes distances, qu"il se sert d"un fauteuil roulant pour ses déplacements plus importants, qu"il ne marche que si cela est nécessaire, que, dans le meilleur des cas, il ne peut marcher sur plus de 50 pieds, que son état l"empêche parfois même de sortir du lit, qu"il passe dix mauvaises journées par mois, qu"il ne peut aller au-delà d"un seul pâté de maisons sinon il serait incapable de revenir, et qu"il marche de 10 à 15 minutes par jour tout au plus7.

[26]      Bien que la preuve concernant le temps que met le requérant à parcourir une courte distance à pied manquât d"exactitude et de rigueur, il n"en demeure pas moins que le témoignage du requérant sur ce point n"a pas été contredit et rien ne porte à croire que le juge ne l"a pas cru. Le requérant a témoigné que le temps qu"il met à parcourir une distance de 50 pieds équivaut probablement à celui au cours duquel une personne en santé franchirait six pâtés de maisons8. En contre-interrogatoire, il a affirmé qu"il mettrait probablement cinq minutes à parcourir une distance de 50 pieds9. Le requérant a peut-être surévalué la capacité d"une personne en santé de franchir à pied six pâtés de maisons en cinq minutes, mais il n"en demeure pas moins qu"il lui faut cinq minutes pour parcourir une distance de seulement 50 pieds. À mon avis, cela constitue un temps excessif. En outre, plus la distance s"allonge, plus il ralentit et met de temps à la parcourir10.


[27]      Dans l"arrêt Thomas c. R.11, notre Cour a ordonné la tenue d"une nouvelle audience au motif, entre autres, que le juge de la Cour de l"impôt avait omis de tenir compte du fait que le réclamant mettait de 20 à 25 minutes à parcourir à pied une distance qu"une personne en santé mettrait sept minutes à parcourir. Bien que la Cour n"ait pas jugé excessif le temps que le réclamant mettait à parcourir cette distance, elle a tout de même estimé qu"il y avait une différence assez marquée d"avec ce que l"on considère normal pour justifier un examen de la part du juge de la Cour de l"impôt.

[28]      À mon avis, il ressort de la preuve dont nous sommes saisis que la capacité du requérant de marcher est, à cause de la déficience physique grave et prolongée dont il est atteint, à tout moment limitée de façon marquée, et ce en raison des limites importantes avec lesquelles il doit composer et du temps excessif qu"il doit consacrer pour accomplir cette activité courante de la vie quotidienne.

Les activités courantes qui consistent à s"alimenter et à s"habiller

[29]      Le juge de la Cour de l"impôt a conclu que cet aspect de la revendication du requérant était peu fondée vu que le requérant avait en bonne partie l"usage de ses mains, fait que le juge a déduit de la fréquence avec laquelle le requérant conduisait sa voiture12.

[30]      Avec égards, j"estime que le juge a défini de façon trop restrictive le fait de " s"alimenter " et de " s"habiller " et que, par conséquent, il n"a pas véritablement tenu compte du témoignage du requérant relativement à ces questions.

[31]      L"avocate de l"intimée nous a présenté un point de vue auquel le juge de la Cour de l"impôt a souscrit selon lequel la notion de " s"alimenter " renvoyait à la capacité d"une personne de prendre des aliments d"une assiette et de les porter à sa bouche. Je suis fortement en désaccord. Il ne fait aucun doute qu"un enfant de deux ans peut prendre des aliments d"une assiette et les porter à sa bouche, mais il ne fait aucun doute non plus que personne n"affirmerait que cet enfant est capable de s"alimenter. Je souscris à l"opinion exprimée par le juge Bonner dans la décision M.R. Hodgin v. The Queen13:

     [TRADUCTION] J"aborde maintenant le fait de s"alimenter. Cela signifie, à mon avis, davantage que le simple fait de prendre un repas apprêté par une autre personne. On ne peut pas dire que la personne est capable de s"alimenter si elle ne peut se servir d"ingrédients de base, tels ceux que l"on trouve habituellement dans une épicerie, pour faire la cuisine ou autrement apprêter un repas. Pour satisfaire au critère, la personne doit pouvoir s"alimenter et non seulement prendre un repas. La loi est claire à cet égard. La capacité requise de s"alimenter comprend la capacité d"apprêter un nombre raisonnable de repas variés, et non seulement celle de préparer des collations, des friandises ou des plats congelés. En l"espèce, l"appelante, en raison des difficultés qu"elle éprouvait à se servir de ses mains, avait tellement besoin de l"aide de son époux pour apprêter les repas que l"on pouvait conclure, à bon droit, qu"elle était incapable de s"alimenter. [Non souligné dans l"original.]         

[32]      La notion de s"alimenter implique également, à mon avis, la capacité d"apprêter un repas conforme à un régime alimentaire imposé à des fins médicales, régime qui, de concert avec des médicaments, vise à maintenir l"état de santé d"une personne ou, du moins, à en empêcher la détérioration.

[33]      En limitant la notion de s"alimenter à la capacité de prendre un repas, on néglige le fait que la Loi a pour objectif, faut-il le répéter, d"apporter une aide financière aux personnes qui, parce qu"elles sont atteintes d"une déficience, ont besoin de cette aide pour accomplir une activité courante de la vie quotidienne comme celle-là. Le fait d"inclure la préparation d"un repas acceptable dans la notion de s"alimenter est, au contraire, entièrement compatible avec un tel objectif et l"esprit dans lequel le législateur a établi le crédit pour déficience.

[34]      En l"espèce, une preuve abondante établit qu"à part le fait de pouvoir se servir d"un four à micro-ondes pour faire cuire une pomme de terre ou préparer une tasse de thé et celui de pouvoir se faire un sandwich à l"occasion14, le requérant ne peut, de façon générale, préparer de la nourriture, à plus forte raison la nourriture que requiert son état de santé et les médicaments qu"il prend15, qu"il a besoin d"aide pour apprêter ses repas chaque jour16, et que son état l"empêche, de 10 à 12 jours par mois, de sortir de son lit ou de descendre l"escalier17.

[35]      À mon avis, le requérant est incapable de s"alimenter, au sens de la Loi ou, au mieux, il doit consacrer un temps excessif à l"accomplissement de cette activité.


[36]      En ce qui concerne le fait de pouvoir s"habiller, d"une part, l"avocate de l"intimée a interprété de façon très restreinte ce que signifiait une telle expression. À son avis, cette expression ne renvoie qu"à la capacité de se vêtir et de se dévêtir. D"autre part, le juge a conclu que si le fait de " s"alimenter " comprenait la préparation des repas, le fait de " s"habiller " devrait comprendre le lavage et le séchage des vêtements. Je suis en désaccord avec ces deux propositions. Tout comme la notion de s"alimenter ne se limite pas au simple fait de prendre un repas, la notion de s"habiller ne se limite pas au simple fait de se vêtir et de se dévêtir, encore qu"il ne soit pas nécessaire qu"elle englobe le lavage et le séchage des vêtements pour que soit appliquée l"intention du législateur.

[37]      À mon avis, la notion de s"habiller comprend la capacité d"accomplir les activités élémentaires d"hygiène personnelle qui y sont liées, telles le fait de se raser et de prendre un bain.

[38]      Encore une fois, la preuve établit clairement que le requérant consacre un temps excessif le matin à s"habiller et à se préparer à passer la journée. Il a témoigné que chaque jour, il avait besoin de l"aide de son épouse pour laver la partie inférieure de son corps, surtout ses orteils et ses pieds18, qu"il avait besoin de l"aide de son épouse pour recouvrir la partie inférieure de ses jambes quand il s"habillait19, qu"il mettait 20 minutes à faire ce qu"une personne en santé ferait normalement en cinq minutes20, qu"il lui fallait 15 minutes pour enfiler et boutonner une chemise21 et qu"il avait besoin de trois à quatre minutes pour mettre une paire de chaussettes, même avec l"aide d"appareils22. Le requérant a témoigné qu"il consacrait deux heures à deux heures et demie à s"habiller le matin, ce qui comprend un bain et une séance d"exercices (qui peut durer jusqu"à 30 minutes), qui sont nécessaires étant donné qu"il ne peut, le matin, faire bouger ses membres engourdis23.

[39]      L"avocate de l"intimée a soutenu qu"il ne fallait pas tenir compte de la séance d"exercices matinale d"une demi-heure en évaluant le temps dont le requérant avait besoin pour s"habiller. Je suis en désaccord. En effet, le requérant doit faire ces exercices, vu la déficience dont il est atteint, s"il veut se servir de ses membres et, par conséquent, être capable de s"habiller. Le temps que le requérant met à surmonter les effets de sa déficience en vue d"être capable d"accomplir une activité courante de la vie quotidienne comme celle-là fait partie du temps excessif qu"il consacre à s"habiller.

[40]      À mon avis, le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur de droit lorsqu"il a conclu que le requérant pouvait s"alimenter et s"habiller et, par conséquent, n"avait pas droit au crédit pour déficience.

[41]      Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire devraient être accueillies, la décision du juge de la Cour de l"impôt devrait être annulée et l"affaire devrait être renvoyée à la Cour canadienne de l"impôt pour qu"elle statue de nouveau sur celle-ci en tenant compte du fait que le requérant a droit au crédit d"impôt pour déficience prévu à l"article 118.3.

     " Gilles Létourneau "

     J.C.A.

Je souscris à ces motifs.

     Alice Desjardins

         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date: 19980206


Dossiers: A-347-97

     A-348-97

CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

     ROBERT C. JOHNSTON,

     requérant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MARCEAU

[1]      J"ai eu l"avantage de lire l"ébauche des motifs de jugement exposés par mon collègue le juge Létourneau.

[2]      Ayant à l"esprit qu"une cour, dans une procédure de révision judiciaire, doit faire preuve d"une grande retenue à l"égard des conclusions du juge de première instance dans une affaire comportant autant de conclusions de fait, j"ai été longtemps d"avis que la décision faisant l"objet du présent appel était inattaquable. Cependant, les questions fondamentales devant être tranchées ne sont pas de simples questions de fait, mais plutôt des questions à la fois de fait et de droit. Il faut constamment évaluer la preuve, mais cela doit se faire à la lumière d"une bonne compréhension des dispositions légales applicables. J"estime maintenant que mon collègue a raison de dire que le juge de la Cour de l"impôt a tiré certaines de ses conclusions après s"être mépris sur les exigences prévues dans la Loi en matière d"octroi du crédit d"impôt en question. Il est clair que les dispositions en cause s"adressent aux personnes gravement handicapées qui n"ont pas constamment besoin d"aide pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. Ces dispositions ont été adoptées précisément compte tenu de ce qui précède, ce qui, en passant, explique pourquoi le crédit n"est pas accordé aux personnes qui ont droit à une déduction à l"égard des frais engagés en vue de recevoir des soins en établissement24. Il me semble que le Parlement n"a pu se servir des qualificatifs " de façon marquée ", " excessif " et " presque toujours ", lesquels n"ont pas été définis, de manière à ce qu"aucune personne capable de vivre avec un certain degré d"autonomie malgré certains handicaps ne serait exclue.

[3]      Je n"estime pas que le juge de la Cour de l"impôt s"est trompé lorsqu"il a conclu que le requérant n"avait pas établi que sa capacité de s"alimenter et de s"habiller était limitée de façon marquée au sens de la disposition applicable. Quant à la question de savoir si le requérant peut " s"alimenter ", le fait qu"il serait incapable d"apprêter des repas équilibrés et de faire ses provisions n"équivaut pas, à mon avis, à l"" importante limite " mentionnée dans la disposition en cause. Soutenir que " s"alimenter " veut dire apprêter un repas dans le cadre d"un régime alimentaire imposé pour des raisons médicales équivaut à dénaturer les conventions du langage. Ces mots, pris dans leur sens ordinaire, ne peuvent pas, me semble-t-il, couvrir un tel champ sémantique. En outre, le fait que les travaux ménagers soient expressément exclus des activités courantes de la vie quotidienne confirme clairement que le législateur n"avait pas l"intention d"étendre le sens des mots en question, étant donné que l"expression " travaux ménagers " comprend habituellement toutes les activités liées au fait de " tenir maison ", telle la préparation des repas. Quant à la question de savoir si le requérant peut " s"habiller ", ces mots, encore une fois pris dans leur sens ordinaire, ne peuvent renvoyer aux exercices thérapeutiques que le requérant dit devoir faire en sortant du lit le matin. On ne peut donc pas dire que le temps dont il a besoin pour " s"habiller " une fois qu"il a fait ses exercices thérapeutiques, soit de 15 à 20 minutes en moyenne et possiblement jusqu"à une demi-heure, soit " excessif " au sens de la disposition applicable.

[4]      La partie de l"analyse de mon collègue qui me paraît maintenant convaincante est celle qui a trait à la capacité " limitée de façon marquée " du requérant de marcher. Je n"ai pas à examiner de nouveau la preuve sur cette question. Je renvoie plutôt aux motifs exposés par mon collègue, pour aller droit au but. Il me semble que le Parlement n"a pu vouloir faire en sorte que les crédits d"impôt pour déficience ne soient accordés qu"aux seules personnes établissant que leur mobilité est restreinte davantage que celle du requérant en l"espèce. La capacité de ce dernier de marcher d"un point à un autre est si limitée qu"il est presque complètement handicapé. En confirmant la décision du juge de première instance et concluant que le requérant n"a pas droit au crédit d"impôt pour déficience, nous limiterions gravement la disposition en cause, ce qui irait à l"encontre de l"objectif même de la Loi.

[42]      Je statuerais sur la demande comme l"a suggéré mon collègue.

     " Louis Marceau "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR D"APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                          A-348-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  Robert C. Johnston c. Sa Majesté

                                 la Reine

LIEU DE L"AUDIENCE :                      Edmonton (Alberta)
DATE DE L"AUDIENCE :                      le 14 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      le juge Létourneau

Y A SOUSCRIT :                          le juge Desjardins

Y A SOUSCRIT EN PARTIE :                  le juge Marceau

EN DATE DU :                          6 février 1998

ONT COMPARU :

M. Jon Gilbert                          pour le requérant

Mme Rhonda Nahorniak                      pour l"intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Felesky Flynn                          pour le requérant

Edmonton (Alberta)

M. George Thomson                          pour l"intimée

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

COUR D"APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                          A-347-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  Robert C. Johnston c. Sa Majesté

                                 la Reine

LIEU DE L"AUDIENCE :                      Edmonton (Alberta)
DATE DE L"AUDIENCE :                      le 14 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      le juge Létourneau

Y A SOUSCRIT :                          le juge Desjardins

Y A SOUSCRIT EN PARTIE :                  le juge Marceau

EN DATE DU :                          6 février 1998

ONT COMPARU :

M. Jon Gilbert                          pour le requérant

Mme Rhonda Nahorniak                      pour l"intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Felesky Flynn                          pour le requérant

Edmonton (Alberta)

M. George Thomson                          pour l"intimée

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      [1996] 3 C.T.C. 2510.

2      [1995] 1 C.T.C. 2030.

3      Voir les Documents budgétaires du 23 mai 1985, à la p. 57.

4      Voir le Document budgétaire du 26 février 1991, à la p. 144.

5      Landry (J.-L.) v. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2030, à la p. 2038.

6      Voir la Loi de l"impôt sur le revenu, Ministère des Finances, Notes explicatives, 9e éd., 1997, Carswell Thomson Professional Publishing, aux pp. 885 et 886.

7      Transcription, aux pp. 28, 56, 59 à 63, 65, 70, 89, 94, 97-99, 104 à 107, 135, 137, 138.

8      Transcription, aux pp. 64 et 65.

9      Transcription, à la p. 129.

10      Id.

11      [1997] 2 C.T.C. 20.

12      Décision, à la p. 8.

13      [1995] E.T.C. 515.

14      Transcription, aux pp. 66, 67, 110, 112.

15      Transcription, aux pp. 49, 66, 108, 110.

16      Transcription, aux pp. 67, 112, 113.

17      Transcription, aux pp. 62 et 63.

18      Transcription, aux pp. 30, 32, 73, 117.

19      Transcription, à la p. 72.

20      Transcription, à la p. 74.

21      Transcription, à la p. 115.

22      Transcription, à la p. 123.

23      Transcription, aux pp. 57, 74, 75, 93 et 117.

     Dans Landry v. Her Majesty the Queen, [1995] 1 C.T.C. 2030, le juge Lamarre-Proulx fait un excellent résumé de l"histoire de ces dispositions.

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