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Date : 20051206

Dossier : A-320-05

Référence : 2005 CAF 410

CORAM :       LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE ROTHSTEIN                   

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

CALGON CARBON CORPORATION

appelante

et

CORPORATION DE LA VILLE DE NORTH BAY

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 novembre 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE LINDEN

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER


Date : 20051206

Dssier : A-320-05

Référence : 2005 CAF 410

CORAM :       LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE ROTHSTEIN

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

CALGON CARBON CORPORATION

appelante

et

CORPORATION DE LA VILLE DE NORTH BAY

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

INTRODUCTION

[1]                Il s'agit de l'appel d'un jugement par lequel la Cour fédérale a accueilli la requête pour jugement sommaire de l'intimée (North Bay) et rejeté l'action en contrefaçon de brevet de l'appelante (Calgon) contre North Bay. Le juge des requêtes a conclu que le brevet de Calgon était invalide parce qu'il concernait uniquement la découverte non brevetable d'un avantage jusque là inconnu d'une invention existante. Comme il ne peut y avoir contrefaçon d'un brevet invalide, le juge a rendu un jugement sommaire et rejeté l'action.

QUESTION EN LITIGE

[2]                La seule question que soulève le présent appel est de savoir si le juge des requêtes a fait erreur en concluant que le brevet de Calgon était invalide au motif qu'il ne constituait qu'une découverte.

LE BREVET CONTESTÉ

[3]                Le brevet contesté, le brevet canadien numéro 2,333,525 (brevet 525), décrit un procédé pour prévenir la réplication des oocystes de Cryptosporidium qui consiste à irradier l'eau à l'aide de faibles doses de rayonnements ultraviolets (UV). Cryptosporidium est un protozoaire dont la consommation, dans l'eau potable, est susceptible de causer une infection. Les oocystes sont des ovules immatures (oeufs).

[4]                Calgon reconnaît que le procédé d'irradiation de l'eau au moyen de rayonnements UV de faible intensité a été utilisé dans le passé pour le traitement de l'eau et la destruction des bactéries et des virus, mais pas pour prévenir la réplication du protozoaire Cryptosporidium. Avant l'octroi du brevet 525, on pensait qu'il était nécessaire de détruire ou d'inactiver les oocystes de Cryptosporidium pour prévenir la contamination qu'ils peuvent causer. Pour ce faire, des doses élevées de rayonnements UV d'au moins 3 000 mJ/cm2 étaient requises.

[5]                Le brevet 525 fait savoir que l'on a découvert qu'il n'est pas nécessaire de détruire ou d'inactiver les oocystes de Cryptosporidium pour prévenir la contamination. Il suffit de transmettre un rayonnement UV qui permette d'en prévenir la réplication. Les doses de rayonnements UV requises pour prévenir la réplication des oocystes sont moins importantes que celles nécessitées pour les détruire ou les inactiver. Selon l'exposé de l'invention, la méthode décrite dans le brevet 525 permet d'accroître considérablement la rentabilité de l'utilisation des rayons UV pour réduire le taux d'infection causée par la présence de Cryptosporidium dans l'eau potable.

[6]                Les revendications du brevet sont les suivantes :

[Traduction]

1. Procédé pour prévenir la réplication de Cryptosporidium parvum à l'aide d'un rayonnement ultraviolet continu en bande large fournissant une dose comprise entre environ 10 mJ/cm2 et environ 175 mJ/cm2.

2. Procédé tel que celui décrit dans la revendication numéro 1 dans lequel le rayonnement à large bande de fréquence comprise entre 200 et 300 nm est produit au moyen d'une lampe à ultraviolets.

3. Procédé tel que celui décrit dans les revendications numéros 1 et 2 dans lequel la dose est comprise entre environ 20 mJ/cm2 et environ 30 mJ/cm2.

4. Procédé tel que celui décrit dans la revendication numéro 1 dans lequel le rayonnement à large bande de fréquence comprise entre 200 et 300 nm est produit au moyen d'une lampe à ultraviolets à pression moyenne.

LA DÉCISION DU JUGE DES REQUÊTES

[7]                Le juge des requêtes a conclu que l'élément essentiel du brevet 525 est « l'utilisation du système [de faibles doses de rayonnements UV] pour prévenir la réplication de Cryptosporidium parvum » . Cependant, il a aussi conclu que l'utilisation de ce procédé pour le traitement de l'eau existait déjà et que ce procédé était de fait utilisé avant le brevet. L'on savait que le procédé détruisait des bactéries et des virus. Le seul changement est que l'on sait désormais que la « vieille » méthode est efficace pour supprimer le danger de maladie attribuable à Cryptosporidium. Il a jugé en conséquence que l'utilisation de l'ancienne méthode pour prévenir la réplication de Cryptosporidium parvum est une simple découverte et non une invention brevetable.

[8]                Appliquant la décision de la Section de première instance (maintenant la Cour fédérale) dans Riello Canada, Inc. c. Lambert (1986), 9 C.P.R. (3d) 324 (C.F. 1re inst..), le juge a déclaré que pour satisfaire au critère de la brevetabilité, dans les circonstances, il devait y avoir un nouveau procédé, un nouveau résultat, un nouveau produit ou une nouvelle combinaison pour produire un ancien produit ou un ancien résultat. Or il a estimé que le procédé et le produit sont les mêmes et que le résultat est le même, bien qu'on ne l'ait pas découvert auparavant; et du fait que l'utilisation du procédé formulé dans le brevet 525 pour la prévention de la réplication de Cryptosporidium parvum consiste en une simple découverte, il ne s'agit pas d'une nouvelle invention. En conséquence, il a estimé que le brevet 525 était invalide.

ANALYSE

Application de l'arrêt Shell Oil

[9]                Le point de départ est la définition du mot « invention » à l'article 2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

"invention" means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

[10]            La définition d' « invention » exige que la réalisation ou le procédé soit nouveau et utile. L' « utilité » vise les applications pratiques par opposition à la théorie; la « nouveauté » implique une contribution à la connaissance, l'apport de quelque chose qui était jusqu'alors inconnu.

[11]            Dans l'affaire Shell Oil c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536, on avait découvert que des composés connus pouvaient être destinés à un nouvel usage comme régulateurs de la croissance végétale. La juge Wilson a expliqué que le nouvel usage applicable à un composé connu constituait une invention au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets. Elle a dit à la page 549 :   

En quoi consiste l' « invention » selon l'art. 2? Je crois que c'est l'application de cette nouvelle connaissance afin d'obtenir un résultat, qui a une valeur commerciale indéniable et qui répond à la définition de l'expression « toute réalisation ... présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité » . Je crois qu'il faut donner au mot « réalisation » de la définition son sens général de « science » ou « connaissance » . Dans ce cas, la découverte de l'appelante a augmenté le bagage de connaissances au sujet de ces composés en leur trouvant des propriétés jusqu'alors inconnues et elle a établi la méthode par laquelle on peut leur donner une application pratique. À mon sens, cela constitue une « réalisation ... présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité » et les compositions sont la réalisation pratique de la nouvelle connaissance.

[12]            Il appert que le juge des requêtes a fait la distinction d'avec l'arrêt Shell en remarquant que dans Shell, les propriétés jusqu'alors inconnues étaient des propriétés nouvelles, alors qu'en l'espèce, le procédé était ancien. Le juge s'est exprimé comme suit au paragraphe 16 :

Dans l'arrêt Shell Oil, la Cour suprême du Canada a reconnu que le brevet doit porter sur une « méthode par laquelle on peut leur [les propriétés jusqu'alors inconnues] donner une application pratique » . En l'espèce, il n'y a pas de nouvelle méthode. Le système de traitement fait appel à la même « vieille » méthode que les systèmes qui sont utilisés, entre autres, à Fort Benton et Trout Lake. Il n'y a pas de différence entre l'ancienne et la nouvelle méthode, comme Mme Huffman l'a affirmé. Les résultats obtenus n'ont pas changé non plus : tant l'ancienne que la nouvelle méthode préviennent la réplication de Cryptosporidium parvum. Le seul élément nouveau tient à ce qu'il a été démontré que le système de purification d'eau déjà utilisé pour éliminer les bactéries et les virus est également efficace pour supprimer le danger de maladie attribuable à Cryptosporidium parvum.

De l'avis du juge des requêtes, l'utilisation d'une ancienne invention pour prévenir la réplication de Cryptosporidium parvum est une simple découverte, pas une nouvelle invention, même si son avantage au regard de Cryptosporidium était jusque là inconnu.

[13]            J'ai examiné attentivement le raisonnement du savant juge, mais je ne puis souscrire à sa conclusion. L'arrêt Shell enseigne que la découverte, à l'égard d'une invention existante, d'un usage nouveau qui peut avoir une application pratique constitue une invention. À la page 549, la juge Wilson fait observer :

Si j'ai raison de dire que la découverte d'un usage nouveau et réalisable en pratique de ces composés constitue une « invention » au sens de la définition, je ne vois rien dans la Loi qui interdise une revendication visant ces compositions.

[...]

En l'espèce, l'activité inventive se trouve dans la découverte du nouvel usage et point n'est besoin d'autre activité inventive pour appliquer les composés à cet usage, c.-à-d. préparer les compositions appropriées.

[14]            La juge Wilson, dans l'arrêt Shell, s'est appuyée sur l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre Hickton's Patent Syndicate v. Patents and Machined Improvements Co. (1909), 26 R.P.C. 339. La situation dans Hickton's semble très similaire aux circonstances du présent appel.

[15]            Voici une paraphrase assez précise de l'exposé que fait la juge Wilson de l'arrêt Hickton's à la page 550 de l'arrêt Shell. Dans cette affaire, le demandeur avait eu l'idée d'équilibrer la consommation du fil sur un métier à dentelle grâce à un procédé connu sous le nom de « secouage » , qui n'avait rien de nouveau. Il s'agit d'une technique ordinairement employée pour produire un dessin dans la pièce de dentelle en cours de fabrication. Mais on n'avait pas songé auparavant à l'utiliser pour équilibrer la consommation du fil. L'équilibrage se faisait à la main en intervertissant les bobines. Il était manifeste d'après la preuve qu'une fois l'idée formée, aucune autre activité inventive n'était nécessaire pour la mettre en pratique. Le demandeur qui avait obtenu un brevet pour cette idée et la méthode d'application a intenté une action en contrefaçon. Au procès, l'action en contrefaçon a été rejetée au motif que le brevet était invalide. La Cour d'appel a infirmé cette décision. Le maître des rôles Cozens-Hardy a indiqué à la page 347 :

[Traduction] Il se peut qu'une fois qu'on a eu l'idée d'appliquer une chose connue à une fin particulière et nouvelle, le moyen de la mettre en pratique soit évident, l'idée n'est pas moins un objet valable de brevet.

La juge Wilson a fait remarquer que dans Hickton's, « la Cour d'appel d'Angleterre a statué qu'une idée est brevetable même si sa réalisation manque tout à fait de nouveauté. Aucune autre invention n'est nécessaire pour la mettre en pratique. »

[16]            Une simple découverte, comme une observation scientifique, n'est pas une invention. Si l'on découvre, à titre d'observation, que les rayons UV préviennent la réplication de Cryptosporidium parvum, cette découverte est une observation scientifique pour laquelle aucun brevet ne peut être obtenu.

[17]            Toutefois, comme l'enseigne l'arrêt Hickton's, la découverte d'une application nouvelle et utile pour un procédé existant représente plus qu'une observation scientifique. Dans la présente affaire, les revendications du brevet proposent une solution pratique à un problème pratique. Voilà qui est plus qu'une simple découverte. Une observation scientifique, en soi, n'a aucune application pratique. Le caractère d'utilité, en l'espèce, provient du procédé d'utilisation de doses particulières de rayonnements UV pour prévenir la réplication des oocystes de Cryptosporidium. L'aspect nouveau, auparavant inconnu, du procédé provient de ce que l'utilisation de doses particulières de rayonnements UV traite l'eau adéquatement pour en prévenir la contamination attribuable à Cryptosporidium.Cette application permet d'éviter d'avoir recours à une méthode plus coûteuse pour parvenir au même résultat. Ces caractéristiques satisfont à la définition d' « invention » .

[18]            Pour paraphraser la juge Wilson dans l'arrêt Shell, c'est l'application de la nouvelle connaissance de ce que l'irradiation de l'eau à l'aide de faibles doses de rayonnements UV prévient la réplication de Cryptosporidium parvum qui a une valeur commerciale. Cette nouvelle application pour un procédé existant répond en conséquence à l'expression « réalisation [...] présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité » comprise dans la définition d' « invention » à l'article 2 de la Loi. La découverte de Calgon a augmenté le bagage des connaissances au sujet de l'utilisation de faibles doses de rayonnements UV dans le processus de traitement de l'eau.

[19]            Il est possible que l'irradiation de l'eau à l'aide de faibles doses de rayonnements UV permette dans certains cas d'éviter d'avoir recours à des doses élevées de rayonnements UV, plus coûteuses en énergie, ou d'abandonner purement et simplement d'autres procédés de traitement de l'eau contre Cryptosporidium. Bien que l'irrigation de l'eau à l'aide de faibles doses de rayonnements UV pour la traiter contre Cryptosporidium ne constitue pas en soi un nouveau procédé, elle consiste néanmoins en une nouvelle utilisation découverte pour ce procédé et correspond par conséquent à une réalisation qui présente le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

Antériorité

[20]            Bien que le juge des requêtes ait fait allusion à l'antériorité, sa décision de rendre un jugement sommaire et de rejeter l'action de Calgon repose exclusivement sur la conclusion portant qu'une découverte ne peut être brevetée. Il n'a pas statué sur la requête pour jugement sommaire en concluant à l'invalidité du brevet 525 pour cause d'antériorité. La question de l'antériorité a été abordée de manière superficielle dans les mémoires et les plaidoiries des parties devant notre Cour. Comme le juge des requêtes n'a pas statué sur la question de l'antériorité et considérant que les parties n'ont présenté que de brèves remarques à cet égard devant nous, j'estime qu'il n'est pas opportun que la Cour tranche cette question dans le cadre du présent appel.

CONCLUSION

[21]            Je suis d'avis que le savant juge des requêtes a fait erreur en accueillant la requête pour jugement sommaire pour le motif que le brevet 525 était invalide parce qu'il ne porte que sur une découverte. En conséquence, à mon avis, l'appel devrait être accueilli, la décision du juge des requêtes devrait être annulée et la requête pour jugement sommaire devrait être rejetée avec dépens tant en appel qu'en Cour fédérale.

« Marshall Rothstein »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-320-05

INTITULÉ :                                                    CALGON CARBON CORPORATION c.

                                                                        CORPORATION DE LA VILLE DE NORTH BAY

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 2 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE LINDEN

                                                                        LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 6 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Ronald E. Dimock

Michael E. Crinson                                                                    POUR L'APPELANTE

T. Gary O'Neill

David A. Tait                                                                             POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DIMOCK STRATTON s.r.l.

Toronto (Ontario)                                                                      POUR L'APPELANTE

GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l.

Ottawa (Ontario)                                                                       POUR L'INTIMÉE

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