Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040908

Dossier : A-554-03

Référence : 2004 CAF 289

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                       VIRGINIA JAKUTAVICIUS

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                   intimé

                                      Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 31 août 2004.

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE NADON

                                                                                                                      LA JUGE SHARLOW


Date : 20040908

Dossier : A-554-03

Référence : 2004 CAF 289

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                       VIRGINIA JAKUTAVICIUS

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                   intimé

                                                                             

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                Il s'agit d'un appel de la décision de la Cour fédérale de rejeter une requête en prolongation du délai relatif à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire.


FAITS

[2]                En 1998, l'appelante occupait le poste de coordinatrice principale - Notes d'information, Développement des Ressources humaines Canada. Il s'agissait d'un poste de niveau PM-06. En mars 1998, on a demandé à l'appelante de prendre, en sus de ses propres fonctions, celles de directrice intérimaire, Relations fédérales-provinciales et Relations avec la clientèle, à compter d'avril 1998, pendant que la titulaire du poste serait affectée à un autre poste. Quelque temps après avoir accepté et avoir cumulé les deux fonctions, le supérieur de l'appelante l'a avisée que la direction avait l'intention de combiner officiellement les deux postes quand la titulaire du poste donnerait sa démission, ce qui devait se produire. L'appelante affirme avoir compris qu'il y aurait un examen de la classification du poste à ce moment-là.

[3]                L'appelante dit que lors d'une rencontre avec le sous-ministre adjoint, Travail, le 18 février 2000, elle a été avisée que les deux postes combinés seraient soumis à un examen de la classification et elle a conclu que la nouvelle classification s'appliquerait avec effet au mois d'avril 1998. Toutefois, le 19 mai 2000, l'appelante aurait été avisée officiellement que ses fonctions de « coordination et d'information » seraient confiées au bureau du sous-ministre adjoint, à compter du 23 mai 2000.


[4]                L'appelante dit qu'elle s'est sentie [traduction] « trahie et déçue » et que l'avis révélait que la direction n'avait pas du tout l'intention de procéder à l'examen de la classification tel que promis, mais qu'elle allait plutôt régler la situation en répartissant les responsabilités des deux postes.

[5]                Le 24 mai 2000, l'appelante a signé un grief qui disait :

[traduction]

Le poste occupé d'avril 1998 à mai 2000 n'était pas classifié correctement.

Elle a demandé le redressement suivant :

[traduction]

Un examen de la classification du poste.

[6]                Le syndicat de l'appelante a soumis le grief à la direction le 23 juin 2000.

[7]                Le grief a été soumis aux diverses étapes de la procédure de règlement des griefs prévues par la convention collective de l'appelante. Le 6 mai 2003, le dernier palier de la procédure de règlement des griefs a rejeté le grief. L'appelante dit qu'elle a été avisée de la décision par courriel le 13 mai 2003 et qu'elle a reçu une copie écrite de celle-ci le 14 mai 2003.

[8]                Le rejet, par le dernier palier, du grief de l'appelante était fondé sur des motifs d'ordre procédural.

[traduction]

Je constate que votre grief a été soumis plus de vingt-cinq (25) jours après réception par vous de la décision qui lui a donné lieu, plus précisément, près de deux ans plus tard. Il a donc été présenté hors les délais prévus par l'article 18.10 de la convention collective des Services d'administration des programmes qui prévoit qu'un grief doit être présenté dans les 25 jours à compter du jour où l'employé a pris connaissance de la décision donnant lieu au grief; par conséquent, le grief est rejeté.


[9]                En vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 mai 2003 devait être déposée devant la Cour fédérale vers le 13 juin 2003. Elle ne l'a pas été. L'appelante a plutôt communiqué à diverses reprises avec son syndicat pour lui faire part de son insatisfaction de la décision du 6 mai 2003 et du fait qu'elle souhaitait une sorte de redressement. Apparemment, elle voulait que le syndicat poursuive l'affaire. Il ressort de ces communications, que le syndicat n'appuyait pas l'appelante puisque le 2 juillet 2003, le syndicat a dit à cette dernière qu'elle pouvait retenir les services d'un avocat si elle le souhaitait et obtenir un avis juridique indépendant concernant les mesures qu'elle devait prendre.

[10]            La date à laquelle l'appelante a retenu les services d'un avocat n'est pas précisée au dossier mais, le 19 août 2003, c'était chose faite. Par la suite, il y a eu d'autres communications entre le syndicat et l'appelante dont la dernière a été une lettre du syndicat datée du 2 septembre 2003 avisant l'appelante qu'elle pouvait demander le contrôle judiciaire de la décision à la Cour fédérale à ses propres frais mais que, de l'avis du syndicat, sa demande ne serait pas accueillie.

[11]            Le 3 septembre 2003, près de trois mois après l'expiration du délai prescrit, l'appelante a déposé un avis de requête en prolongation du délai relatif à une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.


[12]            Le requête a été examinée en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) DORS/98-106, modifiées, en conformité avec les documents déposés. Dans une ordonnance rendue le 24 octobre 2003, la requête en prolongation du délai a été rejetée. Les motifs de la juge des requêtes sont succincts :

[traduction]

APRÈS examen des critères établis dans Grewal c. Canada (MEI), [1985] 2 C.F 263 (C.A.), et expliqués dans Council of Canadians c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) (1997), 212 N.R. 254 (C.A.F.), et n'ayant pas été convaincue que la demanderesse a fait preuve de diligence et qu'elle a présenté une raison susceptible de justifier le retard et la Cour constatant également que le bien-fondé de la demande elle-même soulève un doute,

LA COUR ORDONNE :

1.    Que la requête soit rejetée.

ANALYSE

[13]            J'ai eu l'avantage d'entendre les plaidoiries orales, contrairement à la juge des requêtes. En outre, on ne saurait reprocher à cette dernière la concision de ses motifs. En règle générale, il n'est pas nécessaire de présenter des motifs détaillés dans une requête en prolongation du délai. Ce n'est que très rarement que la Cour interviendra dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge des requêtes lorsqu'il s'agit d'une requête en prolongation du délai.


[14]            La décision d'accorder ou de refuser une prolongation du délai est discrétionnaire. Le critère applicable en matière de contrôle de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge est de savoir si le juge de première instance a accordé suffisamment d'importance à tous les éléments de preuve pertinents. Voir Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, à la page 404.

[15]            Dans Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 263, le juge en chef Thurlow a précisé les questions susceptibles d'être pertinentes lors d'une demande de prolongation du délai. Le tribunal doit s'examiner notamment :

1.         si le demandeur avait l'intention de présenter sa demande de contrôle judiciaire dans le délai prescrit et s'il a toujours eu cette intention par la suite;

2.         la longueur de la période pour laquelle la prolongation est exigée;

3.         si cette prolongation causerait un préjudice à la partie adverse;

4.         l'explication donnée;

5.         si la cause est soutenable, c'est-à-dire s'il existe des motifs d'annuler l'ordonnance que le demandeur veut contester au moyen d'un contrôle judiciaire.

[16]            Toutefois, ces règles n'entravent pas le pouvoir discrétionnaire de la Cour. Aux pages 277 et 278 de Grewal, le juge en chef Thurlow dit :

Cependant, en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre.


[17]            Le juge des requêtes est donc libre de décider des facteurs dont il tiendra compte selon les faits en cause. Voir également Council of Canadians c. Directeur des enquêtes et recherches (1997), 212 N.R. 254 (C.A.F.), le juge Hugessen (aujourd'hui, juge de la Cour fédérale), au paragraphe 2. Une fois les facteurs pertinents choisis, il faut donner à chacun d'eux une importance suffisante.

[18]            En l'espèce, je ne suis pas convaincu qu'une importance suffisante ait été accordée au bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire présentée par l'appelante.

[19]            La décision rendue par le dernier palier de la procédure de règlement des griefs semble fondée sur la prémisse que le grief de l'appelante visait une décision prise en avril 1998 au moment où elle a cumulé les deux fonctions. Toutefois, selon les documents déposés relativement à la demande de prolongation du délai, c'est la décision de la direction de ne pas soumettre le poste de l'appelante à un examen de classification qui a donné lieu au grief de l'appelante. Cette dernière n'a été avisée de cette décision que le 19 mai 2000. Son grief a été présenté à la direction le 24 juin 2000, conformément au délai prescrit par la convention collective de l'appelante pour ce qui concerne la présentation d'un grief. Apparemment, l'appelante n'a pas été contre-interrogée relativement à son affidavit, et l'intimé n'a soumis aucune preuve contredisant les affirmations de l'appelante dans son affidavit.


[20]            Il semble, selon la preuve déposée relativement à la requête en prolongation du délai, qu'il est très probable que le dernier palier de procédure de règlement des griefs se soit trompé. Si la preuve de l'appelante pour ce qui touche le contrôle judiciaire est celle qu'elle a présentée relativement à la requête en prolongation du délai et que l'intimé ne dépose aucune preuve contradictoire, la décision qui a donné lieu au contrôle judiciaire serait celle dont elle a été avisée le 19 mai 2000. Son grief aurait été présenté dans les délais prévus par sa convention collective. Le dernier palier, qui semble avoir cru que la période de temps pendant laquelle elle avait cumulé les deux rôles était la décision visée par le grief, aurait donc commis une erreur. Il n'appartient pas à la Cour de décider du bien-fondé du contrôle judiciaire proposé par l'appelante et la preuve présentée lors du contrôle judiciaire pourrait bien être différente de celle qui vise la requête en prolongation du délai. Toutefois, loin de soulever un doute sur le bien-fondé du contrôle judiciaire proposé, la preuve dont la juge des requêtes était saisie laisse à penser que l'appelante dispose d'arguments irréfutables.

[21]            Je reconnais que dans une lettre du syndicat dont copie a été transmise à l'appelante, il est indiqué que la classification n'est pas une question qui relève de l'arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35. Ce serait pour cette raison que le syndicat n'a pas recommandé que le grief soit soumis à l'arbitrage. J'ignore si le syndicat a raison. L'avocat qui représente l'appelante en l'espèce a expliqué à la Cour que l'appelante ne contestait pas une décision en matière de classification, mais la violation d'une entente concernant l'examen de la classification de son poste. Quoi qu'il en soit, le dossier ne contient aucun autre renseignement susceptible de nous éclairer davantage.


[22]            Si c'est cette opinion qui a amené la juge des requêtes a avoir des doutes quant au bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire de l'appelante, j'estime que ce doute n'a pas sa raison d'être. La seule question qui se pose dans le contrôle judiciaire proposé est de savoir si la décision d'ordre procédural prise par le dernier palier de la procédure de règlement des griefs est correcte. Avant que la question d'accès à l'arbitrage ne se pose, le contrôle judiciaire doit permettre de déterminer si la décision du dernier palier doit être annulée et l'affaire renvoyée pour nouvelle décision.

[23]            Pour ces motifs, à mon humble avis, la savante juge des requêtes n'a pas accordé suffisamment d'importance au bien-fondé du contrôle judiciaire proposé. Bien entendu, la juge des requêtes n'a pas fondé sa décision de rejeter la demande de prolongation de l'appelante uniquement sur l'opinion qu'elle s'était formée concernant le bien-fondé du contrôle judiciaire proposé. Elle a également conclu que l'appelante n'avait pas fait preuve de diligence et n'avait pas donné une explication satisfaisante du délai. C'est l'examen de tous ces facteurs qui ont amené la juge des requêtes à exercer son pouvoir discrétionnaire et à rejeter la demande. Toutefois, si elle avait accordé suffisamment d'importance au bien-fondé du contrôle judiciaire proposé, sa décision n'aurait peut-être pas été la même.


[24]            Dans les circonstances en cause, il est loisible à la Cour de renvoyer l'affaire devant la juge des requêtes pour nouvelle décision ou, subsidiairement, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de novo. Puisque cette affaire n'est pas encore réglée alors que quatre années se sont écoulées depuis le début de la procédure de grief, je suis d'avis que, pour accélérer le processus, la Cour doit trancher.

[25]            Certes, les lacunes de l'explication du délai fournie par l'appelante jouent contre elle. Par contre, il s'agit d'un délai de moins de trois mois. L'intimé reconnaît qu'il ne subira aucun préjudice si la prolongation est accordée. Et, comme je l'ai dit, la preuve laisse à penser que l'appelante a des arguments irréfutables pour demander le contrôle judiciaire.

[26]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et la requête en prolongation du délai pendant lequel l'appelante peut déposer sa demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire devra être présentée au plus tard le 30 septembre 2004.

                                                                                                           

                                                                           « Marshall Rothstein »                    

    Juge

« Je souscris aux présents motifs

Marc Nadon, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                                      COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                A-554-03

(APPEL D'UN JUGEMENT OU ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE, DOSSIER NO 03-T-43)

INTITULÉ :               VIRGINIA JAKUTAVICIUS

c.                                                                       

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 31 AOÛT 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE NADON      

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

John R.S. Westdal                                             POUR L'APPELANTE

Michael Roach                                                  POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sevigny Law Office

Ottawa (Ontario)                                               POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR L'INTIMÉ


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.