Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20051223

Dossier : A-643-04

Référence : 2005 CAF 442

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

ENTRE :

ALAIN CHARRON

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 9 novembre 2005.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le xx décembre 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                     LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY


Date : 20051223

Dossier : A-643-04

Référence : 2005 CAF 442

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

ENTRE :

ALAIN CHARRON

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'un appel et d'un appel incident déposés à l'encontre d'une décision, rendue par le juge Pinard de la Cour fédérale le 5 novembre 2004, qui accueillait, en partie, une demande de contrôle judiciaire déposée par l'appelant, Alain Charron, visant à faire annuler le calcul effectué par le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ) de sa date d'admissibilité à la libération conditionnelle d'office.

[2]                La question principale devant nous concerne la détermination du mode de calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office d'un citoyen canadien, condamné aux États-unis pour un crime et ayant purgé une partie de sa peine aux États-unis qui, par la suite, a été transféré au Canada pour y purger le résidu de sa peine américaine et qui, suite à son transfert au Canada, a été condamné à purger une peine additionnelle imposée par un tribunal canadien.

[3]                Les appels soulèvent l'interprétation de certaines dispositions de la Loi sur le transfèrement des délinquants, L.R.C. (1985), ch. T-15 ( « Loi sur le transfèrement » ) et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. (1992), ch. 20 « Loi sur le système correctionnel » . Je reproduis donc immédiatement les dispositions pertinentes de ces lois :

LOI SUR LE TRANSFÈREMENT

4. Lorsqu'un délinquant canadien est transféré au Canada, sa déclaration de culpabilité et sa sentence, le cas échéant, par un tribunal de l'État étranger d'où il est transféré sont présumées être celles qu'un tribunal canadien compétent lui aurait imposées pour une infraction criminelle.

[...]

11. Il est tenu compte pour le délinquant canadien transféré au Canada, au jour du transfèrement, du temps véritablement passé en détention et des remises de peine que lui a accordées l'État étranger dont un tribunal l'a condamné.

11.1 (1) Si le délinquant canadien transféré au Canada est détenu dans un pénitencier, la date de sa libération d'office est celle à laquelle il a purgé la partie de la peine qu'il lui reste à purger conformément à l'article 11, moins :

a) d'une part, toute réduction de peine que lui a accordée l'État étranger;

b) d'autre part, le tiers de la partie de la peine qu'il lui reste à purger, une fois déduite toute réduction de peine visée à l'alinéa a).

(2) Si le délinquant canadien transféré au Canada est détenu dans une prison, la date de sa libération d'office est celle à laquelle il a purgé la partie de la peine qu'il lui reste à purger conformément à l'article 11, moins :

a) d'une part, toute réduction de peine que lui a accordée l'État étranger;

b) d'autre part, la réduction de peine méritée sur la partie de la peine qu'il lui reste à purger, une fois déduite toute réduction de peine visée à l'alinéa a).

12. Sous réserve des articles 11 et 11.1, le délinquant canadien transféré au Canada est assujetti à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou à la Loi sur les prisons et les maisons de correction, selon le cas, comme s'il avait été condamné au Canada et si la peine lui y avait été infligée.

***************

LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL

127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

[...]

(3) La date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement le 1er novembre 1992 ou par la suite est, sous réserve des autres dispositions du présent article, celle où il a purgé les deux tiers de sa peine.

[...]

139. (1) L'individu assujetti à une peine d'emprisonnement non encore expirée et qui est condamné à une peine d'emprisonnement supplémentaire est, pour l'application du Code criminel, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction et de la présente loi, réputé n'avoir été condamné qu'à une seule peine commençant le jour du début de l'exécution de la première et se terminant à l'expiration de la dernière à purger.

(2) Le présent article n'a pas pour effet de modifier la date fixée par le paragraphe 719(1) du Code criminel pour le début de l'exécution de chacune des peines qui, aux termes du présent article, sont réputées n'en constituer qu'une.

TRANSFER OF OFFENDERS ACT

4. Where a Canadian offender is transferred to Canada, his finding of guilt and sentence, if any, by a court of the foreign state from which he is transferred is deemed to be a finding of guilt and a sentence imposed by a court of competent jurisdiction in Canada for a criminal offence.

...

11. A Canadian offender transferred to Canada shall, at the date of the transfer, be credited with any time toward completion of a sentence imposed by a court of a foreign state that, at that date, had actually been spent in confinement in the foreign state or that was credited, by the foreign state, towards completion of the sentence.

11.1 (1) Where a Canadian offender transferred to Canada is detained in a penitentiary, the offender is entitled to be released on statutory release on the day on which the offender has served the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion of the sentence with which the offender was credited in accordance with section 11 less

(a) any credits, given by the foreign state, towards release before the expiration of the sentence; and

(b) one third of the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion referred to in paragraph (a).

(2) Where a Canadian offender transferred to Canada is detained in a prison, the offender is entitled to be released on the day on which the offender has served the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion with which the offender was credited in accordance with section 11 less

(a) any credits, given by the foreign state, towards release before the expiration of the sentence;

(b) the amount of any remission granted, pursuant to the Prisons and Reformatories Act, on the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion referred to in paragraph (a).

12. Subject to sections 11 and 11.1, a Canadian offender transferred to Canada is subject to the Corrections and Conditional Release Act or the Prisons and Reformatories Act, as the case may be, as if the offender had been convicted and the sentence imposed by a court in Canada.

*****************

CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT

127. (1) Subject to any provision of this Act, an offender sentenced, committed or transferred to penitentiary is entitled to be released on the date determined in accordance with this section and to remain at large until the expiration of the sentence according to law.

...

(3) Subject to this section, the statutory release date of an offender sentenced on or after November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences is the day on which the offender completes two thirds of the sentence.

...

139. (1) Where a person who is subject to a sentence that has not expired receives an additional sentence, the person is, for the purposes of the Criminal Code, the Prisons and Reformatories Act and this Act, deemed to have been sentenced to one sentence commencing at the beginning of the first of those sentences to be served and ending on the expiration of the last of them to be served.

(2) This section does not affect the time of commencement, pursuant to subsection 719(1) of the Criminal Code, of any sentences that are deemed under this section to constitute one sentence.

[4]                L'article 719 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, est aussi pertinent et je le reproduis :

719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

(2) Les périodes durant lesquelles une personne déclarée coupable est illégalement en liberté ou est légalement en liberté à la suite d'une mise en liberté provisoire accordée en vertu de la présente loi ne sont pas prises en compte dans le calcul de la période d'emprisonnement infligée à cette personne.

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d'une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l'infraction.

(4) Malgré le paragraphe (1), une période d'emprisonnement, infligée par un tribunal de première instance ou par le tribunal saisi d'un appel, commence à courir ou est censée reprise, selon le cas, à la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence.

(5) Malgré le paragraphe (1), lorsque la peine infligée est une amende avec un emprisonnement à défaut de paiement, aucune période antérieure à la date de l'exécution du mandat d'incarcération ne compte comme partie de la période d'emprisonnement.

(6) Une demande d'autorisation d'appel constitue un appel pour l'application du présent article.

719. (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.

(2) Any time during which a convicted person is unlawfully at large or is lawfully at large on interim release granted pursuant to any provision of this Act does not count as part of any term of imprisonment imposed on the person.

(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence.

(4) Notwithstanding subsection (1), a term of imprisonment, whether imposed by a trial court or the court appealed to, commences or shall be deemed to be resumed, as the case may be, on the day on which the convicted person is arrested and taken into custody under the sentence.

(5) Notwithstanding subsection (1), where the sentence that is imposed is a fine with a term of imprisonment in default of payment, no time prior to the day of execution of the warrant of committal counts as part of the term of imprisonment.

(6) An application for leave to appeal is an appeal for the purposes of this section.

[5]                Afin de bien saisir la question devant nous, un bref résumé des faits s'impose.

[6]                L'appelant, un citoyen canadien, a été arrêté le 17 février 1996 aux Bahamas, en vertu d'une demande d'extradition des autorités américaines.

[7]                Le 18 juillet 2000, il a été extradé aux États-unis et le 26 juin 2001, il a été condamné par la US District Court for the Western District of New York à deux peines d'emprisonnement consécutives de 48 mois.

[8]                Le 19 juin 2002, l'appelant a été transféré au Canada pour y purger le résidu de sa peine américaine, en vertu du Traité entre le Canada et les États-unis d'Amérique sur l'exécution des peines imposées aux termes du droit américain.

[9]                Lors de l'arrivée de l'appelant au Canada, le SCC, conformément aux articles 11 et 11.1 de la Loi sur le transfèrement, a calculé sa date d'éligibilité à la libération d'office, ainsi que la date de la fin de son mandat d'incarcération. En raison de ce calcul, l'appelant devenait éligible à la libération d'office le 13 décembre 2002 et sa date de fin de mandat était fixée au 11 mars 2003.

[10]            Le 6 mars 2003, soit cinq jours avant la date de fin de son mandat, l'appelant a été condamné au Canada, inter alia, à deux peines concurrentes de cinq années d'emprisonnement.

[11]            Le SCC a dès lors procédé à un nouveau calcul de la peine de l'appelant. Selon ce calcul, effectué conformément aux articles 11 et 11.1 de la Loi sur le transfèrement et du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel, sa date d'admissibilité à la libération d'office était repoussée au 10 avril 2006, alors que sa date de fin de mandat était fixée au 5 mars 2008.

[12]            Par voie de demande de contrôle judiciaire déposée en Cour fédérale, l'appelant a contesté le nouveau calcul effectué par le SCC. Au soutien de sa demande, l'appelant mettait de l'avant deux arguments. En premier lieu, il prétendait que le calcul de sa date d'éligibilité à la libération d'office devait se faire, non pas en vertu de la Loi sur le transfèrement, mais plutôt en vertu du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel. En deuxième lieu, il prétendait que pour effectuer le calcul de sa date d'éligibilité à la libération conditionnelle, en vertu du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, on devait prendre comme point de départ sa date d'arrestation aux Bahamas, soit le 17 février 1996.

[13]            Le 5 novembre 2004, le juge Pinard accueillait, en partie, sa demande de contrôle judiciaire.

Le juge se disait d'accord avec le premier argument de l'appelant, mais rejetait le second. Selon la juge, le calcul de sa date d'éligibilité à la libération d'office devait se faire en vertu du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et le point de départ, aux fins de ce calcul, était la date d'imposition de la peine aux États-unis, soit le 28 juin 2001.

[14]            C'est de ce jugement que résultent l'appel et l'appel incident. L'appelant soutient que le juge a erré en concluant que le calcul de sa date d'éligibilité devait se faire à compter du 28 juin 2001, alors que l'intimé soutient que le juge a erré en concluant que le calcul devait se faire en vertu du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et non en vertu de la Loi sur le transfèrement et, plus particulièrement, en vertu de l'article 11.1 de cette Loi.

[15]            Je traiterai en premier lieu de la question soulevée par l'appel incident de l'intimé, puisqu'une décision favorable à l'intimé sur son appel aurait pour effet de rendre académique l'appel de l'appelant.

[16]            Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que le juge Pinard a erré en concluant que la date d'éligibilité à la libération d'office de l'appelant devait se calculer en application du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, plutôt qu'en application de l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement.

[17]            Un bref survol de la Loi sur le transfèrement et de la Loi sur le système correctionnel nous aidera à mieux comprendre la question en litige.

[18]            L'article 4 de la Loi sur le transfèrement établit une présomption selon laquelle, lors du transfert d'un détenu des États-unis au Canada, la peine imposée aux États-unis devient une peine canadienne. En outre, l'article 12 de cette Loi prévoit que le détenu transféré au Canada, sous réserve des articles 11 et 11.1, est assujetti, inter alia, à la Loi sur le système correctionnel, comme s'il avait été condamné au Canada et comme si la peine lui y avait été infligée.

[19]            Par ailleurs, l'article 11.1 de la Loi, en dérogation du régime applicable à un détenu condamné au Canada, prévoit que la date de libération d'office d'un détenu condamné aux États-unis sera non pas la date où il aura purgé les deux tiers de sa peine (paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel), mais plutôt la date qui correspondra aux deux tiers du temps à purger entre la date du transfèrement, soit l'arrivée du détenu au Canada, et sa date de fin de mandat, une fois soustraites les remises de peine et les réductions de peine (article 11 et 11.1) accordées par l'État étranger.

[20]            Le paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel prévoit qu'un détenu sera libéré d'office après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Quant au paragraphe 139(1) de cette Loi, il énonce le principe de la fusion des peines, i.e. lorsqu'un individu qui purge une peine d'emprisonnement est condamné à une peine supplémentaire, il est réputé, aux fins de la Loi sur le système correctionnel, n'avoir été condamné qu'à une seule peine, qui commence le jour du début de l'exécution de la première et qui se termine à l'expiration de la deuxième.

[21]            Donc, le point de départ du calcul de la date d'éligibilité d'un détenu canadien, condamné aux États-unis et transféré au Canada, à la libération d'office sous l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement est la date de son arrivée au Canada, alors que sous le régime du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, ce calcul se fait à compter de la date du début de la peine imposée au détenu condamné au Canada.

[22]            Le juge Pinard a conclu que le régime d'exception prévu à l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement ne s'appliquait plus lorsqu'un détenu se voyait imposer une nouvelle peine au Canada avant l'expiration de celle qui lui avait été imposée aux États-unis. Par conséquent, en raison de l'article 12 de la Loi sur le transfèrement, qui assujettit le détenu canadien transféré au Canada à la Loi sur le système correctionnel, le calcul de la date de la libération conditionnelle de l'appelant devait se faire en fonction du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel. Dès lors, puisque selon le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel, l'appelant était réputé n'avoir été condamné qu'à une seule peine « commençant le jour du début de l'exécution de la première et se terminant à l'expiration de la dernière à purger » , le début du calcul de la date de libération d'office de l'appelant, en vertu du paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, devait se faire à compter du 28 juin 2001, soit la date d'imposition de la peine aux États-unis.

[23]            En concluant ainsi, le juge s'appuyait aussi sur le paragraphe 719(1) du Code criminel, qui prévoit qu'une peine commence au moment où elle est infligée. Voici comment, aux paragraphes 16, 17, 19 et 20 de sa décision, le juge Pinard a disposé de cette question :

[16]        Une simple lecture du paragraphe 11.1(1) de la Loi, tant dans sa version française que dans sa version anglaise, révèle clairement que la disposition ne s'applique qu'en fonction de « la » peine dont parle l'article 11 et qui est la peine imposée par un tribunal de l'État étranger, et ce, à l'exclusion de toute autre peine.

[17]        Comme en l'espèce le demandeur s'est vu imposer au Canada, après son transfèrement, une nouvelle peine avant l'expiration de celle qui lui a été imposée aux États-Unis, la détermination de la date de sa libération d'office ne peut plus se faire en fonction du paragraphe 11.1(1) et, de par l'effet de l'article 12 de la Loi, c'est la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui doit s'appliquer. Or, l'application du paragraphe 139(1) de cette dernière loi fait que, pour l'application notamment du Code criminel et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le demandeur est réputé n'avoir été condamné qu'à une seule peine « commençant le jour du début de l'exécution de la première et se terminant à l'expiration de la dernière à purger »

[...]

[19]        Ainsi, de par l'application du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, tenant compte tant du Code criminel canadien que du United States Code, le demandeur, en l'espèce, est réputé n'avoir été condamné qu'à une seule peine commençant le jour du début de l'exécution de la première, soit le 28 juin 2001, lorsque la première peine lui a été imposée aux États-Unis, et, compte tenu de l'application de l'article 11 de la Loi au profit du demandeur, se terminant à l'expiration de la dernière peine à purger, soit vers le 5 mars 2008 (il incombe aux gestionnaires des peines de faire cette dernière détermination de façon précise).

[20]        La date de libération d'office du demandeur doit être déterminée en appliquant le paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et est celle où le demandeur aura purgé les deux tiers de sa peine réputée unique en vertu du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

[24]            À mon avis, la conclusion du juge résulte d'une interprétation erronée des articles 11.1 et 12 de la Loi sur le transfèrement, et du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel. Puisque la date d'éligibilité à la libération d'office du détenu canadien condamné aux États-unis et transféré au Canada a pour point de départ la date de son arrivée au Canada, l'imposition d'une peine additionnelle d'une peine au Canada ne peut, à mon avis, avoir comme effet de modifier cette date. Je m'explique.

[25]            Je commence par l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement, qui constitue une exception en ce qui concerne le calcul de la date d'éligibilité d'un détenu à la libération d'office. En effet, selon cette disposition, le calcul de la date d'éligibilité à la libération conditionnelle d'un détenu canadien, condamné aux États-unis et transféré au Canada avant l'expiration de sa peine, correspondra non pas aux deux tiers de sa sentence, comme le prévoit le paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, mais correspondra plutôt aux deux tiers du temps restant à purger entre la date de son arrivée au Canada et la date de fin de mandat, calculées selon les articles 11 et 11.1 de cette Loi.

[26]            En raison de cette exception à la règle prévue au paragraphe 127(3) de la Loi sur système correctionnel, la date de libération d'office d'un détenu canadien transféré au Canada sera toujours postérieure à son transfèrement. Sans cette exception, un tel détenu qui, par exemple, aurait purgé plus des deux tiers de sa peine américaine avant d'être transféré au Canada, serait libéré automatiquement lors de son arrivée au Canada, s'il était assujetti au paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel.

[27]            L'intimé prétend, et je suis entièrement d'accord avec sa prétention, que le principe de la fusion des peines prévu au paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel n'est pas déterminant du mode de calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office d'un détenu et que, par conséquent, le principe de la fusion des peines ne crée nullement un nouveau point de départ pour le calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office.

[28]            Il est bon de se rappeler qu'en vertu de l'article 4 de la Loi sur le transfèrement, la peine américaine est gérée comme si elle avait été imposée par un tribunal canadien. Nonobstant cette présomption que la peine est réputée être une peine canadienne, elle est néanmoins assujettie, en raison de l'article 12 de la Loi sur le transfèrement, aux articles 11 et 11.1 de cette Loi pour le calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office.

[29]            Puisqu'au moment où l'appelant a été condamné à une deuxième peine au Canada, la peine américaine n'était point expirée, celle-ci demeure, à mon avis, aux fins du calcul de la libération d'office, sujette aux articles 11 et 11.1. La peine additionnelle vient donc se greffer à la première peine pour continuer à ne former qu'une seule peine, et pour laquelle le point de départ pour le calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office est la date de l'arrivée du détenu au Canada.

[30]            Par conséquent, aux fins du calcul de la date d'éligibilité de la libération d'office, il faut lire le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel en parallèle avec l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement. C'est, à mon avis, ce que prévoit l'article 12 lorsqu'il assujettit le détenu à la Loi sur le système correctionnel, sous réserve des articles 11 et 11.1 de la Loi sur le transfèrement. Il en résulte que le début du calcul, en ce qui concerne la première peine, est la date d'arrivée au Canada du détenu et, par conséquent, lors de la fusion des peines aux termes du paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel, cette date doit constituer la date de départ du calcul de la libération d'office et non la date de l'imposition de la sentence aux États-unis.

[31]            Cette interprétation de ces dispositions de la Loi sur le transfèrement et de la Loi sur le système correctionnel est la seule qui, à mon avis, a pour effet de rencontrer les objectifs de la Loi sur le système correctionnel, laquelle vise la réadaptation des délinquants et leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois, tout en préconisant la protection de la société (voir les articles 3, 4, 100 et 101 de la Loi sur le système correctionnel).

[32]            Selon l'intimé, l'interprétation proposée par le juge Pinard a pour effet d'inciter un détenu, transféré au Canada pour y purger une peine imposée aux États-unis, à récidiver plutôt que de se comporter comme un citoyen respectueux des lois. En effet, l'imposition d'une peine additionnelle au Canada, même si elle a pour effet de repousser la date de fin de mandat d'emprisonnement, peut avoir comme effet d'avancer sa date d'éligibilité à la libération d'office. Dans certains cas, l'imposition d'une peine supplémentaire pourrait avoir comme effet d'établir une date de libération d'office antérieure à l'imposition de la nouvelle peine et même antérieure à la date du transfèrement du détenu des États-unis au Canada. Au paragraphe 49 de son mémoire des faits et du droit (page 13), l'intimé donne l'exemple suivant pour soutenir ses propos :

49. [...]

Exemple :

Le délinquant se voit imposer une peine de neuf ans le 2 janvier 2000 aux États-unis (la date de fin de mandat est alors fixée au 1er janvier 2009).

Le délinquant est transféré au Canada le 2 février 2006.

Aux termes de l'article 11 et 11.1 (en assumant aucun crédit de bonne conduite et le temps purgé entre la date d'imposition et la date de transfèrement), une date de libération d'office sur cette peine serait établie au 10 janvier 2008 (2/3 de ce qui reste à purger entre le 2 février 2006 et le 1er janvier 2009).

Le 3 janvier 2008, il se voit imposer une peine additionnelle de un an concurrente (la date de fin de mandat est alors fixée au 2 janvier 2009).

En appliquant le paragraphe 127(3) de la LSCMLSC pour calculer la date de libération d'office suite à l'imposition de la peine additionnelle, on prendrait comme point de départ la date de l'imposition de la première peine, le 2 janvier 2000 et on fixerait une date aux 2/3 entre cette date et la nouvelle date de fin de mandat le 2 janvier 2009 ce qui donnerait une date de libération d'office au 2 janvier 2006, donc antérieure au transfèrement du délinquant au Canada.

[33]            À mon avis, la prétention de l'intimé est bien fondée. Avec égard, l'interprétation à laquelle en est arrivé le juge mène à un résultat absurde. Au paragraphe 27 (page 43) de ses motifs dans Rizzo et Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 S.C.R. 27, le juge Iacobucci de la Cour suprême du Canada, s'appuyant sur les propos du professeur Côté, définissait l'interprétation absurde comme suit :

[...] Selon un principe bien établi en matière d'interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D'après Côté, op. cit., on qualifiera d'absurde une interprétation qui mène è des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d'autres dispositions ou avec l'objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu'on peut qualifier d'absurdes les interprétations qui vont à l'encontre de la fin d'une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile (Sullivan, Construction of Statutes, op. cit., À LA P. 88).

[34]            Il ne peut faire de doute, à mon avis, que l'interprétation proposée par le juge Pinard mène à des conséquences déraisonnables. J'ai peu d'hésitation à conclure que le calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office de l'appelant doit se faire à compter de la date de son arrivée au Canada, soit le 19 juin 2002.

[35]            Comme je l'indiquais plus tôt dans mes motifs, une détermination favorable à l'intimé sur son appel a pour effet de rendre académique l'appel de l'appelant. Par conséquent, je rejetterais l'appel de l'appelant avec dépens, j'accueillerais l'appel incident de l'intimé avec dépens, j'infirmerais la décision du juge de première instance et, rendant la décision qui aurait dû être rendue, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l'appelant dans le dossier T-255-04 avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            J. Richard j.c. »

« Je suis d'accord.

            Robert Décary j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-643-04

INTITULÉ :                                                                            ALAIN CHARRON c.

                                                                                                            P.G.C.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 9 novembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                LE JUGE DÉCARY

DATE DES MOTIFS :                                                           le 23 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Me Josée Ferrari

POUR L'APPELANT

Me Éric Lafrenière

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pariseau Olivier

Montréal (Québec)

POUR L'APPELANT

Me John H. Sims, c.r.

Sour-procureur general du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉ/

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