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     A-440-95

OTTAWA, le vendredi 16 mai 1997.

CORAM :      LE JUGE HUGESSEN
         LE JUGE STONE
         LE JUGE LINDEN

E N T R E :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     appelant,

     - et -

     VALERIE CLARK,

     intimée.

     JUGEMENT

     L'appel est accueilli, le jugement de la Section de première instance est annulé, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du comité d'appel est annulée et l'affaire est renvoyée à ce dernier pour qu'il rende une nouvelle décision en considération du fait que l'appel doit être rejeté.

     " James K. Hugessen "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme :

                             François Blais, LL.L.

     A-440-95

CORAM :      LE JUGE HUGESSEN
         LE JUGE STONE
         LE JUGE LINDEN

E N T R E :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     appelant,

     - et -

     VALERIE CLARK,

     intimée.

    

     Appel entendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 14 mai 1997

     Jugement rendu à Ottawa, le vendredi 16 mai 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE HUGESSEN

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE

     LE JUGE LINDEN

     A-440-95

CORAM :      LE JUGE HUGESSEN
         LE JUGE STONE
         LE JUGE LINDEN

E N T R E :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     appelant,

     - et -

     VALERIE CLARK,

     intimée.

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGESSEN

         Il s'agit d'un appel d'un jugement par lequel la Section de première instance a rejeté une demande du Procureur général en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision d'un comité d'appel nommé en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique1, qui a accueilli l'appel de l'intimée. La seule question qu'il faut trancher est celle de savoir si la décision qu'a rendue la présente Cour dans l'arrêt O'Brien et autres c. Canada (P.G.)2 étaye la thèse voulant qu'en droit, il est toujours nécessaire de vérifier les réponses données à des questions axées sur le comportement dans les concours relatifs à l'obtention d'un poste au sein de la fonction publique. Tant le comité d'appel que le juge de première instance ont décrété que oui. À mon sens, ils ont commis une erreur de droit.

         Selon la preuve, les questions axées sur le comportement constituent un outil de sélection souvent employé dans le secteur public et le secteur privé. Elles consistent à demander à un candidat, dans le cadre d'un examen écrit ou d'une entrevue, de décrire une situation (posant problème en général) qu'il a lui-même vécue au travail, et d'indiquer de quelle façon il y a réagi. Selon des preuves d'expert, étayées par des références à des documents publiés ainsi que par des extraits de ces derniers, il s'agit là d'un instrument utile dans le processus de sélection. On trouve un exemple de ce genre de question dans la présente affaire, où la question suivante a été posée aux candidats :

         [TRADUCTION]                 
         Relations interpersonnelles efficaces                 
         Donnez-moi un exemple où il s'est avéré très difficile de communiquer avec un client ou un collègue de travail. Dites-moi ce que vous avez fait. Songez à un incident précis. Je vous laisse quelques minutes pour y penser.                 

(Dossier d'appel, page 9)

         Il ne fait aucun doute que dans l'arrêt O'Brien, précité, la présente Cour a décrété que le fait que le jury de sélection ait omis de vérifier les questions axées sur le comportement qui avaient été posées aux candidats dans le concours qui était en litige dans cette affaire avait eu pour effet de vicier le concours tout entier. Le juge Décary, qui a rédigé la décision au nom d'une cour unanime, dont le juge Stone et moi-même faisaient également partie, a conclu ses motifs en ces termes :

             Je suis d'avis d'accueillir la demande, d'annuler la décision en date du 20 mars 1991 du comité d'appel et de lui renvoyer l'affaire avec l'instruction d'accueillir les appels pour le motif additionnel que l'omission de vérifier les renseignements donnés dans les réponses à la question de situation violait le principe du mérite.                 
             [page 317]                 
             [non souligné dans l'original]                 

         L'arrêt O'Brien dépendait toutefois dans une grande mesure de sa matrice factuelle. Au tout début de ses motifs, le juge Décary a exposé comme suit le problème que posent les questions axées sur le comportement :

             L'une des questions posées par le jury de sélection à chacun des candidats, aux fins d'évaluer leurs qualités personnelles, était une question fondée sur le comportement (" la question de situation "), qui exigeait qu'ils décrivissent la façon dont ils avaient fait face à une situation délicate. Pour écarter toute injustice découlant de réponses mensongères ou exagérées que les candidats pouvaient donner à la question, on a voulu que les renseignements donnés par chaque candidat soient vérifiés par le jury de sélection en puisant dans d'autres renseignements disponibles sur eux . Toutefois, le jury de sélection n'a jamais procédé à une telle confirmation, et il n'a nullement tenté de vérifier l'un quelconque des renseignements ou l'une quelconque des analyses donnés par chacun des candidats dans leurs réponses respectives. Au lieu de cela, il a procédé à la notation de la question de situation en se demandant laquelle des réponses semblait la plus impressionnante, sans vérifier si une telle réponse était, en fait, exacte ou même véridique.                 
             [page 314]                 
             [non souligné dans l'original]                 

         Quelques paragraphes plus loin, le juge Décary a expliqué comment le comité d'appel avait réglé le problème et comment ce dernier nous avait été présenté :

             Un comité d'appel de la Commission de la fonction publique (" le comité d'appel ") a été établi pour connaître des appels. Dans sa décision en date du 20 mars 1991, le président Carbonneau a conclu de fait que la question de situation ne pourrait constituer une méthode valable de vérification des qualités personnelles que si l'exactitude de chacune des réponses y données par les candidats était vérifiée par le jury de sélection . Malgré la preuve évidente que le jury de sélection n'avait pas procédé à la vérification, le président Carbonneau a jugé que ce dernier l'avait fait et a conclu que la question de situation ne violait pas, après tout, le principe du mérite. Il a rejeté ce motif d'appel.                 
             Il est absolument certain, et l'avocat de l'intimé n'a pas dit le contraire, que cette conclusion du comité d'appel a été tirée sans tenir compte de la preuve présentée à l'audience et contrairement à cette preuve, et justifierait, dans les circonstances habituelles, l'intervention de cette Cour.                 
             [page 315]                 
             [non souligné dans l'original]                 

         Le reste des motifs du juge Décary dans l'arrêt O'Brien porte sur un problème tout à fait différent, soit le principe de l'autorité de la chose jugée, qui n'a aucun rapport avec l'affaire dont il est question en l'espèce.

         Dans la présente affaire, l'appelante devant le comité d'appel (l'intimée devant la Cour d'appel fédérale) a exprimé l'avis que, par suite de la décision que nous avions rendue dans l'affaire O'Brien, il était obligatoire dans tous les cas de vérifier les réponses données aux questions axées sur le comportement. L'employeur a contesté cette position en tant que question de droit, et a produit également des preuves afin de montrer que, contrairement à ce qui avait été conclu dans O'Brien, il n'est généralement pas nécessaire de procéder à une vérification pour valider les tests axés sur le comportement, et surtout pas en l'espèce. Cette preuve comprenait une grande partie de ce qui avait été dit sur le sujet dans O'Brien, mais aussi d'autres documents, dont des éléments tendant à montrer que, dans bien des cas, une vérification pourrait s'avérer fort difficile, extrêmement coûteuse et longue à effectuer, voire tout simplement impossible.

         Le comité d'appel a traité de la question des tests axés sur le comportement en ces termes :

         [TRADUCTION]

             Je partage effectivement certaines des réserves du représentant de l'appelante au sujet des questions axées sur le comportement. Si l'on ne fait pas attention en formulant les questions et en évaluant les réponses, il est fort possible que le jury de sélection n'obtienne pas des renseignements exacts au sujet des qualités des candidats. Toutefois, on peut dire la même chose d'autres outils de sélection habituellement utilisés dans le cadre d'un concours. En outre, le représentant de l'appelante n'a présenté aucun élément de preuve pour réfuter la déclaration du Ministère selon laquelle les questions axées sur le comportement seraient, d'après des experts, un outil de sélection fiable. Je ne suis donc pas disposé à conclure que le jury de sélection a commis une erreur juste parce qu'il a utilisé des questions axées sur le comportement pour évaluer les qualités personnelles des candidats.                 
             Pour que je puisse intervenir au sujet des questions axées sur le comportement, il faudrait que l'on me montre que les questions particulières, ou la façon de noter les réponses à ces questions, étaient injustes. Je ne crois pas que ce soit le cas en l'espèce. À mon avis, le Ministère a expliqué de façon satisfaisante les notes données aux réponses de l'appelante aux questions axées sur le comportement, et je ne suis pas convaincu que le système de notation utilisé était inadéquat. Il se peut fort bien que les notes qu'ont reçues les candidats dépendaient de la quantité et du type de renseignements qu'ils avaient donnés en réponse aux questions, mais je ne suis pas persuadé que cela était déraisonnable. Par exemple, lorsque l'on demande aux candidats quelles décisions ils soumettaient à leur surveillant, il ne semble pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'ils indiquent qu'ils examinaient les conséquences des décisions et, aussi, qu'ils consultaient en premier des manuels et des collègues.                 
             Je ne considère pas qu'il y ait matière à préoccupation car l'appelante a obtenu, au contrôle des références, des notes plus élevées qu'aux questions axées sur le comportement. Si l'on utilise plus d'un outil de sélection, c'est pour obtenir des renseignements supplémentaires sur les qualités des candidats, et tous les renseignements recueillis ne seront vraisemblablement pas tout à fait les mêmes.                 
         Pour ce qui a trait à la vérification des réponses des candidats aux questions axées sur le comportement, le Ministère a présenté, à mon avis, un argument convaincant pour justifier le caractère non obligatoire de cette vérification. S'il s'agissait là de la seule considération à prendre en compte, je dirais que le jury de sélection n'était pas tenu de vérifier ces informations dans les réponses des candidats. Toutefois, je suis lié par la décision de la Cour fédérale dans l'arrêt O'Brien et autres (précité).                 
             [non souligné dans l'original]                 

(Dossier d'appel, pages 18 à 20)

         À mon avis, tout ce qui figure dans cet extrait, sauf la dernière phrase, constitue des conclusions de fait de la part du comité d'appel. La dernière phrase introduit une brève analyse du droit, dans laquelle le comité d'appel conclut qu'il est tenu de tirer la même conclusion que dans O'Brien.

         Cette opinion a été confirmée par le juge de première instance qui, dans ses motifs de jugement, a déclaré ceci :

             Je suis d'avis que même si la question dans l'arrêt O'Brien était restreinte, étant donné que la Cour n'avait à se prononcer que sur la question de savoir si le comité d'appel était arrivé à une conclusion de fait erronée, la Cour d'appel fédérale a déclaré catégoriquement que l'omission de vérifier les renseignements donnés dans les réponses aux questions axées sur le comportement contrevenait aux principes du mérite.                 

(Dossier d'appel, page 202)

         Ceci étant dit avec égards, je crois que le comité d'appel et le juge de première instance se sont trompés. S'il est vrai que la conclusion à laquelle est arrivée la Cour dans O'Brien est exprimée de manière catégorique, cette décision doit être lue dans le contexte des faits qui lui sont propres. Comme il ressort clairement des motifs du juge Décary cités ci-dessus, le comité d'appel, dans cette affaire, " a conclu de fait que la question de situation ne pourrait constituer une méthode valable de vérification des qualités personnelles que si l'exactitude de chacune des réponses y données par les candidats était vérifiée par le jury de sélection ".

         Cette conclusion de fait n'a jamais été contestée dans la demande de contrôle judiciaire soumise à la présente Cour. En fait, si l'on examine les documents soumis au comité d'appel dans l'affaire O'Brien, il est difficile de voir comment une attaque fructueuse aurait pu être lancée sur la foi de cette conclusion. Si la preuve soumise n'obligeait pas le comité à venir à une telle conclusion, il m'apparaît tout aussi clairement qu'elle était en mesure de l'étayer.

         Ce qui était en litige dans l'arrêt O'Brien était une seconde conclusion de fait de la part du comité d'appel, selon laquelle le jury de sélection avait procédé à la vérification nécessaire. Cette conclusion était manifestement inique et contraire à la preuve et, comme l'indique le jugement, l'employeur l'a admis. Il s'ensuit très clairement, selon moi, que la conclusion de la Cour, savoir que " l'omission de vérifier les renseignements donnés dans les réponses à la question de situation violait le principe du mérite " n'était pas un énoncé de droit, mais simplement la répétition d'une conclusion de fait non contestée de la part du comité d'appel.

         Il serait curieux en effet que l'on conclue que la présente Cour a statué que les questions axées sur le comportement doivent être obligatoirement et sytématiquement vérifiées afin de satisfaire au principe du mérite. Comme la preuve l'indique clairement, les questions axées sur le comportement ne sont qu'un outil parmi d'autres que l'on peut employer au sein du processus de sélection du personnel. Comme tous les outils de ce genre, celui-ci n'est pas infaillible et a ses points forts et ses points faibles. Comme de nombreux outils de ce genre, celui-ci peut aussi être manipulé et faussé par d'habiles candidats. Toutefois, la simple possibilité que quelqu'un puisse tricher ou tromper le système ne constitue sûrement pas une raison en droit pour déclarer que l'ensemble du système est défectueux.

         Au fond, le caractère adéquat d'un test particulier utilisé dans n'importe quel concours donné se résumera toujours à une question d'appréciation des faits de l'espèce. Dans certains cas - et l'arrêt O'Brien en est un exemple - la preuve peut permettre au comité d'appel de conclure qu'il aurait fallu procéder à une vérification. Dans d'autres, le comité d'appel peut conclure - comme il l'a fait dans cette affaire - que l'employeur " a présenté un argument convaincant pour justifier le caractère non obligatoire de cette vérification ". Comme dans l'arrêt O'Brien , la preuve présentée en l'espèce permettait d'étayer la conclusion tirée.

         Avant de terminer, je me dois d'ajouter que je trouve particulièrement convaincante la preuve qui figure dans le dossier au sujet de la difficulté, et parfois même de l'impossibilité, de vérifier toutes les réponses à chaque question axée sur le comportement d'un candidat. Cela me semble plaider de manière concluante contre toute obligation de procéder à une vérification pour valider le test : s'il est impossible de vérifier systématiquement toutes les réponses des candidats, cela signifie que les tests axés sur le comportement ne pourront jamais être acceptables en tant qu'outil de sélection puisqu'il ne sera pas possible de savoir si les réponses peuvent être vérifiées ou non avant de les avoir données. Une seule réponse non vérifiable, sur des centaines d'autres peut-être, rendrait invalide l'ensemble du test. Ce qui me semble être un résultat fort peu souhaitable.          Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'annuler le jugement de la Section de première instance, d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, d'annuler la décision du comité d'appel et de renvoyer l'affaire à ce dernier pour qu'il rende une nouvelle décision en considération du fait que l'appel doit être rejeté.

                         " James K. Hugessen "

                             J.C.A.

" Je suis d'accord,

                 A.J. Stone, J.C.A. "

" J'y souscris,

                 A.M. Linden, J.C.A "

Traduction certifiée conforme :

                             François Blais, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     A-440-95

E N T R E :

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     appelant,

     - et -

     VALERIE CLARK,

     intimée.

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

    


     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  A-440-95

Appel contre un jugement de la Section de première instance rendu le 19 juin 1995.

NE du greffe : T-554-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :Le Procureur général du Canada c. Valerie Clark

LIEU DE L'AUDIENCE :Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              14 mai 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

Y ONT SOUSCRIT :                  Le juge Stone

                             Le juge Linden

EN DATE DU :                      16 mai 1997

ONT COMPARU :

Me Anne M. Turley                      pour l'appelant

Me Andrew J. Raven                      pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                      pour l'appelant

Raven, Jewitt et Allen

Ottawa (Ontario)                      pour l'intimée

    

    

__________________

     1.      L.R.C. (1985), ch. P-33

     2.      (1993), 153 N.R. 313

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