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Date : 20040112

Dossier : A-633-02

Référence : 2004 CAF 13

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                 GRANT GALE

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                      LE CONSEIL DU TRÉSOR

                                 (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

                                                                                                                                                  intimé

                             Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 12 janvier 2004

                    Jugement rendu à l'audience à Saskatoon (Saskatchewan), le 12 janvier 2004

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                           LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20040112

Dossier : A-633-02

Référence : 2004 CAF 13

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                 GRANT GALE

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

LE CONSEIL DU TRÉSOR

                                 (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l'audience à Saskatoon (Saskatchewan), le 12 janvier 2004)

LE JUGE ROTHSTEIN

INTRODUCTION


[1]                Il s'agit d'un appel de la décision rendue par la Section de première instance (telle était alors son nom) relativement au contrôle judiciaire de la décision prise par un arbitre en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la LRTFP). La Cour doit décider si l'arbitre a privé l'appelant de l'équité procédurale. Le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait pas eu manquement à l'équité procédurale, et il a rejeté le contrôle judiciaire.

LES FAITS

[2]                Les faits qui ont un lien avec la question de l'équité procédurale sont les suivants. L'appelant, qui travaillait comme agent de correction au pénitencier de la Saskatchewan, a été licencié après qu'une plainte de harcèlement sexuel a été déposée contre lui par une collègue féminine. Il a déposé un grief et l'affaire a ensuite été renvoyée à l'arbitrage en vertu de la LRTFP. L'audience devant l'arbitre a eu lieu du 10 au 12 juillet 2001.

[3]                La question de la crédibilité était très importante en l'espèce, la plaignante alléguant avoir été victime de harcèlement sexuel et l'appelant niant cette allégation. La preuve d'un autre incident survenu immédiatement avant le harcèlement sexuel allégué et concernant une détenue de l'Unité des détenues sous responsabilité fédérale (UDSRP) du pénitencier de la Saskatchewan, lieu où l'appelant et la plaignante travaillaient à ce moment-là, a été produite lors de l'audience devant l'arbitre.


[4]                L'appelant avait indiqué dans son témoignage que toutes les personnes qui travaillaient à l'UDSRP au moment de l'incident concernant la détenue avaient assisté à cet incident afin d'apporter leur aide. Il a dit que la plaignante n'était pas à l'UDSRP à ce moment-là et qu'elle n'avait pas assisté à l'incident. Selon lui, elle devait avoir quitté l'UDSRP, sinon elle aurait été au courant de l'incident et y aurait assisté. Le harcèlement sexuel allégué aurait été commis dans la demi-heure suivant cet incident. Le témoignage de l'appelant selon lequel toutes les personnes présentes dans l'UDSRP avaient assisté à l'incident avec la détenue jetait un doute sur sa crédibilité.

[5]                Après que toute la preuve a été présentée et pendant les plaidoiries des avocats, l'arbitre a demandé pourquoi une autre employée, L. Mardell, qui était sur la liste des employés travaillant ce jour-là, n'avait pas assisté à l'incident avec la détenue. Il semble que la question avait peut-être pour but de mettre à l'épreuve le témoignage de l'appelant selon lequel toutes les personnes qui travaillaient à l'UDSRP ce jour-là avaient assisté à l'incident.

[6]                Comme la question semblait préoccuper l'arbitre, l'avocat de l'appelant a demandé la réouverture de l'affaire afin de pouvoir présenter des éléments de preuve sur la question de savoir si L. Mardell travaillait à l'UDSRP ce jour-là. L'arbitre a ajourné la procédure pour permettre aux avocats d'obtenir la réponse à cette question. Après deux heures de vérification, l'avocat de l'intimé était toujours incapable de confirmer la présence de L. Mardell dans l'UDSRP ce jour-là. Il a fait savoir à l'arbitre que ce point ne pouvait pas être confirmé. Il a été convenu que l'arbitre ajournerait la procédure et attendrait cette confirmation. Il a été convenu également que l'avocat de l'intimé obtiendrait l'information et la transmettrait à l'avocat de l'appelant qui, à son tour, la communiquerait à l'arbitre. Aucun délai n'a été fixé pour le faire.


[7]                Après avoir communiqué avec lui, l'avocat de l'intimé a écrit à l'avocat de l'appelant, le 17 août 2001, pour lui faire savoir que L. Mardell travaillait dans une autre partie du pénitencier de la Saskatchewan et qu'elle n'était pas affectée à l'UDSRP le jour en question. L'avocat de l'appelant devait transmettre cette information à l'arbitre.

[8]                Or, l'arbitre a rendu sa décision ce jour-là, le 17 août 2001. Les parties reconnaissent qu'il l'a fait sans avoir reçu la preuve relative à L. Mardell. L'arbitre ne disait rien dans sa décision au sujet de la question qu'il avait soulevée.

ANALYSE

[9]                L'intimé dit que cette question n'a aucun rapport avec la principale question en litige en l'espèce, soit celle de savoir si l'appelant a harcelé sexuellement la plaignante, qu'elle aurait pu n'avoir aucune incidence sur la décision de l'arbitre et que le juge de première instance a eu raison de rejeter le contrôle judiciaire demandé par l'appelant.

[10]            Nous sommes incapables d'en arriver à cette conclusion. C'est l'arbitre lui-même qui a soulevé la question de L. Mardell. Il a accepté d'ajourner la procédure afin de permettre aux avocats de produire des éléments de preuve au sujet de sa présence dans l'UDSRP au moment pertinent. À la lumière de la procédure adoptée par l'arbitre, nous ne pouvons pas savoir avec certitude dans quelle mesure cette preuve, s'il avait attendu de la recevoir, aurait pu influencer sa décision.


[11]            L'arbitre aurait pu dire aux parties qu'il n'était pas nécessaire de savoir où se trouvait L. Mardell, et nous ne pensons pas que, s'il l'avait fait, il aurait eu besoin d'attendre que les parties lui communiquent cette information. Il ne l'a cependant pas fait, et nous ne pouvons qu'essayer de deviner pourquoi il a rendu sa décision sans attendre d'avoir reçu cette information.

[12]            Il faudrait que la Cour se fonde sur des hypothèses pour conclure que la preuve relative à L. Mardell n'aurait rien changé à la décision de l'arbitre. Le principe énoncé dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, est pertinent dans ces circonstances. Selon ce principe, la négation du droit à une audition équitable rend toujours une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non qu'une audition équitable aurait vraisemblablement amené une décision différente. Le juge Le Dain a écrit ce qui suit à la page 661 :

... j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

Cette position a été réaffirmée par le juge en chef Lamer dans l'arrêt Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, où il a dit à la page 493 :

En second lieu, et de façon plus fondamentale, les règles de justice naturelle consacrent certaines garanties au chapitre de la procédure, et c'est la négation de ces garanties procédurales qui justifie l'intervention des tribunaux supérieurs. L'application de ces règles ne doit par conséquent pas dépendre de spéculations sur ce qu'aurait été la décision au fond n'eût été la négation des droits des intéressés.


[13]            Nous reconnaissons qu'une cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas accorder un redressement par suite d'un manquement à l'équité procédurale lorsque le résultat est inéluctable (voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, aux pages 228 et 229). Or, ce n'est pas le cas en l'espèce. Dans la présente affaire, l'arbitrage porte sur la crédibilité et nous ne pouvons pas dire que la décision est inéluctable d'une manière ou d'une autre.

[14]            Nous reconnaissons que l'obligation d'agir équitablement n'est pas absolue et qu'elle varie selon les circonstances (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, aux pages 682 et 683). Ce n'est toutefois pas la variabilité de l'obligation d'agir équitablement qui est en cause en l'espèce. Dans la présente affaire, l'arbitre a établi une procédure concernant la réception d'une certaine preuve et s'est ensuite écarté de cette procédure sans en aviser qui que ce soit. L'appelant avait le droit de s'attendre à ce que l'arbitre ne rende pas sa décision sans avoir reçu la preuve qui, d'après lui, était importante, après avoir donné aux parties la possibilité de la produire. À cet égard, nous sommes d'avis que les commentaires suivants, formulés par la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26, sont pertinents :

Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l'équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu'il serait généralement injuste de leur part d'agir en contravention d'assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.


[15]            Il ne s'agit pas non plus d'un cas où un tribunal administratif examine et rejette des éléments de preuve, auquel cas on pourrait considérer que la décision fait partie de son pouvoir de rejeter des éléments de preuve (Université du Québec, à la page 491). Nous ne savons tout simplement pas pourquoi l'arbitre a rendu sa décision sans attendre de recevoir la preuve ou si la preuve aurait eu une incidence sur sa décision.

[16]            L'appel sera donc accueilli et la décision de la Section de première instance et celle de l'arbitre seront annulées.

[17]            L'appelant soutient que l'affaire devrait faire l'objet d'une nouvelle audition par un autre arbitre. L'intimé prétend pour sa part que l'affaire peut être renvoyée au même arbitre afin que celui-ci rende une nouvelle décision en tenant compte de la preuve relative à L. Mardell et des observations présentées à ce sujet par les avocats.

[18]            Nous sommes d'accord avec l'intimé que, dans les circonstances de l'espèce, l'affaire devrait être renvoyée au même arbitre. Au paragraphe 12:6320 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback, 2003), Donald J. M. Brown et John M. Evans ont écrit :

[traduction] Lorsque le tribunal administratif réexamine une affaire de sa propre initiative ou à la suite d'un contrôle judiciaire, il doit évidemment se conformer à l'obligation d'agir équitablement. [...] Et à moins qu'une cour n'en ordonne autrement, les personnes qui ont tranché l'affaire la première fois peuvent normalement la réentendre, sauf si elles se sont montrées partiales ou si, pour une quelconque raison, il existe une crainte raisonnable que le décideur original ne tranche probablement pas l'affaire de manière objective.


Il n'est question ni de partialité ni de crainte raisonnable de partialité en l'espèce. Le décideur était le vice-président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. L'intégrité et l'impartialité d'un tel décideur se présument et, en l'absence d'une preuve indiquant le contraire, nous ne voyons aucune raison de ne pas lui renvoyer l'affaire pour qu'il rende une nouvelle décision (voir S.I.D.M. c. British Columbia Maritime Employers Association (1987), 81 N.R. 237, au paragraphe 6 (C.A.F.); Deigan c. Canada (Industrie) (2000), 258 N.R. 103, au paragraphe 3 (C.A.F.)).

[19]            C'est l'arbitre qui a soulevé la question exigeant l'obtention de la preuve en cause, et c'est lui qui est le mieux placé, après avoir examiné cette preuve, pour décider de son effet sur sa décision. Par conséquent, nous sommes d'avis de renvoyer l'affaire au même arbitre afin que celui-ci rende une nouvelle décision. L'arbitre devra tenir compte de l'information contenue dans la lettre de l'avocat de l'intimé du 17 août 2001 concernant L. Mardell et donner aux parties la possibilité de présenter des observations quant à l'effet de cette information sur sa décision. L'arbitre est libre d'établir sa propre procédure à tous les autres égards.

[20]            L'appelant aura droit aux dépens en l'espèce et en première instance.

                                                                            « Marshall Rothstein            

                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      A-633-02

INTITULÉ :                                     GRANT GALE

c.

LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                             SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 12 JANVIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :            (LES JUGES STRAYER, ROTHSTEIN ET

SHARLOW)

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :       LE JUGE ROTHSTEIN

COMPARUTIONS :

Martel D. Popescul, c.r.                                     POUR L'APPELANT

Richard E. Fader                                POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sanderson Balicki Popescul                               POUR L'APPELANT

Prince Albert (Saskatchewan)

Morris Rosenberg                              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada


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