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                                                                                                                              Date : 20021106

                                                                                                                          Dossier : A-472-02

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 6 NOVEMBRE 2002

CORAM :             LE JUGE STRAYER

ENTRE :

                              L'ASSOCIATION DES PILOTES D'AIR CANADA

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                     L'ASSOCIATION CANADIENNE DES PILOTES DE LIGNE

                                                                                                                                        défendeurs

                                                              ORDONNANCE

IL EST ORDONNÉ :

(1) La requête visant la suspension de la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles le 10 juillet 2002 est rejetée avec dépens;

(2) La demanderesse signifiera et déposera son dossier de demande de contrôle judiciaire au plus tard le 4 décembre 2002;

(3) Les défendeurs déposeront et signifieront leur dossier de demande dans la demande de contrôle judiciaire au plus tard le 6 janvier 2003;


(4) L'audition de la demande de contrôle judiciaire commencera à Toronto le 14 janvier 2003, à 10 h; elle doit durer au plus tard une journée et demie.

« B.L. Strayer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


                                                                                                                               Date: 20021106

                                                                                                                          Dossier : A-472-02

                                                                                               Référence neutre : 2002 CAF 432

CORAM :             LE JUGE STRAYER

ENTRE :

                              L'ASSOCIATION DES PILOTES D'AIR CANADA

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                     L'ASSOCIATION CANADIENNE DES PILOTES DE LIGNE

                                                                                                                                        défendeurs

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRAYER

                                                                 Introduction

        Il s'agit d'une demande de suspension d'une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) le 10 juillet 2002, dans laquelle le Conseil a entre autres choses annulé la décision d'un arbitre, l'arbitrage ayant eu lieu sur consentement des parties et avec l'approbation du Conseil, en ce qui concerne la liste d'ancienneté des pilotes respectivement représentés par la demanderesse et par l'association défenderesse.


                                                                      Les faits

        Air Canada a acquis la propriété et le contrôle des Lignes aériennes Canadien International Limitée le 4 janvier 2000. La direction a été intégrée à ce moment-là, mais jusqu'à la fin de l'année, les deux entités ont continué à exister. Le 3 août 2000, sur demande du syndicat demandeur, le Conseil a déclaré qu'Air Canada et Les lignes aériennes Canadien International Limitée ne constituaient qu'un seul employeur aux fins de l'unité de négociation des pilotes. Après que la direction eut été unifiée au début de l'année 2000, l'Association des pilotes d'Air Canada (l'APAC) représentait les pilotes d'Air Canada alors que l'Association canadienne des pilotes de ligne (l'ACPL) représentait les anciens pilotes des Lignes aériennes Canadien. Les deux syndicats et Air Canada ont convenu qu'une seule unité de négociation serait habile à négocier collectivement pour les pilotes; un scrutin a été tenu; l'APAC a été approuvée à titre d'agent négociateur et a été accréditée par le Conseil le 4 avril 2001. Toutefois, aux fins qui nous occupent, les associations représentent les pilotes qu'elles représentaient avant la fusion.


        Le 29 juin 2000, en prévision de la déclaration selon laquelle il n'y avait qu'un seul employeur, les syndicats ont convenu que la question de l'ancienneté des pilotes au sein de l'unité fusionnée serait déterminée par arbitrage. Le 17 octobre 2000, le Conseil a accepté cette entente; il a approuvé la procédure convenue aux fins de la détermination des questions d'ancienneté, ces questions devant être soumises à un arbitre. La décision de l'arbitre a été rendue le 31 mars 2001; elle a été incorporée dans une ordonnance du Conseil le 2 mai 2001. L'APAC, qui n'était apparemment pas satisfaite du résultat de l'arbitrage dont elle avait convenu, a demandé le réexamen par le Conseil et le Conseil a rendu sa décision à cet égard le 10 juillet 2002. Il s'agit d'un document remarquable d'environ 91 pages, sans aucun jugement concis formel, sans résumé, ne comportant aucun sous-titre (à part ceux des documents cités) dans les 65 dernières pages. Ce document renferme maintes citations tirées d'une multitude de documents et d'arguments présentés par les parties. La décision de l'arbitre est rejetée en ce qui concerne l'ancienneté et il est ordonné aux parties de négocier une autre liste d'ancienneté conformément à un nouvel ensemble de principes énoncés par le Conseil. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre dans un délai de 120 jours, soit le 10 novembre 2002 au plus tard, le Conseil interviendra et créera une liste d'ancienneté intégrée.

        L'APAC a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Conseil; elle a demandé la suspension de cette décision tant que la demande de contrôle judiciaire ne serait pas tranchée. Si je comprends bien, cela aurait pour effet de rendre la décision arbitrale applicable aux fins de l'ancienneté, du moins tant que la demande de contrôle judiciaire ne sera pas tranchée. Il est moins évident que le rétablissement de la décision arbitrale, de façon qu'elle ait temporairement force et effet, ait nécessairement des conséquences pratiques.


Critères de suspension

        Il est reconnu que les trois critères qui doivent être pris en considération dans une requête en suspension telle que celle-ci sont les suivants : (1) La demande de contrôle judiciaire soulève-t-elle une question sérieuse? (2) La demanderesse subirait-elle un préjudice irréparable si la suspension n'était pas accordée? (3) Même s'il est conclu à l'existence des premier et deuxième éléments, la prépondérance des inconvénients favorise-t-elle l'octroi de la suspension ou son rejet? Cette dernière question comporte l'examen des effets relatifs pour la demanderesse et la défenderesse.

Questions sérieuses

        La défenderesse m'a invité à appliquer l'exigence plus rigoureuse voulant qu'une preuve prima facie soit présentée plutôt qu'une « question sérieuse » , et ce, parce que le Conseil est protégé par une clause privative « forte » , mais je ne suis pas convaincu que cela soit nécessaire. Même les clauses privatives « fortes » permettent le contrôle judiciaire habituel sur certains points et, dans un contrôle judiciaire portant sur l'un des motifs autorisés, le critère au fond aux fins d'une suspension en attendant le règlement de la demande de contrôle exige uniquement qu'une « question sérieuse » soit soulevée. (Voir par exemple La Fraternité internationale des ingénieurs de locomotives c. Cairns [2000] A.C.F. no 112 (C.A.)).



        En ce qui concerne le premier critère, je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire soulève des questions sérieuses. En vertu du paragraphe 22(1) du Code canadien du travail, le pouvoir que possède la Cour d'examiner les ordonnances ou les décisions du Conseil sur des questions de compétence, de déni de justice naturelle ou d'équité, ou encore de fraude ou de faux témoignage, est expressément préservé par le législateur. La demanderesse a soulevé certaines questions de compétence et de déni de justice naturelle ou d'équité qui, à mon avis, ne peuvent pas être rejetées d'emblée pour le motif qu'elles sont frivoles ou vexatoires. Les défendeurs soutiennent que le Code canadien du travail renferme une clause privative « forte » visant à protéger les décisions du Conseil et qu'il semble donc que je ne doive pas considérer comme « sérieuses » les questions soulevées par le syndicat demandeur. Je crois qu'au lieu de recourir à des adjectifs caractérisant les clauses privatives à cette fin, il faut examiner ce que le législateur a réellement dit au sujet du contrôle judiciaire exercé par la Cour fédérale à l'égard du Conseil canadien des relations industrielles. Les analogies tirées des cas de contrôle judiciaire exercé par des organismes provinciaux ne sont pas nécessairement utiles. En vertu du paragraphe 22(1) du Code canadien du travail, la Cour se voit conférer non seulement le droit, mais aussi l'obligation, de déterminer si le Conseil a agi dans les limites de ses compétences ou s'il y a eu déni de justice naturelle ou d'équité envers la demanderesse. Je n'ai aucune remarque à faire au sujet des questions d'équité puisqu'il suffit que je conclue que des questions sérieuses sont soulevées pour ce qui est de la compétence. L'ACPL défenderesse a fortement mis l'accent sur la décision que la Cour vient de rendre, le 9 septembre 2002, dans l'affaire Telus Advance Communications c. Syndicat des travailleurs en télécommunications ([2002] A.C.F. no 1235). Cette affaire se rapportait au contrôle judiciaire d'une décision fondée sur l'article 18.1 du Code canadien du travail, soit l'une des principales dispositions sur lesquelles le Conseil se fonde en l'espèce. (De fait, le Conseil semble supposer qu'il s'est vu conférer des nouveaux pouvoirs étendus en vertu de l'article 18.1, sur lequel il doit se fonder en l'espèce.) Cette disposition autorise expressément le Conseil à « réviser la structure des unités de négociation s'il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement [...] » . Le paragraphe 18.1(3) que le Conseil et le défendeur invoquent avec instance commence par les mots « [s]i le Conseil est d'avis que l'entente conclue par les parties ne permet pas d'établir des unités habiles à négocier collectivement ou si certaines questions ne sont pas réglées avant l'expiration du délai [...] » . Je crois qu'il est du moins tout à fait possible de soutenir que la disposition dans son ensemble se rapporte à la structure des unités de négociation et qu'elle n'autorise pas nécessairement le Conseil à examiner un élément d'une entente ou d'une décision arbitrale n'ayant rien à voir avec cette question. Il convient de faire valoir deux points en ce qui concerne la décision Telus. Premièrement, la Cour a clairement reconnu que les questions de compétence étaient susceptibles de révision. Deuxièmement, la décision du Conseil dont il était question se rapportait expressément à la structure de l'unité de négociation et à l'habileté de l'unité à négocier collectivement, soit la question expressément visée à l'article 18.1. Troisièmement, la Cour a expressément défini comme suit la portée de l'article 18.1 :

les termes employés par le législateur pour conférer ce pouvoir indiquent qu'il avait l'intention d'investir le Conseil de la compétence d'examiner si l'entente conclue par les parties au sujet de la définition de l'unité de négociation était appropriée. (non souligné dans l'original) (paragraphe 49)


Par conséquent, la Cour a reconnu que le Conseil avait compétence, en vertu de l'article 18.1, pour rendre sa décision.

        En l'espèce, le Conseil invoque également un droit fondé sur l'article 35 (qui se rapporte aux déclarations du Conseil selon lesquelles des entreprise associées constituent un employeur unique, le Conseil ayant déjà fait pareille déclaration le 3 août 2000 au sujet d'Air Canada et des LACI, laquelle, si je comprends bien, n'était pas en litige dans la procédure de réexamen). Pour ces seuls motifs, je crois que des questions sérieuses sont soulevées, lesquelles justifient une suspension si les autres critères nécessaires sont présents; je n'ai pas à examiner les autres questions sérieuses qui, à mon avis, se posent également.

Le préjudice irréparable


        Toutefois, en ce qui concerne la question du préjudice irréparable causé à la demanderesse, je ne suis pas convaincu que pareil préjudice ait suffisamment été établi. Le préjudice irréparable nécessaire pour qu'il y ait suspension doit être passablement certain; il ne doit s'agir d'une simple conjecture. Tant que l'ordonnance du Conseil demeure valable, la liste d'ancienneté établie par l'arbitre ne sera pas utilisée aux fins de la postulation par les pilotes mais selon moi la preuve est de toute façon loin de démontrer que l'on aurait recours à pareille postulation dans les deux mois à venir. Même si c'était le cas, comme la preuve présentée par la demanderesse elle-même le montre, il est fort difficile d'établir que la chose aura principalement et fondamentalement un effet défavorable pour les pilotes d'Air Canada qui travaillaient pour la société avant le 4 janvier 2000. Le « préjudice » causé serait tout au plus le suivant : certains pilotes qui travaillaient initialement pour Air Canada ne pourraient pas choisir en priorité dans l'intervalle, avant le règlement de la demande de contrôle judiciaire, les parcours, dates et heures de voyage, ou les avions utilisés. On ne laisse pas entendre que les pilotes pourraient perdre leur emploi en tant que tel. De plus, si je comprends bien les arguments des avocats des deux syndicats, les effets relatifs de la liste d'ancienneté établie par l'arbitre pour les membres respectifs des deux groupes sont tout au plus variables. En outre, le Conseil a ordonné aux parties de chercher à s'entendre au cours de la période prenant fin le 10 novembre 2002, soit dans la semaine qui suit la date des présents motifs. Le Conseil a fait savoir qu'à défaut de pareille entente, il établira la liste d'ancienneté (bien que rien dans les procédures à ce jour ne donne à entendre que cela se produira à bref délai).


      Toutefois, à la suite d'une suggestion de ma part, les parties ont convenu que la demande de contrôle judiciaire devrait être entendue à bref délai et que l'audience devrait commencer le 14 janvier 2003 et je ne suis pas convaincu qu'un préjudice irréparable clairement démontrable sera causé aux membres de l'association demanderesse avant l'audition et le règlement de la demande de contrôle judiciaire. Je tiens également compte du fait que le Conseil a principalement pour tâche de veiller à ce qu'une liste d'ancienneté équitable et utile soit en place et, puisqu'il a décidé d'annuler la liste qui a été établie à la suite de l'arbitrage dont les parties avaient convenu et qu'il avait approuvée, le Conseil estimera probablement qu'il est tenu de veiller à ce que son intervention ne cause aucun préjudice aux pilotes et à l'employeur. Cela étant, j'estime qu'il convient de faire preuve de retenue envers la décision du Conseil, le législateur lui ayant principalement confié la responsabilité d'harmoniser les relations industrielles.

La prépondérance des inconvénients

      Étant donné la conclusion qui a été tirée au sujet de l'absence de préjudice irréparable clair, j'estime qu'il est inutile d'examiner la question de la prépondérance des inconvénients.

Dispositif


      Je rejetterai donc la requête visant l'obtention d'une suspension, mais j'ordonnerai que la demande de contrôle judiciaire soit entendue à bref délai, aux conditions ci-après énoncées : la demanderesse déposera son dossier de demande au plus tard le 4 décembre 2002; la défenderesse déposera son dossier de demande au plus tard le 6 janvier 2003; l'audience commencera le 14 janvier 2003, la Cour devant y consacrer une journée et demie. Étant donné que la défenderesse a demandé qu'il n'y ait pas de dépens, et ce, indépendamment du résultat, aucuns dépens ne sont adjugés.

« B.L. Strayer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               A-472-02

INTITULÉ :                                                              Association des pilotes d'Air Canada

c.

Association canadienne des pilotes de ligne

REQUÊTE JUGÉE ORALEMENT

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 4 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                      

ET ORDONNANCE :                                             Monsieur le juge Strayer

DATE DES MOTIFS :                                            le 6 novembre 2002

COMPARUTIONS:

M. Steve Waller                                                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Chris Rootham

M. Paul Cavalluzzo                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

M. James Hayes                                                          (Association canadienne des pilotes

M. Geoff Berg                                                             de ligne)

Mme Maryse Tremblay                                               POUR LA DÉFENDERESSE

(Air Canada)

Mme Carol McLean                                                    POUR LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES


- 2 -

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Nelligan O'Brien Payne LLP                                      POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Cavalluzzo Hayes Shilton                                            POUR LA DÉFENDERESSE

McIntyre & Cornish                                                   (Association canadienne des pilotes de

Toronto (Ontario)                                                     ligne)

Mme Maryse Tremblay                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)                                                     (Air Canada)

Mme Carol McLean                                                    POUR LE CONSEIL CANADIEN

Ottawa (Ontario)                                                         DES RELATIONS INDUSTRIELLES

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