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                                                             A-232-96

 

 

CORAM :LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

LE JUGE McDONALD

 

 

 

 

E N T R E

 

 

                      NUTRON MANUFACTURING LTD.,

 

                                                            appelante

                                                        défenderesse,

 

 

                                  et

 

 

                     ALMECON INDUSTRIES LIMITED,

 

                                                              intimée

                                                        demanderesse.

 

 

 

 

 

 

 

 

AUDIENCE TENUE à Toronto (Ontario), le jeudi 6 février 1997.

 

 

 

 

JUGEMENT rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le jeudi 6 février 1997.

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE STRAYER.

 

 

 

 

 


 

 

                                                             A-232-96

 

CORAM :LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

LE JUGE McDONALD

 

 

 

E N T R E

 

                      NUTRON MANUFACTURING LTD.,

 

                                                            appelante

                                                        défenderesse,

 

                                  et

 

                     ALMECON INDUSTRIES LIMITED,

 

                                                              intimée

                                                        demanderesse.

 

 

 

                          MOTIFS DU JUGEMENT

             (Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

                      le jeudi 6 février 1997.)

 

LE JUGE STRAYER

 

           Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard d'une décision de la Section de première instance par laquelle on a, d'une part, conclu que l'appelante avait violé le brevet de l'intimée et, d'autre part, confirmé la validité de ce brevet.

 

           Le brevet en question, le no 1,220,134, a été délivré le 7 avril 1987 et porte sur une «cartouche de bourrage et d'obturation» utilisée dans le secteur de l'exploration pétrolière. Ce dispositif est inséré environ 18 pouces sous la surface du sol, préalablement à l'explosion, dans un trou percé à des fins de prospection sismique. L'effet d'obturation vise à permettre le remplissage du trou par le dessus de façon à obtenir une surface plane.

 

           La cartouche de l'appelante qui, selon le juge de première instance, viole le brevet no 1,220,134 se nomme Supergrip Plug. La cartouche de l'intimée, la King Plug, est la meilleure application de son brevet. Les deux dispositifs ont obtenu un énorme succès commercial depuis leur introduction sur le marché en 1984 ou 1985.

 

           L'appelante a présenté en l'espèce un large éventail d'arguments afin de contester l'exactitude des motifs du juge de première instance. Nous avons minutieusement examiné les nombreux points soulevés mais, malgré les conclusions détaillées soumises par l'avocat de l'appelante, nous n'avons pu déceler aucune erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire dans le raisonnement consciencieux du juge de première instance. Nous n'avons perçu aucune erreur de droit ni aucune erreur de fait manifeste justifiant notre intervention. Il nous apparaît que, lorsqu'il faisait face à des opinions ou des faits contestés, le juge de première instance disposait d'éléments de preuve lui permettant de conclure comme il l'a fait.

 

           Il n'est pas nécessaire d'exposer tous les arguments ni nos conclusions à cet égard. Ce qui suit est un bref résumé de nos points de vue sur les questions principales. Nous ne tenterons pas de traiter de manière précise les points soulevés qui, à notre avis, ne méritent pas d'autre commentaire que le fait de mentionner qu'ils ne nous ont pas convaincus.

 

           Selon nous, le juge de première instance a interprété les revendications avec ouverture d'esprit. En se fondant sur les revendications nos 1 à 5, il a pu déduire que le dispositif décrit, qui sert à la fois au bourrage et à l'obturation, devait remplir la totalité ou la plus grande partie du trou. Cette fonction doit être accomplie par le corps de la cartouche puisque ses membres allongés ne pourraient constituer une surface de blocage continue. Nous ne pouvons affirmer que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il s'est appuyé sur les divulgations pour obtenir de plus amples précisions sur la question de savoir si le corps et les membres allongés du dispositif pouvaient contribuer à la stabilité axiale; il a ainsi veillé à ce que sa lecture de la revendication soit équitable[1]. Il y avait un risque d'ambiguïté — du moins en ce qui concerne les expressions [TRADUCTION] «les membres» et «stabilité axiale» employées dans la revendication no 1 — qui pouvait être dissipé à l'aide des divulgations. Celles‑ci ont révélé comment fonctionnait la cartouche, à savoir que les membres allongés, appelés [TRADUCTION] «griffes», sont enfoncés dans les parois du trou au moment de l'explosion de la charge. Cette information, combinée à la preuve d'expert faisant état de ce qu'un homme de métier pourrait en déduire, constituait un fondement suffisant pour permettre au juge de première instance de conclure que des griffes relativement rigides sont nécessaires et que la cartouche fonctionne à son mieux lorsque le corps est presque aussi grand que le diamètre du trou. C'est pourquoi il a pu interpréter les revendications comme il l'a fait.

 

           Il a beaucoup été question de son interprétation de l'expression «stabilité axiale» qui est employée dans la revendication no 1. On a affirmé que son interprétation était contradictoire selon qu'il employait cette expression pour l'application du critère relatif à l'antériorité ou à la contrefaçon. Or, nous n'avons constaté aucune incompatibilité fondamentale dans ses conclusions. Certaines contradictions dans les termes employés, le cas échéant, découlent de ses renvois aux opinions exprimées par d'autres. Cependant, à la page 36 de ses motifs, il dit ce qui suit :

Il est clair que l'expression [TRADUCTION] «stabilité axiale» désigne la capacité de la cartouche d'Almecon de maintenir son alignement lorsqu'elle est insérée dans le trou de prospection, pendant et après le tir.

Examinée à la lumière de son interprétation de la fonction d'«obturation» de la cartouche, cette affirmation montre sans équivoque qu'il avait une compréhension pratique du degré de stabilité voulu et nécessaire pour que le dispositif remplisse cet objectif. Il bénéficiait d'éléments de preuve laissant croire que la seule antériorité pertinente ne pouvait être utilisée pour obtenir ce résultat alors que, de son côté, le dispositif contrefait de l'appelante, la Supergrip Plug, y arrivait. Certaines expressions isolées du jugement, prises hors contexte, ne permettent pas, à notre avis, d'écarter cette conclusion fondamentale.

 

     Quant à l'antériorité, nous convenons avec le juge de première instance que les critères juridiques pertinents et stricts qui s'appliquent à cet égard[2] n'ont pas été respectés et qu'il est donc impossible de s'appuyer sur cet argument pour invoquer l'invalidité. Il avait toute latitude pour conclure que l'utilisation de la Permaplug antérieure de l'appelante — dont la structure et le mode de fonctionnement dans le trou sont considérablement différents — ne constituait pas une antériorité. Il est certain que le brevet Ovelson ne montrait ni la façon d'utiliser une cartouche d'obturation ni comment utiliser les membres allongés en projection vers l'extérieur et vers l'arrière par rapport au corps. Le brevet français ne mérite pas une attention sérieuse puisque l'utilisation visée par ce dernier n'a pas grand‑chose à voir avec celle d'une cartouche sismique et que sa conception est suffisamment différente pour qu'elle ne fournisse pas d'instructions indubitables permettant de fabriquer la cartouche décrite dans le brevet de l'intimée.

 

           Il nous apparaît que les autres antériorités invoquées sans succès devant le juge de première instance ne sont plus soulevées en appel.

 

           L'appelante invoque également l'évidence pour étayer sa prétention voulant que le brevet soit invalide. Elle soutient que sa propre cartouche Permaplug, utilisée depuis 1971, est une antériorité en ce qui concerne la cartouche de l'intimée conçue en 1984 de même que la cartouche Supergrip Plug conçue en 1984 ou 1985. Nous estimons que le juge de première instance a appliqué les critères juridiques appropriés pour se prononcer sur la question de l'évidence. Bien que l'appelante avance que le juge de première instance a mal décrit l'«homme de métier» comme étant l'utilisateur, et non le fabricant, de matériel séismographique, nous sommes d'avis qu'il s'agit essentiellement d'une question de fait qui relève de son appréciation. Compte tenu du caractère fondamentalement artificiel de la notion d'«homme de métier», nous ne sommes pas disposés à assimiler à un principe de droit l'exigence voulant que cette personne doive être, dans tous les cas, un fabricant et non un utilisateur de matériel. Ce qui importe, c'est qu'il s'agisse d'une personne qui comprenne, de manière concrète, le problème à surmonter, la façon dont différents dispositifs correctifs pourraient vaincre cette difficulté ainsi que l'effet probable de leur utilisation.

 

           À la lumière des faits particuliers en l'espèce, le juge de première instance avait certainement la latitude de conclure que la modification devant être apportée à la Permaplug pour que celle‑ci corresponde à la conception décrite dans le brevet de l'intimée n'était pas évidente. À l'exception des différentes orientations suivies par l'appelante lors de ses tentatives d'améliorations effectuées à l'égard de sa Permaplug entre 1971 et 1984, le fait est que personne jusqu'à ce moment — y compris l'appelante — n'avait envisagé la possibilité de fixer à la Permaplug, en projection vers l'extérieur et vers l'arrière, des membres allongés conçus pour obtenir une stabilité axiale par leur enfoncement dans les parois du trou. La force de l'évidence du succès commercial d'un tel dispositif — tant pour la cartouche appelée King Plug à l'égard de laquelle l'intimée est titulaire d'un brevet que pour la cartouche contrefaite de l'appelante, la Supergrip — atteste de la nouveauté de cette évolution. L'affaire britannique datant de 1935 British Celanese v. Courtalds[3] est le seul précédent invoqué par l'appelante à l'appui du principe voulant que, si une revendication peut viser des applications inutiles du brevet, la preuve du succès commercial de l'une de ces applications de la revendication n'établit aucunement l'absence d'une activité inventive. L'appelante affirme également que la revendication no 1, en plus de viser la cartouche King Plug qui comporte des membres allongés aux deux bouts et qui a obtenu un grand succès commercial, englobe les dispositifs qui sont dotés de tels membres uniquement à un bout, comme la cartouche Queen Plug de l'intimée. On avance que la Queen Plug est inutilisable et ne pourrait obtenir de succès commercial. Par conséquent, selon le principe établi dans l'arrêt British Celanese, le succès commercial de la cartouche King Plug ne peut servir à réfuter l'allégation portant sur l'évidence de la revendication no 1. Voici certains des motifs qui nous ont poussés à rejeter cet argument. Premièrement, l'observation formulée il y a plus de 60 ans dans l'arrêt British Celanese paraît inexpliquée dans le contexte de l'affaire elle‑même et aucune décision dans laquelle on aurait suivi cet arrêt ne nous a été soumise. Par ailleurs, il s'agissait d'une affaire où on n'avait pu convaincre la Chambre des lords qu'un succès commercial pouvait être attribué à l'une ou l'autre des applications du brevet. Or, en l'espèce, nous ne sommes pas persuadés que les éléments de preuve présentés au juge de première instance obligeaient ce dernier à conclure que la revendication no 1 englobe des applications inutiles; par conséquent, même si l'arrêt British Celanese est bien fondé en droit, le juge de première instance n'était pas tenu de l'appliquer et il était justifié de prendre en compte le succès commercial.

 

           Il découle de ce que nous avons déclaré plus haut au sujet de l'interprétation du brevet que le juge de première instance était en droit de conclure que la cartouche Supergrip Plug de l'appelante est contrefaite compte tenu de son appréciation de la nature et de la fonction de «stabilité axiale» de ce dispositif. Le juge de première instance était également en droit de lire le brevet dans son ensemble et de rejeter les affirmations de l'appelante concernant les revendications trop larges et l'ambiguïté. La modification minime consistant à ajouter une pointe au bout avant de la cartouche Supergrip Plug a, à juste titre, été considérée comme n'offrant aucune différence fonctionnelle et il ne s'agissait pas d'un changement que le titulaire du brevet aurait estimé important.

 

           Pour tous ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.

 

 

 

juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


           COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

                      No du greffe A-232-96

 

E N T R E

 

        NUTRON MANUFACTURING LTD.,

                                  appelante

                              défenderesse,

 

                    et

 

        ALMECON INDUSTRIES LIMITED,

                                    intimée

                              demanderesse.

 

 

                                        

 

         ──  MOTIFS DU JUGEMENT ──

 

                                        


                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

 

NO DU GREFFE :A-232-96

 

 

 

 

APPEL INTERJETÉ À L'ÉGARD D'UN JUGEMENT RENDU PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE LE 26 FÉVRIER 1996, NO DU GREFFE T-762-88.

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Nutron Manufacturing Ltd. c. Almecon Industries Limited

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

DATES DES AUDIENCES :Les 3, 4 et 6 février 1997

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES JUGES STRAYER, LINDEN ET McDONALD) PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR LE JUGE STRAYER.

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. David Watson

M. Bruce Morganpour l'appelante

 

 

M. Ron Dimock

M. Bruce Strattonpour l'intimée

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Gowling, Strathy & Hendersonpour l'appelante

Ottawa (Ontario)

 

 

Dimock Stratton Clariziopour l'intimée

Toronto (Ontario)



    [1]Voir, par ex., l'arrêt Consolidated Inc. c. MacMillan Bloedel, [1981] R.C.S. 504, p. 520 et 521.

    [2]Voir, p. ex., l'arrêt Beloit Canada c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, p. 297 (C.A.F.).

    [3](1935) 52 R.P.C. 171, p. 194 (C. des L.).

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