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     Date : 20000228

     Dossier : ITA-6261-99


         INSTANCE RELATIVE À la Loi de l'impôt sur le revenu
         ET À une ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-emploi, de la Loi sur l'assurance-chômage, contre

     James Lorne Weber

     707 - 1100 8th Avenue S.W.

     Calgary (Alb) T2P 3T9

         ET À la loi dite Civil Enforcement Act, c. C-10.5
         ET À une saisie effectuée le 6 août 1999

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     requérante

     - et -


     JAMES LORNE WEBER

     intimé







     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le protonotaire JOHN A. HARGRAVE


[1]      La requête en instance fait suite à une procédure de saisie et vente de biens, accomplie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour couvrir une dette fiscale. Les présents motifs se rapportent cependant à la tentative de l'intimé, M. Weber, de régler sa dette fiscale de quelque 110 000 dollars par quelque 110 000 pesos colombiens.

[2]      Cette manoeuvre de M. Weber n'aurait pu réussir que si, en avril, il y avait au Canada une demande de pesos colombiens telle qu'elle poussait la valeur de cette monnaie bien au-delà de sa valeur actuelle qui est inférieure à un millième de cent. Dans l'état actuel des choses cependant, les contribuables, y compris l'intimé, auront à payer cette année leur impôt en dollars canadiens.

LES FAITS DE LA CAUSE

[3]      Le 6 juillet 1999, la Couronne, représentée par le ministre du Revenu national (ci-après Revenu Canada), a fait enregistrer en Cour fédérale un certificat portant sur une dette fiscale de 110 650,81 $. Le même jour, la Cour fédérale a délivré un mandat de saisie, lequel a été enregistré, comme il se doit, au Registre des biens meubles de l'Alberta.

[4]      Une fois la procédure accomplie, Revenu Canada a saisi la motocyclette BMW, divers accessoires, ainsi que le casque, le blouson et les pantalons de motocycliste de l'intimé. Celui-ci conteste maintenant cette mesure, disant qu'il a réglé son impôt exprimé en dollars canadiens par un nombre égal de pesos colombiens.

ANALYSE

[5]      Avant de parler dollars et pesos, il y a plusieurs points plus banals et bien moins curieux à trancher.

[6]      Il y a d'abord la question de la signature en règle des documents de Revenu Canada. Il est prouvé que ces documents n'ont pas été, comme le prétend l'intimé, signés en blanc à l'origine.

[7]      En second lieu, en réponse à la question de la preuve de la signature sur le certificat de dette fiscale, signé par le directeur du bureau de Calgary de Revenu Canada, l'avocat de ce ministère cite le paragraphe 244(13) de la Loi de l'impôt sur le revenu et le paragraphe 900(2) du Règlement de l'impôt sur le revenu, en application desquels le certificat de dette fiscale, délivré en application du paragraphe 223(2) de la Loi, est en l'espèce réputé signé en bonne et due forme.

[8]      L'argument principal de M. Weber est qu'à son avis, Revenu Canada lui a offert, au moyen du certificat de dette fiscale, de transiger à 110 650,81 $ : ce qui est d'une importance capitale, c'est, dit-il, le symbole du dollar avec une seule barre verticale. Il soutient que le symbole du dollar canadien comporte deux barres verticales, alors que celui du peso n'en a qu'une seule. Cette offre de règlement en pesos colombiens équivalant à quelque 75 dollars canadiens, était quelque chose qu'il ne pouvait refuser. Il a donc réglé avec des billets de banque colombiens exprimés en pesos. À part le fait qu'un certificat est juste une preuve de dette fiscale et certainement pas une offre de règlement, le bon sens oblige à se référer à l'article 14 de la Loi sur la monnaie, que voici :

     14. Les sommes exprimées en dollars et en cents dans les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 et dans toutes les lois fédérales le sont, sauf indication contraire, en monnaie canadienne.

Voilà la réponse à cette question, d'autant plus que les équipements de traitement de texte, après que leurs concepteurs se sont rendu compte de la redondance des deux barres verticales dans le symbole du dollar et de la difficulté qu'il y a à les reproduire clairement après plusieurs photocopies ou dans une transmission par télécopieur, n"impriment plus que le symbole du dollar avec barre verticale unique. De fait, c'est le problème que me causent les caractères de ma vieille machine à écrire Underwood : les détritus de ruban s'incrustent à demeure entre les deux barres verticales pour produire une barre unique plutôt épaisse dans le symbole du dollar.

[9]      Cela dit, l'argument de M. Weber devient fascinant. L'article 14 de la Loi sur la monnaie parle de " dollars et cents ". Il soutient que l'unité monétaire y est exprimée en toutes lettres et que de ce fait, cet article ne s'applique pas à la somme de " 110 650, 81 $ " telle qu'elle figure sur le certificat de dette fiscale.

[10]      Il produit, par affidavit complémentaire déposé à l'audience, de vieux documents, dont la définition du dollar dans l'Oxford English Dictionary, pour faire la preuve du symbole du dollar avec deux barres verticales, tel qu'il figure dans l'édition de 1933 de ce dictionnaire. Je note cependant que l'édition concise de l'Oxford English Dictionary de 1982, qui est une réimpression de l'édition de 1933, montre le symbole du dollar avec une seule barre verticale.

[11]      M. Weber cite des douzaines d'anciens documents officiels, dont les Résolutions de Londres de 1866, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique imprimé le 9 août 1907, et la Loi sur les juges de 1946, où figure le symbole du dollar avec deux barres verticales, notamment au sujet du traitement du juge en chef de Terre-Neuve, savoir treize mille trois cent trente-trois dollars et trente-trois cents, exprimés en chiffre avec le symbole du dollar à deux barres verticales.

[12]      Cette analyse typographique par affidavit du symbole de notre monnaie révèle une certaine ingéniosité de la part de M. Weber, mais elle ne tient pas. Et c'est ce qui nécessitait davantage d'ingéniosité dans son premier affidavit. Il faut dire à la décharge de son avocate, qui ne semble avoir aucune part dans la production de cet affidavit initial, qu'elle a évité d'en faire mention. N'empêche que c'est ce document qui a jeté bas toute l'argumentation de M. Weber. Dans cet affidavit, M. Weber, qui fait état de ses " connaissances et expérience dans le domaine de l'éducation et de la recherche ", cite l'illustration, annexée et marquée pièce A, du symbole du peso colombien dans le Webster's Third New International Dictionary of the English Language, Unabridged, publié en 1986. Or, la pièce A est juste une partie d'un article indiquant que le peso colombien est représenté par le symbole du dollar à barre verticale unique. Dans le même article, le symbole du dollar canadien figure aussi avec une seule barre verticale. M. Weber se montre insincère sur ce point, abandonnant la rigueur et l'objectivité du chercheur en faveur d'un peso valant, même en situation de marché vendeur, 0,000678 dollar canadien. Cette volonté d'induire en erreur, par découpage au moyen d'une paire de ciseaux, est un facteur à prendre en considération dans l'allocation des dépens.

[13]      On peut résumer toute l'affaire en disant que ni le système fiscal canadien ni l'économie canadienne ne saurait être à la merci de la sélection par un typographe, à un moment donné, de ce qui est considéré comme un caractère agréable à la vue et utile pour reproduire le symbole du dollar.

[14]      Le symbole du dollar, tout comme celui de la livre sterling, a évolué au fil du temps. Le symbole du dollar reconnu, qui n'est défini nulle part, est celui que les gens acceptent comme représentant cette unité monétaire, qu'il s'agisse du symbole fleuri et stylisé du XIXe siècle, ou de la représentation fonctionnelle qu'en donnent les fontes des machines de traitement de texte. Cette dernière est clairement acceptable comme représentant le dollar. La dette de M. Weber envers Revenu Canada, telle qu'elle figure au certificat de dette fiscale, est toujours, en monnaie canadienne, 110 650,81 $ avec intérêts en sus.

[15]      Revenu Canada était fondé à saisir la motocyclette, le casque, le blouson et les pantalons de motocycliste appartenant à M. Weber, et aura une ordonnance de la Cour pour les vendre. M. Weber s'est opposé à sa requête avec des éléments de preuve sans valeur, et son affidavit visait à induire en erreur. Il s'en est suivi un gaspillage de ressources, en particulier des deniers publics. Revenu Canada aura droit à 1 000 $ de dépens entre parties, selon la colonne V du tarif B.

[16]      Je remercie les avocats des deux parties pour leurs efforts dans cet exercice intéressant.


     Signé : John A. Hargrave

     ________________________________

     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 28 février 2000



Traduction certifiée conforme,





Bernard Olivier, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              ITA-6261-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre du Revenu national

                     c.

                     James Lorne Weber


LIEU DE L'AUDIENCE :          Calgary (Alberta)


DATE DE L'AUDIENCE :          22 février 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


LE :                      28 février 2000



ONT COMPARU :


Margaret A. Irving                  pour la requérante

John Phillips                      pour l'intimé



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Morris Rosenberg                  pour la requérante

Sous-procureur général du Canada

Scott Hall                      pour l'intimé

Calgary (Alberta)

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