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Date: 20000216



CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL



     A-365-99


ENTRE:

     JEAN-PAUL PROVOST

     APPELANT

ET:

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ès qualités de représentant du

     MINISTRE DU TRAVAIL

     - et -

     YVES LABERGE

     - et -

     GILLES JAUVIN ET AUTRES (mentionnés à l'annexe "A")

     INTIMÉS



     - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -




     A-367-99


ENTRE:

     CLAUDE PROVOST

     APPELANT

ET:

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ès qualités de représentant du

     MINISTRE DU TRAVAIL

     - et -

     YVES LABERGE

     - et -

     GILLES JAUVIN ET AUTRES (mentionnés à l'annexe "A")

     INTIMÉS





     Audience tenue à Montréal (Québec) le lundi, 14 février 2000



     Jugement prononcé à l'audience à Montréal (Québec) le mercredi, 16 février 2000






MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU




Date: 20000216


CORAM:      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

     A-365-99

ENTRE:

     JEAN-PAUL PROVOST

     APPELANT

ET:

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ès qualités de représentant du

     MINISTRE DU TRAVAIL

     - et -

     YVES LABERGE

     - et -

     GILLES JAUVIN ET AUTRES (mentionnés à l'annexe "A")

     INTIMÉS

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     A-367-99

ENTRE:

     CLAUDE PROVOST

     APPELANT

ET:

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ès qualités de représentant du

     MINISTRE DU TRAVAIL

     - et -

     YVES LABERGE

     - et -

     GILLES JAUVIN ET AUTRES (mentionnés à l'annexe "A")

     INTIMÉS


     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec)

     le mercredi, 16 février 2000)



LE JUGE LÉTOURNEAU




[1]          Les appels dans les dossiers A-365-99 et A-367-99 sont à l'encontre d'une décision du juge Rouleau, agissant à titre de juge des requêtes, par laquelle il a refusé aux appelants une demande de prorogation du délai prévu pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Ladite demande de contrôle judiciaire visait à attaquer la légalité d'une ordonnance de paiement émise par un inspecteur en vertu du paragraphe 251.1(1) du Code canadien du Travail (L.R.C., 1985, c. L-2) (Code) leur ordonnant de payer au Receveur Général du Canada une somme de 3 440 608,48$. Elle visait aussi le refus du ministre du Travail (ministre) de nommer un arbitre selon l'article 251.12 dudit Code. Nous reproduisons les articles 251.1(1), 251.11, 251.12(1), 251.15(3) et 251.18 pour une meilleure compréhension du litige:

251.1 (1) [Ordre de paiement] L'inspecteur qui constate que l'employeur n'a pas versé à l'employé le salaire ou une autre indemnité auxquels celui-ci a droit sous le régime de la présente partie peut ordonner par écrit à l'employeur ou, sous réserve de l'article 251.18, à un administrateur d'une personne morale visé à cet article de verser le salaire ou l'indemnité en question; il est alors tenu de faire parvenir une copie de l'ordre de paiement à l'employé à la dernière adresse connue de celui-ci.

251.1 (1) [Payment order] Where an inspector finds that an employer has not paid an employee wages or other amounts to which the employee is entitled under this Part, the inspector may issue a written payment order to the employer, or, subject to section 251.18, to a director of a corporation referred to in that section, ordering the employer or director to pay the amount in question, and the inspector shall send a copy of any such payment order to the employee at the employee's latest known address.


251.11 (1) [Appel] Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l'inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l'ordre ou de sa copie, ou de l'avis.

251.11 (1) [Appeal] A person who is affected by a payment order or a notice of unfounded complaint may appeal the inspector's decision to the Minister, in writing, within fifteen days after service of the order, the copy of the order, or the notice.

(2) [Consignation du montant visé] L'employeur et l'administrateur de personne morale ne peuvent interjeter appel d'un ordre de paiement qu'à la condition de remettre au ministre la somme visée par l'ordre, sous réserve, dans le cas de l'administrateur, du montant maximal visé à l'article 251.18.

(2) [Payment of amount] An employer or a director of a corporation may not appeal from a payment order unless the employer or director pays to the Minister the amount indicated in the payment order, subject to, in the case of a director, the maximum amount of the director's liability under section 251.18.



251.12 (1) [Nomination d'un arbitre] Le ministre, saisi d'un appel, désigne en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'appel et lui transmet l'ordre de paiement ou l'avis de plainte non fondée ainsi que le document que l'appelant a fait parvenir au ministre en vertu du paragraphe 251.11(1).

251.12 (1) [Appointment of referee] On receipt of an appeal, the Minister shall appoint any person that the Minister considers appropriate as a referee to hear and adjudicate on the appeal, and shall provide that person with

(a) the payment order or the notice of unfounded complaint; and

(b) the document that the appellant has submitted to the Minister under subsection 251.11(1).


251.15

[...]

(3) [Enregistrement] La Cour fédérale procède à l'enregistrement de l'ordre de paiement, de l'ordonnance ou de l'ordre de versement dès leur dépôt; l'enregistrement leur confère valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d'exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à leur égard.

251.15

[...]

(3) [Registration or orders] On the filing of a copy of an order in the Federal Court under subsection (1) or (2), the order shall be registered in the Court and, when registered, has the same force and effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the order were a judgment obtained in that Court.


251.18 [Responsabilité civile des administrateurs] Les administrateurs d'une personne morale sont, jusqu'à concurrence d'une somme équivalant à six mois de salaire, solidairement responsables du salaire et des autres indemnités auxquels l'employé a droit sous le régime de la présente partie, dans la mesure où la créance de l'employé a pris naissance au cours de leur mandat et à la condition que le recouvrement de la créance auprès de la personne morale soit impossible ou peu probable.

251.18 [Civil liability of directors] Directors of a corporation are jointly and severally liable for wages and other amounts to which an employee is entitled under this Part, to a maximum amount equivalent to six months' wages, to the extent that

(a) the entitlement arose during the particular director's incumbency; and

(b) recovery of the amount from the corporation is impossible or unlikely.




[2]          À notre avis, ces appels devraient être rejetés avec dépens pour les raisons suivantes.



[3]          Il est vrai qu'en l'espèce, comme le soumet le procureur des appelants, le contrôle judiciaire était le recours approprié1 même si l'une des prétentions des appelants consistait à mettre en cause la constitutionnalité de l'ordonnance émise par l'inspecteur.



[4]          Toutefois, le juge des requêtes n'a, selon nous, commis aucune erreur dans l'exercice de sa discrétion en refusant le recours sollicité. Les appelants soutiennent que, suite à la lettre qu'ils ont écrite au ministre le 2 juin 1998, en réponse à celle de ce dernier datée du 29 mai 1998 par laquelle le ministre les informait que, vu leur défaut de fournir le cautionnement prévu par l'article 251.11 du Code, leur appel était irrecevable et qu'en conséquence aucune suite n'y serait donnée, ils étaient en droit d'attendre du ministre une réponse qui n'est jamais venue. Dans leur lettre du 2 juin, les appelants mettaient le ministre en demeure de nommer un arbitre pour décider de la recevabilité de leur appel. Nous reviendrons d'ailleurs sur cette question plus loin. Ils demandaient également à être informés de la décision du ministre si celui-ci n'accédait pas à leur demande.



[5]          À notre avis, les appelants se sont, par cette lettre, indûment créés une expectative qui n'était pas raisonnable dans les circonstances compte tenu de la décision claire et péremptoire du ministre quant à la recevabilité de leur appel et du fait que leur lettre au ministre n'invoquait aucun fait ou motif nouveau exigeant soit une analyse qui n'avait pas déjà été faite, soit une réponse qui n'avait pas déjà été donnée.



[6]          En outre, les explications fournies par les appelants pour justifier un retard de plus de sept (7) mois à intenter une procédure soumise à un délai de 30 jours de la date de la décision attaquée ne nous apparaissent pas raisonnables. En admettant que les appelants ont cru naïvement qu'ils avaient droit à une réponse du ministre suite à leur lettre, ils n'ont pas fait preuve de diligence en demeurant inactifs pendant sept mois, soit jusqu'au moment de l'exécution de l'ordonnance de paiement. Durant cette période, plutôt que de contester par voie de contrôle judiciaire, dans les délais impartis, la décision du ministre, les appelants ont opté pour un remède différent pour palier à leur défaut de fournir le cautionnement exigé par la procédure d'appel.



[7]          Dans ces circonstances, le comportement des appelants n'indique pas de leur part une inhabilité ou une incapacité de présenter une demande de contrôle judiciaire, mais plutôt le désir de poursuivre d'autres avenues qu'ils estimaient alors préférables et plus prometteuses.



[8]          Les appelants ont invoqué au soutien de leur prétention quant à leur retard à procéder la décision de cette Cour dans l'affaire Bullock c. Sa Majesté La Reine2 où une demande d'extension du délai pour déposer une procédure en contrôle judiciaire fut accueillie après l'écoulement d'un délai de huit (8) mois. Avec respect, les faits dans cette affaire sont bien différents de ceux en l'espèce. M. Bullock était un individu qui se défendait seul, sans connaissances juridiques, et qui était détenu dans une prison à sécurité maximale d'où il disposait d'une liberté de mouvement très réduite pour accéder aux services juridiques et exercer son recours en révision judiciaire. Ce n'est évidemment pas le cas des appelants qui ont été en tout temps représentés par avocat.



[9]          En outre, M. Bullock avait démontré depuis le tout début, sans jamais y renoncer, l'intention de contester la décision de transfert qui l'affectait, et toutes ses démarches, y compris celles pour obtenir l'assistance d'un avocat et qui furent entreprises avant même que la décision finale ne soit rendue sur le grief qu'il avait soulevé, visaient à contester devant la Cour la légalité de cette décision. Dans le cas présent, rien ne nous permet d'inférer une telle intention des appelants de contester devant la Cour, dans les délais impartis, la décision du ministre quant à la recevabilité de leur appel.



[10]          Au surplus, nous ne sommes pas convaincus que la demande de contrôle judiciaire que les appelants veulent intenter comporte une chance raisonnable de succès même si ces derniers ont, de toute évidence, ajouté aux motifs qu'ils avaient invoqués dans leur lettre du 2 juin au ministre, lesquels se limitaient à prétendre que l'article 251.11 du Code ne s'appliquait pas à eux puisqu'ils n'étaient plus administrateurs au moment de l'appel et qu'ils ne l'étaient pas au moment où la créance a vu le jour.



[11]          Premièrement, au plan constitutionnel, les allégations des requérants relatives au partage des compétences prévu aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 sont trop vagues et trop imprécises pour engager un débat sérieux sous ces articles. Quant à l'allégation d'une discrimination inconstitutionnelle fondée sur l'article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne, il nous apparait impossible de prétendre sérieusement que les administrateurs ou les officiers d'une compagnie, du fait que leur droit d'appel est soumis au dépôt d'un cautionnement alors que celui des employés ne l'est pas, sont victimes d'une discrimination sur la base de l'un des motifs énumérés à cet article, que leur statut puisse être considéré comme un motif analogue à ceux contenus dans cet article ou encore qu'ils sont un groupe défavorisé au sens de cette disposition. La différence de traitement entre les administrateurs d'une corporation et ses employés s'explique par la nature et la différence des responsabilités que chacun assume respectivement.



[12]          Deuxièmement, il n'y a guère non plus de débat sérieux sur le sens et la portée des articles 251.11 et 251.12 du Code en ce qui a trait à la personne qui, du ministre ou de l'arbitre nommé sous l'article 251.12, avait l'autorité pour décider de la recevabilité de leur appel. Le paragraphe 251.11(2) énonce une condition préalable et nécessaire à la formation valable d'un appel au ministre. Contrairement à la prétention des appelants, il appartient à ce dernier, et non à l'arbitre, de s'assurer du respect de cette condition légale préalable avant d'enclencher le processus de nomination d'un arbitre et celui de l'audition de l'appel proprement dit.



[13]          Enfin, les appelants reprennent l'argument qu'ils n'ont pas à fournir de cautionnement en appel puisque le paragraphe 251.11(2) vise les administrateurs d'une compagnie et qu'ils n'avaient plus ce statut tant au moment où leur compagnie a fait faillite qu'au jour où ils ont intenté leur appel. Cet argument n'a aucun mérite et n'a aucune possibilité raisonnable de succès. Il est évident que le mécanisme prévu au Code pour le recouvrement des salaires dus aux employés vise également les administrateurs qui étaient en fonction lorsque la créance salariale est née. Le paragraphe 251.11(2) fait expressément référence à l'article 251.18 lequel énonce clairement que les administrateurs sont, jusqu'à concurrence d'une somme équivalant à six mois de salaire, responsables du paiement du salaire et des autres indemnités dus aux employés lorsque la créance a pris naissance au cours de leur mandat.



     Pour ces motifs, les appels dans les dossiers A-365-99 et A-367-99 seront rejetés avec dépens.



     Gilles Létourneau

     j.c.a.

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     DIVISION D"APPEL



Date : 20000216


Dossier : A-365-99

Entre :

     JEAN-PAUL PROVOST

     Appelant

     ET

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     ès qualités de représentant du

     MINISTRE DU TRAVAIL

     -et-

     YVES LABERGE

     -et-

     GILLES JAUVIN ET AUTRES

     (mentionnés à l"annexe "A")

     Intimés



    



     MOTIFS DU JUGEMENT


    

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     DIVISION D"APPEL



Date : 20000216


Dossier : A-367-99

Entre :

     CLAUDE PROVOST

     Appelant

     ET

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     ès qualités de représentant du

     MINISTRE DU TRAVAIL

     -et-

     YVES LABERGE

     -et-

     GILLES JAUVIN ET AUTRES

     (mentionnés à l"annexe "A")

     Intimés



    



     MOTIFS DU JUGEMENT


    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION APPEL

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DE LA COUR :      A-365-99

INTITULÉ :      JEAN-PAUL PROVOST

     Appelant

     ET

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     ET AL

     Intimés

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 16 février 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE L"HONORABLE JUGE LÉTOURNEAU

EN DATE DU      16 février 2000



COMPARUTIONS :

Me Jean Legault      pour l"appelant

Me Kathleen Cahill      pour les intimés

     Gilles Jauvin et al


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

LEPAGE LAROCHE

Montréal (Québec)      pour l"appelant

MELANÇON, MARCEAU, GRENIER &      pour les intimés

SCIORTINO      Gilles Jauvin et al


Non représentés      pour les intimés

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     YVES LABERGE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION APPEL

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DE LA COUR :      A-367-99

INTITULÉ :      CLAUDE PROVOST

     Appelant

     ET

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     ET AL

     Intimés

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 16 février 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE L"HONORABLE JUGE LÉTOURNEAU

EN DATE DU      16 février 2000



COMPARUTIONS :

Me Jean Legault      pour l"appelant

Me Kathleen Cahill      pour les intimés

     Gilles Jauvin et al


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

LEPAGE LAROCHE

Montréal (Québec)      pour l"appelant

MELANÇON, MARCEAU, GRENIER &      pour les intimés

SCIORTINO      Gilles Jauvin et al


Non représentés      pour les intimés

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     YVES LABERGE

__________________

1      Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), A-375-98, 21 mai 1999 (C.A.F.) infirmant la décision de la Section de première instance rapportée à [1998] 4 C.F. 43.

2      A-706-96, 3 décembre 1997, (C.F.A.).

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