Décisions de la Cour d'appel fédérale

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     Date: 19981222

     Dossier: ITA-4479-95

DABS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

     -et-

DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU D'UNE OU DE PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES : LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DES PENSIONS DU CANADA, LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE,

CONTRE:

     RAYMOND BÉRUBÉ,

     débiteur judiciaire,

     et

     CONSTRUCTION RAYMOND BÉRUBÉ INC.,

     tierce-saisie.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      La Cour est saisie de l'appel d'une décision du protonotaire rendue le 6 novembre 1998. Ainsi qu'il appert de l'avis de requête, les motifs de l'appel sont que [TRADUCTION] "le protonotaire Richard Morneau a commis une erreur en interprétant la compétence de cette cour (la Cour fédérale du Canada) suivant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Bois de construction du Nord (1971) Ltée c. La Reine".

[2]      Il s'impose, pour favoriser la compréhension de la question de droit soulevée par le présent appel, de reprendre l'exposé des faits présenté par l'intimée.

         EXPOSÉ DES FAITS:             
         1.      Le 9 décembre 1996, Sa Majesté la Reine a présenté devant M. le Protonotaire de cette Cour, une requête afin d"obtenir une ordonnance provisoire de saisie-arrêt;             
         2.      Ladite requête de saisie-arrêt de Sa Majesté est appuyée d"un affidavit signé le 28novembre 1996 par Madame Louise Laberge, fonctionnaire du Ministère du Revenu national dans lequel elle déclarait entre autre que:             
             -      la compagnie tierce-saisie versait à M. Raymond Bérubé jusqu"au 15 octobre 1994 une somme bimensuelle de 1 420,62 $ et qu"à compter de cette date, son salaire fut réduit à 376,35 $ net par deux semaines;                     
             -      la compagnie tierce-saisie versait à Madame Thérèse Bérubé pour les semaines du 11, 18 et 25 septembre 1994 une somme de 44465,97 $ et qu"à compter du 15 octobre 1994, son salaire fut augmenter à 1 269,27 $ net par deux semaines;                     
             -      à ladite époque, Raymond Bérubé était déjà sous enquête par le Ministère du Revenu et que celui-ci était au courant de ladite enquête;_)                     
         3.      Le 9 décembre 1996, M. Le Protonotaire a rendu une ordonnance provisoire de saisie-arrêt par laquelle il a été ordonné que tout les sommes dues ou qui deviendraient dues par la tierce-saisie au débiteur judiciaire qui ne constitue pas du salaire, des traitements ou gages qui sont insaisissables sous l"article 553 du Code de procédure civil du Québec, de tout traitement, salaire ou gage du ou à devoir par la tierce-saisie au débiteur judiciaire, et tous les effets mobiliers appartenant au débiteur judiciaire qui sont détenus par la tierce-saisie, soient saisis arrêté afin de répondre au certificat enregistré le 4 mai 1995 à la Cour fédérale du Canada; ledit certificat prévoit que M. Raymond Bérubé et endetté envers Sa Majesté la Reine d"une somme de 57 628, 59 $;                     
         4.      Le 19 février 1997, la tierce-saisie, Construction Raymond Bérubé Inc., par l"entremise de son président et administrateur, soit M. Raymond Bérubé, a produit au dossier de la Cour une déclaration à l"effet que le débiteur judiciaire devait, en raison de ses problèmes de santé, réduire de façon importante son implication au sein de l"entreprise Construction Raymond Bérubé Inc. Et qu"en raison de la réduction de son implication au sein de ladite entreprise, son épouse Mme Thérèse Bérubé, a du s"impliquer d"avantage au sein de ladite entreprise; ce qui explique la diminution de salaire du débiteur judiciaire et l"augmentation du salaire de son épouse;                     

[3]      M. Raymond Bérubé et Raymond Bérubé Inc. (ci-après Bérubé) plaident, dans leurs observations écrites et leur argumentation orale, que la décision du protonotaire excède la compétence de la Cour fédérale. Ils affirment également que [TRADUCTION] "pour ces fins, la tierce partie ne conteste aucune des conclusions de fait tirées par le protonotaire". Elle conteste toutefois la compétence de la Cour de récrire les modalités du rapport contractuel entre Construction Raymond Bérubé Inc. et Raymond Bérubé à l'avantage du créancier saisissant.

[4]      Les faits relatés par le protonotaire dans sa décision du 6 novembre 1998 sont pratiquement les mêmes que ceux que l'intimé a présentés en l'espèce et qui sont cités plus haut (voir les pages 1 à 6 de la décision). Le protonotaire ajoute ensuite, aux paragraphes 14 à 21 de sa décision :

         [14]      ATTENDU que l"article 649 du Code de procédure civile du Québec se lit comme suit:             
                 Si le tiers-saisi déclare que le débiteur est à son emploi mais sans rémunération ou si la rémunération payée par le tiers-saisi est manifestement inférieure à la valeur des services rendus, tout créancier peut sur demande, présentée au moins cinq jours après avoir été signifiée au débiteur et au tiers-saisi, obtenir qu"un juge évalue ses services et en fixe la juste rémunération. Cette rémunération est réputée être celle du débiteur depuis la date de la demande jusqu"à ce qu"il soit établi que le montant ainsi fixé dot être modifié. La décision du juge à cet égard est sans appel.                             
         [15]      ATTENDU face à la preuve prépondérante soumise par la créancière judiciaire qu"il est raisonnable de déclarer que monsieur Raymond Bérubé a continu après le 15 octobre 1994 jusqu"à ce jour à s"occuper activement de la compagnie tierce-saisie. Il appert à la Cour à cet égard qu"il en est demeuré en tout temps pertinent l"âme dirigeante et que ses services à la tierce-saisie sont demeurés d"égale valeur en tout temps même s"ils ont pu changer en nature et avoir été effectués à des titres différents.             
         [16]      ATTENDU qu"il est raisonnable de déclarer que la différence du salaire versé à Madame Thérèse Bérubé à compter du 15 octobre 1994 aurait dû continuer à être versé à monsieur Raymond Bérubé.             
         [17]      ATTENDU qu"il est juste et raisonnable de déclarer et d"évaluer les services rendus par le débiteur judiciaire pour la tierce-saisie à une rémunération bimensuelle nette de 1 420,62 $ ou plus.             
         [18]      Les déclarations ci-haut mentionnées constituent aux yeux de la Cour des déclarations directement rattachées à l"exécution forcée du jugement tenant à l"encontre du débiteur-saisie. Partant ces déclarations sont de la juridiction de cette Cour au sens de l"arrêt Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée v. The Queen [1986] 2 C.T.C. 227, aux pages 228 et 234.             
         [19]      ATTENDU que cette rémunération de 1 420,62$ est réputée être celle du débiteur judiciaire à compter du mis d"octobre 1994, date à laquelle Raymond Bérubé était sous enquête et qu"il avait connaissance de ladite enquête;             
         [20]      ATTENDU qu"il ne fait aucun doute que vu l"importance et la responsabilité des fonctions du débiteur judiciaire, que la somme de 1 420,62$ nette par deux semaines est juste et raisonnable;             
         [21]      EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE que le salaire du débiteur judiciaire soit fixé à compter du 9 décembre 1996, soit la date à laquelle l"ordonnance provisoire de saisie-arrêt fut rendue contre la tierce-saisie, à la somme de 1 420.62$ nette ou plus par deux semaines pour les fins de la présente saisie-arrêt émise en cette cause;             

[5]      Le protonotaire a donc ordonné à Bérubé Inc. de déposer la portion saisissable de la "rémunération" de M. Bérubé au greffe de la Cour.

[6]      Il s'agit de déterminer si, ce faisant, le protonotaire a outrepassé sa compétence.

[7]      Dans la décision Bois de construction du Nord (1971) Limitée c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 227, la Cour a statué :

         Ainsi, le tribunal qui a la compétence d"ordonner la saisie des biens d"un débiteur doit nécessairement avoir celle de décider de l"opposition formée par le tiers qui revendique la propriété des biens saisis. De la même façon, le pouvoir de saisir les créances dues à un débiteur remporte nécessairement, à mon avis, le pouvoir de statuer sur l"existence des créances saisies. Je crois donc que, en cas de saisie-arrêt d"une créance, si le saisissant conteste la déclaration négative du tiers saisie de statuer sur l"existence de la créance saisie. Ce n"est pas à dire que la Cour puisse trancher tous les moyens qu"un saisissant peut juger à propos d"invoquer à l"encontre d"un tiers saisie. La compétence de la Cour en la matière n"est que corollaire de son pouvoir d"effectuer la saisie-arrêt des créances dues au débiteur contre qui elle a rendu jugement; il s"en suit que dans le cas de contestation d"une déclaration négative les seuls moyens que la Cour puisse trancher sont ceux visant à établir que, au moment de la saisie, le débiteur-saisie, avait contre le tiers saisi un droit de créances possédant les qualités nécessaires pour être arrêté. Tout autre moyen qu"un saisissant ferait valoir à l"encontre d"un tiers saisi ne serait pas de la compétence de la Cour. Par exemple, si le saisissant tentait seulement d"établir que le débiteur saisi pouvait réclamer les dommages intérêts d"un tiers saisi lors de la saisie-arrêt, la Cour serait incompétente car il ne s"agirait pas de l"offre d"une créance suffisamment certaine et liquide pour pouvoir être saisie. Le saisissant, alors, détournerait la saisie-arrêt de son objet en l"utilisant pour exercer une simple action du débiteur saisi.             

[8]      Je conclus de cet extrait que la Cour fédérale a compétence pour se prononcer sur toute opposition élevée contre une saisie effectuée dans l'exécution d'un de ses jugements et pour statuer sur toute question liée à l'exécution de ses jugements.

[9]      Par conséquent, lorsque la Cour examine une déclaration faite par suite d'une saisie de salaire, elle dispose, en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale, du pouvoir discrétionnaire d'avoir recours au droit provincial pour l'exécution de ses jugements.

56. (1) In addition to any writs of execution or other process that are prescribed by the Rules for enforcement of its judgments or orders, the Court may issue process against the person or the property of any party, of the same tenor and effect as those that may be issued out of any of the superior courts of the province in which any judgment or order is to be executed, and where, by the law of that province, an order of a judge is required for the issue of any process, a judge of the Court may make a similar order with respect to like process to issue out of the Court.

56. (1) Outre les brefs de saisie-exécution ou autres moyens de contrainte prescrits par les règles pour l'exécution des jugements ou ordonnances de la Cour, celle-ci peut délivrer des moyens de contrainte visant la personne ou les biens d'une partie et ayant la même teneur et le même effet que ceux émanant d'une cour supérieure de la province dans laquelle le jugement ou l'ordonnance doivent être exécutés. Si, selon le droit de la province, le moyen de contrainte que doit délivrer la Cour nécessite l'ordonnance d'un juge, un juge de la Cour peut rendre une telle ordonnance.

[10]      En l'espèce, le protonotaire s'est prévalu, en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale, de l'article 649 du Code de procédure civile pour "fixer" la valeur du salaire ou de la rémunération de Raymond Bérubé, car il était manifeste pour lui que M. Bérubé et Raymond Bérubé Inc. tentaient de se soustraire au paiement de la dette fiscale de M. Bérubé à l'endroit de la Couronne.

[11]      Le protonotaire n'a pas récrit les termes d'une entente contractuelle entre deux personnes distinctes. Il est manifeste, en l'espèce, que les parties, Raymond Bérubé, Mme Bérubé et Raymond Bérubé Inc. n'agissaient pas en pleine indépendance. Comme je l'ai mentionné, il est clair que M. Bérubé a fait ce qu'il semble avoir toujours fait pour la société (voir les affidavits de Émond, Lormeau, Brassard et Proulx ainsi que le contre-interrogatoire de Raymond Bérubé du 9 février 1998).

[12]      Pour les raisons susmentionnées et conformément au paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale et de l'article 649 du Code de procédure civile, le protonotaire a établi la valeur de la "rémunération" de Raymond Bérubé.

[13]      L'appel est rejeté avec dépens en faveur de la Couronne intimée.

                             " MAX M. TEILTELBAUM "                                  J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      ITA-2380-96
INTITULÉ :          Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu

             -et-

             dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou de plusieurs des lois suivantes : la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime des pensions du Canada, la Loi sur l'assurance-chômage,

             contre:

                    

             Raymond Bérubé,

     débiteur judiciaire,

             et

             Construction Raymond Bérubé Inc.,

     tierce-saisie.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 14 décembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU 22 DÉCEMBRE 1998

COMPARUTIONS :

M. Aaron Rodgers      pour le débiteur judiciaire et la tierce-saisie

M. Daniel Beauchamp      Pour Sa Majesté la Reine

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Spiegel Sohmer      pour le débiteur judiciaire et la tierce-saisie

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada      pour Sa Majesté la Reine

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