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Date : 20051103

Dossier : A-290-04

Référence : 2005 CAF 362

CORAM :       LE JUGE NADON

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                    CLIFF BEGG, ROLLIE BEGG, BENTLEY BROWN,

                                    DALE CONACHER, KEITH CONACHER, LAURIE

                                             CONACHER, MILTON CONACHER ET

                                                               MILES JOHNSON

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                              REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE

                                                   L'AGRICULTURE DU CANADA

                                                                                                                                                  intimée

                          Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 26 septembre 2005

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE SEXTON

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


Date : 20051103

Dossier : A-290-04

Référence : 2005 CAF 362

CORAM :       LE JUGE NADON

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                    CLIFF BEGG, ROLLIE BEGG, BENTLEY BROWN,

                                    DALE CONACHER, KEITH CONACHER, LAURIE

                                             CONACHER, MILTON CONACHER ET

                                                               MILES JOHNSON

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                              REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE

                                                   L'AGRICULTURE DU CANADA

                                                                                                                                                  intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON


[1]                Il s'agit d'un appel interjeté d'un jugement du juge Campbell, de la Cour fédérale, 2004 CF 659, 5 mai 2004, qui faisait droit à la requête de l'intimée en jugement sommaire et rejetait l'action des appelants. Par leur action, les appelants demandent réparation à l'intimée pour le préjudice qu'ils ont subi en conséquence de la destruction de leur troupeau de wapitis par Agriculture Canada entre le 19 avril et le 26 juin 1991. La destruction obligatoire avait suivi la découverte de la tuberculose chez l'un de leurs animaux.

[2]                Le point principal soumis au juge Campbell et à la Cour est celui de savoir si l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 (la Loi sur la responsabilité civile de l'État) empêche les appelants de demander réparation étant donné qu'ils ont reçu une indemnité en vertu d'un régime officiel d'indemnisation, à savoir la Loi sur les maladies et la protection des animaux, L.R.C. 1985, ch. A-11 (l'ancienne Loi), et la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21 (la Loi), ainsi que son règlement d'application, le Règlement sur l'indemnisation en cas de destruction d'animaux, DORS/91-222 (le Règlement).

[3]                Un deuxième point à décider concerne l'applicabilité de ces lois à la perte subie par les appelants.


[4]                Avant d'exposer les faits pertinents, il convient de dire quelques mots sur les dispositions législatives en cause. De par l'ancienne Loi, le ministre de l'Agriculture était habilité à ordonner la destruction d'animaux porteurs, ou susceptibles d'être porteurs, d'une maladie infectieuse ou contagieuse. L'ancienne Loi donnait aussi au ministre le pouvoir discrétionnaire de verser une indemnité aux propriétaires des animaux détruits, mais l'indemnité devait s'appuyer sur la valeur marchande, établie par le ministre. Elle autorisait aussi le ministre à payer une indemnité inférieure à la valeur marchande, uniquement pour les chevaux, les bovins et les moutons. Autrement dit, lorsque des wapitis étaient détruits en vertu des dispositions de l'ancienne Loi et que le ministre exerçait son pouvoir discrétionnaire de verser une indemnité, cette indemnité devait être fondée sur la valeur marchande au moment de la destruction.

[5]                L'ancienne Loi a été remplacée par la Loi, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1991. Comme l'ancienne Loi, la Loi habilite le ministre à disposer d'animaux contaminés ou soupçonnés de l'être. La Loi donne aussi au ministre le pouvoir discrétionnaire de verser une indemnité sur le Trésor aux propriétaires d'animaux détruits en application de la Loi. L'article 51 de la Loi précise ainsi le fondement sur lequel les propriétaires d'animaux seront indemnisés :

51. (1) Le ministre peut ordonner le versement, sur le Trésor, d'une indemnité au propriétaire de l'animal :

51. (1) The Minister may order compensation to be paid from the Consolidated Revenue Fund to the owner of an animal that is

a) soit détruit au titre de la présente loi, soit dont la destruction a été ordonnée par l'inspecteur ou l'agent d'exécution mais mort avant celle-ci;

(a) destroyed under this Act or is required by an inspector or officer to be destroyed under this Act and dies after the requirement is imposed but before being destroyed;

b) blessé au cours d'un examen ou d'une séance de traitement ou d'identification effectués, au même titre, par un inspecteur ou un agent d'exécution et mort ou détruit en raison de cette blessure;

(b) injured in the course of being tested, treated or identified under this Act by an inspector or officer and dies, or is required to be destroyed, as a result of the injury; or

c) affecté à des expériences au titre du paragraphe 13(2).

(c) reserved for experimentation under paragraph 13(2)(a).



(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), l'indemnité payable est égale à la valeur marchande, selon l'évaluation du ministre, que l'animal aurait eue au moment de l'évaluation si sa destruction n'avait pas été ordonnée, déduction faite de la valeur de son cadavre.

(2) Subject to subsections (3) and (4), the amount of compensation shall be

(a) the market value, as determined by the Minister, that the animal would have had at the time of its evaluation by the Minister if it had not been required to be destroyed

minus

(b) the value of its carcass, as determined by the Minister.

(3) La valeur marchande ne peut dépasser le maximum réglementaire correspondant à l'animal en cause.

(3) The value mentioned in paragraph (2)(a) shall not exceed any maximum amount established with respect to the animal by or under the regulations.

(4) L'indemnisation s'étend en outre, lorsque les règlements le prévoient, aux frais de disposition, y compris de destruction.

(4) In addition to the amount calculated under subsection (2), compensation may include such costs related to the disposal of the animal as are permitted by the regulations.

     [Non souligné dans l'original.]

[Emphasis Added]

[6]                Également pertinent est l'article 55 de la Loi, qui autorise le ministre à prendre des règlements régissant le mode de calcul de la valeur marchande d'animaux lorsqu'il est d'avis qu'ils sont difficilement commercialisables. Cette disposition autorise le ministre à fixer les plafonds des valeurs marchandes des animaux ou des choses ou leur mode de calcul :

55. Le ministre peut, par règlement_:

55. The Minister may make regulations

a) régir le mode de calcul de la valeur marchande des animaux difficilement commercialisables selon lui;

(a) respecting the method of calculating the market value of animals for which the Minister considers there is no readily available market;

b) fixer les plafonds des valeurs marchandes des animaux ou des choses ou leur mode de calcul;

(b) establishing maximum amounts, or the manner of calculating maximum amounts, for the purpose of subsection 51(3) or section 52; and

c) autoriser l'indemnisation pour frais de disposition - notamment par destruction - d'animaux ou de choses et fixer soit le montant de celle-ci ainsi que le plafond, soit le mode de leur détermination.

(c) permitting compensation for any costs related to the disposal of animals and things and for determining the amounts of the compensable costs, including prescribing maximum amounts.

         [Non souligné dans l'original.]

                         [Emphasis Added]


[7]                Le 18 mars 1991, en application de l'alinéa 55b) de la Loi, le Règlement entrait en vigueur. Son article 4 fixe à 3 500 $ pour un mâle et à 7 000 $ pour une femelle le plafond de l'indemnité payable au propriétaire d'un wapiti devant être détruit en application des alinéas 48(1)a) ou b) de la Loi.

[8]                Je passe maintenant aux faits pertinents, qui ont été résumés ainsi par le juge Campbell, au paragraphe 16 de ses motifs :

[16]         Les faits pertinents par rapport à la requête en jugement sommaire ne sont pas contestés. À titre de propriétaires d'un troupeau de wapitis domestiques, les demandeurs fondent la présente action sur les événements qui suivent :

1.           Le 16 octobre 1990 ou vers cette date, les employés d'Agriculture Canada ont été avisés des résultats de l'autopsie d'une femelle wapiti appartenant aux demandeurs qui était morte le 9 octobre 1990 ou vers cette date. En raison de ce rapport, on a soupçonné que le troupeau des demandeurs était contaminé par la tuberculose.

2.           Le 17 octobre 1990, agissant en vertu de l'ancienne Loi sur les maladies et la protection des animaux, Agriculture Canada a mis le troupeau en quarantaine pendant que ce dernier faisait l'objet d'une enquête afin d'empêcher de propager davantage la maladie, si elle était présente dans le troupeau. Dans le cadre de l'enquête, des échantillons de tissus de la femelle wapiti ont été remis au laboratoire afin d'obtenir une confirmation de la culture. Par conséquent, le 18 janvier 1991, Agriculture Canada a confirmé le diagnostic de la tuberculose au sein du troupeau de wapitis des demandeurs.

3.           Le 17 octobre 1990, le troupeau de wapitis des demandeurs consistait en 258 wapitis qui étaient mis en quarantaine le même jour et en 2 wapitis qui ont été trouvés à un autre endroit.

4.           Le troupeau de wapitis des demandeurs, comprenant 260 têtes, a été détruit de la façon suivante :

a)           la destruction et l'abattage de deux wapitis ont été ordonnés le 26 novembre 1990;


b)           deux sont morts de causes non liées à l'enquête sur la tuberculose alors qu'ils étaient mis en quarantaine, mais avant que la tuberculose ne soit confirmée au sein du troupeau de wapitis des demandeurs;

c)           trois sont morts après la confirmation de la tuberculose, mais avant que leur destruction ne soit ordonnée;

d)           la destruction et l'abattage de 253 wapitis ont été ordonnés entre le 19 avril 1991 et le 26 juin 1991.

5.           Les demandeurs ont reçu une indemnité pour les deux animaux dont la destruction a été ordonnée le 26 novembre 1990 en vertu de l'ancienne Loi sur les maladies et la protection des animaux.

6.           Les demandeurs ont reçu une indemnité pour les 253 animaux dont la destruction a été ordonnée entre le 19 avril 1991 et le 26 juin 1991 et pour les trois animaux qui sont morts après la confirmation de la présence de la tuberculose, mais avant que leur destruction ne puisse être ordonnée en vertu de la Loi sur la santé des animaux.

7.           En somme, les demandeurs ont reçu une indemnité pour 258 de leurs animaux. L'indemnité totale accordée aux demandeurs en vertu des deux lois s'est élevée à 1 533 000 $.

[9]                Pour compléter cet exposé des faits, j'ajouterais que, bien que la présence de la tuberculose fût confirmée dans le troupeau le 18 janvier 1991 et qu'il devînt donc certain qu'il faudrait détruire le reste du troupeau, un moratoire sur la destruction des animaux fut imposé par Agriculture Canada le 1er février 1991. Ce moratoire avait semble-t-il été décrété pour permettre aux fonctionnaires de promulguer le Règlement.

[10]            Ainsi qu'il ressort des faits décrits ci-dessus, les appelants ont reçu une indemnité de 1 533 000 $ pour la perte de leurs animaux. Comme cette somme ne les indemnisait pas de leurs pertes réelles, ils ont introduit une instance devant la Cour fédérale pour que leur soient accordés notamment les réparations suivantes (voir la deuxième déclaration modifiée, paragraphe 44) :


[traduction]

44.           Les demandeurs sollicitent par conséquent :

a)             un jugement déclaratoire disant que la Loi sur les maladies et la protection des animaux et son règlement d'application régissent la destruction des wapitis des demandeurs et l'indemnisation des demandeurs;

b)             un jugement déclaratoire disant que le moratoire imposé par le ministre de l'Agriculture sur l'abattage des wapitis atteints avait des fins irrégulières et qu'il est donc inopérant;

c)             subsidiairement, un jugement déclaratoire disant que l'article du Règlement sur l'indemnisation en cas de destruction d'animaux est ultra vires de la Loi sur la santé des animaux et qu'il est donc inopérant;

d)             subsidiairement de nouveau, un jugement déclaratoire disant que l'article 4 du Règlement sur l'indemnisation en cas de destruction d'animaux est invalide et inopérant, en raison de son caractère rétroactif alors qu'il n'a pas été expressément déclaré rétroactif;

e)             subsidiairement de nouveau, un jugement déclaratoire disant que l'article 4 du Règlement sur l'indemnisation en cas de destruction d'animaux a été pris de mauvaise foi et/ou à des fins irrégulières et/ou en fonction de considérations hors de propos, et qu'il est donc inopérant;

f)             un jugement condamnant la défenderesse à réparer le préjudice subi par les demandeurs, à savoir la perte de leur bien et le manque à gagner, causés par la négligence et/ou la négligence grave et/ou l'acte délibéré de la défenderesse;

f (A)        un jugement condamnant la défenderesse à payer aux demandeurs la juste valeur marchande des wapitis détruits par suite de la négligence et/ou des actions irrégulières de la défenderesse, avec intérêts, ainsi que les dommages-intérêts correspondant au manque à gagner;

[...]


[11]            Au soutien de leur demande de réparation, les appelants soulèvent de nombreuses allégations de négligence contre les fonctionnaires d'Agriculture Canada et, plus précisément, ils disent qu'ils ont fait preuve de négligence en laissant la tuberculose entrer au Canada. Les appelants font valoir aussi que la Loi et le Règlement sont inopérants. Selon eux, l'indemnité versée pour la perte de leurs animaux aurait dû être payée en vertu de l'ancienne Loi.

[12]            Le juge Campbell a rejeté tous les arguments des appelants. Il a d'abord jugé que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État faisait totalement obstacle aux prétentions des appelants fondées sur la négligence. Il a ensuite jugé que la Loi et le Règlement, qui avaient servi à indemniser les appelants, étaient valides et en vigueur. Il a finalement jugé que les appelants n'avaient pas droit à indemnité selon l'ancienne Loi. Le juge Campbell est donc arrivé à la conclusion qu'il n'y avait aucune véritable question litigieuse, et il a rejeté l'action des appelants.

[13]            Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que le juge Campbell n'a commis aucune erreur de droit, et qu'il n'y a aucune erreur manifeste ou dominante dans les conclusions de fait sur lesquelles s'appuie sa décision.

[14]            Je commencerai par la question de la négligence. Selon le juge Campbell, l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État faisait totalement obstacle aux prétentions des appelants fondées sur la négligence. Cette disposition est ainsi formulée :


9. Ni l'État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte - notamment décès, blessure ou dommage - ouvrant droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l'État.

9. No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

     [Non souligné dans l'original.]

                      [Emphasis Added]

[15]            De l'avis du juge Campbell, puisque le préjudice subi par les appelants en raison de la destruction de leurs animaux est le même préjudice que celui pour lequel ils tentent d'obtenir réparation par leur action fondée sur la négligence, il ne faisait aucun doute que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État s'appliquait à l'indemnité reçue par les appelants.

[16]            Pour arriver à cette conclusion, il s'est fondé sur plusieurs précédents, à savoir : Langille c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1991), 44 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.), décision confirmée : [1992] 2 C.F. 208 (C.A.F.); Sarvanis c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 921; et Marsot c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [2002] 3 C.F. 579 (C.F. 1re inst.).


[17]            L'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État a été interprété et appliqué tout récemment par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sarvanis, précité. Il s'agissait d'un détenu qui s'était blessé au cours de son travail dans un pénitencier fédéral. Il était donc admissible aux prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), lesquelles sont versées sur le Trésor. Le détenu avait introduit une procédure en responsabilité délictuelle afin d'obtenir réparation pour ses blessures, et l'État avait déposé une requête en jugement sommaire en faisant valoir que l'article 9 rendait l'action irrecevable. Le juge de première instance était arrivé à la conclusion que l'article 9 ne s'appliquait pas aux prestations d'invalidité du RPC reçues par le détenu. La Cour a accueilli l'appel de l'État, mais son arrêt a été infirmé par la Cour suprême du Canada.

[18]            Interprétant l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État, le juge Iacobucci, rédigeant l'arrêt unanime de la Cour suprême, a reconnu que l'expression « in respect of » , dans la version anglaise de l'article 9, avait une grande portée, mais il ajoutait ensuite que l'expression ne pouvait pas être interprétée sans que soit examiné le contexte dans lequel elle était employée. Selon lui, l'article 9 visait manifestement les cas où une pension ou indemnité était versée en raison d'un décès, d'une blessure ou d'un dommage. À titre d'exemple, il s'est référé à l'arrêt Langille, précité, qui concernait la destruction de bovins. Le juge Iacobucci écrivait ensuite que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État rendrait totalement irrecevable une action introduite contre l'État lorsque le fondement factuel de l'action est le même que celui de la pension ou indemnité versée.

[19]            Les passages pertinents des motifs du juge Iacobucci se trouvent aux paragraphes 25 à 29, rédigés ainsi :


25.      Gardant cette méthode à l'esprit, je constate que l'art. 9 parle des pensions et des indemnités versées « in respect of » « death, injury, damage or loss » . Le lien entre l'expression générale « in respect of » et cette énumération d'événements n'est pas sans importance. Selon leur sens ordinaire, les mots de cette énumération sont des événements précis qui pourraient être sources de responsabilité, si ce n'était de l'application de l'art. 9. En d'autres termes, l'article 9 vise les cas où une pension ou indemnité est versée parce qu'il y a eu perte, notamment décès, blessures ou dommages, situation qui correspond, par exemple, à la destruction des bovins dans l'arrêt Langille, précité. Dans cette affaire, le gouvernement a versé une indemnité pour dédommager les demandeurs de la perte de leurs bovins. Le fait que les demandeurs sollicitaient des dommages-intérêts pour la même perte dans leur action en responsabilité civile suffisait pour établir l'identité entre l'objet de leur action et celui de leur demande d'indemnité.

26.      Cet exemple est compatible avec une interprétation de l'expression « in respect of » qui tient compte du contexte du membre de phrase dans lequel elle figure. La condition exigeant que la pension soit versée pour un événement constituant une « perte -- notamment décès, blessures ou dommages » permet de mieux saisir la signification des mots « in respect of » . Il est possible de dégager le sens de cette expression générale -- en soi imprécise -- en se demandant pour quel genre de situations la pension doit être versée. Nous pouvons nous faire une meilleure idée de la portée précise de cette expression dans ce contexte en examinant, par exemple, le contexte de l'occurrence suivante de cette expression dans la version anglaise de l'art. 9, passage qui est rédigé ainsi : « death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made » . La portée de la locution « in respect of » pourrait être différente lorsqu'elle est liée à la notion de « claim » plutôt qu'à une énumération d'événements.

27.      Cette interprétation est également compatible avec la version française de l'article. Sont interdites les poursuites « pour toute perte » (selon la traduction littérale proposée plus tôt « for any loss » ), « notamment décès, blessures ou dommages » (selon la traduction littérale proposée plus tôt « in particular, for death, injury or damage » ), dans les cas où il s'agit également d'une perte « ouvrant droit » à une pension ou indemnité. Tant pour ce qui est de la version française que de la version anglaise de la loi, il importe de reconnaître que la perte dont l'indemnisation est écartée par la loi doit être la même que celle qui crée le droit à la pension ou à l'indemnité pertinente. L'énumération d'événements que comporte la disposition explicite tout autant le sens du mot « perte » dans le texte français que celui de l'expression « in respect of » dans le texte anglais.

28.      À mon avis, bien que libellé en termes larges, l'art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif n'en exige pas moins que, pour qu'elle fasse obstacle à une action contre l'État, la pension ou l'indemnité payée ou payable ait le même fondement factuel que l'action. En d'autres termes, l'article 9 traduit le désir rationnel du législateur d'empêcher la double indemnisation d'une même réclamation dans les cas où le gouvernement est responsable d'un acte fautif mais où il a déjà effectué un paiement à cet égard. Autrement dit, cette disposition n'exige pas que la pension ou le paiement soit versé en dédommagement de l'événement pertinent, mais uniquement que le fondement précis de leur versement soit l'existence de cet événement.


29.      Cette large portée est nécessaire pour éviter que l'État ne soit tenu responsable, sous des chefs accessoires de dommages-intérêts, de l'événement pour lequel une indemnité a déjà été versée. Autrement dit, en cas de versement d'une pension tombant dans le champ d'application de l'art. 9, un tribunal ne saurait connaître d'une action dans laquelle on ne réclame des dommages-intérêts que pour douleurs et souffrances ou encore pour perte de jouissance de la vie, du seul fait que ce chef de dommage ne correspond pas à celui qui a apparemment été indemnisé par la pension. Tous les dommages découlant du fait ouvrant droit à pension sont visés par l'art. 9, dans la mesure où la pension ou l'indemnité est versée « in respect of » la même perte -- notamment décès, blessure ou dommage -- ou sur le même fondement.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[20]            Dans l'affaire dont il était saisi, le juge Iacobucci a estimé que les prestations d'invalidité du RPC n'entraient pas dans le champ de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État, car le paiement de telles prestations n'avait pas été effectué d'après le « même fondement factuel » que celui allégué par le détenu dans l'instance qu'il avait introduite contre l'État. Au paragraphe 38 de ses motifs, le juge Iacobucci expose ainsi sa conclusion :

38.      Tout simplement, l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif établit l'immunité de l'État lorsque la perte même -- notamment décès, blessures ou dommages -- qui constitue le fondement de l'action irrecevable est l'événement qui a fondé le paiement d'une pension ou d'une indemnité. La situation est très différente pour ce qui est du RPC, régime contributif dont les avantages sont accordés en fonction non pas de quelque perte -- notamment décès, blessures ou dommages --, mais plutôt de l'état de santé du demandeur et du paiement de cotisations suffisantes pendant la période minimale prévue.


[21]            Dans l'arrêt Langille, précité, auquel se référait, en l'approuvant, la Cour suprême dans l'arrêt Sarvanis, au paragraphe 25 de ses motifs, la Cour d'appel fédérale était saisie d'une demande de réparation fondée sur la destruction de bovins et sur les actions ou omissions ultérieures des préposés ou mandataires de l'État. En réponse à la réclamation, l'État avait déposé une requête en radiation en invoquant l'article 4 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État (aujourd'hui l'article 9).

[22]            Dans l'affaire Langille, les intimés disaient que, puisque l'indemnité reçue pour la perte de leurs animaux ne les dédommageait pas totalement, ils étaient fondés à faire valoir leur réclamation. Cet argument fut rejeté par la Cour. À la page 213 de ses motifs, le juge Stone expliquait dans les termes suivants le raisonnement de la Cour :

Nous ne pouvons, en toute déférence, souscrire à ce point de vue. Le paragraphe 4(1) interdit tout recours « si ... une indemnité a été payée ... sur le Fonds du revenu consolidé ... relativement à ... (des) dommages ou autres pertes » . La portée de l'expression « relativement à » [ « in respect of » ] est très large. En effet, dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 39, le juge Dickson (alors juge puîné) dit de la même expression employée dans une autre loi fédérale :

À mon avis, les mots « quant à » [ « in respect of » ] ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant » , « relativement à » ou « par rapport à » . Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression « quant à » [ « in respect of » ] qui est la plus large.

Selon nous, la large portée du paragraphe 4(1) comprend certainement les dommages ou les pertes faisant l'objet de la demande portant sur leurs animaux détruits présentée par les intimés en l'espèce. L'indemnité a été payée « relativement à » des « dommages ou ... pertes » résultant de la destruction des animaux et il s'agit dans la présente action d'une demande « relativement à » ces mêmes « dommages ou ... pertes » . La seule différence est que les intimés cherchent en l'espèce au moyen de leur action délictuelle à obtenir à l'égard de ladite destruction une indemnité en sus de celle qui leur a été versée sur le Fonds du revenu consolidé en 1978. À notre avis, le paragraphe 4(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne les en empêche.


[23]            Je ne me référerai qu'à un autre précédent, l'arrêt Vona c. Canada (Minister of Agriculture) (1994), 20 O.R. (3d) 589; (1996), 30 O.R. (3d) 686 (C.A. Ont.). Dans cette affaire, le ministère de l'Agriculture avait mis en quarantaine en janvier 1991 le troupeau de wapitis, de cerfs et de moutons des demandeurs et avait informé les demandeurs que leur troupeau serait détruit dans le cadre d'un programme d'éradication de la tuberculose établi en vertu de la Loi. La destruction du troupeau des demandeurs avait débuté en septembre 1991 et s'était terminée en novembre de la même année. L'indemnité n'avait été versée aux demandeurs qu'en mars 1992.

[24]            Les demandeurs, qui exploitaient un restaurant, ont introduit une instance, affirmant que la lenteur du versement de l'indemnité avait eu notamment pour résultat la perte de leur restaurant, étant donné que les animaux étaient les articles de commerce de leur restaurant. Le procureur général a déposé une requête en radiation de la déclaration des demandeurs, au motif que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État rendait l'action totalement irrecevable.

[25]            L'action des demandeurs, une action délictuelle pour négligence, était fondée sur l'idée selon laquelle, s'ils avaient été indemnisés en temps utile, leurs pertes, dont celle de leur restaurant, ne se seraient pas produites. La déclaration a été radiée par la juge de première instance, pour qui elle ne révélait aucune cause d'action, et en appel, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé le jugement de première instance et a rejeté la réclamation des appelants pour manque à gagner et souffrance morale, confirmant ainsi que les mots « in respect of » , dans l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État, devaient être interprétés de la manière la plus large possible.


[26]            Aux pages 689 et 690 de son arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a étudié, puis rejeté l'argument des appelants selon lequel, puisque l'indemnité prévue par la Loi visait simplement à dédommager le propriétaire d'un animal pour la perte effective de son animal, l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État ne faisait pas obstacle aux actions résultant par exemple de la négligence d'un mandataire ou préposé de l'État dans l'exercice de ses fonctions selon la Loi. La Cour d'appel de l'Ontario s'était exprimée ainsi :

[traduction]

Devant la Cour, comme devant la juge des requêtes, les appelants ont fait valoir que le régime institué par les articles de la Loi sur la santé des animaux concernant l'indemnité vise à indemniser le propriétaire de la perte effective de l'animal. On a prétendu que, puisque l'indemnité prévue par la Loi dépend de la valeur attribuée à chaque animal, elle est sans rapport avec tout autre préjudice ou dommage, par exemple un dommage résultant de la négligence d'un préposé ou mandataire de l'État dans l'exercice de ses fonctions selon la Loi. S'appuyant sur les précédents mentionnés, la juge MacDonald a rejeté cet argument.

Après examen de plusieurs précédents où l'article de la Loi avait été débattu, la juge MacDonald a donné la préférence à l'argument de la défenderesse : voir l'arrêt Langille c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1992] 2 C.F. 208, 140 N.R. 304, et l'arrêt Nowegijick c. R., [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 39, 144 D.L.R. (3d) 193. Elle a jugé que l'action était irrecevable puisque l'indemnité avait été versée « in respect of » ( « pour » un « dommage » résultant de la destruction des animaux. Vu les circonstances de la présente affaire, nous souscrivons à la manière dont elle a appliqué l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.


[27]            Devant le juge de première instance, et devant nous dans cet appel, les appelants affirmaient que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État ne fait pas obstacle à l'action qu'ils ont introduite en invoquant une négligence. Plus précisément, ils disent que l'article 9 ne fait obstacle qu'aux actions introduites contre des mandataires ou préposés de l'État qui agissaient dans l'exercice de leurs fonctions habituelles. Les fonctions habituelles englobées dans l'article 9 seraient par exemple le fait de constater la présence de la tuberculose dans un troupeau et, le cas échéant, le fait de détruire les animaux s'ils sont effectivement atteints. Toutefois, les appelants disent que l'article 9 ne s'applique pas aux cas où la négligence reprochée consiste dans le fait de ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour empêcher au départ l'introduction de la tuberculose au Canada, ainsi que dans le fait de ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour éradiquer la maladie dès qu'elle a été découverte.

[28]            Le juge de première instance a estimé que la distinction que les appelants cherchaient à établir n'était pas une distinction valide. Je partage son avis.

[29]            La question à poser en conséquence de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sarvanis est celle de savoir si le fondement factuel de l'indemnité reçue par les appelants est le même que le fondement factuel de l'action qu'ils ont introduite contre l'intimée. Si la réponse à cette question est affirmative, alors l'action n'est plus recevable.


[30]            Le fondement factuel de l'indemnité reçue par les appelants est la destruction de leurs animaux et la perte qui en a résulté. Quant au fondement factuel de l'action introduite par les appelants, il me semble qu'il ne peut pas être distingué du fondement factuel de l'indemnité qu'ils ont reçue. Il ressort clairement du paragraphe 44 de la deuxième déclaration modifiée que ce que les appelants cherchent à recouvrer de l'intimée est la juste valeur marchande de leurs animaux, avec intérêts, ainsi que les dommages-intérêts correspondant au manque à gagner.

[31]            La présente affaire se distingue manifestement des circonstances de l'arrêt Sarvanis de la Cour suprême. Dans l'affaire Sarvanis, les prestations du RPC étaient payables à quiconque devenait inapte au travail, quelle que soit la cause de l'invalidité. Partant, on ne pouvait dire que c'est un décès, une blessure ou un dommage qui avait déclenché le versement des prestations.

[32]            Comme le juge Campbell, il m'est impossible de voir comment l'on pourrait prétendre que le fondement factuel de l'indemnité payée diffère du fondement factuel de l'action introduite. À mon avis, le fondement factuel reste le même. Que la destruction des animaux des appelants résulte de la négligence de fonctionnaires qui n'ont pas empêché l'entrée de la tuberculose au Canada ou qu'elle résulte d'une autre négligence, cela est à mon humble avis hors de propos. Il demeure que l'indemnité reçue et la réparation demandée par les appelants dans leur action résultent du même événement, la destruction de leur troupeau.


[33]            Je suis donc d'avis que le juge Campbell n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a dit que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État rendait irrecevable l'action des appelants en responsabilité délictuelle et que la négligence alléguée par les appelants dans leur déclaration ne soulevait par conséquent aucune véritable question litigieuse.

[34]            Je passe maintenant à l'argument des appelants selon lequel la Loi et le Règlement sont inopérants. Plus précisément, ils disent que le moratoire du 1er février 1991 a été imposé à des fins irrégulières, et que l'article 4 du Règlement a été pris de mauvaise foi, à des fins irrégulières et/ou en fonction de considérations hors de propos et qu'il est par conséquent inopérant.

[35]            Le juge Campbell a conclu à la validité du Règlement. Il s'est pour cela fondé sur le jugement qu'il avait rendu dans l'affaire Abel c. Canada (Ministre de l'Agriculture), 2001 CFPI 1378, 13 décembre 2001, une affaire dont les circonstances étaient semblables à celles de la présente affaire. Le juge Campbell avait estimé que le ministre avait agi de bonne foi et s'était fondé sur des motifs appropriés lorsqu'il avait pris le Règlement. Aux paragraphes 14 et 15 de ses motifs, il s'était exprimé ainsi :

[14]             Néanmoins, eu égard à la preuve, j'estime que le ministre a accordé une importance considérable à la valeur marchande des wapitis lorsqu'il a pris la décision en matière d'indemnisation qui est contestée en l'espèce. Il est également évident que différents facteurs d'ordre politique et économique ont été pris en compte à juste titre au cours de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Les conclusions sont fondées sur la description détaillée de la démarche, y compris la consultation menée auprès des propriétaires de wapitis, qui a donné lieu à la décision en matière d'indemnisation laquelle description figure dans le « Résumé de l'étude d'impact de la réglementation » joint au Règlement sous examen.


[15]             Il semble qu'au cours de l'exercice du large pouvoir discrétionnaire dont il est investi en vertu de la Loi et du Règlement, le ministre a décidé de transférer aux éleveurs le risque lié à la santé en ce qui concerne l'élevage des wapitis plutôt que de l'absorber entièrement à l'aide des deniers publics. À mon avis, le ministre avait le droit de procéder ainsi en vertu de la Loi et du Règlement. Je respecte les efforts que les demandeurs ont déployés pour contraindre le ministre à rendre compte de l'exercice de son pouvoir, mais j'en arrive à la conclusion que la mesure qu'il a prise était légale, si insatisfaisante qu'elle soit pour eux.

[36]            Puis le juge Campbell a ensuite précisé que, comme dans l'affaire Abel, il n'avait devant lui aucun élément de preuve pouvant confirmer la mauvaise foi ou les fins irréguliàres qu'alléguaient les appelants. Je ne vois aucune raison de modifier ces conclusions.

[37]            En tout état de cause, les appelants n'ont pas le loisir de mettre en doute les raisons qui ont motivé la prise du Règlement. À mon avis, il est hors de propos de savoir si le ministre a été conduit à agir en raison de l'opinion publique ou de considérations économiques, de nature budgétaire ou autre. Cette position avait été exprimée sans équivoque par le juge Dickson (alors juge de la Cour suprême du Canada) dans l'arrêt Thorne's Hardware c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, où il écrivait ce qui suit, aux pages 111 à 113 :

Alléguant qu'il avait pour seul objet d'augmenter les revenus du Conseil des ports nationaux, les appelantes attaquent le décret qui étend les limites du port. Elles prétendent qu'en cela le gouverneur en conseil a fait preuve de « mauvaise foi » et soutiennent en outre que l'extension du port à cette fin excède la compétence que le par. 7(2) de la Loi confère au cabinet fédéral et est par conséquent ultra vires.

Voici la réponse de la Cour d'appel fédérale à cet argument (à la p. 395) :

Les motifs qui ont pu inciter le gouverneur en conseil à exercer ce pouvoir, outre qu'ils nous sont inconnus, importent peu, car je ne vois pas comment ils pourraient affecter la validité du décret. J'ajoute que le désir d'augmenter les revenus d'un port me paraît être un motif qui justifie la décision d'étendre les limites.


       L'avocat des appelantes reproche à la Cour d'appel fédérale d'avoir omis d'examiner et d'apprécier la preuve afin de déterminer si le gouverneur en conseil a été animé par des motifs irréguliers en prenant le décret attaqué. On nous invite à entreprendre cet examen, mais j'estime avec égards qu'il faut décliner cette invitation. Nous n'avons ni le droit ni l'obligation de mener une enquête sur les motifs qui ont pu inciter le cabinet fédéral à prendre le décret, Attorney-General for Canada v. Hallet & Carey Ld., [1952] A.C. 427, à la p. 445; Reference re Chemical Regulations, [1943] R.C.S. 1, à la p. 12. Le principe applicable est celui énoncé par le juge Audette dans l'arrêt R. v. National Fish Co. (précité, aux pp. 80 et 81) :

[TRADUCTION] ... Il ne fait pas de doute que le Parlement du Canada est doté d'un pouvoir plein et entier de légiférer tant à l'égard des dispositions de la Loi qu'a l'égard de celles de son règlement d'application, et ce, même si l'impôt ou les droits exigés sont en définitive excessifs, prohibitifs, oppressifs ou discriminatoires. On allègue en l'espèce qu'il s'agit d'un règlement à la fois oppressif et prohibitif, mais cela ne suffit pas pour qu'une cour de justice fasse enquête sur le pouvoir du Parlement d'autoriser la prise de ce règlement ou pour qu'elle impose une limite quelconque au pouvoir du Parlement de créer un impôt, que celui-ci soit oppressif ou libéral. Le pouvoir souverain du Parlement de légiférer dans tout domaine comporte toujours le risque d'abus; toutefois, il ne faut pas supposer qu'il sera irrégulièrement exercé et, s'il l'était, le seul recours serait de s'adresser à l'électorat.

       Je suis d'accord avec la Cour d'appel fédérale qu'on ignore en réalité les raisons qu'a pu avoir le gouvernement de procéder à l'extension du port. Les gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions; ils peuvent être mus par une foule de considérations d'ordre politique, économique ou social, ou par leur propre intérêt. [...]

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[38]            Avant de passer au dernier argument des appelants, je dois dire que les appelants ont déjà eu l'occasion de mettre en doute le caractère adéquat de l'indemnité qu'ils ont reçue en vertu de la Loi et du Règlement. Dans la décision Begg c. The Minister of Agriculture, 20 septembre 1994, n ° du greffe P-14-91 (décision non publiée), la juge Reed, siégeant en qualité d'évaluatrice conformément à l'article 56 de la Loi, était arrivée à la conclusion que les appelants avaient été pleinement indemnisés de leur perte. Pour arriver à cette conclusion, la juge Reed avait fait les observations suivantes, à la page 3 de ses motifs, à propos du moratoire et du Règlement :

[traduction]

Le 1er février 1991, le ministre a décrété un moratoire sur l'abattage de tous les wapitis. Le Dr McLane a donc été requis d'annuler les dispositions d'évaluation qu'il avait prises ainsi que les plans d'abattage se rapportant au troupeau des appelants. Les soixante-douze animaux qui étaient soupçonnés d'être porteurs de la tuberculose, à la suite du test préliminaire, sont donc demeurés en contact avec les autres animaux se trouvant sur la ferme des appelants.


Il n'existe aucune preuve directe de l'objet de ce moratoire, mais il est raisonnable de conclure qu'il a été imposé parce que le ministre était en voie d'établir de nouveaux règlements qui n'avaient pas encore été mis au point. Le 18 mars 1991, le ministre a pris le Règlement sur l'indemnisation en cas de destruction d'animaux, DORS/91-222, en application de l'article 55 de la nouvelle Loi. Un article de ce Règlement précise les sommes maximales payables pour les wapitis qui sont détruits : 7 000 $ pour chaque femelle et 3 500 $ pour chaque mâle.

Le moratoire décrété sur l'abattage des wapitis a été levé et de nouvelles dispositions ont été prises pour l'élimination des wapitis des appelants. [...] Dans tous les cas, les appelants ont obtenu une indemnité correspondant aux sommes maximales indiquées dans le nouveau règlement, et cela bien que les expertises qui ont été déposées devant moi comme preuves montrent que dans une foule de cas la valeur marchande estimative dépassait de loin les sommes qui ont été payées.

J'ai beaucoup de sympathie pour les appelants, mais je ne crois pas que, en tant qu'évaluatrice, il soit de mon ressort de dire que les indemnités versées sont déraisonnables étant donné que la loi autorise expressément le ministre à imposer des plafonds. [...]

Je ne crois pas qu'il soit du ressort d'un évaluateur de dire que l'indemnité qui est accordée selon le niveau maximal, un niveau prévu par le règlement qui est pris en vertu de l'article 55, est déraisonnable. Il m'apparaît qu'une telle interprétation des dispositions législatives neutraliserait le pouvoir de réglementation conféré au ministre par le paragraphe 55(6). Le législateur n'a pu vouloir un tel résultat.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[39]            Je passe maintenant au dernier argument des appelants, selon lequel ils pouvaient s'attendre légitimement à recevoir une indemnité fondée sur la juste valeur marchande, conformément à l'ancienne Loi. Ils disent aussi que les alinéas 43b), c) et e) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, les autorise à s'en rapporter à l'ancienne Loi et à réclamer une indemnité fondée sur la juste valeur marchande pour la destruction de leurs animaux.


[40]            Le juge Campbell est arrivé à la conclusion que les arguments des appelants étaient sans fondement, puisqu'une indemnité leur avait été régulièrement versée en vertu de la Loi et du Règlement. À mon avis, il n'a pas commis d'erreur en arrivant à cette conclusion.

[41]            L'alinéa 51(1)a) de la Loi, comme son prédécesseur, l'alinéa 12(1)a) de l'ancienne Loi, prévoit que le propriétaire d'un animal a droit à une indemnité lorsque l'animal est détruit. Malgré cette disposition on ne peut plus claire, les appelants disent que le juge Campbell a commis une erreur parce qu'il ne leur a pas reconnu le droit à une indemnité selon l'ancienne Loi. Il m'est impossible d'accepter leur point de vue.

[42]            Dans la décision Elgersma c. Canada (Ministre de l'Agriculture), 25 mars 1993, n ° du greffe P-8-91 ([1993] A.C.F. n ° 286 (C.F. 1re inst.) (QL)), le juge Pinard, siégeant en qualité d'évaluateur chargé de fixer l'indemnité à verser pour les wapitis détruits, examinait une demande d'indemnité présentée selon l'ancienne Loi en dépit de la Loi nouvellement promulguée. Il est arrivé à la conclusion que les demandeurs avaient droit à une indemnité selon la nouvelle Loi et non selon l'ancienne Loi, parce qu'au moment de la destruction des animaux, la nouvelle Loi était en vigueur.


[43]            Saisi d'une demande visant à obtenir une ordonnance de certiorari et à faire annuler l'ordonnance du juge Pinard, le juge en chef adjoint Jerome, dans la décision Elgersma c. Canada (Ministre de l'Agriculture), 24 mai 1994, n ° du greffe T-813-93 ([1994] A.C.F. n ° 1661 (C.F. 1re inst.) (QL)), a examiné les arguments des demandeurs, notamment l'argument selon lequel ils avaient des droits « acquis » , en vertu de l'article 43 de la Loi d'interprétation. Il est arrivé à la conclusion que le droit à indemnité ne naissait qu'au moment de la destruction des animaux. Le juge en chef adjoint Jerome a donc rejeté les arguments des demandeurs selon lesquels leur droit à indemnité était né soit à la date de la mise en quarantaine, soit à la date des analyses qu'on avait faites ultérieurement pour déceler la présence de la maladie. Les demandeurs ont fait appel du jugement rendu par le juge en chef adjoint Jerome, mais la Cour a rejeté leur appel : Elgersma c. Canada (Ministre de l'Agriculture), 22 février 1995, n ° du greffe A-271-94 ([1995 A.C.F. n ° 306 (C.A.F.) (QL)).

[44]            En l'espèce, il n'est pas contesté que la destruction du troupeau des appelants, hormis deux wapitis détruits le 26 novembre 1990, pour lesquels les appelants ont été indemnisés d'après la valeur marchande des animaux, en application de l'ancienne Loi, a eu lieu entre avril 1991 et le 26 juin 1991, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur de la Loi et du Règlement. Par conséquent, à mon avis, il est impossible de nier que les appelants n'avaient droit à indemnité qu'en vertu de la Loi et du Règlement. L'argument des appelants est un argument qui avait aussi été avancé devant la juge Reed, siégeant en qualité d'évaluatrice dans l'affaire Begg, précitée. La juge Reed avait disposé de l'argument dans les termes suivants, à la page 4 de ses motifs :

[traduction]


Si je comprends bien la position des appelants, on a aussi donné à entendre que l'indemnité devenait payable le jour de l'avis aux propriétaires leur signalant que leurs animaux seraient détruits. On a dit que les appelants ont reçu cet avis le 24 janvier 1991. Je ne crois pas que les dispositions législatives applicables ont cet effet. Il m'apparaît clair que l'indemnité devient payable uniquement au moment de la destruction de l'animal (voir le paragraphe 51(1) de la Loi). Quelles que soient les démarches procédurales qui ont pu être faites avant cette date, il m'est impossible de dire que ce sont elles qui ont déclenché le versement de l'indemnité. Ainsi, en l'espèce, l'indemnité n'est devenue payable qu'à partir d'avril 1991, date à laquelle les plafonds prévus pour les wapitis étaient en vigueur.

[45]            Je ne puis faire autrement que souscrire aux propos des juges Pinard, Jerome et Reed, pour qui l'indemnité prévue par la Loi et le Règlement ne devient payable qu'à la destruction des animaux. Puisque la destruction des animaux des appelants a eu lieu après le 18 mars 1991, l'indemnité ne pouvait donc être fixée qu'en application de la Loi et du Règlement. Dans ces conditions, les appelants n'avaient pas droit à indemnité selon les dispositions de l'ancienne Loi.

[46]            Comme les appelants n'ont pas réussi à me convaincre qu'il y a lieu de modifier les conclusions du juge Campbell, je rejetterais leur appel, avec dépens.

                                                                                        « M. Nadon »                     

                                                                                                     Juge                          

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        A-290-04

(APPEL INTERJETÉ D'UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 5 MAI 2004, N ° DU DOSSIER T-39-94.)

INTITULÉ :                                                BEGG ET AL

c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                  LES JUGES SEXTON ET MALONE

DATE DES MOTIFS :                               LE 3 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Dale Conacher

POUR LUI-MÊME ET LES AUTRES APPELANTS

Glennys Bembridge

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dale Conacher

Mervin (Saskatchewan)

POUR LUI-MÊME ET LES AUTRES APPELANTS

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE


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