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Date : 20180907


Dossier : A-232-17

Référence : 2018 CAF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CHRISTINE FEHR

défenderesse

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20180907


Dossier : A-232-17

Référence : 2018 CAF 159

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CHRISTINE FEHR

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Le demandeur sollicite, par voie de contrôle judiciaire, l’annulation de la décision rendue le 28 juillet 2017 par un arbitre de grief de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) dans l’affaire Fehr c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 17.

[2]  L’arbitre de grief a accueilli le grief déposé par la défenderesse et a conclu à l’admissibilité de cette dernière au congé pour obligations familiales prévu par la convention collective conclue entre l’Agence du revenu du Canada (ARC) et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), même si elle avait déjà pris congé au cours du même exercice au titre d’une autre des conventions collectives de l’ARC, alors qu’elle travaillait à un poste dans une autre unité de négociation, et que les heures totales de congé dépassaient la limite annuelle de 45 heures prévue dans la convention collective. Pour en arriver à cette décision, l’arbitre de grief a fait sienne l’interprétation antérieure de dispositions similaires exposée dans la décision Delios c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 133, conf. par Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 77.

[3]  De l’avis du demandeur, la décision de l’arbitre de grief devrait être annulée, puisque son interprétation des dispositions pertinentes de la convention collective était déraisonnable, compte tenu de la preuve relative à la pratique antérieure qui a été présentée par l’employeur et de l’analyse, qualifiée de surprenante par le demandeur, qui en a été faite par l’arbitre de grief.

[4]  Je ne suis pas de cet avis et je ne vois aucune raison de modifier la décision de l’arbitre de grief, surtout à la lumière de la retenue dont la Cour doit faire preuve à l’égard des arbitres de grief de la Commission dans les instances nécessitant l’interprétation de conventions collectives, une responsabilité qui relève directement de leur champ d’expertise : voir, par exemple, Procureur général du Canada c. L’Association des pilotes fédéraux du Canada, 2017 CAF 100, au paragraphe 9.

[5]  Plus précisément, comme l’affirme avec raison la défenderesse, la décision de l’arbitre de grief repose sur sa conclusion selon laquelle il ne devrait pas accorder de poids à la preuve relative à la pratique antérieure présentée par l’employeur puisque la clause pertinente de la convention collective ne comportait aucune ambiguïté. Les remarques de l’arbitre de grief au sujet de l’importance de cette preuve sont donc des remarques incidentes n’ayant pas force exécutoire. C’est ce qui ressort clairement du paragraphe 62 des motifs, où l’arbitre de grief affirme avoir effectué à titre subsidiaire seulement l’examen de la preuve relative à la pratique antérieure, puisque sa décision repose sur son interprétation de la clause pertinente de la convention collective.

[6]  Par conséquent, notre Cour doit, en l’espèce, trancher la question de savoir s’il était raisonnable pour l’arbitre de grief de conclure que la clause n’était pas ambiguë et de décider que, cela étant, il ne devrait pas accorder de poids à la preuve relative à la pratique antérieure. Je réponds par l’affirmative à cette question.

[7]  En ce qui concerne la question de l’ambiguïté, compte tenu du libellé des clauses pertinentes et de la jurisprudence portant sur des dispositions contractuelles similaires, il était loisible à l’arbitre de grief de décider que la clause n’était pas ambiguë et appuyait l’interprétation avancée par la défenderesse. Contrairement au demandeur, l’arbitre de grief n’a pas conclu à la force exécutoire des précédents jurisprudentiels; il a plutôt décidé qu’il y souscrivait et que ceux-ci devraient être appliqués par souci de cohérence. Cette conclusion n’est en rien déraisonnable.

[8]  En ce qui concerne la décision de l’arbitre de grief de ne pas accorder de poids à la preuve relative à la pratique antérieure, j’estime que cette conclusion est elle aussi raisonnable, étant donné notamment que l’alinéa 20e) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365, confère aux arbitres de grief de la Commission un pouvoir discrétionnaire en matière de preuve et que les éléments de preuve acceptés ne peuvent être utilisés pour modifier une modalité contractuelle claire. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, au paragraphe 57, les « circonstances […] ne doivent jamais […] supplanter [les termes d’un contrat]. »

[9]  Bien que ce qui précède me permet de statuer sur la présente demande, je crois utile de me prononcer sur les remarques de l’arbitre de grief concernant la preuve relative à la pratique antérieure présentée par l’employeur. À l’instar du demandeur, j’estime qu’elles sont surprenantes, mais pour une tout autre raison. Il me semble que la preuve relative à la pratique antérieure présentée par l’employeur n’aurait pu, à elle seule, entraîner le rejet du grief, puisqu’elle ne démontre pas l’intention commune d’appuyer l’interprétation de l’employeur. La preuve voulant qu’un employeur ait appliqué une clause d’une certaine façon lors des renégociations successives d’une convention collective ne permet pas en général d’établir l’existence d’une pratique antérieure contraignante devant un arbitre de grief en l’absence d’éléments de preuve montrant que le syndicat était au courant de la pratique et y a acquiescé lors de la négociation de la convention collective sous le régime de laquelle le grief a été déposé. La preuve présentée par l’employeur ne semble pas suffisante pour établir l’existence d’une telle pratique en l’espèce.

[10]  Par conséquent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens fixés au montant global convenu de 3 000 $.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-232-17

 

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. CHRISTINE FEHR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 septembre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Richard Fader

Me Rebecca Sewell

 

Pour le demandeur

 

Me Steven Welchner

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour le demandeur

 

Welchner Law Office Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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