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Date : 19980928 Dossier : A-84-98

CORAM:                     LE JUGE DESJARDINS LE JUGE LINDEN

LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE

NU-PHARM INC.,

appelante (intimée),

- et

ABBOTT LABORATORIES, LIMITED et ABBOTT LABORATORIES,

intimées (requérantes),

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE,

intimé (intimé).

Audience tenue à Ottawa (Ontario) le mercredi 9 septembre 1998. Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le lundi 28 septembre 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT:                                                      LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT:                                                                  LE JUGE LINDEN

LE JUGE LÉTOURNEAU

Date : 19980928 Dossier : A-84-98

CORAM:                LE JUGE DESJARDINS LE JUGE LINDEN

LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE

NU-PHARM INC.,

appelante (intimée),

-et­

ABBOTT LABORATORIES, LIMITED et ABBOTT LABORATORIES,

intimées (requérantes),

-et­

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE,

intimé (intimé).

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MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.

[1]         Nu-Pharm interjette appel d'une décision de la Section de première instance' qui accueille une demande d'ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à l'égard du divalproex de sodium. Le divalproex de sodium est un médicament servant au traitement des crises épileptiques, que Nu-Pharm. prétend avoir fabriqué selon un procédé qui n'est pas couvert par les revendications du brevet 1 136 151 (le brevet 151) d'Abbott2.

[2]         Le procédé employé par Nu-Pharm pour la fabrication du divalproex de sodium consiste à prendre 4,65 kg d'acide valproïque (un liquide), à le chauffer à 120 ° C et à y ajouter lentement 5,25 kg de valproate de sodium (un solide), en maintenant la température à 120 ° C. On laisse ensuite refroidir et se solidifier le liquide ainsi obtenu. Le mélange récupéré est du divalproex de sodium à 100 %.

Il s'agit de l'affaire Abbott Laboratories Ltd. c. Nu-Pharm Inc., rapportée dans (1998), 78 C.P.R.

(3d) 38.

2              Le brevet 151 d'Abbott a été délivré le 23 novembre 1982 et expire le 23 novembre 1999.

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[3]         Le juge de première instance a jugé que l'avis d'allégation de Nu-Pharm n'était pas justifié et a prononcé une ordonnance d'interdiction selon l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) 3.

[4]           Nu-Pharm plaide que le juge de première instance lui a imposé à tort la charge de prouver que son procédé n'était pas un équivalent chimique manifeste 4 du procédé d'Abbott décrit dans le brevet 151. Elle ajoute que le juge de première instance a conclu à tort que la manière dont deux réactifs sont combinés n'est pas un élément essentiel d'un brevet portant sur un procédé de fabrication d'un médicament. Elle soutient que le juge de première instance a interprété le brevet 151 sans tenir compte de la divulgation et des revendications qui indiquaient, de manière claire et non ambiguë, que l'acétone était utilisée comme solvant dans le procédé d'Abbott pour la fabrication du divalproex de sodium. Selon Nu-Pharm, le juge de première instance a également conclu erronément que l'utilisation de l'acétone comme      solvant n'était pas essentielle au procédé breveté d'Abbott. Elle soutient également que c'est à tort que le juge de première instance a

3 DORS/93-133.

4

Avant le le` janvier 1994, le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, interdisait la délivrance d'un brevet pour des substances préparées par des procédés chimiques et destinées à la médication. Un brevet ne pouvait revendiquer une telle substance que si elle était préparée ou produite par des modes ou procédés de fabrication « décrits en détail et revendiqués » , ou par leurs « équivalents chimiques manifestes » . Le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets était ainsi conçu

41(1) In the case of inventions relating to substances prepared or produced by chemical processes and intended for food or medicine, the specification shall not include claims for the substance itself, except when prepared or produced by the methods of pmcesses of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents.

[My emphasis]

41.(1) Lorsqu'il s'agit d'inventions portant sur des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l'alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne peut comprendre les revendications pour la substance même, sauf lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués,ou par leurs équivalents chimiques manifestes.

[le souligne]

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conclu que le procédé de Nu-Pharm n'était pas distinct du point de vue chimique, étant donné qu'il se démarquait du procédé breveté de la même manière que deux autres brevets appartenant à Abbott, à savoir le brevet 1 135 272 (le brevet 272) et le brevet 1 144 558 (le brevet 558). Enfin, Nu-Pharm prétend que le juge de première instance a commis une erreur en ne tirant pas de conclusion défavorable à Abbott, étant donné qu'Abbott a incorrectement omis de révéler à ses experts l'existence des brevets 272 et 558. Ces experts ont témoigné à l'appui de la position d'Abbott que l'acétone n'était pas un élément essentiel du brevet 151 et que le procédé de Nu-Pharm était un équivalent chimique manifeste. Nu-Pharm. fait valoir qu'Abbott, vu les divulgations des brevets 272 et 558, était irrecevable à prétendre que l'utilisation de l'acétone n'était pas un élément essentiel du procédé breveté.

[5]         Abbott soutient que la formulation de la revendication la) du brevet 151 est claire et exige l'utilisation de l'acétone dans le procédé de fabrication du divalproex de sodium. Cependant, elle oppose que la revendication la) n'est pas en cause. C'est plutôt la revendication 16 du brevet 151, laquelle couvre les équivalents chimiques manifestes du procédé décrit dans la revendication la), qui est en cause. Selon elle, la question de savoir si une substance est un « équivalent chimique manifeste » est une question de fait et il n'y a pas lieu d'infirmer la décision du juge de première instance sur ce point.

[6]         L'existence des deux brevets d'Abbott, 272 et 558, a été soulevée par Nu-Pharm pendant le contre-interrogatoire des trois auteurs des affidavits déposés pour l'intimée,

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lesquels ont témoigné n'avoir pas été informés de leur existence. Lorsqu'on examine le contenu de ces deux brevets, on comprend aisément la raison pouvant amener l'intimée à ne pas révéler leur existence à ses experts.

[7]         Les brevets 151, 272 et 558 décrivent des procédés différents de fabrication du même médicament, soit le divalproex de sodium.

[8]         Le brevet 151 revendique l'utilisation de l'acide valproïque et du valproate de sodium, avec l'acétone comme solvant organique pour la réaction, utilisée à une température peu élevée de 50 ° C. Il faut ensuite récupérer le produit, c'est-à-dire le séparer de l'acétone. La revendication 16 du brevet 151 exige le même composé [TRADUCTION] « qu'il ait été préparé par le procédé de la revendication 1 ou par un équivalent chimique manifeste' » . Le brevet 272 n'utilise pas de solvant organique. Selon la description détaillée donnée dans le brevet, [TRADUCTION « [o]n a maintenant découvert que, contre toute attente et tout précédent connu, le produit ci-dessus peut être préparé sans l'utilisation d'un solvant organique; c'est-à-dire, en mélangeant simplement une solution aqueuse d'hydroxyde de sodium d'une concentration minimale de 10% à de l'acide valproïque ... et en enlevant par évaporation l'eau produite au cours de la réaction6 » . Le procédé revendiqué dans le brevet 272 est décrit comme une

5

6

Mémoire de l'appelante, vol. I, 60. Mémoire de l'appelante, vol. II, 296(c).

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[TRADUCTION] « nouvelle procédure' » . Dans le même esprit, le brevet 558 expose ce qu'il présente comme [TRADUCTION] « une nouvelle méthode' » de fabrication du divalproex de sodium au moyen d'un « nouveau procédé' » qui substitue de l'acétonitrile au solvant d'acétone utilisé dans le brevet 151.

En ce qui concerne le premier point soulevé par l'appelante, je suis d'avis que le

juge de première instance a mal compris le but poursuivi par Nu-Pharm en présentant une

preuve sur les brevets 272 et 558. Cela ressort de l'observation suivante qu'il fait' °

Aucun élément de preuve ne compare, entre eux, l'utilisation de l'hydroxyde de sodium dans le brevet 272, l'utilisation du valproate de sodium dans la revendication la) du brevet 151 et le procédé de Nu-Pharm. Aucune preuve concluante n'établit de comparaison entre l'utilisation de l'hydroxyde de sodium dans le brevet 272 et dans la revendication lb) du brevet 151.

[10]       La preuve concernant le brevet 272, et aussi le brevet 558, a été présentée non pas pour attaquer la validité de ces brevets, mais simplement pour établir l'état des connaissances d'un homme du métier au moment du dépôt du brevet 151. L'inventeur, dans le brevet 272, divulguait au monde que le divalproex de sodium pouvait être fabriqué selon une nouvelle procédure qui n'exigeait pas l'utilisation d'un solvant organique. Cette revendication du brevet 272 confirmait à la fois le témoignage de l'expert de Nu-Pharm

io

Ibid.

Mémoire de l'appelante, vol. 11, 305. Ibid., 296(d).

Abbott Laboratories Ltd., précitée.

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et la différence fondamentale existant, selon la prétention de Nu-Pharm, entre son procédé et le procédé revendiqué dans le brevet 151. Nu-Pharm s'est acquittée de son fardeau de présentation de la preuve en présentant la preuve de l'existence des brevets 272 et 558 d'Abbott. De cette manière, elle a soulevé une question sérieuse à trancher" à l'égard de deux brevets présumé § valides qui prétendent à la nouveauté dans la préparation du divalproex de sodium. L'un en particulier, le brevet 272, portait sur un procédé qui, comme celui de Nu-Pharm, ne faisait pas appel à un solvant organique. L'autre brevet, le brevet 558, visait un procédé qui supposait la présence d'un autre type de solvant organique, l'acétonitrile.

[11]       Surtout compte tenu du brevet 272, Abbott avait alors le fardeau de persuasion il lui fallait établir, selon la prépondérance des probabilités, de quelle manière l'avis d'allégation de Nu-Pharm représentait un procédé qui était un équivalent chimique manifeste du procédé revendiqué dans le brevet 151. La question en jeu était la suivante si l'absence d'un solvant organique comme l'acétone justifiait la délivrance du nouveau brevet 272, pourquoi la présence de l'acétone dans le brevet 151 ne constituait-elle pas un élément essentiel du procédé qui y était revendiqué? Abbott était la titulaire des brevets 272 et 558 et il lui incombait, puisqu'elle avait le fardeau de persuasion en vue d'établir que l'allégation de Nu-Pharm n'était pas justifiée, de fournir au juge de première

J. Sopinka et al., The Law of Evidence in Canada, (Toronto: Butterworths, 1992), p. 65.

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instance une information plus complète sur l'état de la technique rattachée à ces brevets à l'époque.

[12]       Je conviens avec l'appelante que le juge de première instance a mal réparti le fardeau de présentation et le fardeau de persuasion établis par la Cour d'appel dans les arrêts Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien­être social) 12 et Hoffmann-La Roche Ltd. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien­être social et al. 13

[13]       Le juge de première instance a mal apprécié les fardeaux de preuve différents et a commis une erreur en disant : « L'omission d'Abbott de divulguer les brevets ne décharge pas Nu-Pharm du fardeau de présentation qui lui incombe sur cette question" » . En fait, Nu-Pharm avait présenté, par rapport à l'état des connaissances de l'homme du métier, une preuve sur les brevets 272 et 558 qui pouvait, si elle n'était pas réfutée de façon satisfaisante par l'intimée, titulaire de ces brevets, conduire raisonnablement à la conclusion inéluctable que l'acétone, en tant que solvant organique, constituait un élément nécessaire du brevet 151. Le juge de première instance a mal interprété les principes juridiques applicables à l'espèce et, de ce fait, a mal interprété la portée de la preuve qui lui a été présentée par l'appelante au sujet des brevets 272 et 558.

12

(1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la p. 319 (C.A.F.).

13

(1996), 70 C.P.R. (3d) 206, aux p. 210 et 211 (C.A.F.).

14

Abbott Laboratories Ltd., précitée, à la p. 51.

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[14]       Le juge de première instance était également d'avis, sur le fondement de la preuve présentée, que « les caractéristiques essentielles de l'invention visée par le brevet 151 sont les deux réactifs et non le solvant organique'5 » .

[15]       Il ne pouvait en être ainsi.

[16]       C'était le procédé qui était en question. Les revendications du brevet 151 portaient sur un [TRADUCTION] « procédé de préparation d'un composé ... » , le procédé consistant à dissoudre « l'acide valproïque avec le valproate de sodium » dans de l'acétone chauffée à environ 50 ° C et à récupérer le produit ...'6 » .Le juge de première instance ne pouvait pas considérer simplement les deux substances initiales sans tenir compte du procédé conduisant au composé. Il devait décider si l'allégation de Nu-Pharm selon laquelle son procédé de fabrication du divalproex de sodium n'était pas couvert par les revendications du brevet 151 d'Abbott, était justifiée ou non.

[17]       En concluant que l'acétone n'était pas un élément essentiel du brevet 151, le juge de première instance interprétait mal le brevet et, en fait, le récrivait d'une manière qui non seulement éliminait l'utilisation d'un solvant organique, c'est-à-dire l'acétone, mais aussi rendait périmés la température de 50 ° C exigée pour que le procédé fonctionne de

15

16

Ibid.

Mémoire de l'appelante, vol. I, p. 59.

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même que le procédé de récupération. Pour reprendre les termes du juge Pratte dans Eli

Lilly & Co. c. O'Hara Manufacturing Ltd."

...le tribunal, dans l'interprétation des revendications, essaie simplement de dégager l'intention de l'inventeur; il ne saurait donc conclure que la stricte conformité avec un mot ou une expression utilisés dans une revendication ne constitue pas une exigence essentielle de l'invention, sauf si de toute évidence, l'inventeur savait que le fait de ne pas s'y conformer n'aurait aucun effet important sur le fonctionnement de celle-ci.

[181       Enfin, l'appelante prétend, avec raison à mon avis, que le juge de première instance a conclu à tort que le procédé de Nu-Pharm était un équivalent chimique manifeste du procédé revendiqué dans le brevet 151. Encore une fois, sa conclusion provenait de son interprétation erronée des exigences du brevet 151 en ce qui concerne l'utilisation de l'acétone comme solvant organique. Dans le brevet 151, l'acétone était utilisée comme milieu favorisant la réaction entre les deux substances à la température de 50 ° C. Le procédé de Nu-Pharm, ainsi qu'il a déjà été indiqué, abandonne tout à fait l'utilisation d'un solvant organique. Il n'est pas évident que l'inventeur du brevet 151 se rendait compte que le divalproex de sodium pouvait être produit sans qu'on utilise un solvant organique'$. Donc, puisque le procédé de Nu-Pharm abandonne une exigence essentielle du brevet 151, il ne peut être un équivalent chimique manifeste de ce brevet. On ne peut pas non plus dire que l'augmentation de température dans le procédé de Nu­Pharm, rendue nécessaire du fait de l'absence d'un solvant organique, est si peu importante que le procédé de Nu-Pharm demeure malgré tout un équivalent chimique

17

18

(1989), 26 C.P.R. (3d) 1 à la p. 7. Voir Eli Lilly & Co., précité, à la p. 7.

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manifeste. En outre, le procédé de Nu-Pharm présente une autre différence importante par rapport au procédé du brevet 151 : il n'est pas nécessaire de séparer le solvant du médicament.

[19]       Si l'on interprète correctement le brevet 151, je suis convaincue, compte tenu des brevets 272 et 558, que le procédé revendiqué par l'appelante ne constitue pas un équivalent chimique manifeste du procédé décrit dans le brevet 151.

[20]       Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel avec dépens et d'annuler l'ordonnance du juge de première instance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm Inc. pour sa formulation de comprimés de divalproex de sodium jusqu'à l'expiration du brevet 151.

Alice Desjardins

J.C.A.

"Je souscris à ces motifs

A.M. Linden J.C.A."

"Je souscris à ces motifs

Gilles Létourneau, J.C.A."

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras LL. L.

COUR D'APPEL FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE:              A-84-98

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA, RENDU LE 11 FÉVRIER 1998 DANS LE DOSSIER T-1722-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :           Nu-Pharm Inc. c. Abbott Laboratories, Limited et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 9 septembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:             le juge Desjardins

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS:                               le juge Linden

le juge Létourneau

ONT COMPARU

Harry B. Radomski                                                     POUR L'APPELANTE David M. Scrimger

Jean-François Buffoni                                                 POUR LES INTIMÉES Marie Lafleur

Alain Leclerc

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goodman Phillips & Vineberg                                      POUR L'APPELANTE Toronto (Ontario)

Martineau Walker                                                     POUR LES INTIMÉES Montréal (Québec)

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