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Date: 19990921


Dossier: A-315-99

CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     JEAN-ALAIN BISAILLON

     et

     HYPNAT LTÉE

     et

     HYPNAT LTÉE, COURTIER

     Appelants

     (Demandeurs)

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE

     et

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     et

     CAROLE GOUIN, en sa qualité de

     Directrice du bureau des services fiscaux de Montréal.

     Revenu Canada

     Intimés

     (Défendeurs)

     et

     BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

     Intimée

     (Défenderesse)

     Audience tenue à Montréal (Québec), le mardi, 21 septembre 1999

     Jugement prononcé à l'audience à Montréal (Québec), le mardi, 21 septembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE LÉTOURNEA


Date: 19990921


Dossier: A-315-99

CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     JEAN-ALAIN BISAILLON

     et

     HYPNAT LTÉE

     et

     HYPNAT LTÉE, COURTIER

     Appelants

     (Demandeurs)

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE

     et

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     et

     CAROLE GOUIN, en sa qualité de

     Directrice du bureau des services fiscaux de Montréal.

     Revenu Canada

     Intimés

     (Défendeurs)

     et

     BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

     Intimée

     (Défenderesse)



     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec),

     le mardi, 21 septembre 1999)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Nous sommes d'avis que le juge Deneault, juge des requêtes, n'a commis dans l'exercice de sa discrétion aucune erreur qui justifie notre intervention lorsqu'il a rejeté la demande intérimaire, faite par les appelants, de surseoir à l'exécution d'une demande de production de renseignements émanant du Ministre du Revenu national sous l'empire du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C., 1985, c. 1] (Loi). Cet article se lit:

ARTICLE 231.2: Production de documents ou fourniture de renseignements.

(1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exé\-cu\-tion de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

SECTION 231.2: Requirement to provide documents or information.

(1) Notwishstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsec\-tion (2), for any purpose related to the admi\-nistration or enforcement of this Act, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional informa\-tion, including a return of income or a sup\-plementary return; or

(b) any document.

[2]      C'est à bon droit que le juge des requêtes en est venu à la conclu\-sion qu'il n'y avait pas, dans le litige intenté par les appelants, de questions de droit sérieuses à trancher.

[3]      De fait, l'arrêt McKinlay Transport Ltd.1 de la Cour suprême du Canada s'applique en l'espèce et dispose des arguments constitution\-nels soulevés par les appelants. Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que:

a)      la Loi est essentiellement une mesure de réglementation;
b)      le paragraphe 231(3) (qui est l'ancêtre du paragraphe 231.2(1)) ne constitue pas du droit criminel ou quasi crimi\-nel;
c)      l'application de ce paragraphe constitue une saisie puis\-qu'elle viole les attentes du citoyen en matière de protec\-tion de la vie privée;
d)      seules les saisies déraisonna\-bles contreviennent à l'article 8 de la Charte des droits et libertés;
e)      la saisie en matière adminis\-trative et de réglementation doit être distinguée de la saisie en matière criminelle ou quasi criminelle;
f)      le Ministre du Revenu doit, dans un système d'impôt fondé sur le principe de l'auto-déclaration et de l'auto-cotisation, pouvoir disposer de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d'examen des documents qui ont pu servir à préparer ces déclarations;
g)      le Ministre du Revenu doit être capable d'exercer ces pouvoirs, qu'il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu'un certain contribuable a violé la Loi;
h)      le paragraphe 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi; et
i)      le droit du contribuable à la protection de sa vie privée en rapport avec les documents qui peuvent être utiles aux déclarations d'impôt sur le revenu est relativement faible vis-à-vis le Ministre.

[4]      À notre avis, n'est pas sérieuse la prétention des appelants qu'une demande de production de documents ou de renseignements, comme celle en cause, viole les exigences constitutionnelles des articles 7 et 8 de la Charte lorsque cette demande est faite dans le cadre d'une véritable enquête administrative visant à permettre le recouvrement des sommes dues et a pour but réel de recueillir de l'information à cet effet. Elle ne peut, bien sûr, être utilisée sous de faux atours dans le but détourné d'obtenir des informations à des fins de poursuites criminelles.

[5]      Ceci dit, le fait que le Ministre ait des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a pu être commise ou le fait que l'information obtenue en conséquence de la demande ministérielle puisse éventuellement être utilisée à d'autres fins que la fin administrative ou civile pour laquelle elle a été initialement requise n'ont pas pour effet de dénaturer la demande initiale et son objet, de transformer l'enquête administrative en une enquête criminelle et d'empêcher que l'information demandée ne soit obtenue et utilisée pour assurer le respect de la Loi au plan civil et administratif.

[6]      Ceci est d'autant plus vrai que, dans le cas présent, la demande de renseignements faite par la Section du recouvrement du Ministère du revenu est adressée à un tiers, la Banque Laurentienne du Canada, et vise à la fois à permettre au Ministre de déterminer si des sommes substantielles (1.5 million) que Hypnat Ltée, Courtier a reconnu devoir à Hypnat Ltée ont été versées à cette dernière malgré la demande péremptoire de paiement faite à la première par le Ministre et malgré les mesures prises en 1998 par le Ministère pour saisir ce compte à recevoir et, fait encore plus important, à vérifier la situation financière du débiteur. Nous reviendrons d'ailleurs plus loin sur cette dernière question. La demande faite en vertu du paragraphe 231.2(1) s'inscrit carrément et ostensiblement dans un processus de recouvrement de la créance fiscale que le Ministère détient contre Hypnat Ltée.

[7]      Les appelants soutiennent que les informations ainsi obtenues seront utilisées par le Ministre dans des procédures de nature criminelle déjà intentées en vertu des alinéas 239(1)a) et d) de la Loi contre deux d'entre eux, M. Bisaillon et Hypnat Ltée, pour les années d'imposition 1991 et 1992 dans le cas de Hypnat Ltée et 1992 pour M. Bisaillon. La preuve au soutien de ces prétentions nous apparaît au mieux spéculative.

[8]      Tout d'abord, la créance qui fait l'objet d'une demande de renseignements n'a trait qu'à Hypnat Ltée, Courtier et se rapporte à 1994, soit une année d'imposition postérieure à celles qui ont déjà donné naissance aux poursuites. Il n'est pas évident, au-delà des spéculations des appelants, que cette demande qui vise en définitive à établir, pour fin de recouvrement des sommes dues, la solvabilité du débiteur et l'opportunité de recourir à d'autres mécanismes d'exécution sera d'une quelconque utilité dans la poursuite des infractions reprochées. Il n'y a au dossier aucune preuve de connexité entre cette demande faite à Hypnat Ltée, Courtier qui, il convient de le souligner, ne fait pas l'objet de poursuites pénales, et les accusations criminelles portées contre M. Bisaillon et Hypnat Ltée. Rien ne permet de penser, encore moins d'établir, que l'enquête administrative en cours n'est qu'un artifice utilisé par le Ministère pour étayer sa preuve dans les procédures criminelles. En conséquence, la présomption de légitimité de ladite enquête et des mesures qui s'ensuivent pour le recouvrement d'une créance dûment établie demeure.

[9]      En outre, si la section des Enquêtes du Ministère devait juger utile, comme le prétendent et le craignent les appelants, de recourir auxdits renseignements dans les poursuites criminelles, les appelants qui sont accusés pourront alors y faire valoir leurs droits constitutionnels au moment où l'atteinte est imminente et ainsi s'opposer à leur utilisation dans ce forum2. La simple possibilité qu'il puisse être fait un usage abusif des renseignements obtenus dans le cadre d'un pouvoir d'enquête administrative exercé conformément à la Loi ne saurait compromettre l'existence de ce pouvoir ou en empêcher ou en invalider l'exercice.

[10]      De même, nous sommes d'avis qu'il n'y a aucun mérite dans cette prétention des appelants que la demande de renseignements adressée à la Banque Laurentienne du Canada n'est rien d'autre qu'une "partie de pêche" illégale. Les arrêts McKinlay Transport Ltd., déjà cité, et Richardson c. Le Ministre du Revenu National3 reconnaissent qu'il est souvent difficile pour le Ministre qui fait une demande de renseignements ou de production de documents de connaître avec exactitude les documents qu'il recherche et, en conséquence, de les décrire avec grande spécificité et moult détails.

[11]      D'une part, la Banque Laurentienne du Canada, à qui l'obligation est imposée de produire les documents, ne s'est pas plainte que la demande était vague et imprécise au point où elle aurait de la difficulté ou serait dans l'impossibilité de s'y conformer. D'autre part, dans le cas présent, la demande péremptoire de paiement adressée à Hypnat Ltée, Courtier équivaut à une saisie-arrêt en mains tierces, Revenu Canada exerçant alors les droits de Hypnat Ltée à l'égard de Hypnat Ltée, Courtier. La demande de renseignements qui a suivi vise donc à établir la situation financière et la solvabilité de la tierce-partie et, vu sous cet angle et celui du recouvrement de la créance fiscale, elle n'est ni vague, ni abusive.

[12]      Enfin, la demande de renseignements en vertu du paragraphe 231.2(1) rencontre chacun des critères de validité établis dans l'arrêt Richardson:

a)      le Ministre agit dans un but légitime prévu et autorisé par la Loi, soit le recouvrement d'une créance fiscale due et exigible;
b)      la demande de renseignements porte sur l'assujettissement à l'impôt d'une personne (Hypnat Ltée), cet assujettissement fait l'objet d'une enquête administrative et l'obtention des renseignements est nécessaire pour assurer d'une manière générale le respect de la Loi et plus spécifiquement la perception des sommes dues à Revenu Canada;
c)      la personne de qui les renseignements sont requis n'a pas à être une personne dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête; et
d)      la demande demeure valide même si les renseignements fournis peuvent divulguer des opérations confidentielles mettant en cause des personnes qui ne font pas l'objet d'une enquête et qui peuvent ne pas être assujetties à l'impôt.

[13]      Vu l'absence de questions de droit sérieuses à résoudre dans le litige intenté par les appelants dans le dossier T-291-99, nous sommes d'avis que le juge des requêtes était justifié de refuser la demande de sursis des appelants et que le présent appel doit être rejeté avec dépens.

     Gilles Létourneau

     j.c.a.

[14]     

     Cour d'appel fédérale

    


Date : 19990921

Dossier : A-315-99

Entre :      JEAN-ALAIN BISAILLON

     -et-

     HYPNAT LTÉE

     -et-

     HYPNAT LTÉE, COURTIER

     Appelants

     (Demandeurs)

     ET

     SA MAJESTÉ LA REINE

     -et-

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     -et-

     CAROLE GOUIN, en sa qualité de Directrice du bureau

     des services fiscaux de Montréal, Revenu Canada

     Intimés

     (Défendeurs)

     ET

     BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

     Intimée

     (Défenderesse)

    

     MOTIFS DU JUGEMENT

    

[15]     

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION D'APPEL

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR :      A-315-99

INTITULÉ :      JEAN-ALAIN BISAILLON,

     HYPNAT LTÉE,

     HYPNAT LTÉE, COURTIER,

     Appelants (Demandeurs)

     ET

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     CAROLE GOUIN, en sa qualité de Directrice du bureau des services fiscaux de Montréal, Revenu Canada,

     Intimés (Défendeurs)

     ET

     BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

     Intimée (Défenderesse)

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :      le 21 septembre 1999

MOTIFS DE JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES MARCEAU, DESJARDINS ET LÉTOURNEAU)

LUS À L'AUDIENCE PAR:      L'HONORABLE JUGE LÉTOURNEAU

EN DATE DU      21 septembre 1999

COMPARUTIONS :

Me Marc-André Boutin      pour la partie appelante

Me Maria Grazia Bittichesupour la partie intimée Sa Majesté la Reine, Ministre du Revenu National, Carole Gouin, en sa qualité de Directrice du bureau des services fiscaux de Montréal, Renenu Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman Phillips & Vineberg

Montréal, Québec      pour la partie appelante

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa, Ontario      pour la partie intimée Sa Majesté la Reine, Ministre du Revenu National, Carole Gouin, en sa qualité de Directrice du bureau des services fiscaux de Montréal, Renenu Canada

Aucun représentant      pour la partie intimée Banque Laurentienne du Canada

__________________

1      R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, aux pp. 641, 642, 643, 647, 648, 649 et 650.

2      Del Zotto c. Canada, [1997] 3 C.F. 40, à la p. 63 (C.A.F.), dissidence du juge Strayer confirmée par la Cour suprême du Canada, 99 DTC 3029.

3      [1984] 1 R.C.S. 614, à la p. 625. Voir aussi Gorenko c. R., [1997] R.J.Q. 2482 (S.C.), confirmé par la Cour d'appel du Québec, C.A.M., no. 500-10-001098, 23 février 1999. Demande de permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada déposée.

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