Date : 20180920
Dossier : A-20-17
Référence : 2018 CAF 166
CORAM :
|
LA JUGE DAWSON
LA JUGE GLEASON
LA JUGE WOODS
|
ENTRE :
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
appelante
|
et
|
594710 BRITISH COLUMBIA LTD.
|
intimée
|
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 mai 2018.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE WOODS
|
Y ONT SOUSCRIT :
|
LA JUGE DAWSON
LA JUGE GLEASON
|
Date : 20180920
Dossier : A-20-17
Référence : 2018 CAF 166
CORAM :
|
LA JUGE DAWSON
LA JUGE GLEASON
LA JUGE WOODS
|
ENTRE :
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
appelante
|
et
|
594710 BRITISH COLUMBIA LTD.
|
intimée
|
MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE WOODS
[1]
La Couronne interjette appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (rendu par le juge en chef Rossiter) (2016 CCI 288) qui a annulé une cotisation délivrée à l’intimée, 594710 British Columbia Ltd. (la société de portefeuille).
[2]
Une cotisation a été établie à l’endroit de la société de portefeuille conformément à la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) au motif qu’elle s’était livrée à un évitement fiscal abusif qui contrecarre l’article 160 de la Loi. La cotisation s’élève à 1 801 406 $.
[3]
L’article 160 a pour but d’interdire à une personne ayant une obligation fiscale d’éviter les mesures de recouvrement d’impôts en cédant des biens à une personne ayant un lien de dépendance sans contrepartie suffisante. Si l’article 160 est applicable, le cessionnaire ayant un lien de dépendance devient solidairement responsable de l’obligation fiscale du cédant jusqu’à concurrence de la valeur des biens cédés.
[4]
Le ministre a établi une cotisation à l’endroit de la société de portefeuille en application de la RGAÉ à titre de cessionnaire ayant un lien de dépendance pour la responsabilité solidaire de l’obligation fiscale de son ancienne filiale, 671705 British Columbia Ltd. (la société partenaire).
[5]
La société de portefeuille a interjeté appel devant la Cour de l’impôt de la cotisation établie en application de l’article 160 au motif, entre autres, que la société partenaire n’avait pas d’obligation fiscale. Dans un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie en application de l’article 160, la société de portefeuille a le droit de contester la cotisation établie à l’endroit de la société partenaire pour quelque motif que ce soit qu’aurait pu invoquer la société partenaire si elle avait interjeté appel directement (Gaucher c. Canada, 2000 CanLII 16513 (C.A.F.)).
[6]
La présente affaire présente une autre complication en ce sens que le ministre a appliqué la RGAÉ deux fois, en établissant une cotisation à l’endroit de la société de portefeuille et à l’endroit de la société partenaire.
[7]
La Cour de l’impôt a annulé la cotisation établie à l’endroit de la société de portefeuille, et cette décision a fait l’objet d’un appel devant notre Cour.
[8]
Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que l’appel devrait être accueilli. Les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe.
I.
Le résumé des faits
A.
Généralités
[9]
La plupart des faits ne sont pas contestés et ont été bien établis dans la décision de la Cour de l’impôt. Je reprends ci-dessous les principaux faits pour les besoins du présent appel.
[10]
La société de portefeuille est membre du Groupe Onni, qui exerce ses activités dans le domaine du développement immobilier et est géré activement par les membres de la famille De Cotiis. Le présent appel concerne l’un des projets immobiliers, un projet de copropriété appelé le Marquis Grande. Le projet a été entrepris par une société en commandite créée à cette fin, la Onni Halifax Development Limited Partnership (la société de personnes).
[11]
La société de personnes était indirectement détenue par quatre frères de la famille De Cotiis. Ceux-ci détenaient indirectement 99,9 % de la société de personnes à parts égales au moyen de participations à titre de commanditaires. L’autre droit symbolique était une participation à titre de commandité détenue indirectement par un des frères.
[12]
En 2006, comme le projet achevait et qu’il ne restait que quelques unités en copropriété à vendre, les membres de la société de personnes devaient payer de l’impôt sur près de 13 millions de dollars de revenus. Les frères ont pris la décision d’éluder le paiement de cet impôt en concluant une série d’opérations avec Nuinsco Resources Limited (Nuinsco), une société publique non apparentée qui avait des pertes fiscales et des déductions à sa disposition.
[13]
Aux termes de l’entente, Nuinsco devenait le commanditaire unique juste avant la fin de l’exercice financier de la société de personnes. Ainsi il était possible de lui attribuer presque tous les revenus de la société de personnes aux fins d’imposition (ci-après appelé le revenu imposable) conformément au contrat de société initial. Par conséquent, aucun revenu imposable de la société de personnes n’a été attribué aux entités appartenant à la famille De Cotiis.
[14]
Bien que Nuinsco ait inclus dans son revenu la presque totalité du revenu imposable que la société de personnes a tiré du projet, soit environ 13 millions de dollars, son seul gain économique représentait 10 % de ce revenu imposable qui devait être soustrait à l’impôt au moyen des pertes et des déductions de Nuinsco. Le solde du profit tiré du développement a été transféré à des sociétés appartenant à la fratrie De Cotiis.
[15]
Les étapes de l’entente sont énoncées ci-dessous, mais il est d’abord nécessaire de décrire la structure de propriété initiale de la société de personnes et le capital investi par les associés initiaux.
Le commandité est une société appartenant à un membre de la fratrie.
Les commanditaires étaient quatre sociétés (collectivement, les sociétés partenaires) qui détenaient des parts sociales égales.
Les sociétés partenaires étaient chacune détenues par une société de portefeuille (collectivement, les sociétés de portefeuille). Chacune des sociétés de portefeuille était détenue en propriété exclusive par un membre de la fratrie De Cotiis.
Le capital nominal a été versé à la société de personnes par les associés.
[16]
L’exercice des entités en cause prenait fin aux dates suivantes :
La société de personnes
|
31 mai
|
Les sociétés partenaires
|
30 avril
|
Les sociétés de portefeuille
|
31 décembre
|
Nuinsco
|
31 décembre
|
B.
L’entente
[17]
Les principales opérations qui sont pertinentes pour les besoins du présent appel sont les suivantes :
Le 25 mai 2006
La société de personnes a prêté de l’argent en parts égales aux sociétés partenaires à hauteur globale de 8 474 040 $.
Chacune des sociétés partenaires a déclaré et versé une série de dividendes en actions successifs à leurs sociétés de portefeuille respectives pour un montant global de 8 474 040 $.
Chacune des sociétés partenaires a utilisé le produit du prêt aux sociétés partenaires pour racheter les actions émises en paiement des dividendes. La somme reçue par les sociétés en portefeuille s’élevait à 8 474 040 $.
Du 25 mai au 29 mai 2006
Les opérations suivantes ont été entreprises à l’égard des unités en copropriété invendues. Les deux premières opérations ont eu lieu le 25 mai 2006. La dernière opération a été conclue le 29 mai 2006.
a) Une société du Groupe Onni a consenti un prêt de 3 051 400 $ à la société de personnes, prenant les unités en copropriété invendues en garantie.
b) La société de personnes a conclu un accord de gestion avec un membre du Groupe Onni selon lequel cette société devait fournir à la société de personnes certains services liés à la vente des unités invendues et à l’exécution de travaux de réparation.
c) La société de personnes a conclu avec un autre membre du Groupe Onni un contrat d’option de vente aux termes duquel elle a acquis une option l’autorisant à vendre ses unités en copropriété invendues à un prix global de 3 051 400 $.
Le 26 mai 2006
Chacune des sociétés partenaires a déclaré et versé des dividendes à leurs sociétés de portefeuille respectives sous la forme d’actions privilégiées rachetables à hauteur de 3 407 452 $.
Le 29 mai 2006
·
Nuinsco a acheté toutes les actions des sociétés partenaires et de la commanditée pour une contrepartie totale de 3 469 017 $.
La société de personnes a prêté son encaisse de 4 443 957 $ à Nuinsco.
Le 30 mai 2006
Chacune des sociétés partenaires a été liquidée et absorbée par Nuinsco. En conséquence, Nuinsco a pris en charge les dettes de chaque société partenaire envers la société de personnes (8 474 040 $) et a été considérée comme le seul commanditaire de la société de personnes. La dette de Nuinsco envers la société de personnes s’établissait à 12 917 997 $ au total.
Le 31 mai 2006
Le revenu imposable de la société de personnes s’établissant à 12 136 180 $ a été attribué à Nuinsco, soit 99,9 %, et au commandité, soit 0,1 %.
Le 1er juin 2006
Chacune des sociétés partenaires a été dissoute.
La société de personnes a distribué 12 041 997 $ à Nuinsco par voie de compensation avec la dette que celle-ci avait envers la société de personnes, ce qui avait pour effet d’abaisser la dette à 876,000 $.
Du 14 au 16 juin 2006
La société de personnes a vendu les six unités en copropriété qu’elle détenait toujours en transférant une unité à un acheteur sans lien de dépendance et en exerçant son option de vendre les cinq autres unités au Groupe Onni. En conséquence, Nuinsco a déclaré un revenu imposable additionnel de 862 683 $.
Le 26 juin 2006
La société de personnes a distribué 863 683 $ à Nuinsco par voie de compensation avec la dette que celle-ci avait envers la société de personnes,
Le 28 juin 2006
La société de personnes a été dissoute.
[18]
Les parties ont convenu que les opérations susmentionnées constituent une série d’opérations aux fins de l’application de la RGAÉ, sauf pour certaines opérations qui ont été conclues par Nuinsco seule, telles que les distributions aux sociétés de personnes, après que Nuinsco est devenue commanditaire unique. Cependant, les parties ont convenu que la liquidation et la dissolution des sociétés faisaient partie de cette série d’opérations.
C.
Déclarations de revenus et cotisation de la société partenaire
[19]
L’acquisition par Nuinsco des actions de la société partenaire le 29 mai 2006 a déclenché la fin d’exercice réputée de cette dernière. Par conséquent, la société partenaire a produit une déclaration d’impôt pour la période du 1er au 28 mai 2006. Un revenu nul a été déclaré.
[20]
Suivant la dissolution de la société partenaire le 1er juin 2006, celle-ci a produit sa déclaration de revenus pour la période du 29 mai au 1er juin 2006. Un revenu nul a été déclaré.
[21]
Le ministre a accepté ces déclarations et informé par des avis datés du 21 décembre 2006 et du 27 février 2007 qu’aucun impôt n’était exigible. Les parties avaient convenu plus tôt pour les besoins de l’instance qu’il s’agissait de cotisations, mais elles ont par la suite confirmé que ce n’était pas le cas puisqu’aucun revenu n’avait fait l’objet d’une cotisation.
[22]
Après la dissolution de la société partenaire, le ministre a demandé qu’elle soit temporairement rétablie. Après le rétablissement, le ministre a établi une cotisation à l’endroit de la société partenaire conformément à la RGAÉ pour un exercice se terminant le 1er juin 2006. La cotisation a été délivrée le 23 février 2011 et ajoutait 3 246 694 $ au revenu de la société partenaire (environ un quart du revenu imposable de la société de personnes).
D.
Déclarations d’impôt et cotisations de la société de portefeuille
[23]
La société de portefeuille a produit une déclaration de revenus pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2006, dans laquelle l’ensemble des dividendes en actions ont été inclus à titre de revenu et une déduction compensatoire a été demandée au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. Elle n’a déclaré aucun gain sur la vente des actions par la société partenaire à Nuinsco.
[24]
Cette déclaration a fait l’objet de cotisations telle quelle.
[25]
Le ministre a délivré une nouvelle cotisation à la société de portefeuille par un avis daté du 11 juillet 2013. Suivant cette cotisation, la RGAÉ a été appliquée afin d’imposer une obligation fiscale aux termes de l’article 160 de la Loi. La cotisation (y compris l’impôt provincial) s’élevait à 1 801 406 $.
II.
Décision de la Cour de l’impôt
[26]
La Cour de l’impôt a accueilli l’appel de la société de portefeuille et annulé la cotisation aux termes de l’article 160. Suit un bref sommaire des conclusions de la Cour de l’impôt qui ont mené à cette décision. D’autres conclusions sont fournies dans l’analyse ci-dessous.
[27]
La Cour a examiné la question de savoir si la RGAÉ avait été correctement appliquée à la société partenaire en ce qui avait trait aux opérations. Si tel était le cas, la société partenaire aurait une obligation fiscale calculée sur environ un quart du revenu imposable de la société de personnes tiré du projet Marquis Grande. Selon elle, la RGAÉ ne s’appliquait pas. Elle a conclu à l’existence d’un avantage fiscal et d’une opération d’évitement, mais à l’absence d’abus.
[28]
La Cour a examiné la question de savoir si la RGAÉ avait été correctement appliquée à la société de portefeuille en ce qui a trait à l’article 160. Elle a conclu que la RGAÉ ne s’appliquait pas puisqu’il n’y avait aucun avantage fiscal. Cependant, elle était d’avis que, s’il y avait un avantage fiscal, il y aurait une opération d’évitement et un abus.
[29]
Enfin, la Cour a examiné la question de savoir si la cotisation délivrée à la société partenaire était prescrite au motif qu’elle avait été délivrée après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition ayant pris fin le 28 mai 2006. La Cour a conclu que la cotisation était valide et n’était pas hors délai.
III.
Questions à trancher
[30]
Les questions litigieuses à trancher dans le présent appel sont ci-après énoncées :
La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que la RGAÉ ne s’appliquait pas à la société partenaire parce que le fait pour la société partenaire d’éviter d’inclure un revenu provenant de sa participation dans la société de personnes ne constituait pas un abus dans l’application de la Loi?
La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que la cotisation délivrée à la société partenaire était valide? Cette question a fait l’objet d’une discussion par la Cour canadienne de l’impôt dans son analyse du délai de prescription.
La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant que la RGAÉ ne s’appliquait pas à la société de portefeuille parce qu’aucun bien n’avait été transféré de la société partenaire à la société de portefeuille pour une valeur inférieure à la juste valeur marchande et que, par conséquent, il n’y avait pas d’avantage fiscal?
La Cour de l’impôt a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait abus de la Loi de la part de la société de portefeuille ayant contourné l’application de l’article 160 de la Loi?
IV.
La RGAÉ s’applique-t-elle à la société partenaire?
A.
Aperçu
[31]
Considérons tout d’abord l’application de la RGAÉ à la société partenaire. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, le ministre a appliqué la RGAÉ à la société de portefeuille suivant la thèse selon laquelle la société partenaire avait une obligation fiscale. L’un des motifs d’appel à la Cour de l’impôt de la société de portefeuille était que la RGAÉ n’aurait pas dû s’appliquer à la société partenaire et donc, la société de portefeuille n’était pas assujettie à l’article 160.
[32]
Dans l’établissement de la cotisation à l’endroit de la société partenaire conformément à la RGAÉ, le ministre a augmenté le revenu de la société partenaire comme si elle avait conservé sa part de commanditaire et que les opérations avec Nuinsco n’avaient jamais eu lieu. Ainsi, environ un quart du revenu imposable de la société de personnes, soit 3 246 694 $, a été ajouté au revenu de la société partenaire.
[33]
La cotisation établie aux termes de la RGAÉ posait comme hypothèse qu’il y avait eu évitement fiscal abusif, parce qu’il est possible de discerner dans la Loi une politique qui interdit aux personnes sans lien de dépendance de transférer des attributs fiscaux. Cette politique, fait-on valoir, serait démontrée par les dispositions traitant du transfert de pertes aux paragraphes 111(5), 66.7(1), 37(6.1), 127(9.1), 69(11), 83(2.1), 103(1) et 103(1.1) de la Loi (réponse modifiée, au paragraphe 22).
[34]
La Couronne a interjeté appel de la conclusion de la Cour d’impôt selon laquelle l’abus n’a pas été établi. Devant notre Cour, la Couronne s’appuie sur les hypothèses soulevées ci-dessus aux fins de la cotisation et en soulève d’autres à deux égards décrits ci-dessous. De nouvelles observations peuvent être présentées aux termes du paragraphe 152(9) de la Loi.
[35]
Premièrement, la Couronne s’appuie en outre sur des dispositions législatives qui, selon elle, établissent une politique interdisant le transfert de revenu par rapport au transfert de pertes. Les dispositions de la Loi figurent dans une note de bas de page dans le mémoire de la Couronne, et aucune observation détaillée n’a été formulée à leur égard.
[36]
Deuxièmement, la Couronne soutient que la série d’opérations est abusive parce qu’elle va à l’encontre des dispositions portant sur l’attribution du revenu prévues au paragraphe 96(1) de la Loi.
[37]
La discussion ci-après commence par une brève description de la partie de la décision de la Cour de l’impôt qui traite de l’application de la RGAÉ à la société partenaire.
B.
Décision de la Cour de l’impôt
[38]
La RGAÉ prévue à l’article 245 de la Loi comporte trois éléments : l’existence d’un avantage fiscal, d’une opération d’évitement et d’un abus. La Cour de l’impôt a été appelée à examiner ces trois éléments.
[39]
La Cour a également examiné les conséquences fiscales raisonnables pour la société partenaire si la RGAÉ s’appliquait. Elle a conclu qu’il était déraisonnable pour le ministre d’établir une cotisation à l’endroit de la société partenaire pour une période hypothétique allant du 1er mai au 1er juin 2006. Le ministre aurait dû établir la cotisation pour l’année d’imposition commençant le 29 mai et se terminant le 1er juin 2006. Ni l’une ni l’autre des parties ne conteste cette conclusion.
[40]
On a déterminé que les deux premiers éléments de la RGAÉ avaient été facilement respectés. Il y a eu un avantage fiscal (c.-à-d., l’imposition du revenu d’une société de personnes entre les mains de Nuinsco) et une opération d’évitement (c.-à-d., toutes les opérations de la série). La Cour s’est concentrée principalement sur le troisième élément, soit la question de savoir s’il y avait eu abus.
[41]
L’une des principales conclusions de la Cour dans l’analyse relative à l’abus était que la série d’opérations n’impliquait pas de transfert de pertes. La Cour a décrit l’expression « transfert de pertes »
comme étant applicable à une opération dans laquelle une société déficitaire est transférée à un autre acquéreur non apparenté. En l’espèce, une société rentable a été transférée à un acquéreur non apparenté qui a déclaré des pertes, ce qui a été décrit par la Cour comme étant un « partage de profits »
. Par conséquent, dans son analyse, la Cour s’est demandé s’il ressort de la loi une politique qui interdit le partage de profits.
[42]
L’analyse a débuté par une constatation préliminaire, que la Cour a décrite comme étant une « faille fatale »
, voulant que la Couronne ait omis d’analyser entièrement les dispositions légales pertinentes. Il semble que l’une des principales failles est l’incapacité d’analyser le paragraphe 96(1) de la Loi qui était la disposition invoquée en ce qui concerne l’avantage fiscal.
[43]
La Cour a ensuite examiné les questions de fond et a conclu qu’il n’y avait pas d’évitement fiscal abusif. On trouvera ci-dessous un résumé sommaire des constatations de la Cour qui ont appuyé cette conclusion.
Les dispositions invoquées par le ministre, soit les paragraphes 111(5), 66.7(10), 69(11), 83(2.1), 103(1) et 103(1.1) de la Loi, n’établissent pas l’existence d’une politique générale interdisant le partage de profits (motifs, au paragraphe 102).
Les paragraphes 103(1) et 103(1.1) de la Loi visent les contrats de société qui sont motivés par des considérations fiscales ou qui sont déraisonnables. En l’espèce, rien n’indique que le mécanisme d’attribution prévu dans le contrat de société a été choisi aux fins de l’impôt ou qu’il était déraisonnable. De plus, il n’y a aucune indication que le partage des revenus entre Nuinsco et le commandité était déraisonnable. Il y a peut-être un abus si le paragraphe 103(1) est considéré conjointement avec le sous-paragraphe 96(1.01), mais la Cour a refusé de trancher ce point parce que la Couronne n’avait pas invoqué le paragraphe 96(1.01) (motifs, aux paragraphes 97 à 101).
Les paragraphes 96(1) et 111(1) et l’article 66.7 de la Loi ont été invoqués pour obtenir l’avantage fiscal, mais ces dispositions n’établissent pas la preuve d’une politique interdisant le partage de profits (motifs, au paragraphe 114).
En ce qui a trait au paragraphe 96(1), la Couronne n’a pas fourni une analyse détaillée pour établir l’objet ou l’esprit de cette disposition.
Selon la décision de la Cour concernant le paragraphe 96(1), l’objet ou l’esprit de cette disposition est de déterminer le revenu qu’un associé tire d’une société de personnes conformément au contrat de société. En outre, l’attribution du revenu peut s’effectuer à la fin de l’exercice, sur le fondement de l’appartenance à la société de personnes à ce moment-là, à la condition que cette situation soit précisée dans le contrat de société (motifs, aux paragraphes 106 à 108).
La Cour a également fait observer que la conclusion selon laquelle le revenu peut être attribué aux personnes qui sont des associés à la fin de l’exercice est conforme à l’arrêt Mathew c. Canada, 2005 CSC 55, [2005] 2 R.C.S. 643 (motifs, au paragraphe 110).
C.
Discussion
1)
Introduction
[44]
La Couronne soutient que la Cour de l’impôt a commis trois erreurs dans son analyse de l’abus qui justifient une intervention :
1) La Cour n’a pas su reconnaître qu’il existe un mécanisme général dans la Loi interdisant le transfert de pertes et qu’un transfert de profits à une société déficitaire est une distinction qui ne fait pas de différence et qui est tout aussi abusive.
2) La Cour n’a pas réussi à déterminer qu’il y a eu abus dans l’application des dispositions relatives à l’attribution au sein d’une société de personnes et contournement de ces dispositions prévues aux articles 96 et 103 de la Loi.
3) La Cour a omis de tenir dûment compte du paragraphe 111(5) de la Loi lorsque le but des opérations était en réalité de transférer les pertes à un tiers sans lien de dépendance.
[45]
Il n’est nécessaire dans les présents motifs que de discuter de la deuxième question puisqu’elle est déterminante quant à l’issue de la présente partie de l’appel. Je n’exprime aucune opinion sur les deux autres erreurs invoquées qui traitent de la politique dans la Loi en ce qui concerne le partage de profits et de pertes. Par conséquent, je discute ci-dessous de la question de savoir si la Cour a commis une erreur en ce qui a trait aux paragraphes 96(1) et 103(1).
2)
Approche en matière d’abus
[46]
L’approche à adopter pour décider s’il y a eu évitement fiscal abusif a été examinée par la Cour suprême du Canada la dernière fois dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721, qui a repris l’orientation proposée par la jurisprudence antérieure de la Cour suprême qu’il est nécessaire de déterminer l’objet ou l’esprit des dispositions pertinentes. La « raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux-mêmes »
. L’analyse est fondée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la loi, comme c’est le cas dans toutes les questions d’interprétation législative (Copthorne, aux paragraphes 68 à 70).
[47]
Le tribunal doit ensuite déterminer si une opération d’évitement « contrecarre »
l’objet défini. Ce sera le cas lorsque l’opération « (1) produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit. [...] À cette étape, le ministre doit montrer clairement que l’opération a un caractère abusif, et le contribuable a le bénéfice du doute »
(Copthorne, aux paragraphes 71 et 72).
3)
La norme de contrôle applicable
[48]
En ce qui concerne la norme de contrôle applicable concernant l’abus, les principes généraux ont été récemment examinés par notre Cour. La question de l’objet ou de l’esprit de la loi pertinente est assujettie à la norme de la décision correcte et la question de savoir s’il y a abus d’après les faits particuliers est susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Pomerleau c. Canada, 2018 CAF 129, au paragraphe 56).
4)
L’objet et l’esprit du paragraphe 96(1)
[49]
Je vais commencer l’analyse relative à l’abus en abordant la question de l’objet et de l’esprit du paragraphe 96(1).
[50]
Le paragraphe 96(1) contient une série de règles portant sur le calcul du revenu et de la perte des membres d’une société de personnes pour l’application de la Loi. La règle de l’attribution énoncée à l’alinéa 96(1)f) présente une importance particulière au présent appel :
|
|
|
|
[51]
Il est utile d’examiner l’historique législatif de cette disposition.
[52]
Le paragraphe 96(1) de la Loi a été précédé d’une disposition remarquablement semblable de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97. Aux termes de l’article 30 de cette loi, le revenu des associés inclut « les parts des associés dans le revenu de la société, qu’elles soient retirées ou non pendant l’année imposable [...] »
.
[53]
Dans les débats de la Chambre des communes avant l’introduction de l’article 30, le ministre des Finances avait déclaré que l’intention était d’exiger le paiement d’impôt sur les profits auxquels ont droit les associés :
[...] Si nous taxons un individu sur les profits des affaires qu’il fait, il faut en même temps taxer une société commerciale ou la société par actions sur les profits qu’elle réalise dans son commerce. Mais nous taxons les associés individuellement sur leurs revenus et il est, par suite, nécessaire de les taxer non seulement sur les bénéfices distribués, mais sur ceux auxquels ils ont droit. [...]
[Non souligné dans l’original.]
[12e législature, 7e sess., vol. 4 (2 août 1917), à la page 4220 (l’hon. Thomas White)]
[54]
Ce point de vue illustre le principe fondamental de la Loi selon lequel les contribuables sont assujettis à l’impôt en fonction de leurs propres revenus, et non de ceux d’autrui.
[55]
Ce mécanisme d’attribution existe depuis dans la législation actuelle et se manifeste dans le paragraphe 96(1) de la Loi. Dans un document intitulé « The Law of Partnership and the Taxation of Partners (Le droit relatif aux sociétés de personnes et l’imposition des associés) dans Partnership Taxation (Mississauga, Ontario : Insight Press, 1989), M. Robert Couzin offre une explication de l’interaction entre le droit relatif aux sociétés de personnes et l’assujettissement à l’impôt qui respecte l’observation du ministre ci-dessus :
[traduction]
Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, c’est le droit provincial (ou étranger) relatif aux sociétés de personnes qui est appliqué sous le régime de la Loi. [...] Ces règles sont pertinentes pour caractériser l’entente [...] ainsi que pour déterminer les conséquences qui en découlent. [...]
Ainsi, le droit privé relatif aux sociétés de personnes peut être pertinent pour déterminer le montant et le partage du revenu, des dépenses ou des pertes, le traitement des nouveaux associés ou des associés qui se retirent, etc. Dans chaque cas, il faut déterminer les conséquences juridiques, puis examiner comment et dans quelle mesure elles sont modifiées par la loi. Bien que la [Loi] respecte les règles du droit privé, l’approche qu’elle adopte n’est pas tout à fait conforme à ce droit. Par exemple, la réification de la « participation » (qui a pour but de permettre l’introduction de l’imposition des gains en capital) fait naître de nombreuses complexités.
(Article II, à la page 1)
[56]
Je ne crois pas que les tribunaux canadiens aient discuté en détail de l’interaction entre le droit privé et la fiscalité en ce qui concerne les sociétés de personnes, mais cette interaction a été abordée par le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) de la Cour canadienne de l’impôt dans Penn West Petroleum Ltd. c. La Reine, 2007 CCI 190, au paragraphe 33 :
[...] [Le contrat de société] vise à attribuer ce qui est un produit de la disposition purement théorique découlant d’une disposition déterminative [de la Loi]. [Le contrat de société] cherche à faire en sorte que la disposition réputée qui revient à la société selon la Loi de l’impôt sur le revenu puisse être réattribuée par voie contractuelle à un des associés même si rien n’a changé au plan civil. J’ai de sérieuses réserves quant à savoir si le droit permet une telle chose. [...]
[57]
Les commentaires ci-dessus illustrent la démarche que commande l’alinéa 96(1)f) de la Loi, mais ils ne tiennent pas compte de l’objet ou de l’esprit de la disposition comme le requiert l’analyse aux termes de la RGAÉ. La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mathew, aux paragraphes 51 et 52, ajoute les précisions suivantes :
51 Les règles relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 reposent sur l’exigence que les associés d’une société de personnes aient un intérêt commun dans les activités commerciales de la société, et ce, dans le cadre de rapports avec lien de dépendance. Bien qu’à première vue le par. 96(1) n’apporte aucune restriction à la transmission des pertes aux associés, sauf en ce qui concerne le traitement des sociétés de personnes étrangères visées au par. 96(8), il est implicite que les règles s’appliquent dans le cas où les associés d’une société de personnes exploitent ensemble une entreprise dans le cadre de rapports avec lien de dépendance.
52 Le traitement général du partage de pertes entre associés a pour objet de favoriser la mise en place d’une structure organisationnelle permettant à ces derniers d’exploiter ensemble une entreprise dans le cadre de rapports avec lien de dépendance.
[Non souligné dans l’original.]
[58]
En l’espèce, la Cour de l’impôt a conclu dans sa décision qu’en application de l’alinéa 96(1)f), le revenu peut être attribué aux personnes qui sont membres d’une société de personnes à la fin de l’exercice aussi longtemps que le contrat de société le prévoit. La décision n’indique pas clairement s’il est question d’un revenu déterminé sous le régime du droit privé ou sous le régime fiscal. Si cette conclusion renvoie à un revenu sous le régime fiscal, elle ne tient pas compte du point de départ de l’attribution du revenu imposable, soit l’attribution des profits sous le régime du droit privé.
[59]
La décision de la Cour de l’impôt omet également de tenir dûment compte de l’application de l’article 96 de la manière indiquée dans l’arrêt Mathew, précité. Comme l’indique la Cour suprême, il est contraire à l’objet ou à l’esprit du paragraphe 96(1) d’utiliser cette disposition dans le but d’attribuer un revenu imposable d’une manière qui n’est pas utile à la structure organisationnelle de la société ou à la conduite efficace de l’entreprise de la société.
5)
L’objet ou l’esprit du paragraphe 103(1)
[60]
Il est également nécessaire de déterminer l’objet ou l’esprit du paragraphe 103(1) de la Loi. Il s’agit d’une disposition anti-évitement qui vise les accords de partage de revenus entre les associés qui sont conclus principalement pour réduire ou reporter l’impôt. Dans ce cas, le revenu doit être partagé en fonction de ce qui est raisonnable dans les circonstances.
[61]
Le paragraphe 103(1) a été adopté lorsque la Loi est entrée en vigueur en 1972. Dans un document présenté sur les sociétés de personnes en 1971 lors de la conférence annuelle de l’Association canadienne d’études fiscales, l’application du paragraphe 103(1) a été examinée par M. H. Purdy Crawford :
[traduction]
L’utilisation d’une société de personnes a permis dans le passé de fournir une souplesse considérable notamment par la possibilité de fractionner les revenus, de répartir entre les associés les intérêts découlant du partage des profits sur un fondement différent de celui des droits au capital et de rajuster de temps en temps les participations, soit à la suite d’une renégociation, soit comme prévu au moment de la négociation initiale. Il semblerait que les rédacteurs de la loi aient reconnu ces possibilités comme zones potentielles d’évitement fiscal. [...]
(« Partnerships », dans Report on the Annual Conference of the Canadian Tax Foundation (1971), Toronto, Association canadienne d’études fiscales, 1972) 427, à la page 437)
[62]
L’objet ou l’esprit du paragraphe 103(1) est relativement clair, soit d’interdire des ententes d’évitement fiscal dans lesquelles les associés conviennent de partager les revenus principalement pour des raisons fiscales et pour lesquelles l’attribution qui en résulte n’est pas raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.
[63]
La Cour de l’impôt a déterminé dans sa décision qu’exiger une redistribution des revenus entre les associés actuels et anciens ne relève pas de l’objet ou de l’esprit du paragraphe 103(1). À mon avis, cette conclusion ne tient pas dûment compte de la portée du libellé utilisé dans cette disposition. Le paragraphe 103(1) s’applique lorsque les associés conviennent de partager les revenus d’une manière particulière. Étant donné que l’attribution du revenu d’une société de personnes a lieu à la fin d’un exercice en fonction de son revenu pour cette période, le paragraphe 103(1) doit éventuellement s’appliquer à toutes les personnes qui sont associées au cours de l’exercice de la société de personnes. En conséquence, selon les circonstances, il peut être déraisonnable, pour l’application du paragraphe 103(1), qu’un contrat de société attribue la totalité du revenu pour un exercice à un associé actuel à l’exclusion d’un ancien associé.
6)
Application aux faits
a)
Généralités
[64]
À cette étape-ci, il faut examiner la question de savoir si l’objet ou l’esprit des paragraphes 96(1) et 103(1) a été contrecarré. La Cour de l’impôt n’a pas décrit correctement l’objet ou l’esprit de l’une ou l’autre disposition, ce qui a eu une incidence directe sur la conclusion de la Cour voulant qu’il n’y ait pas eu d’abus. Dans les circonstances, cette partie de l’analyse sera examinée de nouveau.
[65]
Selon la jurisprudence de la Cour suprême, il faut conclure à l’évitement fiscal abusif « lorsque l’opération (1) produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit »
(Copthorne, au paragraphe 72).
[66]
L’abus doit être clair, et il doit être établi par la Couronne. À mon avis, il est satisfait à ces exigences en ce qui a trait à la fois à l’alinéa 96(1)f) et au paragraphe 103(1).
[67]
Dans l’analyse ci-dessous, je porte mon attention sur l’opération d’évitement que constitue l’acquisition des actions de la société partenaire par Nuinsco.
b)
Y a-t-il eu abus dans l’application du paragraphe 96(1)?
[68]
La question est de savoir si l’attribution des revenus de la société de personnes aux fins d’imposition à Nuinsco, qui est devenu une associée un jour avant la fin d’exercice de la société de personnes, contrecarre l’objet ou l’esprit de l’alinéa 96(1)f). Il y a sans aucun doute de nombreuses situations dans lesquelles une attribution du revenu imposable et des pertes à des personnes qui sont des associées à la fin de l’exercice n’est pas abusive, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente cause, l’attribution contrecarre l’objet ou l’esprit de la disposition telle qu’elle a été interprétée historiquement et établie dans l’arrêt Mathew, précité. Elle y parvient en séparant les conséquences économiques de l’entente de la répartition du revenu imposable.
[69]
Aux termes du contrat de société qui était en vigueur tout au long de la série d’opérations, le revenu et les pertes (déterminés en application des principes comptables généralement reconnus) et le revenu imposable et les pertes (déterminés en application de la Loi) doivent être attribués à des personnes qui sont des associés à la fin de l’exercice. Des distributions peuvent être faites en tout temps à la discrétion du commandité.
[70]
L’attribution du revenu imposable à Nuinsco conformément au contrat de société est conforme en théorie au libellé de l’alinéa 96(1)f) parce qu’elle est conforme au droit de Nuinsco à une remise des profits sous le régime du droit privé. Cependant, l’attribution va à l’encontre de l’objet de cette disposition parce que l’attribution à Nuinsco, et sa participation dans la société de personnes en général, ne favorise aucunement la mise en place d’une « structure organisationnelle permettant à ces derniers [les associés] d’exploiter ensemble une entreprise »
(Mathew, au paragraphe 52). L’attribution permet seulement une chose – éviter la responsabilité prévue par la Loi. C’est ce qui ressort de manière frappante de l’examen de l’ensemble des résultats de la série d’opérations :
D’un point de vue économique, le seul avantage qu’en retirait Nuinsco était de recevoir une somme correspondant à 10 % du revenu imposable qui lui était attribué. Pour l’essentiel, il s’agissait d’honoraires qui permettaient au Groupe Onni d’accéder aux pertes et aux déductions fiscales de Nuinsco.
Mis à part les
« honoraires »
, la totalité des revenus de la société de personnes tirés du projet de copropriété Marquis Grande a fini entre les mains des sociétés de portefeuille. Une partie de ces revenus, environ les deux tiers, a fait l’objet d’un prêt par la société de personnes aux sociétés partenaires, lesquelles l’ont ensuite distribuée aux sociétés de portefeuille. L’autre tiers a été reçu par les sociétés de portefeuille de la part de Nuinsco en contrepartie des actions des sociétés partenaires. Nuinsco a récupéré ce paiement des revenus de la société de personnes.Bien que la société de personnes ait distribué un montant de 12 041 997 $ à Nuinsco une fois qu’elle est devenue associée, cette distribution est trompeuse en ce que la majorité des profits de la société de personnes avait déjà été distribuée aux sociétés de portefeuille avant la vente à Nuinsco.
Du point de vue de l’exploitation, la société de personnes a effectué un minimum d’opérations commerciales après l’acquisition par Nuinsco des sociétés partenaires. Au moment de l’acquisition, le projet immobilier achevait; il ne restait que quelques unités en copropriété à vendre. Deux semaines après l’acquisition, la société de personnes a levé une option qui lui permettait de vendre les unités en copropriété invendues au Groupe Onni à un prix fixe. Deux semaines plus tard, la société de personnes était dissoute.
À partir du moment où elle a acquis les sociétés partenaires, Nuinsco n’avait pratiquement pas d’intérêt économique dans le projet immobilier et ne courait pratiquement aucun risque. Grâce à des ententes soigneusement élaborées, tous les intérêts économiques et les risques avaient été transférés au Groupe Onni. Les documents donnaient l’impression que Nuinsco bénéficiait d’un autre intérêt économique potentiel si elle n’exerçait pas l’option, mais ce droit était illusoire. D’un point de vue pratique, Nuinsco allait exercer l’option et recevoir une somme déterminée d’avance en contrepartie des unités en copropriété invendues. Elle n’avait pas l’intention de s’exposer au risque en conservant un réel intérêt économique, comme le démontre notamment le fait que le titre de propriété du bien-fonds et les opérations en cours avaient déjà été transférés au Groupe Onni.
[71]
Il résultait de la série d’opérations que la famille De Cotiis avait transféré l’ensemble du revenu imposable tiré du projet à une partie non apparentée qui n’avait pratiquement pas d’intérêt économique ou qui ne courait pratiquement aucun risque, à l’exception d’« honoraires »
de 10 %. Je suis d’accord avec la Couronne pour dire que cette situation contrecarre l’objet ou l’esprit du paragraphe 96(1) et, par conséquent, il y a une opération d’évitement abusive.
c)
Y a-t-il eu abus dans l’application du paragraphe 103(1)?
[72]
Il faut aussi se demander si l’attribution du revenu imposable de la société de personnes à Nuinsco contrecarre l’objet et l’esprit du paragraphe 103(1) de la Loi.
[73]
La Couronne renvoie à la vacuité des opérations comme preuve de l’intention de faire échec au paragraphe 103(1). Elle s’appuie sur la décision de notre Cour dans XCO Investments Ltd. c. Canada, 2007 CAF 53, dans laquelle le paragraphe 103(1) a été appliqué dans des circonstances similaires.
[74]
La société de portefeuille, d’autre part, fait valoir que le paragraphe 103(1) ne peut pas être invoqué parce que la formule d’attribution était « normale et usuelle »
(Signum Communications Inc. c. Canada, T-216-83 (version française inédite), 88 D.T.C. 6427, [1988] 2 C.T.C. 239 (C.F. 1re inst.); conf. par 91 D.T.C. 5360, [1991] 2 C.T.C. 31 (C.A.F.)).
[75]
À mon avis, pour les motifs précités aux termes de l’analyse du paragraphe 96(1), les opérations pertinentes, semblables aux opérations de l’arrêt XCO, sont le type d’ententes déraisonnables auxquelles le paragraphe 103(1) a pour but de s’appliquer. Il arrive souvent qu’il soit raisonnable d’attribuer un revenu imposable aux personnes qui sont des associées à la fin d’un exercice, mais ce n’était pas raisonnable de le faire dans le cadre des opérations qui ont eu lieu en l’espèce, qui sont dénuées de fondement substantif, à l’exception des « honoraires »
.
[76]
Je voudrais également signaler aux fins de clarification que le ministre n’était peut-être pas tenu de recourir à la RGAÉ en l’espèce, parce que le paragraphe 103(1) semble s’appliquer seul. La Couronne indique que la RGAÉ était nécessaire parce que la société de portefeuille a invoqué les alinéas 88(1)e.2) et 87(2)e.1) de la Loi afin d’éviter l’application des paragraphes 96(1.01) et 103(1). Je doute que les articles 87 et 88 aient cet effet parce qu’ils ne s’appliquent pas de façon générale aux sociétés de personnes. Ces dispositions prévoient la continuation de certaines sociétés qui sont liquidées, mais cette continuité ne s’applique qu’à l’intérêt dans la participation.
[77]
Quoi qu’il en soit, cet aspect n’est pas déterminant dans le présent appel. Soit le paragraphe 103(1) s’applique seul, soit il s’applique en raison de la RGAÉ. Il n’est pas surprenant que la société de portefeuille n’ait pas adopté la thèse voulant que la RGAÉ ne doive pas s’appliquer parce que le paragraphe 103(1) s’applique seul.
[78]
Enfin, je tiens à dire quelques mots à propos de la pertinence du paragraphe 96(1.01) de la Loi, qui a été mentionné dans les motifs de la Cour de l’impôt et dans les observations de la Couronne dans le présent appel. Cette disposition, qui a été adoptée en 2013 et qui est rétroactive à 1995, prévoit qu’une personne qui cesse d’être un associé au cours d’un exercice est réputée être un associé de la société de personnes à la fin de l’exercice. Le paragraphe 96(1.01) n’a aucune incidence sur l’analyse dans les présents motifs. En particulier, il n’est pas nécessaire que la société partenaire soit un associé réel de la société de personnes à la fin de l’exercice pour que la RGAÉ s’applique aux paragraphes 96(1) ou 103(1).
7)
Conclusion
[79]
Par conséquent, je conclus que la cotisation établie à l’endroit de la société partenaire incluait à bon droit une partie du revenu imposable de la société de personnes, et par conséquent, la société partenaire a une obligation fiscale résultant de l’article 160. Cette conclusion dépend de la question liée à l’invalidité, examinée ci-dessous.
V.
La cotisation établie à l’endroit de la société partenaire est-elle invalide?
A.
Résumé des faits
[80]
À titre subsidiaire, la société de portefeuille soutient que la cotisation établie aux termes de la RGAÉ délivrée à la société partenaire n’est pas valide parce qu’elle a été délivrée à l’égard d’une période hypothétique (du 1er mai au 1er juin 2006) qui ne constitue pas une année d’imposition. La société de portefeuille soutient qu’il y avait deux années d’imposition durant cette période, du 1er au 28 mai 2006 et du 29 mai au 1er juin 2006. En l’absence d’une cotisation valide, la société partenaire n’a pas d’obligation fiscale pour la période indiquée et, par conséquent, il n’y a rien à cotiser à l’endroit de la société de portefeuille aux termes de l’article 160 de la Loi.
[81]
Le contexte pertinent est expliqué ci-dessous :
La société partenaire a produit des déclarations d’impôt pour deux années d’imposition, soit du 1er au 28 mai 2006 et du 29 mai au 1er juin 2006. Elle a déclaré un revenu nul dans chacune. Les déclarations tenaient compte du fait que la fin d’exercice réputée de la société partenaire était le 28 mai 2006, en raison de la vente de ses actions à Nuinsco.
Le ministre a délivré des avis conformes à ces déclarations selon lesquels aucun impôt n’était exigible pour l’une ou l’autre année d’imposition. Les avis ont été délivrés le 21 décembre 2006 et le 27 février 2007 respectivement.
La cotisation établie conformément à la RGAÉ a été communiquée à la société partenaire par avis de cotisation daté du 23 février 2011 (la cotisation à l’endroit de la société partenaire). Cette cotisation incluait le revenu imposable de la société de personnes que la société partenaire avait transféré à Nuinsco. Cela comprenait le revenu imposable lié au projet de copropriété Marquis Grande qui était l’objet d’une attribution par la société de personnes au cours de ses exercices se terminant le 31 mai 2006 et le 28 juin 2006. Cette dernière est la date où la société de personnes a été dissoute.
Au moment de l’établissement de la cotisation à l’endroit de la société partenaire, le ministre n’a pu établir de cotisation pour l’année d’imposition du 1er au 28 mai 2006 en raison des dispositions relatives à la prescription du paragraphe 152(4) de la Loi. L’année d’imposition du 29 mai au 1er juin 2006 pouvait encore faire l’objet d’une cotisation au moment où la cotisation à l’endroit de la société partenaire a été délivrée.
L’avis de cotisation indiquait que la cotisation s’appliquait à l’année d’imposition se terminant le 1er juin 2006. L’avis n’indiquait pas clairement la date de début de l’année d’imposition, mais les parties ont indiqué dans leur exposé conjoint des faits que la cotisation [traduction]
« visait une année d’imposition commençant le 1er mai 2006 [...] »
(dossier d’appel, page 1299, au paragraphe 90). Je conviens qu’il s’agit là de la date de début.La période de cotisation du 1er mai au 1er juin 2006 faisait fi de la fin d’exercice réputée du 28 mai 2006. La Cour de l’impôt a déterminé que faire abstraction de cette fin d’exercice lorsque le ministre a établi la cotisation à l’endroit de la société partenaire au motif que ce n’était pas nécessaire ne constituait pas une incidence fiscale raisonnable. La Cour a également conclu qu’il s’agirait d’une incidence fiscale raisonnable de faire abstraction de la fin d’exercice réputée dans le cadre de l’application de la RGAÉ aux fins de la cotisation à l’endroit de la société de portefeuille, puisque la fin d’exercice réputée permettait à la société de portefeuille d’éviter l’application de l’article 160. Cette question sera examinée plus loin (motifs, aux paragraphes 116 à 123).
[82]
La Cour a conclu que la cotisation à l’endroit de la société partenaire était valide et n’était pas prescrite. En particulier, elle a déterminé qu’il s’agissait d’une cotisation qui visait l’année d’imposition se terminant le 1er juin 2006, et non l’année d’imposition se terminant le 28 mai 2006 (motifs, aux paragraphes 45 à 47).
B.
Discussion
[83]
Les parties ont fourni de courtes observations à ce sujet à l’audience. Cependant, les deux parties ont saisi l’occasion de suppléer considérablement à leurs observations après l’audience en réponse à une directive de la Cour demandant que les avocats traitent d’une erreur de fait manifeste dans l’exposé conjoint des faits selon laquelle le ministre avait initialement délivré des cotisations au lieu d’avis selon lesquels aucun impôt n’était exigible. Les observations portaient à tort sur la question de l’invalidité en général, même si la Cour ne l’avait pas demandé.
[84]
La société de portefeuille a soutenu que le ministre n’avait pas le pouvoir de faire abstraction de la fin d’exercice réputée lors de la cotisation à l’endroit de la société partenaire. Par conséquent, la cotisation à l’endroit de la société partenaire n’est pas valide parce qu’elle comprend deux années d’imposition, du 1er au 28 mai 2006 et du 29 mai au 1er juin 2006, ce qui contrevient aux dispositions relatives à la prescription qui prévoient une cotisation pour chaque année d’imposition.
[85]
Il n’y a aucune erreur dans la conclusion de la Cour de l’impôt que le ministre a établi de manière déraisonnable une cotisation à l’endroit de la société partenaire en tenant compte de la période hypothétique du 1er mai au 1er juin 2006. Cependant, il n’en découle pas que la cotisation à l’endroit de la société partenaire est invalide.
[86]
En général, les erreurs relevées dans les cotisations et dans les avis de cotisation sont corrigées au moyen d’une nouvelle cotisation. Le contribuable est tenu de produire un avis d’opposition pour préserver ses droits d’appel et la cotisation initiale est valide jusqu’à ce qu’elle ait été remplacée. (Voir Colin Campbell, Administration of Income Tax 2018 (Toronto, Thomson Reuters, 2018), pages 406 à 409.)
[87]
Dans la décision Lornport Investments Ltd. c. Canada, [1992] 2 C.F. 293, notre Cour a examiné la question de savoir si une cotisation prescrite est annulable et non nulle en raison de la disposition réparatrice générale prévue au paragraphe 152(8) de la Loi. Cette disposition est rédigée ainsi :
|
|
[88]
En concluant que le paragraphe 152(8) ne s’applique pas aux cotisations prescrites, la Cour dans la décision Lornport formule les commentaires suivants :
[...] J’estime qu’il [le paragraphe 152(8)] ne régit pas le cas où la cotisation est délivrée tardivement, mais plutôt celui où la cotisation, délivrée dans les délais, ou toute procédure s’y rattachant en vertu de la Loi, contient « [une] erreur, [un] vice de forme ou [une] omission ».
[p. 297]
[89]
Juste avant la décision Lornport, la Cour avait également conclu qu’une cotisation établie hors délai n’est pas nulle si le ministre allègue la présentation erronée ou la fraude. Dans la décision Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655, à la page 661, la Cour opine ainsi :
Lorsque le ministre allègue, expressément ou implicitement, une présentation erronée des faits ou de la fraude, le fait d’obliger un contribuable à s’opposer à une nouvelle cotisation hors délai n’a rien d’odieux. En toute déférence, il en va tout autrement lorsqu’il n’y a pas eu d’allégation de fraude ou de présentation erronée des faits. Cette distinction de traitement est fondée sur des principes évidents relatifs à la politique.
[90]
Selon les faits de la présente affaire, il n’existe aucune bonne raison, qu’elle soit fondée sur une politique ou sur le texte de la loi, de conclure que la cotisation à l’endroit de la société partenaire est invalide ou nulle.
[91]
Dans les observations subséquentes de la société de portefeuille, celle-ci laisse entendre que le ministre tente de créer une année d’imposition pour établir indirectement une cotisation qui ne peut être établie directement.
[92]
Je ne souscris pas à cet argument. La société de portefeuille n’a pas expliqué comment le ministre tente à tort d’établir une cotisation qui ne peut être établie directement. Il est vrai que le ministre a été empêché d’établir une cotisation pour l’exercice du 1er au 28 mai 2006, mais le ministre n’a jamais prétendu qu’il y avait un revenu dans cet exercice qui pourrait donner lieu à une cotisation. La cotisation n’a pas modifié le contenu de la notification délivrée précédemment selon laquelle il n’y avait pas d’impôt à payer pour l’exercice du 1er au 28 mai 2006.
[93]
La société de portefeuille a laissé entendre à l’audience que la cotisation qui visait deux années d’imposition devrait être annulée parce qu’elle pose problème pour l’application des dispositions relatives à la prescription qui prévoient l’établissement d’une cotisation pour une année d’imposition seulement. La société de portefeuille soutient qu’il y va de la prévisibilité, de l’équité et de la certitude.
[94]
Je ne suis pas d’accord, compte tenu des faits de la présente affaire, pour dire qu’il en va de la prévisibilité, de l’équité et de la certitude. Comme il a été mentionné, le ministre n’avait pas l’intention de compter de revenu pour l’exercice prescrit du 1er au 28 mai 2006, et l’exercice à l’égard duquel le revenu a été inclus, soit du 29 mai au 1er juin 2006, n’était pas prescrit.
[95]
Il s’agit d’une erreur qui doit être corrigée au moyen d’une nouvelle cotisation plutôt que par l’annulation de la cotisation. La cotisation établie à l’endroit de la société partenaire n’a pas fait l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt ou devant notre Cour. Par conséquent, elle ne peut être corrigée au moyen d’une ordonnance de nouvelle cotisation. Qu’importe. Comme il est mentionné plus haut, la société de portefeuille n’a pas des droits supérieurs concernant la cotisation établie à l’endroit de la société partenaire que cette dernière si elle avait interjeté appel de la cotisation elle-même.
[96]
À mon avis, la Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur en concluant que la cotisation à l’endroit de la société partenaire était valide.
VI.
La RGAÉ s’applique-t-elle à la société de portefeuille?
A.
Aperçu
[97]
Une cotisation a été établie à l’endroit de la société de portefeuille aux termes de laquelle une responsabilité solidaire a été imposée sur l’obligation fiscale de la société partenaire. Cette cotisation a également été établie conformément à la RGAÉ au motif que l’acquisition par Nuinsco de la société de portefeuille, qui a donné lieu à une fin d’exercice réputée pour la société partenaire, contrecarrait l’application de l’article 160 de la Loi.
[98]
L’objet général de l’article 160 comme outil de recouvrement est bien connu. Dans l’affaire qui nous intéresse, l’article 160 s’appliquerait à la société de portefeuille si la société partenaire lui transférait des biens pour une valeur inférieure à la juste valeur marchande et si, dans la même année d’imposition, la société partenaire avait une obligation fiscale.
[99]
Le ministre a supposé que la série d’opérations contournait l’article 160, car elle emportait la fin d’exercice de la société partenaire à un moment qui permettait à la société de portefeuille d’éviter l’application de la disposition. Ainsi, la fin d’exercice doit survenir après le transfert de biens, mais avant que l’obligation fiscale prenne naissance.
B.
Décision de la Cour de l’impôt
[100]
La Cour de l’impôt a examiné l’application de la RGAÉ à la société de portefeuille en fonction des trois éléments qui la composent : un avantage fiscal, une opération d’évitement et un abus.
[101]
Quant au premier élément, la Cour a conclu à l’absence d’avantage fiscal puisque tout transfert de biens de la société partenaire à la société de portefeuille avait reçu une contrepartie d’une juste valeur marchande. La Cour s’est concentrée sur deux transferts : (1) le rachat des actions de la société partenaire qui ont été émises par voie de dividendes et (2) le prêt que la société de personnes a consenti à Nuinsco ainsi que le paiement par Nuinsco pour l’acquisition des actions de la société partenaire. Selon l’analyse de la Cour de l’impôt, ces transferts avaient été effectués en échange d’une contrepartie à la juste valeur marchande et il n’y avait pas d’avantage fiscal.
[102]
Même si cette conclusion était déterminante quant à la question liée à la RGAÉ, la Cour a également tiré des conclusions en ce qui concerne les deux autres éléments de la RGAÉ.
[103]
Quant à la question de l’opération d’évitement, la Cour a conclu que la vente des actions de la société partenaire à Nuinsco était en effet une opération d’évitement.
[104]
Quant à l’abus, la Cour était d’avis que l’article 160 aurait été enfreint s’il y avait eu un avantage fiscal. Elle a examiné l’objet ou l’esprit de l’article 160, au paragraphe 167 de ses motifs :
[J]’estime que [la Couronne] a démontré de façon satisfaisante l’existence d’une politique sous-jacente qui interdit aux personnes qui sont tenues à des obligations fiscales au titre de l’impôt sur le revenu de réduire, au moyen de transferts à des parties ayant un lien de dépendance au moment où l’auteur du transfert est ainsi redevable ou raisonnablement susceptible de le devenir, l’ensemble d’éléments d’actif pouvant servir au règlement de cette dette.
[105]
Quant à savoir si les opérations allaient à l’encontre de l’objet, la Cour a formulé les commentaires suivants au paragraphe 168 :
[...] la façon dont la série d’opérations a été conclue, soit de manière à permettre le transfert d’argent indirectement de [la société partenaire] à [la société de portefeuille] ainsi que l’attribution à Nuinsco ou à la société partenaire elle-même de la dette fiscale en raison de l’application des règles relatives à la fin d’exercice réputée, constituait un abus dans l’application de l’article 160.
C.
Discussion
1)
Introduction
[106]
Les deux parties soutiennent que la Cour de l’impôt a commis des erreurs dans son analyse de la RGAÉ. La Couronne fait valoir que la Cour a commis une erreur en ne concluant pas à l’existence d’un avantage fiscal. La société de portefeuille soutient que la Cour de l’impôt a commis une erreur quant à l’abus. J’examine en premier les prétentions de la Couronne.
2)
Y a-t-il eu avantage fiscal?
[107]
La Couronne soutient que la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu d’avantage fiscal, car il n’y a pas eu de transfert de biens en échange d’une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande. Selon la Couronne, il y a eu deux transferts sans contrepartie, soit le rachat des actions privilégiées de la société partenaire détenues par la société de portefeuille et un prêt consenti à Nuinsco combiné au paiement par Nuinsco des autres actions de la société partenaire. Pour les besoins du présent appel, il est nécessaire d’examiner seulement le premier transfert puisque sa valeur excède la dette qui a été établie aux termes de l’article 160.
[108]
La question de savoir si le rachat d’actions est un transfert de bien sans contrepartie soulève une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante s’applique (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 36, [2002] 2 R.C.S. 235; Copthorne, au paragraphe 34).
[109]
Un avantage fiscal, selon la définition de ce terme au paragraphe 245(1) de la Loi, comprend l’« évitement [...] d’un [...] montant exigible en application de la présente loi [...] »
. Il s’agirait aussi de l’évitement d’une obligation fiscale aux termes de l’article 160 de la Loi.
[110]
L’une des conditions préalables à l’application de l’article 160 est qu’un bien soit transféré pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande (sous-alinéa 160(1)e)(i)). À cet effet, un transfert inclut un transfert effectué « indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon [...] »
.
[111]
Bien que la Couronne décrive le transfert de biens en question comme un rachat d’actions, ses observations portent sur l’effet global de la combinaison de l’émission de dividendes sous forme d’actions suivie du rachat immédiat des actions tout juste émises (mémoire de la Couronne, au paragraphe 91).
[112]
À mon avis, la Cour de l’impôt a commis une erreur en n’examinant pas cette combinaison. Ensemble, les dividendes sous forme d’actions et le rachat ont donné lieu à un transfert d’argent « indirectement [...] de toute autre façon »
par la société partenaire à la société de portefeuille sans contrepartie. Le fait que la Cour n’a pas tenu compte du libellé de cette partie de son analyse constitue une erreur de droit qu’il est possible d’isoler.
[113]
Les deux étapes ensemble ont donné lieu à l’équivalent d’un dividende en espèces. Dans la décision Algoa Trust c. Canada (4 février 1998, dossier A-201-93, inédite), notre Cour a confirmé la décision de la Cour de l’impôt (Algoa Trust c. Canada, 93 D.T.C. 405, [1993] 1 C.T.C. 2294) qui avait conclu qu’un dividende en espèces est un transfert de biens sans contrepartie pour l’application de l’article 160.
[114]
Selon les motifs de la Cour de l’impôt dans Algoa Trust, un « actionnaire verse une contrepartie pour les actions elles-mêmes et non pour ce qu’elles peuvent rapporter. [...] Lorsque l’actionnaire reçoit un dividende, ce n’est pas en raison d’une contrepartie quelconque qu’il a donnée à la corporation ni du fait que la corporation est tenue de payer pour l’investissement [...] »
. Selon le dossier de la Cour d’appel fédérale, les motifs oraux confirmant la décision de la Cour de l’impôt indiquent brièvement que l’avocat [traduction] « n’a pas été en mesure de nous convaincre que le juge Rip avait commis une erreur dans la décision qu’il a prise »
.
[115]
Bien que la décision Algoa Trust traite d’un dividende en espèces, la combinaison en l’espèce de dividendes en actions suivie d’un rachat a le même effet et se traduit tout autant par un transfert de biens sans contrepartie.
[116]
À mon avis, la Cour de l’impôt a commis une erreur en ne concluant pas qu’il y avait un « avantage fiscal »
au sens du paragraphe 245(1) de la Loi.
3)
Y a-t-il eu abus?
[117]
Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, la Cour de l’impôt a conclu qu’il y aurait un évitement fiscal abusif s’il existait un avantage fiscal.
[118]
Les principes juridiques applicables à la détermination de l’abus et la norme de contrôle pertinente sont examinés dans l’analyse de la société partenaire ci-dessus.
[119]
Il est d’abord nécessaire de déterminer l’objet ou l’esprit de l’article 160 après avoir procédé à une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la Loi.
[120]
Suivant son libellé, l’article 160 a comme objet d’imposer une responsabilité solidaire lorsqu’un transfert de biens survient durant la même année d’imposition où a été contractée une obligation fiscale ou durant une année d’imposition ultérieure.
[121]
La Couronne fait valoir que l’objet ou l’esprit de l’article 160 est d’inclure une obligation fiscale qui n’est pas encore survenue, mais qui est raisonnablement susceptible d’être engagée. Dans le présent appel, il n’est pas nécessaire de décider si l’article 160 comporte cet objectif élargi et je ne formule aucune opinion à ce sujet.
[122]
La prochaine question est celle de savoir si l’objet ou l’esprit a été contrecarré par une opération d’évitement. Comme il a été décrit dans l’analyse de l’abus relativement à la société partenaire, ce sera le cas lorsque l’opération « (1) produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit. [...] À cette étape, le ministre doit montrer clairement que l’opération a un caractère abusif, et le contribuable a le bénéfice du doute »
(Copthorne, au paragraphe 72).
[123]
En l’espèce, l’article 160 a été contourné par l’acquisition du contrôle de la société partenaire qui a donné lieu à une fin d’exercice réputée au 28 mai 2006. La fin d’exercice réputée va à l’encontre de l’article 160 parce que le transfert de biens (c.-à-d. les dividendes sous forme d’actions et leur rachat) est survenu au cours d’une année d’imposition antérieure à la date où l’obligation fiscale a pris naissance. Comme il a été indiqué ci-dessus, l’acquisition du contrôle de la société partenaire est survenue dans le cadre d’une série d’opérations qui étaient dépourvues de tout objet ou effet, sauf l’obtention d’un avantage fiscal ‑ ou en l’espèce deux avantages fiscaux ‑, à savoir l’évitement fiscal par la société partenaire et l’évitement d’une dette par la société de portefeuille en contravention à l’article 160.
[124]
La société de portefeuille fait valoir que l’analyse relative à l’abus par la Cour de l’impôt est contraire au principe établi par notre Cour dans Canada c. Landrus, 2009 CAF 113, au paragraphe 47 :
[...] lorsqu’il est possible de démontrer qu’une disposition anti-évitement a été soigneusement conçue de manière à inclure certaines situations et à en exclure d’autres, il est raisonnable d’inférer que le législateur a choisi de limiter sa portée en conséquence.
[125]
Or, cet extrait de l’arrêt Landrus ne raconte qu’une partie de l’histoire. Dans une autre partie des motifs, la Cour indique clairement que l’abus peut être établi à la lumière de la vacuité des opérations. Au paragraphe 56, la Cour déclare :
Je conviens que les opérations en question seraient sans doute abusives si elles avaient entraîné l’avantage fiscal dans des circonstances où les droits et obligations juridiques de l’intimé n’avaient été aucunement affectés. [...]
[126]
L’arrêt Landrus appuie la conclusion selon laquelle l’acquisition du contrôle de la société partenaire constitue un abus dans l’application de l’article 160. Il n’y a aucune erreur dans la conclusion de la Cour de l’impôt en ce qui concerne l’abus.
4)
Conclusion
[127]
Pour les motifs ci-dessus, je conclus que la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que la RGAÉ ne s’appliquait pas à la société de portefeuille.
VII.
Dispositif
[128]
J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour de l’impôt et, rendant la décision que cette cour aurait dû rendre, je rejetterais l’appel interjeté par la société de portefeuille devant la Cour canadienne de l’impôt.
[129]
La question des dépens est différée. La société de portefeuille a demandé de déposer des observations écrites et j’ordonne par conséquent que la Couronne dépose des observations écrites (un maximum de cinq pages) dans un délai de dix jours de la date de la présente décision. La société de portefeuille peut déposer une réponse écrite dans un délai supplémentaire de dix jours (un maximum de cinq pages) et la Couronne peut déposer une réponse brève (un maximum de deux pages) dans un délai supplémentaire de cinq jours.
« Judith M. Woods »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
|
Eleanor R. Dawson, j.c.a. »
|
« Je suis d’accord.
|
Mary J.L. Gleason, j.c.a. »
|
Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
ANNEXE
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
|
A-20-17
|
APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE EN CHEF E.P. ROSSITER DATÉ DU 15 DÉCEMBRE 2016, NO 2013-4033(IT)G
INTITULÉ :
|
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF c. 594710 BRITISH COLUMBIA LTD.
|
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 17 mai 2018
|
||
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LA JUGE WOODS
|
||
Y ONT SOUSCRIT :
|
LA JUGE DAWSON
LA JUGE GLEASON
|
||
DATE DES MOTIFS :
|
LE 20 SEPTEMBRE 2018
|
||
COMPARUTIONS :
Perry Derksen
Whitney Dunn
Spencer Landsiedel
|
Pour l’appelante
|
Steven M. Cook
Matthew Williams
S. Natasha Reid
|
Pour l’intimée
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
|
Pour l’appelante
|
Thorsteinssons LLP,
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
Pour l’intimée
|