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Date : 20180920


Dossier : A-224-17

Référence : 2018 CAF 167

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

RBP IMPORTS INC.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 


Date : 20180920


Dossier : A-224-17

Référence : 2018 CAF 167

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

RBP IMPORTS INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

[1]  Le procureur général interjette appel en application du paragraphe 68(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), de la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur no AP-2016-017. Dans sa décision, le Tribunal a accueilli l’appel interjeté par RBP Imports Inc. (RBP) à l’égard de la révision par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) du classement tarifaire de marchandises importées.

[2]  Les marchandises consistent en composantes de garde-corps en aluminium emballées individuellement. Elles sont conçues pour être combinées et former des garde-corps qui sont fixés à des constructions résidentielles et commerciales par des entrepreneurs ou par les consommateurs eux-mêmes, dans le cas de bricoleurs. On peut les trouver dans les magasins de matériaux de construction; elles se vendent séparément pour répondre aux besoins variés des acheteurs en matière de conception et de dimension des garde-corps.

[3]  La question en litige devant le Tribunal consistait à déterminer si les marchandises étaient correctement classées sous la position no 76.10 de l’annexe du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36, qui vise les tôles, barres, profilés, tubes et similaires, en aluminium, préparés en vue de leur utilisation dans la construction, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles devaient être classées sous la position no 76.04, qui vise les barres et profilés en aluminium, comme le soutient RBP. Le Tribunal a tranché cette question en faveur de RBP.

[4]  Les parties s’entendent sur le cadre juridique régissant le présent appel qui a été établi dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80 (Igloo Vikski), et l’arrêt de notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (Suzuki).

[5]  Ainsi, elles conviennent que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, qui tient compte d’une part de l’expertise du Tribunal et d’autre part de la complexité et de la nature technique de l’interprétation du tarif douanier (Igloo Vikski, par. 16 et 17). Elles conviennent qu’aux termes du paragraphe 10(1) du Tarif des douanes et de l’article 1 des Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé établies à l’annexe du Tarif des douanes, le classement doit uniquement être déterminé, si possible, d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre (Igloo Vikski, par. 20). Elles conviennent que, selon ce que prévoit l’article 11 du Tarif des douanes, les positions et les sous-positions sont interprétées à la lumière des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, publiées par l’Organisation mondiale des douanes (Igloo Vikski, par. 8). Elles s’entendent pour dire que le Tribunal analyse les Notes explicatives telles qu’elles sont rédigées, qu’il n’a pas le pouvoir de les réécrire et qu’il devrait les suivre à moins qu’il n’y ait une bonne raison de faire autrement (Suzuki, par. 13 et 17).

[6]  Les deux positions en question sont ainsi libellées :

76.04  Barres et profilés en aluminium.

76.04  Aluminum bars, rods and profiles.

[…]

[…]

76.10  Constructions et parties de constructions (ponts et éléments de ponts, tours, pylônes, piliers, colonnes, charpentes, toitures, portes et fenêtres et leurs cadres, chambranles et seuils, balustrades, par exemple), en aluminium, à l’exception des constructions préfabriquées du no 94.06; tôles, barres, profilés, tubes et similaires, en aluminium, préparés en vue de leur utilisation dans la construction.

76.10  Aluminum structures (excluding prefabricated buildings of heading 94.06) and parts of structures (for example, bridges and bridge-sections, towers, lattice masts, roofs, roofing frameworks, doors and windows and their frames and thresholds for doors, balustrades, pillars and columns); aluminum plates, rods, profiles, tubes and the like, prepared for use in structures.

[7]  La note explicative de la position 76.04 énonce que la position ne comprend pas, entre autres, « [l]es barres et profilés, en aluminium, préparés en vue de leur utilisation dans la construction (no 76.10) ». Par conséquent, le Tribunal a indiqué (au paragraphe 28 de sa décision) qu’il n’envisagerait la position 76.04 que s’il conclut que les marchandises ne sont pas visées par la position no 76.10. La question qui se pose en appel est celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision en concluant que les marchandises ne sont pas visées par la position no 76.10.

[8]  La note explicative de la position no 76.10 énonce que « [l]es dispositions de la Note explicative du no 73.08 [l’équivalent de la position no 76.10 pour les marchandises en fer et en acier], relatives aux mêmes ouvrages en métaux ferreux, sont applicables mutatis mutandis aux articles de la présente position ».

[9]  Comme on l’explique ci-après, la façon dont le Tribunal traite la note explicative de la position no 73.08 et, plus particulièrement, la référence dans la note aux « garde-corps montés » constituait un élément essentiel de sa décision. La note explicative de la position no 73.08 est ainsi libellée (non souligné dans l’original) :

La présente position couvre essentiellement ce qu’il est convenu d’appeler les constructions métalliques, même incomplètes, et les parties de constructions. Les constructions au sens de la présente position sont caractérisées par le fait qu’une fois amenées à pied d’œuvre, elles restent en principe fixes. Ces produits sont généralement faits de tôles, de feuillards, de barres, de tubes, de profilés divers en fer ou en acier, ou d’éléments en fer forgé ou en fonte moulée, percés, ajustés ou assemblés avec des rivets ou des boulons, ou par soudure autogène ou électrique, parfois en association avec des articles repris ailleurs, tels que les toiles, treillis, tôles et bandes déployées du no 73.14. Sont également considérés comme parties d’une construction, les colliers et autres dispositifs spécialement conçus pour assembler les éléments de construction d’une forme tubulaire ou autre. Ces colliers et autres dispositifs sont généralement munis de renflements comportant des trous filetés dans lesquels sont introduites, au moment du montage, les vis de serrage servant à les fixer sur les éléments de construction.

Indépendamment des ouvrages énumérés dans le libellé même de la position, celle-ci comprend notamment :

Les chevalements d’extraction pour puits de mines; les étançons et étrésillons ajustables ou télescopiques, les étais tubulaires, les poutres extensibles de coffrage, les échafaudages tubulaires et matériel similaire; les estacades, jetées et môles d’avancement dans la mer; les superstructures de phares; les mâts, bastingages, écoutilles, etc. de navires; les portes roulantes; [les clôtures et garde-corps montés (termes omis dans la version française des notes explicatives)][traduction]]; les mâts de T.S.F.; les entourages de tombes; les clôtures de parterres, terrains de jeux et similaires; les châssis pour horticulteurs et fleuristes; les rayonnages de grandes dimensions destinés à être montés et fixés à demeure dans les magasins, ateliers, entrepôts et autres lieux de stockage de marchandises; les stalles et râteliers d’écuries, etc.; les glissières de sécurité pour les autoroutes, fabriquées à partir de tôles ou de profilés.

On y range également tous éléments, tels que produits laminés plats larges plats, barres, profilés, tubes, etc., ayant reçu une ouvraison (perçage, cintrage, entaillage, notamment) leur conférant le caractère d’éléments de construction.

Cette position comprend, enfin, les fers dits torsadés formés de deux ou plusieurs barres laminées tordues ensemble et qui sont généralement utilisés comme armature pour béton armé ou précontraint.

[10]  Le Tribunal souligne (au par. 29) que la position no 76.10 comprend trois catégories de marchandises : (1) les constructions, (2) les parties de constructions et (3) les pièces préparées en vue de leur utilisation dans la construction. Il déclare qu’« “[i]ndépendamment” de ces catégories, la position no 76.10 vise également d’autres produits, dont les “garde-corps montés” » (non souligné dans l’original).

[11]  Le Tribunal conclut (au par. 35) que « le terme “garde-corps montés” a été choisi dans un but particulier ». Il poursuit en ces termes :

Les rédacteurs avaient l’intention d’utiliser l’adjectif « montés » pour qualifier les garde-corps, ce qui signifie que les garde-corps doivent être montés au moment de l’importation pour être visés par la position no 76.10.

[12]  Le Tribunal se prononce ensuite (au par. 37) sur les observations contradictoires des parties à l’égard de la question de savoir si les marchandises sont visées par les trois catégories de la position no 76.10. Il déclare avoir « jugé que ces observations avaient une valeur limitée et qu’elles n’étaient pas déterminantes quant à l’issue [de l’]appel ».

[13]  Le Tribunal conclut ensuite (au par. 39) que « le terme “garde-corps montés” est précis et permet de trancher l’appel en vertu de la règle 1 ». Il décrit son raisonnement dans les termes qui suivent (au par. 40, en italiques dans l’original) :

Pour classer les marchandises en cause dans la position no 76.10, il faudrait que le Tribunal conclue que le terme « garde-corps montés » vise également les pièces de garde-corps et donc qu’il ne tienne pas compte de l’adjectif « montés ». Cette interprétation serait contraire à la règle 1 et à la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Suzuki. Le Tribunal ne voit aucune raison valable de déroger aux notes explicatives en l’espèce. Il est clair qu’en utilisant l’adjectif « montés » pour qualifier les « garde-corps », les rédacteurs avaient l’intention d’exclure de la position no 76.10 tous les garde-corps qui ne sont pas des « garde-corps montés ». Ainsi, les garde-corps démontés ou les pièces de garde-corps – comme les marchandises en cause – ne peuvent pas être inclus dans cette position. Toute autre interprétation viderait de sens le terme « montés ».

[14]  Ayant conclu que les marchandises en cause ne pouvaient pas être classées dans la position no 76.10, le Tribunal s’est ensuite demandé si les marchandises pouvaient être classées dans la position no 76.04. Il croyait que oui.

[15]  Je suis conscient de la retenue dont je dois faire preuve à l’égard de la décision du Tribunal en application de la norme de contrôle du caractère raisonnable. Or, une décision est déraisonnable lorsque le raisonnement qui l’appuie ne permet pas de conclure « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47, [2008] 1 R.C.S. 190; Igloo Vikski, par. 18).

[16]  À mon avis, le raisonnement du Tribunal suivant lequel la référence au terme « garde-corps montés » dans la note explicative exclut les marchandises de la position no 76.10 est déraisonnable. Bien que le Tribunal reconnaisse que la position no 76.10 comprend trois catégories de marchandises, il omet de reconnaître que la partie de la note explicative qui contient la référence au terme « garde-corps montés » s’applique uniquement, vu son libellé, aux deux premières des trois catégories.

[17]  Le libellé de la position est énoncé plus haut au paragraphe 6 des présents motifs. Selon une interprétation fondée sur le sens ordinaire des mots employés, et comme le Tribunal le souligne, la position comprend des marchandises qui sont 1) des constructions, 2) des parties de constructions ou 3) des tôles, des barres, des profilés, des tubes et similaires, en aluminium, préparés en vue de leur utilisation dans la construction.

[18]  Toutefois, la partie de la note explicative qui comprend le terme « garde-corps montés », reprise au paragraphe 9 des présents motifs, commence par les termes « [i]ndépendamment des ouvrages énumérés dans le libellé même de la position » (non souligné dans l’original). Les « garde-corps montés » peuvent ainsi uniquement appartenir à ces deux premières catégories de marchandises – constructions et parties de constructions (ouvrages) – et non à la troisième catégorie – tôles, barres, profilés, tubes et marchandises similaires, en aluminium, préparés en vue de leur utilisation dans la construction. Cependant, comme nous l’indiquons au paragraphe 10 des présents motifs, le Tribunal a traité les marchandises énumérées après la mention « [i]ndépendamment » dans la note explicative, notamment les « garde-corps montés », comme appartenant aux trois catégories et, par conséquent, à la position no 76.10 en entier.

[19]  En décidant que le terme « garde-corps montés » de la note explicative ressortissait à la position no 76.10 en entier, le Tribunal a en fait réécrit la note explicative. Cette erreur a rendu sa décision déraisonnable. C’est sur le fondement de cette interprétation erronée que le Tribunal a conclu que le terme « garde-corps montés » « permet de trancher l’appel ». Et en conséquence de cette interprétation de la note explicative, le Tribunal n’a jamais examiné, autrement que pour décrire les observations sur ce point comme ayant « une valeur limitée » et n’étant « pas déterminantes », l’application de la troisième catégorie de la position no 79.10 comme l’exige l’article 1. Il n’a pas non plus analysé la partie de la note explicative qui énonce que la position « considère également comme tels » divers éléments « ayant reçu une ouvraison (perçage, cintrage, entaillage, notamment) leur conférant le caractère d’éléments de construction ».

[20]  Je conviens, comme l’a souligné RBP en citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 16, qu’un décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale. Mais à mon avis, cette proposition n’est pas ici pertinente. En l’espèce, l’application possible de la troisième catégorie ne peut pas être décrite comme étant une question subordonnée, et le Tribunal a formulé une conclusion sur cette question sur le fondement d’une prémisse déraisonnable, et ce sans expliquer pourquoi.

[21]  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision du Tribunal. Bien que la Cour soit autorisée en application du paragraphe 68(2) de la Loi sur les douanes à trancher la question de classement à la lumière des faits constatés par le Tribunal, il serait à mon avis indiqué, eu égard au mandat du Tribunal, de lui renvoyer l’affaire pour une nouvelle audience. Dans le cadre de la nouvelle audience, le Tribunal sera en mesure d’examiner l’application possible de la troisième catégorie de la position no 76.10 en se fondant sur le fait que la référence aux « garde-corps montés » de la note explicative ne s’y applique pas. Compte tenu des observations des parties sur les dépens, j’adjugerais les dépens au procureur général, qui seront calculés selon la partie médiane de la colonne III du Tarif B.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Judith M. Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-224-17

 

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RBP IMPORTS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 septembre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Sarah Sherhols

 

Pour l’appelant

 

Gordon Lafortune

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’appelant

 

Woods, LaFortune LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

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