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Date : 20050217

Dossier : A-219-04

Référence : 2005 CAF 55

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                           DIMITAR GORGIEV

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

              LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                           défendeur

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 décembre 2004

                                     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 février 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON


Date : 20050217

Dossier : A-219-04

Référence : 2005 CAF 55

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                           DIMITAR GORGIEV

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

              LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'appel des pensions, datée du 8 décembre 2003, qui a confirmé la décision du tribunal de révision, ainsi que la décision antérieure du ministre, selon quoi M. Gorgiev n'était pas admissible à une pension d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8.


[2]                On a diagnostiqué chez M. Gorgiev une fibromyalgie, une discopathie dégénérative et un syndrome du tunnel carpien bilatéral. Il a également subi une intervention cardiaque en 2003. Il prétend être incapable de travailler depuis janvier 1999 en raison d'une très forte douleur. Il affirme avoir été obligé de fermer son entreprise, un atelier de réparation de transmissions. Il a présenté une demande de prestations d'invalidité le 17 novembre 2000. Il a commencé à recevoir des prestations de retraite en novembre 2002, au moment où il a atteint l'âge de 60 ans.

[3]                La preuve médicale présentée à l'appui de sa demande de prestations a confirmé que M. Gorgiev avait les troubles médicaux qu'il prétendait avoir. La question principale dont était saisie la Commission était celle de savoir si ces troubles avaient occasionné une invalidité qui satisfaisait au critère prévu par la loi concernant la sévérité que l'on trouve au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada, lequel se lit comme suit :

42(2) Pour l'application de la présente loi :

42(2) For the purposes of this Act,

a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i)            une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i)            a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation [...]


[4]                Comme la Commission l'a à juste titre déclaré, au paragraphe 15 de ses motifs, la gravité d'une invalidité réfère à la capacité du demandeur de travailler. Une conclusion quant à la gravité n'est pas fondée sur le seul diagnostic médical et elle n'est pas non plus fondée seulement sur la preuve subjective du demandeur quant à l'acuité de la douleur dont il souffre lorsqu'il tente d'exercer son emploi habituel. Il faut toujours, bien entendu, tenir compte de tels éléments de preuve mais cela n'est pertinent que pour trancher la question de savoir si le demandeur est capable d'exercer un emploi véritablement rémunérateur.

[5]                Les motifs de la Commission sont fondés sur un examen approfondi et minutieux de la preuve. La Commission a conclu que la preuve ne permettait pas d'établir que l'état de M. Gorgiev était « grave » suivant le critère prévu par la loi. À mon avis, selon la preuve, la Commission pouvait tirer une telle conclusion. L'examen que j'ai fait du dossier n'a révélé aucune erreur de droit ou autre qui justifierait l'intervention de la Cour.

[6]                Je pense qu'il est important de souligner que dans l'argumentation écrite présentée à la Cour au nom du ministre, ses avocats ont défendu la décision de la Commission en se fondant principalement sur la preuve médicale, mais ils ont également fait valoir que M. Gorgiev [traduction] « n'avait pas divulgué le fait qu'il avait conservé la propriété d'un immeuble et qu'il recevait toujours un revenu de location au moment de l'audience devant la Commission » . Les avocats du ministre ont concédé lors de l'audience, à juste titre selon moi, que cet argument n'était pas pertinent. Une demande de prestations d'invalidité ne peut être rejetée du fait que le demandeur possède des biens de valeur ou qu'il reçoit un revenu de location.


[7]                M. Gorgiev a fait valoir lors de l'audience qu'il avait subi un préjudice indu devant la Commission parce que les documents présentés à celle-ci par l'avocate du ministre comprenaient des renseignements au sujet d'une offre de règlement qui lui avait été proposée par le ministre et qu'il avait refusée. Bien que cette question ait été mentionnée dans l'argumentation écrite de M. Gorgiev, elle n'a pas été clairement soulevée comme motif pour contester la décision de la Commission et le ministre n'y a donc pas répondu. Comme la question semblait importante, la formation a demandé des observations écrites additionnelles. Ces observations ont maintenant été reçues et examinées.

[8]                Les faits se rapportant à la communication de l'offre de règlement sont les suivants. Lors de l'audience devant la Commission, l'avocate du ministre a présenté un résumé d'observations médicales qui avait été préparé par le Dr R. Simard, un témoin expert en médecine du ministre. Ce résumé comprenait un énoncé selon lequel, en mars 2003, le ministre avait communiqué une offre pour régler la demande de M. Gorgiev sur la base d'une date d'invalidité en octobre 2002, laquelle offre avait été rejetée par celui-ci.

[9]                Les avocats du ministre ont mentionné que ce n'était pas l'usage d'informer la Commission des offres de règlement. J'espère, et je suis disposée à le présumer, que cette affaire constitue une anomalie.


[10]            Selon moi, si M. Gorgiev avait accepté l'offre du ministre, il aurait reçu des prestations d'invalidité mensuelles à partir de février 2003, lesquelles auraient représenté une augmentation par rapport aux prestations de retraite mensuelles qu'il recevait depuis novembre 2002. On ne sait pas clairement si les versements plus élevés se seraient poursuivis après que M. Gorgiev aurait atteint l'âge de 65 ans en octobre 2007.

[11]            Selon l'affidavit de Me Margaret Jarmoc, avocate du ministre devant la Commission (mais non devant la Cour), la Commission a expliqué à M. Gorgiev au début de l'audience qu'elle pouvait soit confirmer ou soit modifier la décision du tribunal de révision et que, en ce faisant, elle pourrait ne tenir aucun compte de la position du ministre, que reflète l'offre de règlement, selon laquelle M. Gorgiev était invalide en octobre 2002. La Commission a ensuite suspendu l'audience pendant trente minutes afin de permettre à M. Gorgiev de discuter de l'offre de règlement avec son fils, lequel s'était présenté à l'audience avec lui. Au moment de la reprise, M. Gorgiev a mentionné qu'il désirait poursuivre l'audience.


[12]            Une des observations de M. Gorgiev semble être que la Commission a commis une erreur en n'interprétant pas l'offre de règlement comme un aveu de la part du ministre qu'il était suffisamment invalide en octobre 2002 pour avoir droit à une pension d'invalidité à ce moment-là. Je ne puis accepter cette observation. Elle est fondée sur une hypothèse incorrecte selon laquelle, lorsque la Commission a décidé que l'invalidité de M. Gorgiev ne satisfaisait pas au critère prévu par la loi, elle rejetait un aveu fait par le ministre. Dans les circonstances de l'espèce, la Commission n'avait pas d'autre choix que de ne tenir aucun compte de l'offre de règlement et de décider de l'affaire en se basant sur les autres documents qui lui avaient été présentés, ce qu'elle a fait. Toutefois, il reste à examiner la question de savoir si la simple communication de l'offre de règlement et de son rejet a porté un coup fatal à l'instance devant la Commission.

[13]            On peut prétendre que la simple communication de l'offre de règlement rejetée constituait une violation du privilège rattaché aux discussions en vue d'un règlement. L'objet de l'existence du privilège est expliqué comme suit par le lord juge Oliver dans l'arrêt Cutts c. Head, [1984] Ch. 290, à la page 306 :

[traduction]

Il ressort clairement d'un grand nombre d'arrêts et ouvrages que la règle est fondée, en partie du moins, sur l'ordre public, et, pour l'enquête, le point de départ commode est la nature du principe sous-jacent. C'est-à-dire qu'il faudrait encourager dans toute la mesure du possible les parties à régler leurs différends sans procès, et non qu'elles soient dissuadées de le faire parce qu'elles savent que tout ce qui se dit au cours des négociations (et cela comprend, bien sûr, aussi bien le défaut de répondre à une offre qu'une réponse concrète) peut être utilisé à leur détriment au cours de la procédure. Comme l'a exprimé le juge Clauson dans la décision Scott Paper Co. c. Drayton Paper Works Ltd. (1927), 44 R.P.C. 151, à la page 156, il faudrait encourager pleinement et franchement les parties à jouer cartes sur table. [...] En vérité, la justification de l'ordre public repose essentiellement sur l'intérêt qu'il y a d'éviter que des déclarations ou des offres faites au cours de négociations en vue d'un règlement soient soumises à la cour chargée d'instruire l'affaire en tant qu'aveux sur la question de la responsabilité.

[14]            Ce passage a été cité et approuvé par la Cour dans l'arrêt Canadian Broadcasting Corporation c. Paul (2001), 198 D.L.R. (4th) 633; (2001) 274 N.R. 47, au paragraphe 26, et dans l'arrêt Bertram c. Canada, [1996] 1 C.F. 756 (C.A.), à la page 766, comme l'a été la déclaration suivante de Lord Griffiths dans l'arrêt Rush & Tompkins Ltd. c. Greater London Council, [1989] A.C. 1280 (H.L.), à la page 1300 :


[traduction]

La quasi-totalité des affaires où a été examinée la portée de la règle des communications faites « sous toutes réserves » ont trait à l'admissibilité de preuves au procès après l'achoppement de négociations. Dans de telles circonstances, aucune question d'interrogatoire préalable ne se pose car les parties sont bien conscientes de ce qui s'est passé entre elles lors des négociations. Il ressort de ces affaires que la règle n'est pas absolue et qu'il est possible de recourir aux communications faites « sous toutes réserves » pour diverses raisons lorsque la justice de l'affaire l'exige. Point n'est besoin d'examiner en profondeur ces arrêts et ouvrages pour trancher le présent appel, mais ces derniers illustrent tous l'objet sous-jacent de la règle, qui est d'éviter à une partie d'être mise dans l'embarras par un aveu qu'elle aurait fait à seule fin d'essayer d'en arriver à un règlement.

[15]            Le rejet par M. Gorgiev de l'offre de règlement du ministre ne peut s'interpréter comme un aveu de la part de M. Gorgiev. C'est pourquoi je suis disposée à présumer, sans toutefois en décider, que la communication de l'offre de règlement rejetée ne constitue pas une violation de privilège qui justifierait l'annulation de la décision de la Commission.

[16]            Toutefois, cela ne règle pas complètement l'argumentation formulée par M. Gorgiev devant la Cour. Il a affirmé qu'il avait eu l'impression que la Commission croyait que l'offre du ministre était raisonnable, qu'elle était déçue ou irritée du fait que M. Gorgiev l'avait rejetée et qu'elle pensait que M. Gorgiev avait agi de façon déraisonnable en la rejetant. En se basant sur cette perception, M. Gorgiev a conclu que la Commission était contre lui et que, de ce fait, elle n'avait pas examiné sa preuve de manière équitable. Cela m'apparaît être une allégation de partialité réelle ou de crainte raisonnable de partialité.

[17]            Après avoir examiné le dossier et les motifs de la Commission à la lumière de l'argumentation de M. Gorgiev, je ne puis conclure que la communication par l'avocate du ministre de l'offre de règlement rejetée a amené la Commission à ne pas effectuer un examen équitable et objectif de la preuve. En d'autres mots, je n'ai décelé aucune indication d'une partialité réelle de la part de la Commission.


[18]            Le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité est énoncé dans les motifs du juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[19]            En l'espèce, la Commission faisait face à la communication de l'existence d'une offre de règlement qui avait été faite par le ministre et rejetée par M. Gorgiev. Les avocats du ministre concèdent maintenant, à juste titre selon moi, que l'offre de règlement et son rejet n'auraient pas dû être communiqués. Il semble cependant que M. Gorgiev ne se soit pas opposé à la communication à ce moment-là.


[20]            La Commission, agissant de son propre chef, aurait pu faire radier la communication du dossier, sur le simple fondement que ce n'était pas pertinent. En fait, cela aurait peut-être été la voie la plus sage à suivre. Au lieu de cela, la Commission a donné à M. Gorgiev du temps pour réexaminer l'offre. Je ne vois toutefois rien permettant de conclure que la Commission s'était formé une opinion quant au bien-fondé de l'offre de règlement ou qu'elle croyait que l'offre était raisonnable ou encore qu'elle croyait que M. Gorgiev ne serait pas raisonnable s'il la rejetait. On doit présumer que les commissaires, lesquels sont tous des juges en fonction ou à la retraite, savaient que le caractère raisonnable d'un règlement ne peut être correctement apprécié que par les parties elles-mêmes, parce qu'elles sont les seules à posséder l'ensemble des renseignements pertinents. Les seuls renseignements dont disposait la Commission au moment où on lui a communiqué l'offre de règlement rejetée, c'étaient les documents se trouvant dans le dossier d'appel. On doit également présumer que les commissaires savaient que c'est à bon droit que M. Gorgiev avait choisi de faire entendre et décider l'affaire par la Commission. Rien ne permet de conclure que la Commission avait quelque raison de désapprouver ou de ne pas aimer la décision de M. Gorviev de poursuivre l'audience.

[21]            Ce qui est également pertinent, c'est que la communication était plus susceptible d'avoir un effet défavorable sur la position du ministre que sur celle de M. Gorgiev. L'offre de règlement représentait un compromis par rapport à la position originale du ministre. Son rejet de la part de M. Gorgiev indiquait que celui-ci considérait que sa position était la seule qui était correcte. Le fait que la Commission ait décidé que la position originale du ministre était correcte donne à penser qu'elle n'a pas du tout accordé de poids à l'existence de l'offre de règlement. Si c'est le cas, il n'est donc pas raisonnable de conclure que la Commission a été influencée par son rejet.

[22]            J'estime que la communication de l'offre de règlement rejetée en l'espèce ne constitue pas un fondement pour conclure à une crainte raisonnable de partialité.


[23]            Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire. Les avocats du ministre ont mentionné lors de l'audience qu'ils ne sollicitaient pas de dépens à l'encontre de M. Gorgiev.

                                                                                                                                     _ K. Sharlow _                      

                                                                                                                                                     Juge                              

« Je souscris aux présents motifs

     Gilles Létourneau »

« Je souscris aux présents motifs

     J. Edgar Sexton »

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-219-04

INTITULÉ :                                                                DIMITAR GORGIEV

c.

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 15 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE SEXTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 17 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Dimitar Gorgiev                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

Nathalie Archambault                                        POUR LE DÉFENDEUR

Marcus Davies

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimitar Gorgiev                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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