Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180921


Dossier : 18-A-38

Référence : 2018 CAF 171

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

DR. V.I. FABRIKANT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20180921


Dossier : 18-A-38

Référence : 2018 CAF 171

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

DR. V.I. FABRIKANT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  Dr. Fabrikant a présenté un avis d’appel à la Cour. Il demande d’être dispensé de payer les droits de dépôt.

[2]  Le greffe a soumis l’avis d’appel à la Cour, conformément à l’article 72 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. L’article 72 permet au greffe de soumettre à la Cour un document présenté pour dépôt en vue d’une décision lorsque, entre autres, une condition préalable au dépôt n’a pas été remplie. En l’espèce, la condition préalable est le paiement des droits de dépôt.

[3]  Aux termes de l’article 72, la Cour ordonne l’acceptation ou le refus du document présenté pour dépôt. Dans le premier cas, la Cour pourrait exiger que des corrections y soient apportées ou que « les conditions préalables » soient remplies. L’article 221, qui s’applique à l’acte introductif d’instance présenté à la Cour par le jeu de l’article 4, habilite la Cour à radier, entre autres, les documents qui sont frivoles ou qui constituent un abus de procédure. De plus, la Cour possède le pouvoir général d’imposer des conditions, de modifier une règle ou d’exempter une partie ou une personne de son application, y compris toute règle relative aux avis d’appel et à leur dépôt (articles 53 et 55). Plus encore, la Cour est habile à réguler les instances dont elle est saisie et à remédier aux abus de procédure réels ou potentiels en raison de sa plénitude de compétence. Les pouvoirs sont nécessairement inhérents à la Cour compte tenu de sa fonction et de sa compétence judiciaires : à titre de tribunal, la Cour doit pouvoir prendre certaines mesures lorsque les circonstances l’exigent. Voir Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, 1998 CanLII 818, aux paragraphes 35 à 38; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, trilogie Mazhero c. Fox, 2014 CAF 219, 2014 CAF 226 et 2014 CAF 238 et bien d’autres. Tous ces pouvoirs ressortissent aux objectifs énoncés à l’article 3 (« une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ») et à la conservation des ressources limitées de la Cour pour servir l’intérêt public.

[4]  Il se peut que le greffe détecte un problème au moment où un document lui est soumis pour dépôt. Aux termes de l’article 72, il peut soumettre le document à la Cour pour qu’elle statue. Or, la Cour n’est dans ce cas pas limitée au problème particulier relevé par le greffe et il lui est loisible d’aborder les « conditions préalables ». Elle possède les pouvoirs énoncés au paragraphe précédent et peut les exercer au besoin pour régler d’autres questions urgentes.

[5]  Le greffe a soumis l’avis d’appel du Dr. Fabrikant à la Cour en application de l’article 72 parce que ce dernier voulait être dispensé des droits de dépôt. Il existe toutefois une autre question urgente en l’espèce : l’avis d’appel du Dr. Fabrikant comporte un vice important; il ne peut donc être accepté pour dépôt.

[6]  Un examen des instances intentées par Dr. Fabrikant devant la Cour fédérale et la Cour révèle qu’au dépôt des avis d’appel au greffe, il demande d’être dispensé des droits applicables. En réponse, les cours de justice s’attachent trop souvent à la question des droits de dépôt plutôt qu’à l’avis d’appel, ce qui peut être malavisé. Si l’avis d’appel est entaché d’un vice fatal et est frappé de nullité, à quoi sert-il de trancher la question des droits de dépôt, voire de permettre à l’appel de suivre son cours, parfois jusqu’à une audience complète? Tout recours frappé de nullité est effectivement nul, et doit être interrompu sur-le-champ.

[7]  L’avis d’appel du Dr. Fabrikant concerne une directive du 5 juillet 2018 (assimilée à une ordonnance) et une ordonnance du 18 juillet 2018 de la Cour fédérale (toutes deux rendues par le juge Locke). L’analyse porte sur l’ordonnance du 18 juillet 2018.

[8]  Dans sa décision du 18 juillet 2018, la Cour fédérale a refusé au Dr. Fabrikant l’autorisation de demander le contrôle judiciaire.

[9]  Dr. Fabrikant avait besoin de l’autorisation de la Cour fédérale pour demander le contrôle judiciaire, car celle-ci l’avait déclaré plaideur quérulent (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 40). Une fois qu’un plaideur est déclaré quérulent, il doit demander l’autorisation de la Cour avant d’ester devant elle (ibid., par. 40(4)).

[10]  Bien que les Cours fédérales disposent de pouvoirs étendus pour prévenir les abus de procédure, elles ne sont pas autorisées à déclarer un plaideur quérulent de leur propre chef. Seul le procureur général peut déposer une demande en ce sens. Si ses pouvoirs à cet égard sont étendus, il ne doit pas négliger certaines considérations importantes (Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, par. 44 à 46).

[11]  Le procureur général a déposé une demande pour faire déclarer Dr. Fabrikant plaideur quérulent par la Cour fédérale, qui a accueilli la demande. Or, le procureur général n’a pas présenté une telle demande à notre Cour.

[12]  Étant donné que Dr. Fabrikant n’a pas été déclaré plaideur quérulent par notre Cour, il a donc, au même titre que tout autre plaideur, le droit illimité d’interjeter appel à l’encontre de décisions et d’ordonnances rendues par la Cour fédérale. C’est le cas, malgré les très nombreuses instances que Dr. Fabrikant a intentées et qu’il a tenté d’intenter devant la Cour.

[13]  À moins d’être déclaré quérulent, un plaideur peut interjeter appel devant la Cour lorsque la Loi sur les Cours fédérales l’y habilite. Or, une fois qu’elle est saisie, la Cour assure une surveillance dont le degré est fonction des besoins.

[14]  Le fait qu’un plaideur a été déclaré quérulent par une autre juridiction, dont la Cour fédérale, peut être invoqué dans toute instance intentée par lui devant notre Cour (Olumide, par. 37 et 38). Si ce plaideur déclaré quérulent par une autre Cour adopte un comportement semblable devant notre Cour, il pourrait constater que cette dernière devra exercer le pouvoir discrétionnaire décrit au paragraphe 3 plus haut pour surveiller l’instance, de façon parfois agressive, parfois proactive, et parfois de son propre chef.

[15]  Par exemple, aux termes des articles 53 et 55 et de l’alinéa 337d), si la situation le justifie, la Cour peut ordonner qu’un plaideur déclaré quérulent par une autre juridiction lui fournisse des précisions dans l’avis d’appel afin qu’elle décide si l’appel est interjeté de bonne foi et n’est pas frivole. Lorsque le dépôt de l’avis d’appel est autorisé, une gestion serrée de l’appel peut se révéler nécessaire. Il est loisible à la Cour d’appliquer les Règles et d’exercer ses pleins pouvoirs tout au long de l’appel pour veiller au respect des objectifs énoncés à l’article 3.

[16]  Comme l’avis d’appel de tout plaideur qui se pourvoit devant la Cour, celui du Dr. Fabrikant doit être examiné conformément à l’article 72 et doit remplir les conditions requises. En l’espèce, l’avis d’appel ne remplit pas les conditions requises.

[17]  Dr. Fabrikant demande à notre Cour d’infirmer la décision de la Cour fédérale lui refusant l’autorisation de s’adresser à elle. Aux termes de l’article 337, son avis d’appel doit notamment contenir un « énoncé […] des motifs qui seront invoqués ». Cet énoncé doit être « complet ».

[18]  La Cour a précisé, à l’égard des avis de demande, qu’il s’agissait d’une exigence très importante (Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557). Les motifs succincts, imprécis et vagues ne suffisent pas. Il en va de même des motifs non pertinents ou qui n’appellent pas logiquement la réparation demandée. De plus, les motifs ne sauraient être frivoles ou vexatoires.

[19]  Ces exigences s’appliquent également aux avis d’appel et, par conséquent, à l’espèce (Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 229, par. 26).

[20]  Étant donné la nature de la décision à l’encontre de laquelle Dr. Fabrikant souhaite interjeter appel, à savoir une décision discrétionnaire, son avis d’appel doit indiquer une erreur de droit, une question de droit isolable ou une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Le critère de l’erreur manifeste et dominante est très élevé (Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, par. 38, citant l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, par. 46; voir également l’analyse approfondie dans l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157).

[21]  Dans un cas comme celui en l’espèce, il ne suffit pas de laisser entendre qu’une décision comporte une « erreur manifeste et dominante », sans plus. La Cour doit avoir la certitude que l’avis d’appel respecte l’interprétation que les décisions précitées ont donnée à ce concept. De plus, il faut que les motifs invoqués à l’appui de l’appel soient pertinents, en ce sens qu’ils étayent ce concept. Autrement, l’avis d’appel est incomplet. Finalement, si les motifs dans leur ensemble ne révèlent pas une erreur manifeste et dominante, l’avis d’appel est « frivole » au sens des Règles des Cours fédérales.

[22]  Je conclus que l’avis d’appel du Dr. Fabrikant est à la fois incomplet et frivole. Par conséquent, le document ne sera pas accepté pour dépôt.

[23]  Il soulève une erreur de droit : la Cour fédérale avait le devoir de trancher la question des droits de dépôt, et non la demande d’autorisation du contrôle judiciaire sur le fond. Comme je l’explique plus haut, ce motif est frivole : aux termes de l’article 72, la compétence de la Cour fédérale ne se limite pas à la question des droits de dépôt; il lui est loisible de remédier à tout vice dans un avis d’appel, en particulier s’il est fatal.

[24]  En ce qui concerne l’erreur manifeste et dominante, il n’en est pas question dans l’avis d’appel. Plus important encore, le concept d’erreur manifeste et dominante n’est pas invoqué. L’avis d’appel attaque une conclusion de fait insignifiante tirée par la Cour fédérale : la prison a refusé de mettre à niveau le matériel informatique, et non des logiciels. En outre, il prétend que la Cour fédérale a fait fi d’un élément de preuve concernant la valeur de certaines recherches que Dr. Fabrikant souhaitait mener. Toutefois, de telles prétentions, si elles ne sont pas étayées, n’ont aucun poids – la Cour fédérale est réputée avoir pris en considération tous les éléments de preuve au moment de rendre sa décision (Housen, par. 46).

[25]  Dans ces circonstances, j’estime qu’il y a lieu de me prononcer par voie d’ordonnance sur le fondement de l’article 72. J’ordonne que l’avis d’appel ne soit pas accepté pour dépôt.

[26]  Les documents rejetés en application de l’article 72 peuvent être corrigés et soumis pour dépôt au greffe et accompagnés, au besoin, d’une requête écrite en bonne et due forme en prorogation du délai d’appel (voir, p. ex., les critères habituels pour la prorogation de délai dans l’arrêt Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.), et analysés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204). En l’espèce, si Dr. Fabrikant procède ainsi et si le greffe sollicite de la Cour qu’elle rende une décision aux termes des articles 72 ou 74, je donne pour directive de demeurer saisi de l’instance.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

18-A-38

 

INTITULÉ :

DR. V.I. FABRIKANT c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2018

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 Dr. V.I. Fabrikant

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

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