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Date : 20051215

Dossier : A-275-04

Référence : 2005 CAF 425

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LES VOITURES ORLY INC./

ORLY AUTOMOBILES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), les 12 et 15 décembre 2005.

Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 15 décembre 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20051215

Dossier : A-275-04

Référence : 2005 CAF 425

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LES VOITURES ORLY INC./

ORLY AUTOMOBILES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l'audience à Montréal (Québec), le 15 décembre 2005.)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                L'appelante interjette appel d'une décision du juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) de la Cour canadienne de l'impôt. Le savant juge en chef adjoint a rejeté l'appel formé par l'appelante à l'encontre d'une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) en application de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la Loi). La Cour canadienne de l'impôt devait décider si l'appelante pouvait demander des crédits de taxe sur les intrants (CTI) relatifs à la taxe sur les produits et services (TPS) qu'elle dit avoir payée lorsqu'elle a acheté des automobiles qu'elle a exportées vers les États-Unis et l'Europe.

[2]                La Couronne a fait valoir que l'appelante était impliquée dans un stratagème frauduleux consistant à demander des CTI relatifs à la TPS qu'elle n'avait pas payée. Le commerce de l'appelante consistait à vendre des véhicules achetés au Canada sur le marché de l'exportation, en concurrence avec les concessionnaires agréés par les fabricants sur les territoires concernés. En raison de cette concurrence, les fabricants avaient mis l'appelante à l'index, ce qui l'empêchait d'acheter des véhicules directement auprès des fabricants ou de concessionnaires agréés.

[3]                L'appelante a conçu un stratagème frauduleux qui fonctionnait en gros de la manière suivante : elle se servait d'Indiens inscrits pour acheter en son nom, auprès de concessionnaires agréés, des véhicules dont la vente était exonérée de la TPS en raison du statut des acheteurs. L'appelante dressait alors une fausse facture indiquant que les véhicules avaient été achetés auprès d'un vendeur secondaire et que la TPS avait été versée sur le prix d'achat. L'appelante faisait ensuite un chèque pour le prix d'achat indiqué sur la fausse facture, lequel chèque était remis à une partie de complaisance qui le déposait et obtenait une traite bancaire en contrepartie du prix d'achat facturé par le concessionnaire. La différence entre le prix d'achat réel et le prix d'achat falsifié, c'est-à-dire la TPS, était remboursée en espèces à l'appelante, moins la commission de la partie de complaisance. L'Indien inscrit utilisait ensuite la traite bancaire pour conclure la transaction avec le concessionnaire et l'appelante prenait livraison du véhicule.

[4]                Les ventes de l'appelante étaient exonérées de la TPS parce qu'elle vendait sur le marché de l'exportation. L'appelante demandait un CTI pour chaque véhicule vendu, sur la foi de la fausse facture qu'elle avait produite à l'égard de ce véhicule. Le montant du CTI était égal à celui de la TPS indiqué sur la facture. Le résultat net de l'opération était que l'appelante demandait le remboursement de la TPS qu'elle n'avait pas payée.

[5]                Après examen soigneux et détaillé de la preuve, le juge en chef adjoint a tiré, au paragraphe 136 de sa décision, un certain nombre de conclusions fondées sur des considérations figurant au paragraphe 137. Nous reproduisons ces deux paragraphes :

[136] Les conclusions de fait auxquelles je suis parvenu, et j'en ai déjà mentionné certaines dans les présents motifs, sont les suivantes :

a)    Les vendeurs figurant sur les facturesdestinées à Orly n'étaient pas les vrais vendeurs des véhicules, et les factures ne représentaient pas de véritables opérations. Il y a tout simplement trop d'éléments de preuve indiquant que les signatures n'étaient pas celles des personnes dont les noms y figuraient. Un grand nombre des personnes qui possédaient ou représentaient des compagnies indiquées comme vendeurs sur les factures ont nié avoir vendu des véhicules à Orly et ont déclaré qu'elles ne connaissaient pas Jim Doherty, Shawn McGovern ou Bob Robichaud. L'intimée n'a pas appelé les représentants de toutes les personnes indiquées comme vendeurs, mais elle en a appelé suffisamment pour que je trouve dangereux de me fier à l'authenticité d'une quelconque facture. En outre, je crois qu'il est révélateur qu'Orly n'a appelé personne qui travaillait pour une des compagnies indiquées comme vendeurs.

b)    La TPS figurant sur les factures, bien qu'il s'agisse d'un calcul mathématique correct, n'était pas censée être payée à titre de TPS. Elle devait être versée dans les comptes bancaires des personnes indiquées comme vendeurs ou de tiers.

c)    Les comptes bancaires n'étaient qu'un lieu de dépôt temporaire des montants indiqués comme le prix d'achat plus la taxe. Ces fonds ont été utilisés pour payer aux concessionnaires le prix des véhicules figurant sur les contrats conclus entre des Indiens et les concessionnaires. Le reste était payé à Orly ou à des représentants d'Orly, comme Shawn McGovern ou Bob Robichaud, moins le montant payé aux nombreuses personnes qui rendaient les comptes bancaires disponibles et se livraient, selon les directives d'Orly et au bénéfice de cette dernière, à l'entreprise d' « échange de chèques » .

d)     Les contrats conclus entre les concessionnaires et les Indiens ne représentaient pas des opérations véritables. Ils n'étaient que des contrats de complaisance servant à créer l'illusion de ventes exonérées de taxes en vertu de la Loi sur les Indiens. Les Indiens n'ont jamais pris possession des véhicules (à l'exception de Gilles Caron, qui en a livrés quelques-uns à Orly) et ils ne les ont pas payés. Orly les a payés au moyen des comptes bancaires dans lesquels les fonds figurant sur les factures à titre de prix d'achat plus la taxe étaient déposés.

        e)    Orly a conservé le contrôle des véhicules à partir du moment où ils sont partis de chez le concessionnaire jusqu'à ce qu'ils soient exportés ou vendus au pays.

f)      Il n'a jamais été question que le titre des véhicules soit transféré des concessionnaires aux Indiens dont les noms figuraient sur les contrats conclus avec les concessionnaires. L'élément [essentiel] des opérations était que les concessionnaires vendaient des véhicules à Orly sans que la taxe de vente ne soit payée.

[137] Je fonde ces conclusions sur un certain nombre de considérations; j'en ai déjà mentionnées certaines dans les présents motifs et d'autres sont présentées ci-dessous :

    (i)        Le fait qu'Orlyprétend ne s'être intéressée aucunement aux personnes à qui elle versait apparemment des millions de dollars ou à celles dans les comptes bancaires desquelles elle versait l'argent est plus qu'étrange. On pourrait penser qu'un concessionnaire qui achetait des centaines de véhicules à différents vendeurs serait à tout le moins un peu curieux quant à l'identité des vendeurs et quant à savoir où l'argent allait. La seule façon dont l'apparente absence de curiosité peut être rationnellement expliquée en conformité avec le bon sens, la logique et la réalité est qu'Orly, par l'entremise de ses employés ou cadres, particulièrement Jim Doherty et Shawn McGovern, savait exactement qui étaient ces personnes - celles-ci n'agissaient pas de complaisance; certaines d'entre elles savaient quel rôle on leur faisait jouer et d'autres l'ignoraient. Je ne suis pas naïf au point de penser qu'Orly ne savait pas ce qui se passait dans le cadre de ce stratagème où des millions de dollars étaient en cause, stratagème qu'elle avait elle-même conçu.

(ii)       La rentabilité économique d'au moins certaines des transactions, du point de vue d'Orly, tenait à ce qu'elle conserve la TPS et la TVP et qu'elle demande des CTI à l'égard de la TPS.

(iii)      Le paiement à un grand nombre de personnes de frais pour l'échange de chèques - un processus selon lequel un chèque était déposé dans le compte bancaire du prétendu vendeur ou d'un tiers, une traite de banque ou un chèque certifié payable à un concessionnaire et d'un montant correspondant à celui indiqué sur le contrat conclu entre le concessionnaire et un Indien, était obtenu, et la différence, moins les frais susmentionnés, était remise en liquide ou par chèque au messager - est totalement incompatible avec l'achat et la vente normaux de véhicules. En fait, c'est bizarre.

     (iv)      En fait il n'y a absolument aucune preuve d'un transfert du titre des véhicules par les Indiens ou les concessionnaires aux différentes personnes dont le nom figurait sur les factures. Au procès, je n'ai pas vu un seul contrat de vente, une seule facture ni un seul autre document transférant le titre aux vendeurs dont le nom figurait sur les factures destinées à Orly. On s'attendrait, si les factures destinées à Orly représentaient de véritables ventes par de véritables vendeurs, et compte tenu des allégations des autorités fiscales selon lesquelles les factures sont fausses, à ce que l'appelante se soit efforcée de s'assurer que les prétendus vendeurs, qui sont parfois appelés « concessionnaires secondaires » , avaient le titre. Il y a un vide, ou peut-être des vides, entre les concessionnaires agréés et les « concessionnaires secondaires » . Des contrats ont été conclus entre les concessionnaires et les Indiens, qui ne représentent pas, à mon avis, des rapports juridiques véritables. La piste disparaît là, et nous ne la retrouvons qu'au stade où les concessionnaires secondaires vendaient prétendument les mêmes véhicules à Orly. L'absence de tout indice d'une commercialité normale est incompatible avec l'authenticité de l'ensemble de la structure dont l'appelante cherche à établir l'existence. Essentiellement, les concessionnaires vendaient des véhicules à Orly sans facturer la TPS, et les contrats conclus avec les Indiens ainsi que les factures des « concessionnaires secondaires » destinées à Orly n'étaient qu'une façade.

(v)       Même si le témoignage de certains des témoins de l'intimée était plutôt faible, prise dans son ensemble, la preuve de l'intimée représente un obstacle imposant à l'acceptation du témoignage de M. Doherty et de celui de M. McGovern. De graves allégations de falsification de documents et de signatures ainsi que de détournement de fonds, apparemment pour la TPS, en faveur d'Orly, ont été formulées. Pourtant, on n'a pas tenté d'y répondre en étayant l'assertion de l'appelante selon laquelle les opérations étaient authentiques et que la TPS a véritablement été payée. Je ne critique pas les avocats de l'appelante. Leur présentation de la cause de cette dernière a été très adroite et professionnelle, mais ils ne disposaient tout simplement pas des preuves voulues.



[6]                L'analyse que le juge en chef adjoint a faite de la preuve orale et documentaire l'a mené à conclure, au paragraphe 138 de sa décision, que « l'appelante n'a pas établi que les opérations figurant sur les factures destinées à Orly représentaient des ventes authentiques ou que les montants de TPS figurant sur les factures étaient réels ou ont été payés à titre de TPS ou représentaient de la TPS, ou étaient censés être payés à titre de TPS » . À son avis, la preuve a démontré que l'appelante participait à un stratagème frauduleux consistant à demander des CTI à l'égard de TPS qu'elle n'avait pas payée et n'avait pas l'intention de payer.

[7]                Le juge en chef adjoint a conclu que les pénalités imposées à l'appelant en application de l'article 285 de la Loi étaient justifiées. Il a estimé, vu la preuve, que l'appelante a sciemment demandé des CTI auxquels elle n'avait pas droit, de sorte qu'elle n'a pas fait preuve de diligence raisonnable, comme le prescrit l'article 280 de la Loi.

[8]                Nous sommes d'avis que le présent appel doit être rejeté.

[9]                Des éléments de preuve volumineux et convaincants étayaient les conclusions du juge en chef adjoint selon lesquelles l'appelante n'a pas acheté auprès des prétendus détaillants les 307 automobiles en litige, qu'elle n'a pas payé la TPS sur ces véhicules et que la majorité de ces véhicules ont été achetés à des concessionnaires par des individus possédant le statut d'Indien inscrit qui, de ce fait, ne versaient pas la TPS.

[10]            En outre, le juge en chef adjoint a dû apprécier la crédibilité des témoins, qu'il a eu l'avantage marqué de voir et d'entendre. L'audience a duré 31 jours. Quinze témoins ont été entendus et le juge en chef adjoint a examiné les 984 documents déposés par les parties. Nous ne sommes pas en mesure, et nous nous en abstiendrons donc, de reconsidérer ses conclusions touchant la crédibilité.

Le transfert du fardeau de la preuve à l'intimée

[11]            L'appelante prétend que le juge en chef adjoint a commis une erreur en lui imputant le fardeau de réfuter les hypothèses de fait et de droit sur lesquelles le ministre a fondé sa nouvelle cotisation. Elle fait principalement valoir que ces hypothèses ne lui ont pas été communiquées au moment de l'établissement de la cotisation ou antérieurement. Par conséquent, soutient-elle en invoquant l'arrêt Johnston c. MRN, [1948] R.C.S. 486, c'est à la Couronne qu'il incombe d'établir les hypothèses qu'elle a faites et communiquées au contribuable après l'envoi de l'avis de nouvelle cotisation.

[12]            En outre, l'appelante prétend que de déplacer le fardeau de la preuve et le mettre à la charge de l'intimée se justifie par le fait que, dans sa réponse à l'avis d'appel modifié, l'intimée formule des « prétentions factuelles » contradictoires qui répudient les hypothèses de fait figurant dans l'avis de nouvelle cotisation.

[13]            En réponse à une question de la Cour, l'avocat de l'appelante a reconnu que l'arrêt Johnston, précité, ne dit pas expressément que la divulgation doit intervenir au plus tard au moment de la nouvelle cotisation. En fait, cet arrêt indique seulement que la Couronne doit divulguer aux contribuables la totalité des hypothèses de fait et de droit spécifiques qui sous-tendent la nouvelle cotisation. Il n'établit pas de date limite, contrairement à ce que prétend l'appelante.

[14]            La prétention de l'appelante se fonde plutôt sur un article de Hugues F. Gibson intitulé An Overview of Income Tax Litigation, [1983] C.T.F. 967, dans lequel l'auteur propose que la divulgation des hypothèses de fait et de droit intervienne au plus tard au moment de la cotisation, faute de quoi - selon l'auteur - il s'opère un renversement du fardeau de la preuve de sorte qu'il appartient à la Couronne de faire la preuve des hypothèses faites après cette date.

[15]            L'avocat de l'appelante reconnaît que la thèse de cet auteur ne s'appuie sur aucune jurisprudence. En fait, l'obligation de divulgation vise à faire en sorte que le contribuable soit en mesure d'exercer convenablement et effectivement son droit de s'opposer à l'avis de nouvelle cotisation pendant la période de 90 jours prévue par la Loi. Il nous semble que, dans la très grande majorité des cas, le recours approprié est la divulgation forcée. Nous ne pouvons concevoir que l'on refuse au contribuable une prorogation du délai, le cas échéant, pour modifier un appel en cours ou pour déposer un appel ou un avis d'opposition lorsque la divulgation des hypothèses de fait et de droit a été retardée et que, en conséquence, il est devenu difficile sinon impossible de respecter la limite de 90 jours.

[16]            De toute manière, en l'espèce, la divulgation des hypothèses étayant la nouvelle cotisation a été effectuée le 22 mai 1998 à l'égard de la nouvelle cotisation datée du 27 avril 1998. L'appelante n'a subi aucun préjudice en raison de ce retard, étant donné qu'elle a pu déposer un avis d'appel modifié et soulever la nullité absolue de la nouvelle cotisation en invoquant la divulgation tardive. En outre, l'appelante a prétendu qu'elle avait déposé lors de l'audience des éléments de preuve réfutant, prima facie, les hypothèses utilisées par le ministre. Là encore, cela établit que l'appelante n'a subi aucun préjudice du fait que les hypothèses lui ont été communiquées trois mois après l'avis de nouvelle cotisation.

[17]            Nous convenons, avec le juge en chef adjoint, que les hypothèses de fait figurant dans la réponse à l'avis d'appel modifié ne sont pas de nature à induire en erreur une personne raisonnable qui lit la réponse, même si l'expression sacro-sainte ( « en établissant la cotisation de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses suivantes » ) n'a pas été utilisée; voir sa décision sur la requête préliminaire déposée par l'appelante, dossier d'appel, volume 40, à la page 8280. Ces prétentions factuelles sont les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre a fondé la nouvelle cotisation.

[18]            Nous sommes convaincus qu'est sans fondement la prétention de l'appelante selon laquelle il existe une contradiction entre les paragraphes 31 et 32 de la réponse à l'avis d'appel modifié. Le paragraphe 31 fait état des renseignements trouvés, dans les dossiers tenus par la Société de l'assurance automobile du Québec. Bien que ces renseignements semblent anormaux dans le cadre des hypothèses formulées par le ministre - ces documents indiquent que l'appelante n'a pas acheté beaucoup d'automobiles chez de prétendus concessionnaires secondaires, mais plutôt chez des concessionnaires d'automobiles neuves -, il s'agit d'un fait dont la divulgation à l'appelante procédait d'un esprit d'équité.

[19]            Le paragraphe 32 indique que de nombreux concessionnaires d'automobiles neuves ont informé les vérificateurs qu'ils avaient vendus les véhicules neufs en cause à des particuliers possédant le statut d'Indien inscrit. Cent quatre-vingt-un contrats ont été trouvés indiquant la vente d'automobiles à des Indiens inscrits.

[20]            En résumé, nous ne trouvons aucun mérite aux prétentions de l'appelante selon lesquelles celle-ci n'a plus la charge de réfuter les hypothèses faites par le ministre. Nous souhaitons réaffirmer fermement et fortement le principe selon lequel le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement. L'attribution du fardeau de la preuve au contribuable repose sur un motif très simple et concret énoncé il y a plus de 80 ans dans les arrêts Anderson Logging Co. c. British Columbia, [1925] R.C.S. 45; Pollock c. Canada (Ministre du Revenu National) (1993), 161 N.R. 232 (C.A.F.); Vacation Villas of Collingwood Inc. c. Canada, (1996) 133 D.L.R. (4th) 374 (C.A.F.); Anchor Pointe Energy Ltd. c. Canada, 2003 CAF 294. Ce motif est qu'il s'agit de l'entreprise du contribuable. C'est lui qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle. Le système fiscal est fondé sur l'autocotisation. Tout renversement de la charge du contribuable de fournir et de rapporter les renseignements dont il a connaissance ou qu'il contrôle peut mettre en danger l'intégrité, le caractère contraignant et, par conséquent, la crédibilité du système. Ceci dit, nous reconnaissons que dans certaines circonstances le renversement du fardeau de la preuve peut être justifié, mais ce n'est pas le cas en l'espèce.

[21]            L'appelante prétend habilement que le ministre n'a pas prouvé l'absence de paiement de la TPS en ce qui concerne chacune des 307 automobiles qui font l'objet du litige. L'on prétend également que le ministre n'a pas prouvé que, pour chaque achat, les montants qui figuraient dans les contrats au titre de la TPS ont été remis à l'appelante. Comme nous venons de le dire, c'est à cette dernière qu'il incombait de réfuter les hypothèses faites par le ministre à cet effet.

[22]            Par le biais de toutes ces opérations, l'appelante a fait à des tiers de nombreux versements qui se chiffrent à au moins 3 millions de dollars. Il est surprenant que celle-ci ne puisse dire, ou ne sache, qui étaient les tiers auxquels elle versait ces sommes substantielles ainsi que la TPS. Elle n'a appelé aucun de ces tiers comme témoin à l'audience. Elle n'a pas même cherché à savoir qui étaient ces tiers auxquels elle versait la TPS au lieu de verser cette taxe aux prétendus vendeurs ou fournisseurs : on verra à cet effet la déposition de M. Doherty en faveur de l'appelante, dossier d'appel, volume 44, aux pages 9062 à 9083. Alors qu'elle achetait des automobiles à 2844 Québec Inc., elle effectuait les paiements à P.G. Auto sans savoir de qui il s'agissait, si cette entreprise était constituée en société, si elle était liée à 2844 Québec Inc., si elle était enregistrée ou non aux fins de la TPS : ibid., à la page 9071. Il n'est donc pas étonnant que le juge en chef adjoint n'ait pas cru M. Doherty ni M. McGovern lorsque ceux-ci ont déposé au nom de l'appelante. Voici ce qu'a écrit le juge en chef adjoint aux paragraphes 46 et 47 de ces motifs :

[46]    Avant d'examiner le témoignage des témoins appelés par l'intimée, je tiens à signaler que, indépendamment de tout témoignage des témoins de l'intimée qui contredisait celui de M. Doherty ou de M. McGovern, j'estime que le témoignage de ces deux témoins appelés par l'appelante n'était pas particulièrement convaincant. J'ai eu nettement l'impression qu'ils ne m'ont pas tout dit et qu'ils me disaient uniquement le strict minimum qu'ils croyaient être nécessaire. Par exemple, les opérations relatives à plus de 300 véhicules avaient une valeur dans les millions de dollars, mais inexplicablement ils ignoraient tout des vendeurs à qui ils versaient des sommes considérables. Ils semblaient être indifférents à la provenance des automobiles et ne pas se soucier de qui recevait l'argent. J'estime que cela est, pour le moins, peu plausible. Cela n'est explicable que si l'on présume qu'Orly était au courant de tout, à toutes les étapes, et qu'elle avait le contrôle dès le moment où le véhicule quittait le concessionnaire d'automobiles jusqu'à ce qu'il soit vendu, soit à l'étranger ou au Canada.

[47] Je souligne, par exemple, que dans leur témoignage, ni M. McGovern ni M. Doherty n'a mentionné le rôle joué par les ventes effectuées aux Indiens. Ils n'ont jamais mentionné les Indiens. Compte tenu de la gravité des allégations figurant dans la réponse à l'avis d'appel et dans les autres documents communiqués à l'appelante par l'intimée, j'aurais pensé qu'ils se seraient efforcés de trouver les représentants des compagnies participantes pour qu'ils témoignent afin d'établir l'authenticité des opérations contestées. M. Doherty a dit qu'il n'a pas essayé parce qu'il n'était pas inquiet. Je suis porté à tirer une inférence moins favorable selon laquelle l'appelante savait que si elle appelait les personnes que, en fin de compte, l'intimée a appelées, elles n'auraient pas appuyé sa cause.

[23]            Il s'agissait là des deux seuls témoins appelés et produits par l'appelante. Il en fallait beaucoup plus pour réfuter les hypothèses du ministre.

Le droit de l'appelante aux CTI sur la TPS payable sur les automobiles achetées

[24]            L'appelante prétend qu'elle a droit aux CTI payables sur les véhicules achetés auprès de concessionnaires automobiles franchisés, parce que la TPS est payable dès qu'est effectuée une fourniture taxable et, ce, quelle que soit l'intention des parties en ce qui concerne le paiement de la TPS. L'appelante se fonde sur l'article 169 de la Loi et la décision de la Cour de l'impôt dans l'affaire Ventes d'auto Giordano Inc. c. Sa Majesté la Reine, 2001 GTC 358.

[25]            Dans le cas où les automobiles ont été vendues par les concessionnaires à des Indiens inscrits, aucune TPS n'a été payée. Les factures correspondant à ces ventes n'indiquaient pas le montant de la taxe payée ou payable à l'égard de chaque fourniture taxable, comme l'exige l'article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH), DORS/91-45; voir par exemple la facture de la vente du véhicule numéro 6-208 à Entreprises Wawanishgo Inc., sur laquelle aucun montant ne figure au titre de la TPS versée ou payable, dossier d'appel, volume 28, aux pages 5603 à 5614. Or, il s'agit là d'un renseignement obligatoire dont l'absence prive le réclamant du droit aux crédits. Le juge en chef adjoint a conclu que la grande majorité des automobiles en cause avaient été acquises de cette manière.

[26]            En outre, nous convenons avec le juge en chef adjoint que, lorsque l'opération qui fonde la demande de CTI est fictive et que les sommes censément payées au titre de la TPS ne l'ont jamais été ou ont été réacheminées au réclamant, celui-ci ne peut fonder une réclamation sur le fait que la taxe est devenue payable. Le juge en chef adjoint a conclu, au vu de la preuve, que l'appelante participait à de telles opérations fictives. La Loi et le Règlement ont été conçus pour les opérations de bonne foi entre commerçants de bonne foi. Ils n'ont jamais visé à permettre aux participants à un stratagème impliquant des opérations fictives de tirer doublement partie de ces opérations fictives en demandant avec succès des crédits d'intrants sur la taxe payable.

Les pénalités en ce qui concerne la réclamation de CTI

[27]            Nous ne voyons aucun motif de modifier la conclusion du juge en chef adjoint en ce qui concerne le respect des critères relatifs à l'imposition de pénalités.

Les corrections à apporter à la décision de la Cour de l'impôt

[28]            Lors de l'audience devant la Cour de l'impôt, l'intimée a reconnu que deux véhicules (6-368 et 6-388) devaient faire l'objet de crédits pour des montants respectifs de 2 730 $ et 756 $, sur le CTI refusé de 41 889,05 $. Le savant juge en chef adjoint a accordé le crédit de 2 730 $, mais une erreur d'écriture l'a imputé au véhicule numéro 6-388 au lieu du véhicule numéro 6-368. Le deuxième crédit a été tout simplement ignoré dans cette affaire longue et complexe.

Conclusion

[29]            Pour ces motifs, l'appel sera accueilli à la seule fin de réduire le montant de CTI refusé de 41 889,05 $ à 38 403,05 $, et d'ajuster les pénalités en conséquence. À tous autres égards, l'appel sera rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

« Gilles Létourneau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-275-04

INTITULÉ :                                                                            LES VOITURES ORLY/

                                                                                                ORLY AUTOMOBILES INC.

                                                                                                - et -.

                                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LES 12 ET 15 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE NADON

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :                                LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS PRONONCÉS À L'AUDIENCE :    LE 15 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

François Barrette

Mathieu Bouchard

POUR L'APPELANTE

Michel Dansereau

Pierre Zemaitis

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg LLP

Montréal (Québec)

POUR L'APPELANTE

Veillette, Larivière

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉE


Date : 20051215

Dossier : A-275-04

Montréal (Québec), le 15 décembre 2005

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON    

                        LE JUGE PELLETIER         

ENTRE :

LES VOITURES ORLY INC./

ORLY AUTOMOBILES INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

JUGEMENT

            L'appel est accueilli pour la fin limitée consistant à réduire le montant de CTI refusé de 41 889,05 $ à 38 403,05 $, et à ajuster les pénalités en conséquence. À tous autres égards, l'appel est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

« Gilles Létourneau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

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