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Date : 20050601

Dossiers : A-216-04

               A-208-204

               A-210-04

Référence : 2005 CAF 205

CORAM :        LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :                                                                                                                      A-216-04

BRIAN NORTON

appelant

et

VIA RAIL CANADA INC.

intimée

et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

intervenante

ET

ENTRE :                                                                                                                      A-208-04

MARGARET TEMPLE

appelante

et

VIA RAIL CANADA INC.

intimée

et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

intervenante


ET

ENTRE :                                                                                                                      A-210-04

BRENDA BONNER

appelante

et

VIA RAIL CANADA INC.

intimée

et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

intervenante

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 16 février 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er juin 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                               LA JUGE SHARLOW

Y A SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE NADON

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                        LE JUGE MALONE


Date : 20050601

Dossiers : A-216-04

A-208-204

A-210-04

Référence : 2005 CAF 205

CORAM :        LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :                                                                                                                      A-216-04

BRIAN NORTON

appelant

et

VIA RAIL CANADA INC.

intimée

et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

intervenante

ET

ENTRE :                                                                                                                      A-208-04

MARGARET TEMPLE

appelante

et

VIA RAIL CANADA INC.

intimée

et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

intervenante


ET

ENTRE :                                                                                                                     A-210-04

BRENDA BONNER

appelante

et

VIA RAIL CANADA INC.

intimée

et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]         En août 2002, les appelants Margaret Temple, Brenda Bonner et Brian Norton ont déposé des avis de demande introductifs d'instance en application de l'article 77 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1995, ch. 31 (4e suppl.) (la LLO). L'intimée, VIA Rail Canada Inc., (VIA) a demandé, par voie de requête, une ordonnance de radiation de leurs demandes. Cette requête a été accueillie par un protonotaire (2002 CFPI 1175). Les appelants ont interjeté appel de cette décision devant la Cour fédérale en vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. Cet appel a été rejeté : Norton c. VIA Rail Canada Inc. (2004), 248 F.T.R. 312. Les appelants interjettent maintenant appel devant la Cour d=appel.


[2]        Les appelants sont des employés de VIA qui travaillent dans l'Ouest canadien. Mmes Temple et Bonner sont préposées principales aux services et M. Norton est coordonnateur adjoint des services. Tous trois sont assujettis aux dispositions de la * Convention collective no 2 régissant le personnel itinérant des services dans les trains + (la convention collective) entre VIA et le Syndicat national de l'automobile, de l=aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA). Tous les appelants parlent l=anglais, mais pas le français.

[3]         La convention collective comprend des dispositions concernant les questions suivantes : (1) les fonctions, y compris les exigences linguistiques, concernant les postes de directeur des services, coordonnateur des services, coordonnateur adjoint des services, préposé principal aux services et préposé aux services (annexe 9); (2) la procédure à suivre pour l'affichage des postes, la candidature et l'affectation aux postes de l'unité de négociation (article 12); et (3) la procédure de règlement des griefs pour toute plainte déposée par des employés au sujet de l'interprétation, de l'application ou de la prétendue violation de la convention collective et pour toute plainte déposée par des employés qui prétendent avoir été traités injustement, y compris une disposition qui prévoit que la décision de l=arbitre est définitive et exécutoire (articles 24. 21 à 24. 24 et articles 25).


[4]         L'annexe 6 de la convention collective indique la procédure à suivre pour déterminer les exigences applicables en matière de bilinguisme et pour désigner les postes bilingues. Elle prévoit également une procédure accélérée de règlement des griefs en cas de désaccords au sujet de la désignation linguistique d'un poste parce qu=elle contrevient à la LLO. Voici un extrait de l'annexe 6 :

Annexe 6 - Bilinguisme

On entend adopter une démarche nationale pour déterminer et appliquer les exigences de la Société au chapitre du bilinguisme, destinées à satisfaire l'ensemble du public voyageur. Les représentants du Syndicat et de la Société doivent se rencontrer pour établir les exigences en matière de bilinguisme du réseau avant la mise en oeuvre de tout changement.

[...]

Si le Syndicat n'est pas d'accord avec la désignation de tout poste pour répondre aux besoins du public voyageur ou pour se conformer aux dispositions de la Loi sur les langues officielles, on pourra déposer un grief à l'étape 3 de la procédure de règlement des griefs dans les 60 jours suivant la réception de la décision de la Société de désigner ledit poste. Si le grief ne peut être réglé à l'étape 3, la question pourra être soumise à l'arbitrage de manière expéditive.

Un bulletin de formation linguistique doit être affiché deux fois par année pendant une période de 15 jours, invitant les employés qui désirent suivre un cours pour se conformer aux exigences linguistiques de postes régis par la présente convention, à s'y inscrire.

[5]         Les appelants font partie d'un groupe de 39 employés de VIA qui, entre 1999 et 2001, ont déposé des plaintes devant la Commissaire en application de l'article 58 de la LLO. Leurs plaintes soulevaient des questions relatives à l=incidence de la politique linguistique de VIA sur leurs possibilités d'avancement et d'embauche à temps plein dans l'Ouest du pays. Les appelants ont contesté l=exigence de bilinguisme imposée par VIA au directeur des services et au coordonnateur adjoint des services à bord des trains de VIA, y compris à bord du Transcontinental de l'Ouest canadien. L'article 58 prévoit :



58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue C sur un acte ou une omission C et faisant état, dans l'administration d'une institution fédérale, d'un cas précis de non-reconnaissance du statut d'une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l'usage des deux langues officielles ou encore à l'esprit de la présente loi et à l'intention du législateur.

58. (1) Subject to this Act, the Commissioner shall investigate any complaint made to the Commissioner arising from any act or omission to the effect that, in any particular instance or case,

(a)        the status of an official language was not or is not being recognized,

(b)        any provision of any Act of Parliament or regulation relating to the status or use of the official languages was not or is not being complied with, or

(c)        the spirit and intent of this Act was not or is not being complied with

in the administration of the affairs of any federal institution.

(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants.

(2) A complaint may be made to the Commissioner by any person or group of persons, whether or not they speak, or represent a group speaking, the official language the status or use of which is at issue.

[6]         VIA est une * institution fédérale + visée par la LLO. Les appelants pouvaient présenter leurs plaintes à la Commissaire en vertu de l=article 58.

[7]         En réponse aux 39 plaintes, la Commissaire a fait enquête sur les exigences linguistiques appliquées par VIA en ce qui concerne les postes de directeur des services et de coordonnateur adjoint des services. En mai 2002, elle a publié un rapport intitulé Rapport final d=enquête portant sur les exigences linguistiques et des questions connexes en ce qui concerne VIA Rail dans l'Ouest du Canada (le rapport de la Commissaire), lequel comprenait les conclusions de la Commissaire ainsi que huit recommandations. Pour les fins de la présente espèce, seules les première, troisième et quatrième recommandations sont pertinentes. Ces recommandations à l=égard de VIA sont les suivantes :


1. de prendre les mesures nécessaires pour permettre à des effectifs unilingues qui possèdent toutes les autres qualifications requises de poser leur candidature aux postes de * directeur des services + sur les trajets non désignés, et de leur fournir une formation en langue seconde au besoin;

[...]

3.    conformément à l=article 91 de la Loi sur les langues officielles et en tenant compte de la capacité bilingue parmi les membres des équipes et de la souplesse qui existe, d=identifier des occasions pour assigner des effectifs unilingues qualifiés à un des deux postes de * coordonnateur des services + sur le Transcontinental de l=Ouest en leur fournissant de la formation en langue seconde appropriée;

4. tout en poursuivant ses discussions avec le Secrétariat du Conseil du Trésor au sujet des trajets non-désignés, de prendre les mesures nécessaires pour permettre à des effectifs unilingues qui possèdent toutes les autres qualifications requises de poser leur candidature aux postes de * coordonnateur des services + sur ces trajets et de leur fournir une formation en langue seconde au besoin [...]

[8]         Après la publication du rapport de la Commissaire, les appelants ont déposé les demandes qui font l'objet du présent appel. Ils ont demandé les réparations suivantes :

[Traduction]

1. Une ordonnance enjoignant à VIA Rail Canada Inc. de se conformer aux recommandations 1, 3 et 4 du Rapport final d=enquête de mai 2002 du Commissariat aux langues officielles en fournissant au demandeur une formation de coordonnateur adjoint des services et de directeur des services à distance, ainsi qu'une formation en français;

2. Une ordonnance enjoignant à VIA Rail Canada Inc. de verser au demandeur le salaire perdu en conséquence du refus de VIA Rail de lui permettre d=obtenir de l'avancement au travail en contravention de l'article 91 de la Loi sur les langues officielles, y compris les heures de travail et la pension.

3. Une ordonnance enjoignant à VIA Rail de payer les dépens du demandeur.

[9]         L'objet des demandes est visé par les dispositions du paragraphe 77(1) de la LLO. Le juge Décary a bien expliqué aux paragraphes 15 à 21 de l'arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments) (C.A.F.), [2004] 4 R.C.F. 276, la nature et la portée du recours visé à l'article 77 :


[15] [...] Ce recours n'est pas une demande de contrôle judiciaire, encore qu'il soit régi, sur le plan procédural, par les règles applicables à ces dernières (voir l'alinéa 300b) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106]). Ce recours s'apparente, plutôt, à une action.

[16] La commissaire, il est important de le rappeler, n'est pas un tribunal. Elle ne rend pas de décision proprement dite; elle reçoit des plaintes, elle mène une enquête, puis elle fait un rapport qu'elle peut assortir de recommandations (paragraphes 63(1), (3)). Si l'institution fédérale concernée ne donne pas suite au rapport ou aux recommandations, la commissaire peut s'en plaindre au gouverneur en conseil (paragraphe 65(1)) et, si ce dernier ne donne pas suite non plus, la commissaire peut s'en plaindre au Parlement (paragraphe 65(3)). Le remède, à ce niveau, est politique.

[17] Pour s'assurer, toutefois, que la Loi sur les langues officielles ait des dents, que les droits ou obligations qu'elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes, et que les membres des minorités linguistiques officielles ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garantie au seul niveau politique, le législateur a créé un * recours + devant la Cour fédérale dont peut se prévaloir la commissaire elle-même (article 78) ou le plaignant (article 77). Ce recours, dont j'examinerai l'étendue plus loin, cherche à vérifier le bien-fondé de la plainte, pas le bien-fondé du rapport de la commissaire (paragraphe 77(1)), et le cas échéant, à assurer une réparation convenable et juste dans les circonstances (paragraphe 77(4)). Le rapport de la commissaire n'en est pas moins la source ou le prétexte du recours ou, pour reprendre les mots de la juge Desjardins relativement au rapport comparable que dépose le commissaire à l'information, une condition * préalable à l'exercice du recours + (Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1999), 240 N.R. 244 (C.A.F.), à la page 255) : c'est la qualité de * plaignant + devant la commissaire qui confère la qualité de * demandeur + devant la Cour (paragraphe 77(1)) et c'est la date de communication du rapport qui sert de point de départ pour le calcul des délais (paragraphe 77(2)). Le * plaignant +, selon le paragraphe 58(2), peut être un * individu + ou un * groupe +.

                  [18] On voit dès lors que le recours n'a rien d'une demande de contrôle judiciaire au sens de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)]. Il n'attaque pas en tant que telle la * décision + de l'institution fédérale. Il peut être entrepris par une personne ou un groupe qui peut n'être pas * directement touché par l'objet de la demande + (voir le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales). Le redressement que peut rechercher le demandeur n'est pas limité à ceux prescrits au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour ayant de manière exceptionnelle la discrétion qu'elle * estime convenable et juste eu égard aux circonstances + (paragraphe 77(4)). Des éléments de preuve inédits sont recevables (article 79). L'affaire est entendue et jugée en procédure sommaire (article 80).

[19] Le fait que le recours prévu à la partie X s'apparente, sur le fond, à une action entraîne des conséquences importantes.


[20] Ainsi, le juge entend l'affaire de novo et n'est pas limité à la preuve offerte lors de l'enquête de la commissaire. Le recours est en mouvance constante en ce sens que même si le bien-fondé de la plainte est déterminé en fonction du moment de la violation alléguée, le remède, s'il en est un qui soit alors convenable et juste, doit être adapté aux circonstances qui prévalent au moment où l'affaire est mise en délibéré. Le remède variera selon que la violation perdure ou non.

[21] Par ailleurs, les rapports de la commissaire sont recevables en preuve, mais ils ne lient pas le juge et peuvent être contredits comme tout autre élément de preuve. Cela s'explique aisément. La commissaire mène son enquête en secret et ses conclusions peuvent s'appuyer sur des faits que les parties concernées par la plainte n'auront pas nécessairement été en mesure de vérifier. Qui plus est, pour des raisons que je donnerai tantôt, l'objet du recours judiciaire est plus limité que celui de l'enquête par la commissaire et il se peut que la commissaire prenne en compte des considérations que ne pourra prendre en compte le juge [...]

[10]       Les appelants soutiennent dans leurs demandes qu=on leur a refusé, dans le cadre de leur emploi à VIA Rail, l'accès à des postes visés par la convention collective parce qu'ils ne satisfaisaient pas aux exigences de ces postes en matière de bilinguisme. Ils étaient notamment mécontents de l=exigence de bilinguisme pour l=exécution des fonctions énumérées à l'annexe 9 de la convention collective relativement aux postes de directeur des services et de coordonnateur adjoint des services.

[11]       VIA a déposé une requête en radiation des demandes en invoquant deux motifs principaux : premièrement, la Cour fédérale n=avait pas compétence pour accorder un recours sous la forme d'une injonction ou d'un mandamus en l'absence d'une obligation juridique de la part de VIA; deuxièmement, la Cour fédérale n=avait pas compétence pour entendre les demandes parce que les questions en litige relèvent de la compétence exclusive de l'arbitre des griefs conformément à la procédure obligatoire de règlement des griefs prévue dans la convention collective. À cet égard, VIA s=est appuyée sur l'article 56, le paragraphe 57(1) et l'article 58 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), dont voici le texte :


56. Pour l'application de la présente partie et sous réserve des dispositions contraires de celle-ci, la convention collective conclue entre l'agent négociateur et l'employeur lie l'agent négociateur, les employés de l'unité de négociation régie par la convention et l'employeur.

56. A collective agreement entered into between a bargaining agent and an employer in respect of a bargaining unit is, subject to and for the purposes of this Part, binding on the bargaining agent, every employee in the bargaining unit and the employer.

57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d'une clause prévoyant le mode C par arbitrage ou toute autre voie C de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu'elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.

57. (1) Every collective agreement shall contain a provision for final settlement without stoppage of work, by arbitration or otherwise, of all differences between the parties to or employees bound by the collective agreement, concerning its interpretation, application, administration or alleged contravention.

                             [...]

                              ...

58. (1) Les ordonnances ou décisions d'un conseil d'arbitrage ou d'un arbitre sont définitives et ne peuvent être ni contestées ni révisées par voie judiciaire.

58. (1) Every order or decision of an arbitrator or arbitration board is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire C notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto C visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre ou d'un conseil d'arbitrage exercée dans le cadre de la présente partie.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an arbitrator or arbitration board in any of their proceedings under this Part.

(3) Pour l'application de la Loi sur les Cours fédérales, l'arbitre nommé en application d'une convention collective et le conseil d'arbitrage ne constituent pas un office fédéral au sens de cette loi.

(3) For the purposes of the Federal Courts Act, an arbitrator appointed pursuant to a collective agreement or an arbitration board is not a federal board, commission or other tribunal within the meaning of that Act.


[12]       Le protonotaire a retenu les deux arguments de VIA et ordonné la radiation des demandes. Cette décision a été portée en appel devant la Cour fédérale et, peu après, la Commissaire a reçu l'autorisation d'intervenir. Devant la Cour fédérale et en la présente espèce, c'est l'avocate de la Commissaire qui a plaidé pour les appelants. Ceux-ci n=étaient pas représentés par avocats et n'ont présenté aucune observation.

[13]       Le juge a examiné la décision du protonotaire et l'a annulée. Il a lui aussi accepté pour l'essentiel les deux arguments de VIA.

[14]       Conformément à la jurisprudence de la Cour d=appel, le juge devait examiner de nouveau la requête parce qu'une question soulevée dans la requête était déterminante pour l=issue de l=affaire (voir Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2004] R.C.F. 459, au paragraphe 19). En appel, la Cour doit décider si le juge a commis une erreur en confirmant la décision du protonotaire.

[15]       Une ordonnance radiant avant l'audience une demande introductive d'instance est un recours extraordinaire, qui n'est accordé que dans des circonstances bien définies. Une telle demande ne saurait être radiée à moins qu'il soit évident qu'elle n'a aucune chance d=être accueillie (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C. F. 588 (C.A.), à la page 600). Une demande faite en application de l'article 77 de la LLO ne devrait pas être radiée à moins qu'il n=y a aucune possibilité que le juge qui entend cette demande accorde une réparation.


[16]       En l'espèce, le motif invoqué pour obtenir la radiation des demandes était essentiellement que la Cour fédérale n=avait pas compétence pour accorder une réparation, soit parce que les appelants demandent l'exécution de recommandations non obligatoires, soit parce que l'objet de la plainte relève de la compétence exclusive d'un arbitre en droit du travail. En toute déférence, je ne conviens pas avec le juge et le protonotaire que les questions de compétence soulevées dans ces demandes sont d'une telle clarté que les demandes ne sauraient donner lieu à un recours.

[17]       Je vais tout d=abord examiner s=il s=agit essentiellement d=une demande visant à obtenir une ordonnance de mandamus qui devrait être rejetée parce que VIA n=est pas liée par les recommandations de la Commissaire. Il est vrai que les recommandations de la Commissaire sont purement facultatives, qu'elles ne confèrent aux appelants aucun droit de source législative (hormis celui de déposer une demande en application de l'article 77 de la LLO) et qu'elles ne lient pas VIA. Il n'est pas moins vrai que les demandes sont rédigées de manière à obtenir la mise en oeuvre de trois recommandations de la Commissaire.

[18]       Cependant, il convient de garder à l'esprit que les appelants se représentent eux-mêmes. Il n'est pas étonnant que leurs documents ne soient pas rédigés aussi habilement qu'ils pourraient l=être. L'essentiel de leurs demandes est suffisamment clair. À mon avis, un juge pourrait conclure que leurs demandes sont fondées et accorder une réparation, même si cette réparation reste, et doit obligatoirement rester, en-deçà de ce qu=ils demandent.


[19]       Pour ce qui est du deuxième motif de radiation des demandes, j'ai quelques réserves quant à l=argument selon lequel la totalité des désaccords concernant les questions énumérées au paragraphe 57(1) du Code, c'est-à-dire l'interprétation, l'application ou la violation d'une convention collective, relèvent de la compétence exclusive d'un arbitre en droit du travail. Toutefois, même si j=ai tort à cet égard, il me semble que la question de savoir si les plaintes formulées dans ces demandes font partie des questions ainsi énumérées reste entière.

[20]       Je ne m=étendrai pas davantage sur ce point, étant donné qu'il incombera au juge qui entendra finalement cette demande d'interpréter les plaintes et d'évaluer leur bien-fondé. Il suffit de dire qu=au moment où les demandes seront entendues, il se peut qu'il soit jugé qu'il n'y a aucun véritable litige entre les appelants et VIA au sujet de l'interprétation de la convention collective ou de l=absence d=erreur dans son application. Il se peut qu'il n'y ait aucune allégation de violation de la convention collective. Au contraire, il se peut que la plainte porte essentiellement qu=il y a eu violation des droits linguistiques des appelants lorsque les conditions de la convention collective ont été établies, soit en raison du contenu de la convention collective, soit en raison de ce qu=elle ne prévoit pas. En outre, il se peut que certains éléments de la politique linguistique de VIA relèvent du pouvoir discrétionnaire de la direction de VIA et que, dans cette mesure du moins, il soit possible d'envisager une réparation qui ne relève pas du cadre de la convention collective.


[21]       Il se peut que d'autres questions d'ordre juridique doivent être tranchées avant de déterminer si une réparation est appropriée. Par exemple, il me semble que les demandes soulèvent la possibilité d'un débat quant à savoir si la convention collective est destinée à empêcher les appelants d=exercer tout recours en vertu de l'article 77 de la LLO. Si c=est effectivement le cas, il pourrait y avoir lieu de se demander si, en droit, il est possible d=écarter par convention collective le droit individuel de présenter une demande en vertu de l'article 77 de la LLO.

[22]       Je n=écarte pas la possibilité qu'un juge décide, après la tenue d=une audience, que les droits linguistiques des appelants n'ont pas été violés, que leurs droits linguistiques devraient plutôt être examinés dans le cadre de la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective ou que la Cour fédérale serait dans l'impossibilité d'accorder une réparation sans empiéter sur la compétence d'un arbitre en droit du travail. Cependant, il ne s=agit pas à mon avis d'un cas où il convient d'exclure un débat sur ces questions sans la tenue d=une audience.

[23]       Pour les motifs susmentionnés, j'accueillerais l'appel, j'annulerais les jugements du juge et du protonotaire, et je rejetterais la requête de VIA visant à obtenir la radiation des demandes. J'accorderais aux appelants leurs dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale.

                  *K. Sharlow +                  

Juge

* Je souscris à ces motifs

M. Nadon, juge +

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


LE JUGE MALONE(motifs dissidents)

[24]       J'ai eu l=avantage de lire les motifs majoritaires que ma collègue la juge Sharlow a distribués dans le présent appel. Étant incapable de souscrire à la décision qu'elle propose pour le présent appel, j=inscris avec égards ma dissidence pour les motifs exposés ci-dessous.

[25]       À mon avis, le juge de la Cour fédérale n'a pas fait erreur en concluant qu'il n=avait pas compétence pour entendre les demandes parce que les arbitres du travail fédéraux ont compétence exclusive sur le litige et, par conséquent, il a appliqué correctement le critère énoncé par la Cour relativement au rejet des demandes introductives d'instance (voir David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C. F. 588 (C.A.), à la page 600).

[26]       Étant donné que les faits et les dispositions de la convention collective qui sont pertinents ont été reproduits aux paragraphes 3 à 8 des motifs de la juge Sharlow, il n'est pas nécessaire de les répéter.

[27]       Après la publication du rapport de la Commissaire, chacun des appelants a déposé devant la Cour fédérale, en vertu du paragraphe 77(1) et de l'article 91 de la LLO, une demande visant à obtenir la mise en oeuvre des recommandations faites par la Commission au sujet des possibilités d'avancement, des pertes de salaire et des dépens.


[28]       Pour l'essentiel, les appelants font valoir devant la Cour fédérale qu=on leur a refusé, dans le cadre de leur emploi à VIA Rail,

l'accès à des postes visés par la convention collective parce qu' ils ne satisfaisaient pas à l=exigence de bilinguisme pour ces postes. Ils sont notamment mécontents de l=exigence de bilinguisme pour l=exécution des fonctions énumérées à l'annexe 9 de la convention collective relativement aux postes de directeur des services et de coordonnateur adjoint des services.

[29]       Le syndicat des TCA n'est pas partie à l'instance et les appelants n'ont expliqué d'aucune manière pourquoi leurs plaintes n'ont pas été tranchées d'une manière satisfaisante dans le cadre de la procédure établie en matière de griefs et d'arbitrage, ni même s'ils ont tenté d'utiliser cette procédure.

[30]       VIA a déposé une requête devant le protonotaire et a soutenu que la Cour fédérale n=avait pas compétence pour entendre les demandes parce que les questions soulevées relevaient de la compétence exclusive de l'arbitre des griefs, conformément à la procédure obligatoire de règlement des griefs prévue dans la convention collective. VIA a invoqué notamment l'article 56, le paragraphe 57(1) et l'article 58 du Code. Le protonotaire a accueilli la requête de VIA et sa décision a été portée en appel devant la Cour fédérale; peu après, la Commissaire a été autorisée à intervenir.


[31]       Un juge de la Cour fédérale a examiné la décision du protonotaire et conclu que ce dernier * n=a pas exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire en radiant la demande +, parce que * les demandeurs n'ont aucune chance d'obtenir le redressement qu'ils demandent dans l'avis de requête introductif d'instance + et que le protonotaire n'a commis aucune erreur en concluant que * les demandes des demandeurs sont en fait des griefs qui doivent être réglés conformément aux modalités de la convention collective +. Le juge a rejeté l'appel pour ces motifs.

[32]       En vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-506, une ordonnance d'un protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale. Selon le critère applicable, un juge de la Cour fédérale saisi de l'appel d=une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits (voir Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2004] R.C.F. 459, au paragraphe 19).


[33]       En l=espèce, le juge de la Cour fédérale a conclu que le protonotaire n'avait pas exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire en radiant la demande. Notre Cour doit confirmer cette décision à moins qu'elle soit mal fondée ou manifestement erronée (voir Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.), au paragraphe 12, approuvé dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Ligne N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18).

[34]       Bien qu'un recours exercé en vertu de l'article 77 de la LLO ne constitue pas une demande de contrôle judiciaire, il est régi, sur le plan de la procédure, par les règles applicables aux demandes visées par la partie 5 des Règles de la Cour fédérale (1998), y compris les demandes de contrôle judiciaire (voir à l'alinéa 300b) des Règles de la Cour fédérale (1998); voir aussi Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276, au paragraphe 15). Il est bien établi qu'une requête en radiation des demandes de ce genre ne devrait être utilisée que dans des cas très exceptionnels. La Cour fédérale a compétence de façon inhérente pour rejeter sommairement de telles demandes, mais seulement lorsque ces demandes sont manifestement irrégulières au point de n=avoir aucune chance d=être accueillies (voir David Bull Laboratories, à la page 600). C'est le critère en fonction duquel il convient d=examiner les présents appels.


[35]       Dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, la Cour suprême du Canada a énoncé trois résultats possibles lorsqu'il s'agit de décider lequel de deux tribunaux compétents devrait trancher un différend dans le domaine des relations de travail. Dans le modèle de la * concomitance +, les deux tribunaux ont compétence et le différend en matière de travail peut être soumis soit à un arbitre, soit aux tribunaux judiciaires ou à d'autres tribunaux. Dans le modèle du * chevauchement de compétence +, les tribunaux du travail tranchent les questions traditionnellement de droit du travail, tandis que les tribunaux judiciaires ou autres tribunaux conservent leur compétence sur les autres questions d'emploi. Enfin, dans le modèle de la * compétence exclusive +, la compétence appartient exclusivement soit à l'arbitre soit à l=autre tribunal.

[36]       Dans l'arrêt Weber, une méthode contextuelle et flexible a été adoptée pour déterminer les différends qui relèvent de la compétence exclusive de l'arbitre. Au paragraphe 52 des motifs, la juge McLachlin (plus tard Juge en chef de la Cour suprême) a dit :

Il s'agit, dans chaque cas, de savoir si le litige, dans son essence, relève de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective.

La Cour a conclu dans cet arrêt que, peu importe la manière dont est qualifié le différend sur le plan juridique, si le litige * résulte de la convention collective +, le tribunal du travail a compétence exclusive.

[37]       En outre, dans l'arrêt Allen c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 128, la Cour suprême du Canada a examiné de nouveau la façon de déterminer les litiges qui relèvent de la compétence de l'arbitre et elle a confirmé l'adoption d'une * méthode contextuelle et flexible qui tente d'éviter les classifications formelles + (au paragraphe 14 des motifs). Renvoyant aux principes énoncés dans l'arrêt St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704, et précisés dans les arrêts Weber et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, le juge LeBel a dit au paragraphe 12 :


En résumé, ces affaires posent le principe selon lequel, conformément à l'intention du législateur qui ressort des régimes de relations de travail implantés au Canada depuis la Seconde Guerre mondiale, telle la législation albertaine applicable en l'espèce, les litiges résultant de l'interprétation, de l'application ou de l'inexécution d'une convention collective doivent être tranchés exclusivement au moyen de la procédure de traitement des griefs établie conformément à la convention ou à la législation pertinente. Dans la mesure où ils relèvent de la convention collective, ces litiges doivent généralement être tranchés par des arbitres en droit du travail et les tribunaux civils ne conservent aucune compétence concurrente à leur égard.

[38]       Plus récemment, la question de savoir si la loi confère une compétence exclusive à un arbitre a été considérée comme une analyse en deux étapes (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185, c'est-à-dire l'arrêt Morin). La première étape est une analyse des dispositions législatives pertinentes et de ce qu=elles prévoient au chapitre de la compétence de l'arbitre; la seconde étape consiste à déterminer, compte tenu du contexte factuel de l=affaire, si l=arbitre a compétence exclusive en raison de la nature du litige (voir Morin, aux paragraphes 15 et 20).

La première étape du critère de l'arrêt Morin

[39]       Si on examine maintenant les dispositions du Code, on constate que le Parlement a investi les arbitres du travail fédéraux de larges pouvoirs en ce qui concerne l'interprétation, l'application et les prétendues violations des conventions collectives visant les employés des unités de négociation. L'article 56 et le paragraphe 57(1) du Code prévoient :


Effet de la convention collective

Effect of Collective Agreement

56. Pour l'application de la présente partie et sous réserve des dispositions contraires de celle-ci, la convention collective conclue entre l'agent négociateur et l'employeur lie l'agent négociateur, les employés de l'unité de négociation régie par la convention et l'employeur.

56. A collective agreement entered into between a bargaining agent and an employer in respect of a bargaining unit is, subject to and for the purposes of this Part, binding on the bargaining agent, every employee in the bargaining unit and the employer.

Clause de règlement définitif sans arrêt de travail

Provision for final settlement without stoppage of work

57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d'une clause prévoyant le mode C par arbitrage ou toute autre voie C de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu'elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.

57. (1) Every collective agreement shall contain a provision for final settlement without stoppage of work, by arbitration or otherwise, of all differences between the parties to or employees bound by the collective agreement, concerning its interpretation, application, administration or alleged contravention.

[40]       Ces deux dispositions prévoient essentiellement que les arbitres du travail fédéraux ont compétence pour régler tous les litiges qui découlent expressément ou implicitement d'une convention collective (voir Allen, au paragraphe 15, et Weber, au paragraphe 54) et elles complètent les pouvoirs étendus que la Cour suprême du Canada a reconnus aux arbitres en droit du travail. Parmi ces pouvoirs, il y a celui d'accorder des réparations fondées sur la Charte (voir Weber, aux paragraphes 60 et 61), ainsi que des réparations relatives aux droits et obligations de fond prévus par les lois sur l=emploi, comme la législation sur les droits de la personne (voir Parry Sound (district), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, aux paragraphes 28 et 49).


[41]       Les arbitres du travail fédéraux sont également habilités à accorder des réparations s=apparentant à celles que peut accorder la Cour fédérale en application de la partie X de la LLO, et ce, conformément aux dispositions de l'alinéa 60(1)a.1) du Code, dont voici le texte :

Pouvoirs des arbitres

Powers of arbitrator, etc.

60. (1) L'arbitre ou le conseil d'arbitrage a les pouvoirs suivants_:

60. (1) An arbitrator or arbitration board has

a.1) celui d'interpréter et d'appliquer les lois relatives à l'emploi et de rendre les ordonnances qu'elles prévoient, même dans les cas où elles entrent en conflit avec la convention collective;

(a.1) the power to interpret, apply and give relief in accordance with a statute relating to employment matters, whether or not there is conflict between the statute and the collective agreement;

[42]       Il convient également de souligner que, même si le paragraphe 77(4) de la LLO confère à la Cour fédérale le pouvoir général d'* accorder la réparation qu'[elle] estime convenable et juste eu égard aux circonstances +, ce pouvoir n=est pas exclusif. Notamment, les paragraphes 77(5) et 78(3) de la LLO prévoient un régime non exclusif qui autorise la mise en oeuvre de cette loi par d'autres moyens que le recours judiciaire prévu dans la partie X. Voici le texte de ces dispositions :

Précision

Other rights of action

77. (5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.

77. (5) Nothing in this section abrogates or derogates from any right of action a person might have other than the right of action set out in this section.

Pouvoir d'intervenir

Capacity to intervene

78. (3) Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du commissaire de demander l'autorisation d'intervenir dans toute instance judiciaire relative au statut ou à l'usage du français ou de l'anglais.

78. (3) Nothing in this section abrogates or derogates from the capacity of the Commissioner to seek leave to intervene in any adjudicative proceedings relating to the status or use of English or French.


[43]       Enfin, le paragraphe 58(1) du Code précise que les décisions des arbitres du travail fédéraux ne peuvent pas être révisées par voie judiciaire:

Caractère définitif des décisions

Decisions not to be reviewed by court

58. (1) Les ordonnances ou décisions d'un conseil d'arbitrage ou d'un arbitre sont définitives et ne peuvent être ni contestées ni révisées par voie judiciaire.

58. (1) Every order or decision of an arbitrator or arbitration board is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

[44]       Toutes ensemble, ces dispositions du Code et de la LLO prévoient que les arbitres du travail fédéraux ont compétence exclusive pour trancher les litiges existants, de manière à supprimer la compétence de la Cour fédérale en ce qui concerne l'interprétation, l'application et la prétendue violation des conventions collectives.

La seconde étape du critère de l'arrêt Morin

[45]       C=est dans ce cadre législatif que je dois maintenant examiner le présent litige en tenant compte du contexte factuel afin de déterminer totalement et définitivement si le législateur a voulu que ce litige, de par son essence, relève de la compétence exclusive des arbitres du travail fédéraux.


[46]       Les appelants font partie de l'unité de négociation du * personnel itinérant des services dans les trains + et sont visés par la convention collective, qui établit un régime de promotion et de nomination applicable à tous les membres de l'unité. Les exigences liées à certains postes, comme le bilinguisme, et aux conditions de travail, comme la formation, sont conformes à l'annexe 6 et à l'article 16. Les postes sont dotés conformément à la procédure prévue pour les affectations aux trains, de la manière visée à l'article 12. Dans son rapport, la Commissaire a reconnu cette procédure en déclarant que la procédure annuelle d=affectation repose en grande partie, quoique non exclusivement, sur le principe de l'ancienneté, en vertu duquel les postes sont accordés aux employés qualifiés ayant le plus grand nombre d'années de service (voir le dossier d'appel, volume I, à la page 74).

[47]       Dans les demandes qu'ils ont déposées devant la Cour fédérale, les appelants ont demandé la mise en oeuvre des recommandations de la Commissaire. La réparation demandée consiste à obliger VIA à permettre à des employés unilingues à poser leur candidature aux postes bilingues de directeur des services sur les trajets non désignés, et à leur fournir, au besoin, une formation en langue seconde; à affecter des employés unilingues à l'un des deux postes de coordonnateur adjoint des services sur le Transcontinental de l'Ouest en leur fournissant une formation en langue seconde; enfin, à permettre à des employés unilingues de poser leur candidature aux postes de coordonnateur adjoint des services sur les trajets non désignés, en leur fournissant encore une fois une formation en langue seconde.


[48]       Si elles sont mises en oeuvre, ces recommandations pourront permettre aux appelants d=obtenir des promotions qui auront nécessairement des conséquences pour d'autres employés de l'unité de négociation qui occupent actuellement ces postes en raison de leur ancienneté. Cela entraînera évidemment d'autres griefs qui devront être entendus par des arbitres du travail fédéraux. Dans la conclusion de son rapport, la Commissaire a reconnu la complexité de cette tâche :

Les recommandations contenues dans ce rapport visent à aider VIA Rail à poursuivre dans cette voie d'une manière parfaitement conforme à ses responsabilités linguistiques à l'égard des voyageurs comme des employés. Nous sommes conscients du fait que, pour mettre en oeuvre certaines des recommandations, VIA Rail devra négocier des modifications à la convention collective avec le syndicat et revoir le processus de postulation, et que cela peut poser certains problèmes. Étant donné que tous les plaignants sont membres du syndicat en question, nous espérons que cette enquête, qui a comporté de longues consultations avec de nombreux plaignants, aidera VIA Rail à trouver les solutions qui conviennent.

                                                                [Non souligné dans l=original.]

Il ressort de cette conclusion qu'au moment où elle a produit son rapport en mai 2002, la Commissaire reconnaissait qu=il était préférable pour VIA et le TCA de régler les questions en litige en ayant recours à la procédure interne, en raison de l'existence de la convention collective et des obligations qu=elle crée.

[49]       Les appelants demandent également une indemnité pour les pertes de salaires et de prestations de retraite découlant de l=omission alléguée de VIA de leur permettre d=obtenir de l=avancement au travail en contravention de l'article 91 de la LLO, plus leurs dépens. En sollicitant ces réparations, les appelants demandent en réalité à la Cour fédérale d'interpréter et d'appliquer les pratiques et les politiques de VIA en matière d'emploi qui sont énoncées dans la convention collective, et de juger s'ils auraient dû obtenir des promotions et s'ils devraient recevoir une indemnité pécuniaire. Les plaintes de ce genre sont le pain quotidien des arbitres du travail fédéraux et relèvent normalement de leur compétence exclusive.


[50]       Enfin, dans l'arrêt Morin, la juge en chef McLachlin a fait état de la nécessité de décider quel tribunal présentait la * plus grande adéquation + avec le litige (paragraphe 30). Selon mon analyse, il est préférable que les présents désaccords soient tranchés par un arbitre du travail fédéral en conformité avec la convention collective, plutôt que par la Cour fédérale en application de la partie X de la LLO. Les appelants font essentiellement valoir dans leurs plaintes contre VIA qu=elle a refusé sans motif de leur permettre d=accéder aux postes visés par la convention collective parce qu'ils ne satisfaisaient pas à l=exigence de bilinguisme établie pour ces postes et qu'ils ont maintenant droit à une indemnité pour les pertes de salaires et de prestations découlant de l=absence de possibilités d'avancement. Tous ces facteurs laissent penser qu=il est préférable qu'un arbitre unique soit saisi des griefs individuels en l'espèce.

[51]       De façon générale, je ne peux pas retenir l'argument de la Commissaire selon lequel le présent litige porte sur l=application de la LLO ainsi que sur les obligations imposées aux institutions fédérales comme VIA. Comme le démontrent les conséquences des recommandations de la Commissaire sur la convention collective, ainsi que les réparations que sollicitent les appelants en matière de promotion et de pertes de salaires et de prestations, le présent litige, dans son contexte factuel, concerne essentiellement l'interprétation, l'application ou la prétendue violation de la convention collective.


[52]      En outre, l'argument de la Commissaire selon lequel la convention collective ne contient aucune disposition permettant aux employés de présenter individuellement un grief concernant la désignation linguistique de certains postes n'est pas non plus convaincant. Le syndicat a un devoir de juste représentation envers les employés qu=il représente (voir Allen au paragraphe 13, et Noël c. Société d'énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, aux paragraphes 41-44); il ne s'agit pas en l'espèce d'une situation similaire Morin, où le syndicat se trouvait apparemment en conflit d'intérêts avec les appelants.

[53]       Selon mon analyse, il s'agit d'un cas où, de par leur nature essentielle, les litiges relèvent de la compétence exclusive d'un arbitre du travail fédéral. La Cour fédérale n=ayant pas compétence pour connaître de ces questions, je dois conclure qu'il s'agit ici d=une des circonstances exceptionnelles visées dans l'arrêt David Bull Laboratories et que les demandes devraient être rejetées sommairement étant donné qu'elles n'ont aucune chance d=être accueillies. (Voir aussi Bouchard c. Canada (Ministre de la défense nationale), paragraphes 25 et 26 dans lequel la Cour d=appel a jugé qu'une requête en radiation d'une demande était valable dès lors qu'il avait été constaté que le tribunal n=avait pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire de l'appelant en ce qui concerne une question de congédiement déguisé découlant d'une convention collective.)


[54]       La présente analyse s=applique aux dispositions de la convention collective en cause (notamment l'annexe 6) ainsi qu'aux faits du présent appel. Il se peut que d=autres conventions collectives, muettes quant à la procédure de détermination des exigences de bilinguisme et quant à la désignation des postes qui requièrent des compétences en matière de bilinguisme, n=excluent pas la compétence de la Cour fédérale et les réparations prévues par la LLO. Chacune devra être étudiée selon son contexte particulier.

[55]       J=appuie mon analyse en l'espèce sur la conclusion tirée par le juge Binnie dans l'arrêt récent Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30. La Cour suprême a souligné qu'une plainte de discrimination n=est pas automatiquement du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne (paragraphe 93) et que * [l]e grief qui soulève une question relative aux droits de la personne demeure un grief en matière d=emploi ou de relations de travail + (paragraphe 95).

[56]       En l=espèce, je suis tout à fait convaincu qu'il n'y a aucune raison de modifier la décision du juge de la Cour fédérale qui a confirmé la conclusion du protonotaire selon laquelle les demandes des appelants sont effectivement des griefs qui doivent être tranchés en conformité avec les dispositions de la convention collective.

[57]       La Commissaire a considéré que les points en litige dans les présents appels et la portée de la partie X de la LLO dans le contexte du droit du travail fédéral constituent une question importante que nous devrions examiner. En présentant ses arguments, la Commissaire a joué volontairement le rôle de défenseur actif des intérêts des appelants, qui ont refusé de déposer des mémoires et de présenter des arguments oraux. La Commissaire a également demandé et obtenu de la présente formation l'autorisation de présenter des observations en réponse.


[58]       À mon avis, compte tenu de la conduite antérieure des parties, le présent appel est un cas d=espèce qui a principalement été défendu par la Commissaire. Dans ces circonstances, je rejetterais les appels avec un seul mémoire de frais, les dépens de VIA devant être payés par la Commissaire tant en appel que devant la Cour fédérale. Les dépens devant les deux cours devraient être taxés conformément à la colonne V du tarif B.

               *B. Malone +              

         Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR D=APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                           A-216-04

A-208-04

A-210-04

(APPELS INTERJETÉS D=UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 18 MARS 2004, DOSSIERS Nos T-1280-02, T-1165-02, T-1167-02)

INTITULÉS :

A-216-04

BRIAN NORTON c. VIA RAIL CANADA INC. et LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

A-208-04

MARGARET TEMPLE c. VIA RAIL CANADA INC. et LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

A-210-04

BRENDA BONNER c. VIA RAIL CANADA INC. et LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

LIEU DE L=AUDIENCE :                    WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L=AUDIENCE :                   LE 16 FÉVRIER 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LA JUGE SHARLOW

Y A SOUSCRIT :                                    LE JUGE NADON

MOTIFS DISSIDENTS :                        LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                            LE 1er JUIN 2005


                                                                                                                       Page : 2

COMPARUTIONS:

Brian Norton

Margaret Temple

Brenda Bonner                                         POUR LES APPELANTS,

POUR LEUR PROPRE COMPTE

MM. Tremblay et Landry

McCarthy Tétrault LLP                             POUR L=INTIMÉE, VIA RAIL

Mmes Giguere et Lavictoire                      POUR L=INTERVENANTE,

Ottawa (Ont.)                                            LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Brian Norton

Margaret Temple

Brenda Bonner                                         POUR LES APPELANTS,

Winnipeg (Manitoba)                                     POUR LEUR PROPRE COMPTE

MM. Tremblay et Landry

McCarthy Tétrault LLP                             POUR L=INTIMÉE, VIA RAIL

Montréal (Qc)

Mmes Giguere et Lavictoire                      POUR L=INTERVENANTE,

Commissariat aux langues officielles          LA COMMISSAIRE AUX LANGUES

Ottawa (Ont.)                                            OFFICIELLES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada           POUR L=INTERVENANTE,

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

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