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     Date : 19990211

     Dossier : A-416-98

CORAM :      LE JUGE LINDEN

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE SEXTON

Entre :

     MARY ANN YACYSHYN,

     appelante,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     Audience tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 11 février 1999

     Jugement prononcé à l'audience à Toronto (Ontario),

     le jeudi 11 février 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :      LE JUGE LÉTOURNEAU

     Date : 19990211

     Dossier : A-416-98

CORAM :      LE JUGE LINDEN

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE SEXTON

Entre :

     MARY ANN YACYSHYN,

     appelante,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

     le jeudi 11 février 1999)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Nous sommes d'avis de rejeter le présent appel formé contre une ordonnance du juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt dans laquelle celui-ci a radié un paragraphe de l'avis d'appel de l'appelante déposé devant la Cour de l'impôt pour les raisons suivantes.

[2]      Les cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) à l'égard de l'appelante se rattachent à des cotisations établies à l'égard de son mari qui a fait l'objet d'accusations au criminel et de cotisations au civil aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). Le mari a finalement déclaré faillite. Le ministre a tenu l'appelante responsable de la dette fiscale aux termes de l'article 160 de la Loi relativement à un paiement qui lui a été fait par l'entremise de son mari, de même que relativement au transfert de deux propriétés.

[3]      L'appelante conteste la cotisation du ministre pour plusieurs motifs, l'un d'eux étant que son mari n'avait pas d'impôt à payer pour les années d'imposition en question. Ce motif est allégué au paragraphe 5 de son avis d'appel devant la Cour de l'impôt et c'est le paragraphe que le juge de la Cour de l'impôt a radié. La chronologie des événements qui ont mené à l'ordonnance de radiation du juge est relatée ci-dessous.

[4]      Le 10 octobre 1997, le juge Rowe de la Cour de l'impôt a ordonné que tous les interrogatoires préalables soient terminés au plus tard le 30 novembre 1997 et que tout engagement découlant de ces interrogatoires soit rempli au plus tard le 30 janvier 1998.

[5]      L'intimée a essayé d'interroger l'appelante le 27 novembre 1997, mais celle-ci ne s'est pas présentée. Elle s'est finalement présentée le 16 décembre 1997 et l'interrogatoire a été ajourné jusqu'au 16 janvier 1998 afin de donner à l'appelante la possibilité de se renseigner sur certaines allégations contenues dans son avis d'appel et dans la réponse à cet avis.

[6]      Au cours de l'interrogatoire du 16 janvier, l'appelante s'est engagée à informer l'intimée de son intention de contester la dette fiscale de son mari et de la manière dont elle le ferait. Le 29 janvier 1998, l'intimée a reçu des réponses incomplètes et insatisfaisantes relativement à ces engagements.

[7]      Entre mars et mai 1998, l'intimée a essayé en vain d'obtenir une réponse complète et satisfaisante aux engagements pris par l'appelante, particulièrement celui ayant trait à la dette fiscale du mari. L'intimée a essayé à quatre reprises de signifier à l'appelante un avis de se présenter à un interrogatoire préalable le 3 juin 1998. La dernière tentative a porté fruit, mais l'interrogatoire a été reporté de 10 heures du matin à 13 heures afin d'accommoder l'appelante. Pour la deuxième fois, elle ne s'est pas présentée.

[8]      Le lendemain du jour où elle ne s'est pas présentée à l'interrogatoire, l'appelante a retenu les services d'un nouvel avocat. Malgré les quatre tentatives de l'intimée auprès du nouvel avocat pour confirmer la date de l'interrogatoire préalable, ce dernier n'a jamais donné de confirmation.

[9]      Le 12 juin 1998, l'intimée a signifié au nouvel avocat un avis obligeant l'appelante à se présenter à un interrogatoire préalable le 23 juin 1998. Encore une fois, elle ne s'est pas présentée. C'est à ce moment que, dans les jours suivants, l'intimée a déposé un avis de radiation de l'appel de l'appelante avec dépens.

[10]      C'est dans ce contexte factuel que le juge Bowman a décidé de radier des actes de procédure l'allégation ayant trait à la dette fiscale du mari plutôt que d'accéder à la demande initiale du ministre de rejeter l'appel en entier.

[11]      L'appelante soutient maintenant devant nous que le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas le pouvoir de radier l'allégation étant donné qu'un tel redressement n'a pas été demandé par le ministre dans son avis de requête en vue de faire rejeter l'appel. Elle fait également valoir que le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas compétence en vertu des Règles 64, 96 et 110 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt pour radier une partie seulement de l'avis d'appel. De plus, elle demande l'annulation de l'ordonnance du juge de la Cour de l'impôt, ainsi que ses frais sur la base des frais entre procureur et client contre l'intimée devant la présente Cour et devant la Cour de l'impôt.

[12]      Bien que les prétentions de l'appelante puissent donner lieu à un débat théorique quant à la portée réelle ou prévue de ces Règles, on peut, néanmoins, y répondre de façon simple et pratique : la Cour de l'impôt a compétence inhérente pour prévenir un abus de ses procédures.

[13]      En fait, l'époque où une partie pouvait tendre un guet-apens à son adversaire ou le prendre par surprise est heureusement révolue, et une partie à une instance doit dévoiler les éléments de preuve qu'elle entend faire valoir et, en retour, elle a droit à ce que l'autre partie en fasse autant. Cette règle de pratique tout à fait saine a pour but d'assurer l'équité et la célérité des procédures. Aucun tribunal ne peut accepter qu'une partie ne se soumette pas à l'interrogatoire préalable, sans se justifier, ce qui pourrait causer un préjudice à l'autre partie ou retarder indûment les procédures et compromettre un règlement juste. La justice différée est souvent un déni de justice, surtout quand elle est différée sans justification.

[14]      En l'espèce, il y a de nombreux éléments de preuve pour appuyer la conclusion du juge selon laquelle le refus de l'appelante de se conformer rapidement et de façon appropriée à l'ordonnance de la Cour émise le 10 octobre 1997 ont entraîné des retards et causé un préjudice.

[15]      En fait, une semaine avant le début de l'instruction prévue pour le 8 juillet 1998, l'appelante ne s'était toujours pas conformée à son obligation de communication. Par conséquent, l'intimée n'était pas en position avant le début imminent de l'audience de répondre de façon adéquate à la prétention de l'appelante concernant la non-existence de la dette fiscale de son mari.

[16]      En outre, le refus de l'appelante de se conformer à l'ordonnance initiale et aux demandes subséquentes de se soumettre à un interrogatoire préalable a de façon inéquitable et injustifiée retardé la procédure. En fait, son avis d'appel est daté du 26 avril 1995. Aujourd'hui, presque quatre ans plus tard, l'audience n'a toujours pas eu lieu, laissant l'intimée dans une position tout aussi incertaine sur la question de la dette fiscale du mari qu'elle l'était le 26 avril 1995 quand l'appel a été formé. Il est vrai que l'appelante n'est pas seule responsable de tous les retards à mener la cause à l'instruction. Toutefois, le retard qui a entraîné l'abus de procédure lui est exclusivement imputable.

[17]      À notre avis, il y avait devant le juge de la Cour de l'impôt une preuve amplement suffisante pour lui permettre de conclure que l'appelante s'était délibérément dérobée à ses obligations concernant la communication des éléments sur lesquels elle comptait s'appuyer et qu'elle avait retardé la procédure.

[18]      Il est de droit constant qu'un abus de procédure peut, dans des circonstances appropriées, entraîner le rejet ou la suspension de l'instance. Le juge de la Cour de l'impôt était manifestement conscient que le rejet d'un appel est une solution draconienne et un recours ultime réservé aux cas exceptionnels ou à ceux pour lesquels il n'existe pas de solution de rechange ou de redressement moins rigoureux.

[19]      En l'espèce, nous sommes convaincus que le juge de la Cour de l'impôt a trouvé un redressement approprié qui assure l'équité aux deux parties et qui évite la sanction ultime contre la partie qui est en défaut. Il a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire et nous ne voyons absolument aucune raison d'intervenir. En fait, il a été généreux avec l'appelante.

[20]      En conclusion, nous aimerions faire quelques observations au sujet de la demande présentée par l'appelante pour obtenir les dépens sur la base des frais entre procureur et client.

[21]      L'octroi des dépens sur la base des frais entre procureur et client est exceptionnel et il se fonde généralement sur une inconduite liée à la poursuite du litige1. Par exemple, la présente Cour a accordé des dépens sur la base des frais entre procureur et client contre un appelant dont l'objectif était de retarder le règlement du litige et de ne pas obtenir justice2. En l'espèce, il est ironique que ce soit l'appelante, qui est responsable de l'abus de procédure devant la Cour de l'impôt et qui a intenté cet appel non fondé, et dont l'attitude est loin d'être irréprochable, qui demande ce type de frais contre la victime de l'abus de procédure qui s'est conformée à l'ordonnance de la Cour et qui s'est efforcée en vain d'exercer son droit d'interroger l'appelante.

[22]      Par ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens et la question est renvoyée au juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt avec instruction d'accélérer l'audition de l'appel formé par l'appelante dans le dossier no 95-1747(IT)G.

                             " Gilles Létourneau "

                            

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                          A-416-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              MARY ANN YACYSHYN,

     appelante,

                                 - et -

                             SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

DATE DE L'AUDIENCE :              LE JEUDI 11 FÉVRIER 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR      LE JUGE LÉTOURNEAU

Prononcés à Toronto (Ontario),

le jeudi 11 février 1999

ONT COMPARU :                      Derrick M. Fulton

                                 pour l'appelante

                             David W. Chodikoff

                                 pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Derrick M. Fulton

                             Avocat et procureur

                             390, rue Bay

                             Bureau 1515

                             Toronto (Ontario)

                             M5H 2Y2

                                 pour l'appelante

                             Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

                                 pour l'intimée


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 19990211

     Dossier : A-416-98

Entre :

MARY ANN YACYSHYN,

     appelante,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

__________________

1      Amway Corp c. La Reine (1986) 2 C.T.C. 339 (C.A.F.) ; Canada (Procureur général) c. Canada [1998] 1 C.F. 337 (C.F. 1re inst.) ; Puddister Trading Co. c. Canada (1996), 195 N.R. 155 (C.A.F.)

2      Canada c. Meyer [1993] 2 C.F. D-21 (C.A.F.)

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