Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181015


Dossier : A-407-17

Référence : 2018 CAF 189

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

MARY KWAN

 

 

appelante

 

 

et

 

 

BANQUE AMEX DU CANADA

 

 

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er octobre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20181015


Dossier : A-407-17

Référence : 2018 CAF 189

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

MARY KWAN

 

 

appelante

 

 

et

 

 

BANQUE AMEX DU CANADA

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie de l’appel du rejet par le juge Southcott (2017 CF 1053) de la demande de contrôle judiciaire présentée par Mary Kwan à l’encontre de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), fondée sur l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (LCDP), de la débouter de sa plainte déposée sous le régime de la LCDP. Nul ne conteste que la date de la lettre de décision de la CCDP, qui n’est pas datée, est le 23 mars 2017.

[2]  Dans la plainte qu’elle a déposée auprès de la CCDP, Mme Kwan a indiqué qu’à son avis, il y avait eu discrimination dans les domaines suivants :

  • biens, services, installations ou hébergement,
  • lignes de conduite discriminatoires,
  • harcèlement.

[3]  Elle a ajouté qu’à son sens, les motifs suivants de discrimination s’appliquaient :

  • race,
  • origine nationale ou ethnique,
  • couleur,
  • âge,
  • sexe (y compris la grossesse et l’accouchement),
  • état matrimonial.

[4]  Dans sa plainte, qui découle de sa demande de carte Or avec primes American Express, Mme Kwan a décrit ses divers échanges avec des représentants de la Banque Amex du Canada en août et en septembre 2015 en vue de l’obtention de cette carte. Elle s’est concentrée sur les discussions qu’elle a eues avec ces représentants et sur les mesures que la Banque Amex du Canada a prises pour confirmer son identité. Elle a fini par recevoir la carte à la fin de septembre 2015, puis l’a annulée environ un an plus tard, en octobre 2016.

[5]  Le juge de la Cour fédérale a examiné attentivement toutes les observations qui lui ont été présentées, puis a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Mme Kwan.

[6]  Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le présent appel.

I.  Questions en litige et normes de contrôle

[7]  Mme Kwan a certes soulevé un certain nombre de prétentions dans son mémoire et à l’audience, mais ses observations peuvent être classées en deux catégories. Tout d’abord, elle prétend que l’évaluateur a manqué de rigueur dans son examen. Par ailleurs, se pose la question juridique de savoir si la Banque Amex du Canada était tenue, avant d’émettre la carte, de confirmer l’identité de Mme Kwan conformément au Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, DORS/2002–184 (le Règlement).

[8]  Notre Cour est appelée à décider si le juge de la Cour fédérale a employé la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, par. 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559). Ainsi, notre Cour doit se mettre à la place du juge de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision de la CCDP (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, par. 247, [2012] 1 R.C.S. 23; Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126, par. 23, [2016] 1 R.C.F. 146).

[9]  Dans l’arrêt Keith c. Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117, notre Cour s’est penchée sur la question de la norme de contrôle à appliquer au contrôle judiciaire d’une décision de la CCDP de rejeter une plainte au titre de l’article 44 de la LCDP :

47  La décision de la Commission de rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi est une décision définitive qui intervient normalement dès les premières étapes, mais en pareil cas – contrairement à la décision par laquelle la Commission déclare la plainte irrecevable en vertu de l’article 41 –, la Commission rend sa décision à la lumière de l’enquête menée aux termes de l’article 43. Cette décision est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable, mais, ainsi qu’il a été précisé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59, et récemment réitéré dans l’arrêt Halifax, au paragraphe 44, la raisonnabilité constitue une notion unique qui « s’adapte » au contexte particulier. En l’espèce, la nature du rôle de la Commission et le rôle que joue la décision rendue en vertu de l’alinéa 44(3)b) dans le cas du processus prévu par la Loi constituent des aspects importants de ce contexte dont il faut en tenir compte pour l’application de la norme de la décision raisonnable.

48  À mon avis, la cour de révision devrait s’en remettre aux conclusions de fait tirées par la Commission à l’issue de l’enquête qu’elle mène aux termes de l’article 43 ainsi qu’aux conclusions de droit que la Commission tire dans le cadre de son mandat. Si elle juge ces conclusions raisonnables, la cour de révision doit ensuite se demander si le rejet de la plainte dès le début du processus, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, était une conclusion raisonnable à tirer compte tenu du fait que la décision de rejeter la plainte est une décision définitive qui empêche de poursuivre l’enquête ou l’examen de la plainte en vertu de la Loi.

[10]  Par conséquent, toute conclusion de fait de la CCDP et toute interprétation juridique relevant de son mandat commandent la déférence.

[11]  S’agissant de l’allégation de manquement à l’équité procédurale avancée par Mme Kwan, le rôle de la cour de révision en matière d’équité procédurale consiste simplement à vérifier si la procédure suivie était équitable, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire (Chemin de fer Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54, [2018] A.C.F. no 382 (QL) (Canadien Pacifique)).

II.  Analyse

[12]  À l’audition du présent appel, Mme Kwan a fait valoir qu’elle avait fait l’objet de vérifications supplémentaires de son identité parce qu’elle n’a pas voulu que la Banque Amex du Canada lui fasse parvenir dans l’avenir des documents de marketing. Toutefois, comme elle l’a fait remarquer, elle n’en a fait mention ni à l’évaluateur ni devant la Cour fédérale, mais cette question fait l’objet d’une instance différente devant un autre tribunal. Par conséquent, il n’en sera pas tenu compte dans le présent appel.

[13]  Mme Kwan a également fait valoir que le Règlement n’obligeait pas la Banque Amex du Canada à confirmer son identité. L’alinéa 54.1a) du Règlement est ainsi libellé :

54.1 Sous réserve des paragraphes 62(1) et (2) et de l’article 63, toute entité financière doit prendre les mesures suivantes :

54.1 Subject to subsections 62(1) and (2) and section 63, every financial entity shall

a) lorsqu’elle ouvre un compte de carte de crédit au nom d’une personne, vérifier l’identité de celle-ci conformément au paragraphe 64(1);

(a) if the financial entity opens a credit card account in the name of a person, ascertain their identity in accordance with subsection 64(1);

[14]  Bien qu’elle ait reconnu que la Banque Amex du Canada est une entité financière, Mme Kwan a affirmé avoir demandé une carte de paiement et non une carte de crédit. C’est pourquoi, à son avis, la Banque Amex du Canada n’était pas tenue de confirmer son identité de la manière prévue par le Règlement.

[15]  Toutefois, Mme Kwan n’a pas établi de lien entre la nécessité de vérifier son identité, prévue par le Règlement, et sa plainte de discrimination. Si nous admettons, sans toutefois nous prononcer sur la question, que l’article 54.1 du Règlement n’obligeait pas la Banque Amex du Canada à confirmer l’identité de Mme Kwan, il s’ensuivrait, non pas qu’il y a eu discrimination fondée sur les motifs invoqués par Mme Kwan dans sa plainte, mais que la Banque Amex du Canada appliquait une disposition alors qu’elle n’y était pas tenue. Rien n’indique que, s’agissant de son interprétation du Règlement, la Banque Amex du Canada a réservé à Mme Kwan un traitement différent de celui réservé à toute autre personne.

[16]  Mme Kwan a déclaré être partie à une autre instance portant sur une plainte d’atteinte à sa vie privée découlant des mesures prises par la Banque Amex du Canada pour confirmer son identité; l’interprétation du Règlement devrait s’inscrire dans le cadre de ce processus. Je soulignerais simplement que, bien que le terme « carte de crédit » ne soit pas défini dans le Règlement, le Canadian Oxford Dictionary, 2e édition, fournit les définitions suivantes :

[traduction]

Carte de paiement : Carte de crédit, en particulier une carte pour laquelle le solde du relevé de compte doit être réglé sur réception.

[…]

Carte de crédit : Carte émise par une banque ou une entreprise qui permet au titulaire d’obtenir des biens à crédit.

[17]  Les observations de Mme Kwan sur l’interprétation à donner au Règlement ne sont pas pertinentes en ce qui concerne la discrimination dont elle aurait été victime de la part de la Banque Amex du Canada pour l’un des motifs invoqués dans sa plainte, et je rejetterais son appel relativement à cette question.

[18]  En ce qui concerne la rigueur avec laquelle l’enquête a été menée, Mme Kwan fait mention des transcriptions des conversations qu’elle a eues avec les divers représentants de la Banque Amex du Canada, des méthodes que ceux-ci ont utilisées pour confirmer son identité et de la question de savoir si une case postale serait une adresse suffisante. Rien n’indique que les méthodes utilisées par la Banque Amex du Canada pour confirmer l’identité de Mme Kwan ou que la décision de la Banque de ne pas permettre à Mme Kwan d’utiliser une case postale comme adresse étaient fondées sur l’un des motifs de discrimination invoqués.

[19]  Les prétentions de Mme Kwan relatives aux transcriptions semblent avoir évolué pendant le déroulement de l’instance. Mme Kwan était en possession d’une copie des transcriptions de ses conversations avec les représentants de la Banque Amex du Canada lors de ses interactions avec l’évaluateur, mais elle n’a obtenu une copie des enregistrements sonores qu’une fois la cause devant la Cour fédérale. Même si elle n’avait pas de copie des enregistrements sonores, elle a fait valoir auprès de l’évaluateur de la CCDP que ce n’était pas sa voix sur l’enregistrement ayant servi à produire les transcriptions. L’évaluateur a confirmé que, selon lui, c’était bel et bien la voix de Mme Kwan.

[20]  Cet argument a été répété devant la Cour fédérale, qui l’a rejeté. Ni les transcriptions des enregistrements ni les enregistrements n’ont été présentés au juge de la Cour fédérale, qui a fait les observations suivantes au paragraphe 56 de ses motifs :

56  […] Comme l’a soutenu la défenderesse, la Cour ne s’est vu présenter aucune preuve sur les enregistrements audio hormis les conclusions de l’évaluateur. Si, après avoir reçu des copies des enregistrements, Mme Kwan avait relevé des écarts précis entre eux et les transcriptions à l’appui de sa thèse, ou si elle avait cerné des aspects des enregistrements qui attaquaient leur authenticité, je me serais attendu à ce qu’elle s’efforce d’ajouter cette preuve au dossier présenté à la Cour.

[21]  À l’audition du présent appel, Mme Kwan a soutenu pour la première fois que les enregistrements avaient été modifiés par la transposition de mots qu’elle avait utilisés dans une partie de la conversation dans sa réponse à des questions posées dans une autre partie de la conversation. Elle n’en a pas fait mention à l’évaluateur ni devant la Cour fédérale. Aucune preuve n’étaye cette prétention, qui ne constitue au final qu’une simple affirmation de Mme Kwan. Or, il ne suffit pas de simplement affirmer que les transcriptions ne sont pas exactes ou que les enregistrements sonores ont été modifiés.

[22]  En ce qui concerne l’équité procédurale, notre Cour a souligné, au paragraphe 56 de Canadien Pacifique, que la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité d’y répondre.

[23]  En l’espèce, le rapport d’évaluation de neuf pages rédigé par l’évaluateur est daté du 7 décembre 2016. Mme Kwan a présenté ses observations le 2 janvier 2017. L’avocat de la Banque Amex du Canada a présenté ses observations le lendemain, soit le 3 janvier 2017. Mme Kwan a présenté d’autres observations le 26 janvier 2017. Mme Kwan a eu la possibilité de répondre tant au rapport qu’aux observations de l’avocat de la Banque Amex du Canada avant que la CCDP ne décide de rejeter sa plainte le 23 mars 2017. Rien ne permet de conclure à un manquement à l’équité procédurale.

[24]  Par conséquent, je rejetterais le présent appel avec dépens fixés à 2 665 $.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Andrée Morin, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR FÉDÉRALE

LE 21 NOVEMBRE 2017 ET PORTANT LA RÉFÉRENCE 2017 CF 1053 (DOSSIER T‑528‑17)

DOSSIER :

A-407-17

 

 

INTITULÉ :

MARY KWAN c. BANQUE AMEX DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 15 octobre 2018

COMPARUTIONS :

Mary Kwan

POUR SON PROPRE COMPTE

Me W. David Rankin

Me Sven Poysa

POUR l’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r. l.

Toronto (Ontario)

POUR l’INTIMÉE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.