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Date : 20060308

Dossier : A-516-04

Référence : 2006 CAF 98

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

ENTRE :

DANNY GOLD

appelant

et

SERRATUS MOUNTAINS PRODUCTS LTD.

et

MOUNTAIN EQUIPMENT COOPERATIVE

intimées

Audience tenue à Montréal (Québec) le 7 février 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 8 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20060308

Dossier : A-516-05

Référence : 2006 CAF 98

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

ENTRE :

DANNY GOLD

appelant

et

SERRATUS MOUNTAINS PRODUCTS LTD.

et

MOUNTAIN EQUIPMENT COOPERATIVE

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF RICHARD

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]         La Cour est saisie de l'appel d'un jugement en date du 5 août 2004 (2004 CF 815) par lequel le juge Blais, de la Cour fédérale, a rejeté l'action en contrefaçon du brevet canadien 1,324,357 intentée par l'appelant.

[2]         L'appelant est un fabricant de gants. Il est l'inventeur et le titulaire du brevet canadien no 1,324,357 intitulé « mécanisme de fermeture » (le brevet 357), qui a été déposé au Canada le 24 mai 1989 sur le fondement d'une date de priorité remontant au 27 mai 1988 (concernant le brevet américain correspondant). Le brevet en litige, qui a été délivré le 16 novembre 1993, concerne un mécanisme de fermeture pour contenants à extrémité ouverte, en particulier des gants.

[3]         L'intimée Mountain Equipment Cooperative (MEC) vend au détail de l'équipement de plein air dont des gants et des mitaines pour des sports d'hiver comme le ski et le surf des neiges. L'intimée Serratus Mountain Products Ltd. (Serratus) était à l'époque des faits un fabricant d'équipement de plein air, et notamment de gants. C'était une filiale à cent pour cent de MEC.

[4]         Le principal moyen de défense invoqué par les intimées est le fait que si l'on l'interprète comme il se doit, le brevet ne s'applique pas aux mécanismes de blocage constitués d'un barillet de blocage à ressort monté à l'extérieur et que, par conséquent, il n'y a pas de contrefaçon.

[5]         Comme moyen de défense subsidiaire, les intimées invoquent ce qu'il est convenu d'appeler « le moyen de défense Gillette » qui a été élaboré dans l'arrêt Gillette Safety Razor Co. c. Anglo-American Trading Co. Ltd. (1913), 30 R.P.R. 465 (C.L.), et dont voici l'énoncé classique :

[TRADUCTION] Le moyen de défense suivant lequel la contrefaçon alléguée n'était pas nouvelle au moment où les lettres patentes ont été délivrées au demandeur est valide en droit et on pourrait parfois raccourcir considérablement les procès en matière de brevets et en diminuer les coûts si le défendeur présentait sa cause de cette façon, s'épargnant ainsi la peine de démontrer à quelle enseigne le demandeur loge : celle de l'invalidité ou celle de la non-contrefaçon.

Le « moyen de défense Gillette » a été invoqué dans la jurisprudence canadienne et il a été analysé récemment par la juge Sharlow, de notre Cour, dans l'arrêt Apotex Inc. c. AB Hassle, 2006 CAF 51.

[6]         Sur ce fondement, les intimées soutiennent que, si l'on devait l'interpréter de manière à englober le mécanisme de fermeture des intimées, le brevet serait invalide étant donné que les mécanismes de fermeture constitués de barillets de blocage munis de cordons de tension étaient utilisés commercialement longtemps avant que le brevet de l'appelant ne soit déposé.

[7]         Le juge de première instance a retenu le principal moyen de défense et a également expliqué que si le brevet avait été interprété de manière à englober le mécanisme de fermeture des intimées, l'action aurait échoué sur le moyen de défense subsidiaire.

NORME DE CONTRÔLE

[8]         Ainsi que la Cour l'a rappelé dans l'arrêt Elders Grain Co. Ltd. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 C.F. 367 (Elders Grain) (C.A.F.), le rôle des cours d'appel n'est pas de rédiger de meilleurs jugements que le juge de première instance, mais de contrôler les motifs du juge de première instance à la lumière des arguments des parties et de la preuve pertinente, tout en examinant les questions soulevées par l'appel.

[9]         La norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et les questions et les conclusions de fait ne sont pour leur part contrôlées que si l'on peut démontrer que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante, c'est-à-dire une erreur qui « donne lieu à la conviction rationnelle que le juge de première instance doit avoir oublié, négligé d'examiner ou mal interprété la preuve de telle manière que sa conclusion en a été affectée » [Van de Perre c. Edwards, [2001] 2 R.C.S. 1014, au paragraphe 15]. Une décision qui met en cause l'application d'un critère juridique à un ensemble de faits constitue une question mixte de fait et de droit. Elle est assujettie à la norme de l'erreur manifeste et dominante, à moins que le juge de première instance n'ait clairement commis une erreur de principe dissociable en déterminant la norme applicable ou en appliquant cette norme, auquel cas l'erreur peut constituer une erreur de droit (arrêt Elders Grain, précité).

[10]       Ainsi que le juge Stone, de notre Cour, l'a expliqué dans l'arrêt Canamould Extrusions Ltd. et al. c. Driangle Inc., 30 C.P.R. (4th) 129, l'interprétation des revendications du brevet est « une question de droit » ( Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 61), et la norme de contrôle est celle de la décision correcte ( Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8). La contrefaçon d'un brevet, par contre, est « une question mixte de droit et de fait » (Whirlpool, précité, au paragraphe 76), qui appelle le contrôle selon la norme de l'erreur manifeste et dominante ( Housen, précité, au paragraphe 31). Le breveté doit établir la contrefaçon par prépondérance de la preuve et, en appel, la norme de contrôle est celle de l'erreur manifeste et dominante [Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., [2004] A.C.F. no 266, au paragraphe 3 (C.A.)].

LE BREVET 357

[11]       Les éléments essentiels du brevet 357 sont exposés dans les revendications 1, 17, 33 et 36. Le brevet 357 est un brevet de combinaison qui porte sur un mécanisme de fermeture pour contenants à extrémité ouverte, en particulier des gants, sacs à main, sacs à dos et autres articles similaires comportant une partie à extrémité ouverte tubulaire.

[12]       L'invention se caractérise par l'utilisation d'un cordon extensible logé dans un ourlet ouvert disposé à proximité du périmètre ou de la circonférence de la partie ouverte ou de l'ouverture tubulaire. L'étirement et le relâchement du cordon extensible a pour effet de modifier la section transversale, ce qui permet de fermer ou d'ajuster l'ouverture de contenants à extrémité ouverte ou de gants.

[13]       L'étirement et le relâchement du cordon extensible lui permet de glisser librement à l'intérieur de l'ourlet, ce qui entraîne la réduction et la fermeture de l'ouverture tubulaire à laquelle il est attaché. Le fait de relâcher le cordon extensible amène celui-ci à reprendre la section transversale non étirée, ce qui entraîne le blocage du cordon extensible dans l'ouverture et maintient l'ouverture en position fermée.

INTERPRÉTATION DU BREVET

[14]       Le juge de première instance a estimé qu'il n'était pas tenu d'accepter le témoignage de l'un ou l'autre des témoins experts parce que c'est au juge et à lui seul qu'il incombe d'interpréter le brevet.

[15]       Le juge de première instance a rappelé à juste titre que les décisions de principe en matière d'interprétation des brevets sont les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024 (Free World Trust), et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 (Whirlpool no 2). Il a appliqué à la question en litige en l'espèce plusieurs des principes établis dans ces arrêts :

a) Les revendications sont interprétées de manière à donner effet à l'objet de l'invention;

b) Il y a lieu de reconnaître la primauté de la teneur des revendications;

c) Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou est omis;

d) L'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir; et

e) Ce qui n'est pas revendiqué doit être considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation.

[16]       Le juge de première instance a ensuite appliqué ces principes à l'interprétation des revendications du brevet en cause et notamment à la revendication 17, qui est la revendication indépendante relative aux gants. Voici ce qu'il a conclu :

[37]       Les deux parties conviennent que les revendications indépendantes, l'essence du brevet, sont comprises dans les revendications 1, 17, 33 et 36. Ces quatre revendications décrivent toutes un mécanisme de fermeture selon lequel un cordon extensible à l'intérieur d'un ourlet sort par deux ouvertures situées près l'une de l'autre ou au moins par une ouverture. Dans chaque cas, le cordon extensible a, lorsque étiré, une section transversale inférieure à celle de l'ouverture et, lorsque non étiré, une section transversale supérieure à celle de l'ouverture. Pour les fins de la discussion, la revendication 17 applicable aux gants est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

17. Mécanisme de fermeture de gant comprenant ce qui suit : un ourlet formant un passage à l'ouverture du gant, ou près de celle-ci, ayant une longueur à l'état ouvert correspondant à la distance ouverte autour de l'ouverture pour la main, l'ourlet ayant une section transversale et se terminant par deux ouvertures rapprochées présentant une section transversale;

Cordon extensible, à l'intérieur de l'ourlet, sortant par les deux ouvertures et ayant une section transversale non étirée [sic] et une section transversale étirée [sic], la section transversale non étirée étant supérieure à celle du cordon étiré et de l'ouverture;

Le fait de tirer sur la partie du cordon extensible sortant par les deux ouvertures a pour effet que le cordon extensible adopte la section transversale étirée près d'au moins une ouverture pour glisser librement à l'intérieur de l'ourlet; le dégagement du cordon extensible a pour effet que ce dernier adopte la section transversale non étirée [sic] près des deux ouvertures, ce qui entraîne le blocage du cordon extensible dans les ouvertures, le raccourcissement de l'ourlet à une distance fermée inférieure à la longueur à l'état ouvert ainsi que la retenue de l'extrémité libre en position fermée.

[38]       Le principe de l'invention est que le cordon lui-même, en revenant à sa position non étirée, prend de l'expansion et remplit l'ouverture, ce qui entraîne le blocage de l'ouverture tubulaire réduite. Le seul mécanisme de fermeture existant constitue l'action du cordon extensible prenant de l'expansion lorsqu'il revient à son état non étiré.

[17]       L'interprétation du brevet à laquelle le juge de première instance s'est livré reposait sur la teneur du brevet. Le juge de première instance a reconnu qu'un des éléments essentiels du brevet 357 était l'existence d'un mécanisme de fermeture caractérisé par l'utilisation d'un cordon extensible et qui dépendait de la relation entre la surface de la section transversale du dispositif de tension et la surface de la section transversale de l'ouverture de l'ourlet.

CONTREFAÇON

[18]       La Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, ne définit pas la contrefaçon. Il est toutefois de jurisprudence constante que la contrefaçon se définit comme tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet. Ce monopole tire son origine de la loi [Schmeiser c. Monsanto Canada Inc., [2004] 1 R.C.S. 902, aux paragraphes 34 et 35, cité par R.T. Hughes et J.H. Woodley dans leur ouvrage Hughes and Woodley on Patents, 2e éd. (Toronto, LexisNexis Canada Inc., 2005), Part I, c. D, § 38, paragraphe 1]. Par monopole, on entend le droit, le privilège et la faculté exclusifs de fabriquer, de réaliser, d'utiliser, de vendre et d'importer l'invention [Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (no 1), [1990] A.C.F. no 530, [1990] 3 C.F. 528 (C.F. 1re inst.), cité dans Hughes and Woodley on Patents, idem].

[19]       Le juge de première instance a appliqué les bons principes en matière de contrefaçon de brevet. Il a déclaré :

[46]       Dans une action en contrefaçon de brevet, le demandeur doit démontrer qu'il y a eu contrefaçon en interprétant le brevet et ses revendications. Autrement dit, il doit être clair que la défenderesse a utilisé son invention. La défense peut soit nier la similarité de son produit au produit breveté, soit démontrer l'invalidité du brevet en raison de l'évidence ou de l'art antérieur.

[20]       Il a expliqué ce qui suit :

[49]       Les revendications renvoient à un mécanisme de fermeture simple, selon lequel la section transversale non étirée d'un cordon extensible étant supérieure à celle des ouvertures d'où il sort, ou supérieure à la section transversale des pièces rapportées ajoutées à l'intérieur de l'ourlet, entraîne une action de blocage lorsque l'ouverture tubulaire de l'ourlet est réduite lorsque le cordon est tiré. Fondamentalement, il s'agit d'un système de cordon de serrage élastique dont la fermeture est maintenue alors que le cordon élastique remplit l'espace où il glisse lorsque étiré.

[21]       Il a conclu ce qui suit :

[50]       Nulle part dans les revendications ni dans la divulgation ne fait-on mention d'un autre dispositif pour produire l'effet de blocage. Ce blocage dépend de l'expansion du cordon lorsque ce dernier revient à l'état non étiré. Je crois qu'un important principe énoncé au paragraphe 42 de l'arrêt Whirlpool, précité, mérite d'être répété à ce stade-ci :

La règle habituelle veut que ce qui n'est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation.

[22]       Le juge de première instance a rejeté les arguments de l'appelant suivant lesquels : a) le barillet de blocage à ressort fait effectivement partie de l'ourlet; b)    le système de blocage dépend aussi de l'expansion et de la contraction du cordon élastique; et c) le barillet de blocage peut être intégré à la pièce rapportée visée par le brevet.

[23]       Le juge a conclu que les gants des intimées ne peuvent être visés par le brevet puisque leur mécanisme de fermeture possède une structure différente et fonctionne différemment. En concluant à l'absence de contrefaçon, le juge de première instance n'a commis aucune erreur manifeste ou dominante.

[24]       Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner le moyen de défense subsidiaire invoqué par les intimées et connu sous le nom de « moyen de défense Gillette » .

[25]       L'appel sera par conséquent rejeté, avec un seul mémoire de dépens en faveur des intimées.

« J. Richard »

Juge en chef

« Je souscris aux présents motifs

            Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

            M. Nadon, juge »

______________________________________________________________________________

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-516-04

INTITULÉ :                                                                            DANNY GOLD c.

                                                                                                SERRATUS MOUNTAINS PRODUCTS LTD. ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 7 FÉVRIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE EN CHEF RICHARD

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE NADON

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 8 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Jacques A. Léger, Alexandra Steele

POUR L'APPELANT

John J.L. Hunter

POUR LES INTIMÉES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacques A. Léger - Montréal (Québec)

LÉGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L.

POUR L'APPELANT

John J.L. Hunter - Vancouver (Colombie-Britannique) HUNTER VOITH LAW CORPORATION

POUR LES INTIMÉES

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