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Date : 20181022


Dossier : A-43-18

Référence : 2018 CAF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 octobre 2018

CORAM :  LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

ENTRE :

ARKIPELAGO ARCHITECTURE INC.

appelante

et

ENGHOUSE SYSTEMS LIMITED, ENGHOUSE NETWORKS LIMITED, STEPHEN J. SADLER et DOUGLAS BRYSON

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 octobre 2018.

Jugement prononcé à l’audience, à Toronto (Ontario), le 22 octobre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20181022


Dossier : A-43-18

Référence : 2018 CAF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 octobre 2018

CORAM :  LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

ENTRE :

ARKIPELAGO ARCHITECTURE INC.

appelante

et

ENGHOUSE SYSTEMS LIMITED, ENGHOUSE NETWORKS LIMITED, STEPHEN J. SADLER et DOUGLAS BRYSON

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 22 octobre 2018).

LE JUGE RENNIE

[1]  Arkipelago Architecture Inc. (Arkipelago) appelle d’une ordonnance de la Cour fédérale (2018 CF 37, rendue par la juge Roussel) ayant rejeté son appel d’une ordonnance de consultation restreinte « aux avocats et aux experts » (l’ordonnance de consultation restreinte) rendue par la protonotaire Aylen à titre de juge responsable de la gestion de l’instance. Aux termes de cette ordonnance, le président et seul employé d’Arkipelago, M. O’Hara, ne serait pas autorisé à consulter les renseignements qui, selon les intimés, sont réservés aux « avocats et aux experts, c’est-à-dire strictement confidentiels ».

[2]  Nous sommes d’avis de rejeter l’appel.

[3]  La demande des intimés en vue de l’obtention d’une ordonnance de consultation restreinte fait suite à une requête d’Arkipelago demandant l’accès à certains renseignements confidentiels, notamment le code source informatique, les renseignements sur les clients et les ententes conclues avec eux ainsi que les renseignements financiers.

[4]  La juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que la nature très délicate de ces renseignements en justifiait la protection au moyen d’une ordonnance de consultation restreinte. Elle était convaincue que la possibilité que M. O’Hara utilise inconsciemment ou par inadvertance les renseignements confidentiels obtenus au cours de l’instance dans le cadre d’activités commerciales futures représentait un risque réel et important étayé par la preuve.

[5]  La juge responsable de la gestion de l’instance n’était pas non plus convaincue par les « simples affirmations » d’Arkipelago selon lesquelles il fallait que M. O’Hara obtienne ces renseignements pour donner des instructions adéquates à son avocat, concluant que si Arkipelago n’employait pas de conseiller juridique, M. O’Hara pouvait néanmoins pallier ce désavantage en retenant les services d’experts qui seraient admis à consulter les renseignements confidentiels. Il demeurait aussi loisible à M. O’Hara de transmettre les renseignements à des experts qui pourraient aider ces derniers dans leur analyse.

[6]  Saisie de l’appel devant la Cour fédérale, la juge Roussel a conclu que la juge responsable de la gestion de l’instance avait énoncé les bons principes juridiques régissant le prononcé d’ordonnances de consultation restreinte et les avait appliqués correctement. La juge était convaincue que l’ordonnance et les motifs établissaient un juste équilibre entre la capacité d’Arkipelago de présenter sa preuve et la protection des renseignements très confidentiels des intimés. Selon elle, aucune erreur manifeste et dominante ne justifiait une intervention.

[7]  L’appelante soulève deux arguments devant nous. Premièrement, elle soutient que la Cour fédérale n’a pas arrêté le bon critère pour décider s’il y a lieu de prononcer une ordonnance de consultation restreinte. Deuxièmement, la Cour aurait mal apprécié la preuve lorsqu’elle a conclu que l’ordonnance de consultation restreinte devait être confirmée.

[8]  La question de savoir si la juge de la Cour fédérale a arrêté le bon critère pour décider si l’ordonnance de consultation restreinte était justifiée constitue une question de droit qu’il est possible d’isoler à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. La deuxième question, à savoir si la preuve satisfait à ce critère, est manifestement une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[9]  Abordons la première question. Arkipelago soutient que la Cour fédérale, en acceptant que l’emploi non autorisé inconscient ou involontaire suffise à justifier une ordonnance de consultation restreinte, a adopté un critère de risque inférieur à ce qui est requis ou qui, à lui seul, n’autorise pas une telle ordonnance. La preuve doit plutôt établir l’existence de « circonstances exceptionnelles » qui justifieraient l’ordonnance extraordinaire de consultation restreinte « aux avocats » (Bard Peripheral Vascular Inc. c. W.L. Gore & Associates, Inc., 2017 CF 585, par. 15 [Bard]).

[10]  Les intimés, pour leur part, soutiennent que le simple risque peut être suffisant pourvu que la preuve démontre que le risque est réel et important et qu’il ne constitue pas simplement une préoccupation généralisée (Rivard Instruments, Inc. c. Ideal Instruments Inc., 2006 CF 1338, par. 1 et 2 [Rivard]; Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 412, par. 19 [Lundbeck]).

[11]  Il ressort de la jurisprudence que de telles ordonnances ne devraient être accordées que dans des circonstances exceptionnelles (Bard, par. 15; Lundbeck, par. 14; Rivard, par. 37; Angelcare Development Inc. c. Munchkin, Inc., 2018 CF 447, par. 21 et 22). Or, il n’y a pas de définition complète des « circonstances exceptionnelles »; chaque affaire doit donc être tranchée sur le fond. S’il est question du préjudice causé à un intérêt commercial, une ordonnance de consultation restreinte est justifiée lorsque la communication des renseignements confidentiels en cause « menace gravement » l’intérêt en question et que le risque est « réel et importante, en ce qu’il est bien étayé par la preuve » (Bard, par. 16; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [2002] 2 R.C.S. 522, par. 54 [Sierra Club]).

[12]  Compte tenu de la jurisprudence qui précède, nous ne sommes pas convaincus que la décision de la juge de la Cour fédérale rompt avec la jurisprudence antérieure et établit une norme de preuve différente. Au contraire, la Cour fédérale et la juge responsable de la gestion de l’instance ont, chacune de leur côté, énoncé la norme juridique correcte qui s’applique à la délivrance d’une ordonnance de consultation restreinte.

[13]  De plus, nous sommes également d’accord avec les intimés pour dire que l’appelante invoque à tort l’affaire Pharmascience Inc. c. Glaxosmithkline Inc, 2007 FC 360 [Pharmascience]. L’appelante soutient que cette décision appuie la thèse selon laquelle la « craint[e] des abus » n’est pas suffisante. Toutefois, la décision indique qu’une ordonnance de consultation restreinte ne doit pas être accordée « simplement au motif qu’[on] craint des abus » (Pharmascience, par. 1). À la lumière du contexte, cette décision cadre avec la thèse des intimés ‑ et avec les décisions mentionnées plus haut ‑ voulant que la simple crainte ne suffise pas : le risque doit être réel et important et étayé par la preuve.

[14]  Passons à la question de savoir si la Cour a commis une erreur dans son appréciation de la preuve en concluant qu’il avait été satisfait au critère. Comme il est précisé plus haut, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[15]  L’appelante soutient que le risque d’utiliser à des fins non permises, inconsciemment ou par inadvertance, des renseignements confidentiels ne justifie pas l’ordonnance de consultation restreinte. De l’avis de l’appelante, un tel risque est inhérent à presque tous les litiges en matière de propriété intellectuelle et, s’il était jugé suffisant, emporterait le prononcé d’ordonnances de consultation restreinte dans tous les cas. L’appelante affirme en outre que la Cour fédérale n’a pas tenu compte de sa preuve portant que la communication des renseignements confidentiels était nécessaire pour permettre à M. O’Hara de prendre des décisions éclairées et de donner des directives adéquates à son avocat. Sur ce point, l’appelante souligne l’importance de la relation avocat-client et du droit inhérent d’une partie de participer au processus judiciaire.

[16]  À notre avis, aucune erreur manifeste et dominante ne justifie l’intervention de la Cour. Nous estimons ‑ sur le fondement de l’observation de la juge selon laquelle l’appelante n’a pas précisé en quoi les renseignements confidentiels des intimés lui sont nécessaires pour donner des instructions à son avocat ‑ que les prétentions de l’appelante ne constituent rien de plus que de simples affirmations conjecturales. Dans le même ordre d’idées, la conclusion de la juge selon laquelle le risque qui découle de la communication de renseignements est réel et important était raisonnable et il lui était loisible d’y arriver à la lumière de la preuve dont elle disposait. La juge a souligné que M. O’Hara était le seul employé de l’appelante et l’âme dirigeante de ses décisions d’affaires et de la mise au point de ses produits. La juge avait des motifs valables de croire qu’il serait difficile, voire totalement artificiel, de s’attendre à ce que M. O’Hara fasse fi de ces renseignements. Compte tenu du petit marché très concurrentiel dans lequel les deux parties évoluent, la communication de ces renseignements aurait des répercussions évidentes et importantes sur les intimés.

[17]  Enfin, l’argument de l’appelante selon lequel l’ordonnance nuit à la relation avocat-client n’est pas fondé. Selon sa conclusion logique, la thèse de l’appelante signifierait qu’aucune ordonnance de consultation restreinte ne serait jamais accordée. Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus que toute préoccupation relative à la capacité d’un avocat de traiter adéquatement les renseignements confidentiels est atténuée par le mécanisme de contestation prévu dans l’ordonnance de consultation restreinte dans les cas où l’avocat croit qu’il est nécessaire de communiquer un document ou des renseignements particuliers à M. O’Hara.

[18]  Enfin, l’appelante soulève devant nous un nouvel argument : la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d’envisager que, si l’appelante a gain de cause dans l’action en contrefaçon, les intimés seront privés d’un intérêt légitime à la protection des renseignements confidentiels, car ils ne seraient plus concurrentiels dans le secteur. L’appelante fait valoir que le prononcé de l’ordonnance de consultation restreinte présuppose que le logiciel des intimés n’enfreint pas le droit d’auteur, ce qui n’a pas encore été décidé. Selon les intimés, aucune raison ne permet à la Cour d’accepter cette présomption, et l’appelante n’en avance aucune.

[19]  Nous partageons l’avis des intimés. En effet, nous notons que l’argument de l’appelante s’applique tout autant dans l’autre sens; si la Cour ajoutait foi aux prétentions de cette dernière, elle présupposerait que le logiciel des intimés enfreint le droit d’auteur.

[20]  Par conséquent, nous rejetons l’appel, avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-43-18

APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE ROUSSEL DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉ DU 15 JANVIER 2018, DANS LE DOSSIER Nº T-645-16

 

INTITULÉ :

ARKIPELAGO ARCHITECTURE INC. c. ENGHOUSE SYSTEMS LIMITED, ENGHOUSE NETWORKS LIMITED, STEPHEN J. SADLER et DOUGLAS BRYSON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 OCTOBRE 2018

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE RENNIE

COMPARUTIONS

John C. Cotter

PPour l’appelante

John Simpson

Shan Arora

 

PPour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

OSLER, HOSKIN & HARCOURT LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

SHIFT LAW

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

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