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Date : 20181026


Dossier : A-136-17

Référence : 2018 CAF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ELENA KLEVTSOV

défenderesse

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 octobre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB
LE JUGE LASKIN

 


Date : 20181026


Dossier : A-136-17

Référence : 2018 CAF 196

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ELENA KLEVTSOV

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Le 9 octobre 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a remis à la défenderesse un avis de violation lui imposant une pénalité de 800 $ pour l’importation de fruits au Canada, en l’occurrence dix pommes, sans les déclarer comme l’exige l’article 39 du Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95-212 (le Règlement). Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a examiné les faits, puis il a confirmé l’avis de violation.

[2]  Mme Klevtsov a interjeté appel de la décision du ministre confirmant l’avis de violation devant la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) au titre de l’article 12 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (L.C. 1995, ch. 40) (la Loi).

[3]  Pour les motifs exposés dans la décision Klevtsov c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CRAC 10, la Commission a accueilli la demande de Mme Klevstov. S’appuyant sur le récit des faits de la défenderesse, dans lequel celle-ci raconte avoir chuté dans un escalier avant de monter à bord d’un vol de Moscou à Toronto, ainsi que sur les éléments de preuve d’ordre médical fournis par des médecins de Toronto semblant montrer que la défenderesse avait subi une blessure à la tête, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’application du moyen de défense reconnu en common law de l’automatisme se justifiait et a annulé la décision du ministre.

[4]  Le procureur général du Canada demande à la Cour d’annuler la décision de la Commission.

[5]  Les violations de l’article 39 du Règlement sont régies par la Loi. Les violations à la Loi sont des infractions de responsabilité absolue. L’infraction s’établit sur la seule preuve de l’acte prohibé ou l’actus reus. L’erreur de fait et la prise des mesures nécessaires ne peuvent pas constituer des moyens de défense. Il existe toutefois des moyens de défense reconnus en common law, comme la nécessité, l’aliénation mentale et l’abus de procédure : Agence des services frontaliers du Canada c. Castillo, 2013 CAF 271, au paragraphe 21, 455 N.R. 50; Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152, 312 D.L.R. (4th) 142. Les paragraphes 18(1) et (2) de la Loi le disent clairement :

Exclusion de certains moyens de défense

Certain defences not available

18 (1) Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

18 (1) A person named in a notice of violation does not have a defence by reason that the person

(a) exercised due diligence to prevent the violation; or

(b) reasonably and honestly believed in the existence of facts that, if true, would exonerate the person.

Principes de la common law

Common law principles

18 (2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi agroalimentaire s’appliquent à l’égard d’une violation sauf dans la mesure où ils sont incompatibles avec la présente loi.

18 (2) Every rule and principle of the common law that renders any circumstance a justification or excuse in relation to a charge for an offence under an agri-food Act applies in respect of a violation to the extent that it is not inconsistent with this Act.

[6]  Par conséquent, les troubles mentaux, y compris l’automatisme, constituent des moyens de défense qu’il est possible d’invoquer.

[7]  La question de savoir si le juge a établi l’existence des éléments constitutifs du moyen de défense en est une de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Vorobyov c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire)), 2014 CAF 102, au paragraphe 28, 459 N.R. 134). En l’espèce, la Commission ne s’est pas penchée sur les éléments relatifs à la preuve et les éléments juridiques qui doivent être établis pour que l’on puisse conclure à l’applicabilité de la défense d’automatisme.

[8]  L’automatisme a été décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290 (l’arrêt Stone), au paragraphe 156, comme étant « un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actes ». Parmi les éléments déclencheurs possibles de l’automatisme figurent le somnambulisme, les coups à la tête et les chocs psychologiques sévères.

[9]  Il faut satisfaire à deux critères pour conclure à l’applicabilité de la défense. Premièrement, le défendeur doit alléguer le caractère involontaire de l’acte et, deuxièmement, une preuve psychiatrique doit confirmer l’allégation. La Cour est claire : l’exigence de la preuve d’expert en psychiatrie à l’appui de l’allégation s’applique « dans tous les cas » (arrêt Stone aux paragraphes 163 et 187 à 188), et les vrais cas d’automatisme sont « extrêmement rares » (arrêt Stone, au paragraphe 180). Pour déterminer si la preuve justifie que soit appliqué ce moyen de défense, il faut également tenir compte d’autres facteurs pertinents comme l’intensité de l’élément déclencheur, le témoignage corroborant d’observateurs, des antécédents médicaux d’états de dissociation et l’existence d’un mobile. Aucun facteur n’est déterminant à lui seul.

[10]  Il n’a été satisfait à ni l’un ni l’autre des critères en l’espèce.

[11]  La défenderesse n’a pas invoqué le caractère involontaire de son acte, mais a plutôt témoigné devant la Commission qu’elle avait [traduction] « oublié » qu’elle avait des pommes (dossier d’appel, vol. 1, p. 224). Invoquer l’oubli revient simplement à invoquer une erreur de fait, un moyen dont la défenderesse ne peut se prévaloir.

[12]  Deuxièmement, les dossiers médicaux sur lesquels la Commission s’est appuyée ne constituent pas des éléments de preuve psychiatrique au sens de l’arrêt Stone. Les dossiers ne proviennent pas d’experts en psychiatrie. Rien ne montre que les médecins qui ont évalué la défenderesse ont effectué les tests psychiatriques appropriés pour détecter l’automatisme ou qu’ils ont tiré une conclusion quant à l’état mental de la défenderesse au moment de l’infraction. Ils ne font aucune observation sur les facteurs contextuels pertinents. Ils n’abordent tout simplement pas la question de savoir si la défenderesse était dans un état de dissociation du type de l’automatisme au moment en cause.

[13]  La preuve psychiatrique est une exigence cruciale. Celle-ci découle de la simple observation que les tribunaux, et la plupart des organismes administratifs, ne sont pas composés d’experts en médecine. Sans témoins experts qualifiés, ces instances ne sont pas compétentes pour tirer des conclusions sur l’état physique ou mental d’une personne, particulièrement en ce qui concerne les troubles dissociatifs complexes. Faute de tels éléments de preuve, la décision de la Commission ne peut être maintenue.

[14]  La défenderesse n’a pas affirmé qu’elle n’avait pas la maîtrise de ses actes au moment de l’infraction alléguée. Après s’être blessée, elle a pris la décision de monter à bord de l’avion plutôt que de manquer son vol. Arrivée à l’aéroport international Pearson, elle a rempli la carte de déclaration douanière, a récupéré ses bagages, puis a discuté avec une agente de l’ASFC. Dans ses notes au sujet de sa conversation avec la défenderesse, l’agente ne mentionne aucunement que la défenderesse était incohérente ou désorientée. Tous ces éléments de preuve seraient importants et pertinents pour l’expert qualifié devant dire si, à son avis, la défenderesse se trouvait dans un état d’automatisme.

[15]  Pour les motifs qui précèdent, la Commission n’a pas appliqué correctement la méthode relative à la défense d’automatisme établie dans l’arrêt Stone et, ce faisant, a commis une erreur en concluant que la défenderesse l’invoquait à juste titre en l’espèce.

[16]  J’accueillerais donc la demande et j’annulerais la décision de la Commission. Étant donné que la Commission ne pouvait tirer qu’une seule conclusion à partir du dossier dont elle était saisie, je ne renverrais pas l’affaire et je rétablirais plutôt la décision du ministre confirmant l’avis de violation du 9 octobre 2015.

[17]  Dans les circonstances, je n’accorderais pas de dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE À L’ÉGARD D’UNE DÉCISION DE LA COMMISSION CANADIENNE DE RÉVISION AGRICOLE DATÉE DU 27 MARS 2017 DANS LE DOSSIER CART/CRAC-1907 (2017 CRAC 10)

DOSSIER :

A-136-17

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. ELENA KLEVTSOV

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 26 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Jon Bricker

POUR LE DEMANDEUR

Elena Klevtsov

DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

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