Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20040924

Dossier : A-603-03

Référence : 2004 CAF 319

Présent :          LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

                                                             ADIL CHARKAOUI

                                                                                                                                             Appelant

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                            ET

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                Intimés

            Audience tenue par conférence téléphonique à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2004.

                              Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2004.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040924

Dossier : A-603-03

Référence : 2004 CAF 319

Présent :          LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE :

                                                             ADIL CHARKAOUI

                                                                                                                                             Appelant

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                            ET

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                Intimés

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                Le requérant, Adil Charkaoui, fait l'objet d'un certificat de sécurité émis en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chap. 27 (Loi). Il y est allégué que M. Charkaoui est une personne visée par les alinéas 34(1)c), 34(1)d) et 34(1) f) de la Loi, bref qu'il est impliqué dans le terrorisme, qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale et que seul ou comme membre d'une organisation, il se livre, s'est livré ou se livrera à des actes de terrorisme. L'effet de ce certificat est de lui interdire accès et séjour sur le territoire canadien.

[2]                Il a été arrêté en vertu d'un mandat d'arrestation en mai 2003, mandat autorisé par l'article 82 de la Loi. Il est détenu depuis.

[3]                La Cour fédérale a été requise de décider, conformément à l'article 80 de la Loi, du caractère raisonnable du certificat. Le requérant a fait valoir des objections préliminaires à la tenue de l'audience sur la raisonnabilité du certificat. Il a soulevé, par requête, l'inconstitutionnalité des articles 33 et 77 à 85 de la Loi relatifs à l'arrestation, la détention, la révision de celle-ci ainsi que la révision du certificat. Il n'est pas nécessaire d'épiloguer plus longuement sur cette question d'inconstitutionnalité, sauf à dire que, par décision rendue le 5 décembre 2003, le juge chargé d'entendre la requête a conclu à la constitutionnalité de ces dispositions et a rejeté la requête de M. Charkaoui. Cette décision du juge des requêtes a été portée en appel et le dossier est prêt pour audition. D'ailleurs, dans la requête dont je suis saisi aujourd'hui, le requérant demande que son appel soit entendu par préférence. Je reviendrai plus tard sur cette demande.


[4]                Les objections préliminaires de M. Charkaoui rejetées, l'audition concernant la raisonnabilité du certificat devait se tenir les 20, 21 et 22 septembre 2004. Par ordonnance rendue le 15 septembre 2004, elle fut reportée aux 22, 23, 24, 25 et 26 novembre prochain. Puis fut fixée au 13, 14, 15, 16 et 17 décembre, si nécessaire, l'audition relative à la légalité de la décision sur la demande de protection faite par le requérant.

[5]                L'objectif principal de la requête qui m'est soumise se rapporte à ces audiences prévues pour novembre et décembre prochain. Le requérant demande à cette Cour d'émettre une ordonnance les suspendant temporairement jusqu'à ce que l'appel au mérite de la décision du 5 décembre de la Cour fédérale soit entendu et décidé.

[6]                Au soutien de sa demande, le requérant soumet que son appel risque de devenir inefficace ou inutile si une suspension temporaire des audiences en Cour fédérale n'est pas ordonnée. Il en subira un préjudice irréparable, dit-il, et, si on fait le poids des inconvénients entre ceux engendrés par une absence de suspension et ceux découlant d'une suspension temporaire, la balance penche en sa faveur.

La Cour d'appel a-t-elle compétence en l'espèce pour ordonner de surseoir temporairement aux audiences en Cour fédérale jusqu'au jugement de la Cour d'appel dans l'affaire dont elle est saisie?


[7]                Les intimés soutiennent que la Cour d'appel n'a pas compétence pour accorder la demande de sursis parce qu'il n'y a pas eu appel de l'ordonnance fixant les dates d'audition. Ils prennent appui sur la Règle 398 des Règles de la Cour fédérale, 1998 que je reproduis mais qui, dans son essence, énonce que c'est la Cour qui a rendu l'ordonnance qui peut y surseoir si l'ordonnance n'a pas été portée en appel :

398. (1) Sursis d'exécution - Sur requête d'une personne contre laquelle une ordonnance a été rendue :

a) dans le cas où l'ordonnance n'a pas été portée en appel, la section de la Cour qui a rendu l'ordonnance peut surseoir à l'ordonnance;

b) dans le cas où un avis d'appel a été délivré, seul un juge de la section de la Cour saisie de l'appel peut surseoir à l'ordonnance.

398. (1) Stay of order - On the motion of a person against whom an order has been made,

(a) where the order has not been appealed, the division of the Court that made the order may order that it be stayed; or

(b) where a notice of appeal of the order has been issued, a judge of the division of the Court that is to hear the appeal may order that it be stayed.

[8]                L'alinéa 50(1)b) de la loi qui nous régit, la Loi sur les cours fédérales, accorde à la Cour d'appel le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige. Avec respect, je ne crois pas que la Règle 398 qui détermine la procédure à suivre en matière de sursis dépouille la Cour d'appel fédérale de son pouvoir de suspendre une procédure si l'intérêt de la justice l'exige. Si un appel pendant devant elle devait être rendu inutile, futile ou illusoire par suite du déroulement d'une procédure devant un tribunal fédéral ou la Cour fédérale, je crois sans l'ombre d'un doute que notre Cour peut ordonner un sursis de cette procédure afin d'éviter que sa compétence d'appel et son processus ne soient frustrés au détriment des parties en appel, particulièrement la partie appelante.


[9]                  Récemment, dans l'affaire Genex Communications Inc. c. Le Procureur général du Canada et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2004 CAF 279, notre Cour, dans un jugement unanime, a évoqué la plénitude de sa compétence pour prendre des mesures provisoires nécessaires pour éviter que l'appel d'une partie ne soit rendu illusoire. Au paragraphe 3 de la décision, on peut lire :

Étant donné la plénitude de compétence de la Cour fédérale et sa compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux (Canada (CDP) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, paragraphes 35 et 36), notre Cour a compétence pour prendre des mesures provisoires pour permettre que, dans l'exercice de sa fonction de contrôle des tribunaux et des organismes administratifs, l'appel d'une partie ne soit pas rendu illusoire.

[10]            Quoique rendu dans le contexte du pouvoir de surveillance des tribunaux administratifs, le principe que dégage cette décision, à mon humble avis, déborde ce contexte et rejoint la généralité et la portée du pouvoir discrétionnaire conféré par l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur les cours fédérales : tout comme la Cour d'appel peut prendre des mesures pour contrôler un abus qui est fait de ses procédures, de même elle peut prendre des mesures pour empêcher que l'exercice légitime de sa compétence ne soit frustré lorsque l'intérêt de la justice le requiert. La question devient donc en l'espèce : les conditions bien connues de l'exercice de cette compétence sont-elles remplies?

L'appel soulève-t-il une question sérieuse?

[11]            Je ne crois pas que ce premier critère, ou cette première condition, pose des difficultés. La Loi est nouvelle. Le débat porte sur des questions de liberté et de sécurité tant individuelle que nationale qui interpellent directement les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Il n'y a aucun doute que l'appel soulève une question sérieuse.


L'absence de suspension temporaire pendant l'appel débouchera-t-elle sur un préjudice irréparable pour le requérant?

[12]            À ce chapitre, le requérant invoque essentiellement trois sources d'un préjudice qu'il qualifie d'irréparable : sa détention continue, l'atteinte à sa réputation résultant d'un processus qui ne lui permet pas de faire valoir entièrement et efficacement ses moyens de contestation et qui paraît institutionnellement biaisé et le risque que son appel devienne inutile.

[13]            J'élimine d'emblée la deuxième source invoquée car, même si elle peut être source de préjudice, ce dernier n'est pas irréparable. L'atteinte à la réputation peut faire l'objet d'une compensation monétaire. Si notre Cour devait annuler au motif d'inconstitutionnalité le processus suivi par la Cour fédérale qui a conduit à la décision sur la raisonnabilité du certificat, il m'est difficile de voir comment cette décision pourrait survivre à l'écroulement de ses fondements. Enfin, je ne crois pas qu'il y ait à ce stade, au delà des allégations en ce sens, une preuve d'apparence de partialité institutionnelle.


[14]            En ce qui a trait à la détention, je trouve l'argument paradoxal puisque le fait de reporter les audiences sur la raisonnabilité du certificat risque de prolonger considérablement la détention du requérant si le jugement porté en appel est maintenu et si une demande de permission d'appeler à la Cour suprême du Canada est faite. Au contraire, la tenue des audiences peut mener à une déclaration d'invalidité du certificat et mettre un terme à la détention et, donc, au préjudice résultant de cette source. J'ajouterais que, à l'instar du juge désigné de la Cour fédérale, je suis sensible au fait que le requérant est en détention et que l'article 78 de la Loi exige que les procédures en révision de la raisonnabilité du certificat procèdent avec célérité. Il s'agit là d'une intention législative exprimée qui milite à l'encontre d'un sursis, sauf évidemment s'il est nécessaire.

[15]            Il est vrai que l'appel de la décision du 5 décembre 2004 peut devenir inutile si les audiences prévues en Cour fédérale débouchent sur une déclaration d'invalidité du certificat parce que déraisonnable. Mais où s'en trouve alors le préjudice pour le requérant?

[16]            À l'inverse, l'appel prend tout son sens et toute son utilité si le certificat est maintenu. Devient-il de ce fait inefficace? Loin de là, car le jugement rendu sur la raisonnabilité du certificat est final et sans appel. Alors l'appel sur les questions préliminaires relatives à la constitutionnalité du processus entourant l'arrestation, la détention et la sécurité nationale, si victorieux, peut, tel que précédemment mentionné, invalider le processus suivi et donc le jugement final et sans appel qui déclare raisonnable le certificat émis.

[17]            Enfin le préjudice allégué par le requérant et la nécessité de surseoir aux auditions et aux procédures en Cour fédérale sont, à toutes fins pratiques, éliminés, puisque notre Cour est prête à entendre l'appel à des dates antérieures aux auditions devant la Cour fédérale.


[18]            En somme, je ne suis pas convaincu que le préjudice, si tant est qu'il existe dans les circonstances, est un préjudice irréparable justifiant une ordonnance de sursis.

La balance des inconvénients

[19]            Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu sur le deuxième critère, il ne m'est pas nécessaire de trancher la question de la balance des inconvénients. Le requérant demande que l'appel soit entendu par préférence et la date finalement choisie par le requérant, parmi celles du 8, 17 et 29 novembre ainsi que 6, 7, 8 et 9 décembre proposées, précède celles prévues pour les auditions en Cour fédérale. Le dossier d'appel est prêt, les plaidoiries écrites sont déposées et il ne reste que la journée d'audition orale. Les arguments constitutionnels soulevés sont les mêmes que ceux plaidés en Cour fédérale. Il n'y a donc pas d'inconvénient majeur à ce que les deux procédures, soit l'appel en Cour d'appel et la révision du certificat en Cour fédérale, se déroule séquentiellement, même si les délais sont rapprochés. Tel que déjà mentionné, l'intérêt de la justice, incluant l'intérêt d'un requérant détenu à faire réviser la légalité de son arrestation, de sa détention et son statut d'interdiction de séjour, commande une certaine célérité, sinon une célérité certaine, dans l'administration des procédures. Je ne saurais contrecarrer par un sursis des procédures en Cour fédérale une coordination efficiente et efficace de deux séries de procédures devant deux cours différentes dans le meilleur intérêt de l'administration de la justice.


[20]            Pour ces motifs, la demande d'audition par préférence de l'appel sera accordée et l'ordonnance rendue fixera au 8 novembre 2004 la date pour l'audition de l'appel.

[21]            La demande de sursis des procédures et des auditions devant le juge désigné de la Cour fédérale sera rejeté.

[22]            Dans les circonstances, aucun frais ne sera accordé ou imposé à l'une ou l'autre des parties.

                                                                                                                               "Gilles Létourneau"              

                                                                                                                                                     j.c.a.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                              A-603-03

INTITULÉ :                                             ADIL CHARKAOUI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et al.

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                            le 24 septembre 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Me Johanne Doyon

POUR L'APPELANT

Me Daniel Latulippe

Me Daniel Roussy

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon Morin

6337, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) H2S 2R8

POUR L'APPELANT

Morris Rosenberg

Sous-Procureur Général du Canada

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉS


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