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Date : 20060704

Dossier : A‑538‑05

Référence : 2006 CAF 249

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

DARREL REGAN BRUNO et DARWIN SOOSAY

appelants

et

LA COMMISSION D’APPEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE DE LA NATION CRIE DE SAMSON

et

LE CHEF VICTOR BUFFALO, en son propre nom et au nom de la

BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON, et

la BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON

intimés

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 30 mai 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE LINDEN

                                                                                                                               LE JUGE EVANS

 


 

 

Date : 20060704

Dossier : A‑538‑05

Référence : 2006 CAF 249

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

DARREL REGAN BRUNO et DARWIN SOOSAY

appelants

et

LA COMMISSION D’APPEL EN MATIÈRE ÉLECTORALE DE LA NATION CRIE DE SAMSON

et

LE CHEF VICTOR BUFFALO, en son propre nom et au nom de la

BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON, et

la BANDE INDIENNE DE SAMSON, également connue sous le nom de NATION CRIE DE SAMSON

 

intimés


MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Le 19 mai 2005, la Nation crie de Samson (la bande), une Première nation comptant environ 3 363 électeurs éligibles, tenait une élection pour choisir un conseil de bande. Sur les 86 membres de la bande qui s’étaient portés candidats, 12 ont été élus au conseil.

 

[2]               Après l’élection, les appelants, membres de la bande et candidats défaits, ont contesté les résultats. D’abord, l’appelant Soosay a contesté l’élection de Larron Northwest au motif qu’il n’était pas qualifié pour briguer une charge élective, en raison d’antécédents criminels n’ayant pas fait l’objet d’un pardon. Ensuite, l’appelant Bruno a contesté le résultat de l’élection au motif que, contrairement à la Samson Cree Nation Election Law (la Loi électorale), la surveillante électorale avait laissé le scrutin se poursuivre au‑delà de 18 heures.

 

[3]               Comme l’exige l’article 82 de la Loi électorale, les appelants ont signifié leurs plaintes au président de la Commission d’appel en matière électorale de Samson (la Commission) dans les sept jours qui ont suivi l’élection.

 

[4]               Le 8 juin 2005, la Commission statuait ainsi sur les plaintes des appelants. S’agissant de la plainte de Bruno, la Commission a jugé que la surveillante électorale avait outrepassé son pouvoir en laissant le scrutin se poursuivre au‑delà de 18 heures. Pour conclure ainsi, la Commission s’est fondée sur son interprétation de la pratique de la bande, interprétation qui, selon elle, s’accordait avec l’article 58 de la Loi électorale. Elle a donc ordonné qu’une nouvelle élection ait lieu dans les deux semaines suivant sa décision, et jugé que la surveillante électorale devait fermer les bureaux de vote et mettre fin au scrutin à 18 heures, conformément à l’article 58 de la Loi électorale.

[5]               S’agissant de la plainte de Soosay, la Commission a jugé que les documents de mise en candidature de M. Northwest ne répondaient pas aux exigences de l’article 4 de la Loi électorale et qu’il ne remplissait donc pas les conditions requises pour être éligible.

 

[6]               Le 10 juin 2005, le chef Victor Buffalo, en son nom et au nom de la bande, a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale afin d’obtenir une ordonnance annulant la décision de la Commission au regard des deux plaintes.

 

[7]               Le 21 juin 2005, le juge Rouleau suspendait la décision de la Commission, jusqu’à ce que la Cour fédérale statue sur la demande de contrôle judiciaire déposée par les intimés et, par la décision 2005 CF 1429, en date du 21 octobre 2005, il faisait droit à la demande de la bande dans son intégralité. D’où le présent appel interjeté par les appelants, qui voudraient faire infirmer le jugement de la Cour fédérale.

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[8]               La Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5 (la Loi) prévoit que l’élection des conseils de bande peut être régie soit par les dispositions de la Loi et de ses règlements d’application, soit selon la « coutume de la bande », conformément aux articles 2 et 74. L’article 2 définit ainsi ce qu’est un « conseil de la bande » :

« conseil de la bande »

 

a) Dans le cas d’une bande à laquelle s’applique l’article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

 

b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle‑ci.

 

L’article 74 est ainsi rédigé:

 

74. (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi.

 

 

[9]               En 1993, la Nation crie de Samson décidait d’élire son chef et son conseil conformément à la coutume de la bande (c’est‑à‑dire que l’élection ne serait plus régie par l’article 74 de la Loi). La coutume de la Nation crie de Samson a été codifiée dans la Loi électorale, laquelle a été ratifiée par ses membres le 8 mars 1993. La Loi électorale a été modifiée une fois, en 2004, à la suite d’un vote de la majorité des membres de la bande tenu lors d’une assemblée générale, ainsi que le requiert la disposition modificatrice (article 109).

 

[10]           Les dispositions suivantes de la Loi électorale qui nous intéressent ici prévoient ce qui suit :

[traduction]

Éligibilité à une charge :

3.  Sous réserve de l’article 4, toute personne :

                a) qui est âgé de vingt et un (21) ans révolu;

b) dont le nom apparaît sur la liste des électeurs de Samson, dressée par la Nation crie de Samson; et

c) qui a résidé ordinairement dans la Réserve de Samson ou du lac Pigeon durant une période d’au moins six (6) mois immédiatement avant une élection; et/ou qui réside ordinairement dans un rayon de 100 km des limites des réserves numéros 137, 138 et 138(A);

est éligible à la charge de chef ou de membre du conseil durant ladite élection.

 

Disqualification

4.        Un membre de la Nation crie de Samson n’est pas admissible à la charge de chef ou de membre du conseil de la Nation crie de Samson :

a) s’il a été déclaré coupable d’un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la présente disposition;

b) si son casier judiciaire fait état d’un acte criminel à la date d’entrée en vigueur de la présente disposition :

(i) à moins que ce membre n’ait obtenu un pardon au cours d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la Nation crie de Samson qui a été reconnu à cette fin par le chef et le conseil; ou

(ii) à moins que ce membre n’ait obtenu un pardon en vertu du système juridique;

c) si, à l’occasion d’une élection, il s’est rendu coupable de corruption, d’acceptation ou de versement de pots‑de‑vin, de malhonnêteté ou autre conduite condamnable.

 

Nomination d’un surveillant électoral, d’adjoints et d’agents de sécurité

14.  Au moins quatorze (14) jours avant une assemblée de mise en candidature, le chef et le conseil nomment, par résolution, un surveillant électoral, des adjoints et des agents de sécurité.

 

Qualités requises du surveillant électoral et de ses adjoints

15.  Le surveillant électoral et les adjoints doivent être de bonne moralité et bonne réputation, connaître parfaitement la langue crie et ne pas être membre de la Nation crie de Samson.

 

Obligations du surveillant électoral et de ses adjoints

16.  Le surveillant électoral est reconnu comme la personne autorisée à veiller à l’entière administration et au processus de l’élection. Le surveillant électoral s’acquitte notamment des responsabilités suivantes :

a)      planifier et préparer l’élection;

b)      assigner des tâches et donner des directives à ses assistants;

c)      assurer une surveillance, présenter des rapports d’avancement et rester en contact au besoin avec le conseil de la Nation crie de Samson et les membres intéressés de la Nation crie de Samson;

d)      obtenir les renseignements et documents requis de l’administration tribale de la Nation crie de Samson;

e)      dresser une liste des électeurs de Samson et d’autres listes pour les afficher comme il se doit;

f)       connaître toutes les dispositions de la Loi électorale.

 

58.  Tous les bureaux de scrutin ouvriront à 9 heures et fermeront à 18 heures.

 

Commission d’appel en matière électorale

78.  Au moins quatorze (14) jours consécutifs avant une assemblée de mise en candidature, le chef et le conseil de Samson nommeront, par résolution, trois (3) personnes qui formeront la Commission d’appel de Samson en matière électorale.

 

Président

79.  En adoptant la résolution, le chef et le conseil de Samson désigneront à la charge de président l’un des membres de la Commission d’appel de Samson en matière électorale.

 

Qualités requises des membres

80.  Toute personne nommée à la Commission d’appel de Samson en matière électorale doit être âgée de vingt‑cinq (25) ans révolus, ne pas être membre de la Nation crie de Samson et être de bonne moralité et de bonne réputation.

 

Dépôt d’un appel

82.  Dans un délai de sept (7) jours après la date d’une élection, tout candidat à l’élection qui a des motifs raisonnables de croire :

a) que l’élection a été entachée d’actes de corruption,

b) qu’une personne proposée comme candidat à l’élection était inéligible, ou

c) qu’il y a eu un autre manquement aux usages et que ce manquement a pu modifier le résultat de l’élection,

peut faire appel en signifiant au président de la Commission d’appel de Samson en matière électorale une lettre exposant sa plainte et les moyens qu’il entend faire valoir.

 

86.  Dans un délai de quatorze (14) jours à compter de la date d’introduction d’un appel, la Commission d’appel de Samson en matière électorale se réunira et statuera sur la validité de la plainte.

 

87.  La Commission d’appel de Samson en matière électorale pourra :

a) déclarer que la plainte n’est pas valide et rejeter l’appel;

b) déclarer que la plainte est valide selon ce que prévoit l’alinéa 82c), mais rejeter l’appel parce que le manquement aux usages n’est pas un manquement qui aurait modifié le résultat de l’élection; ou

c) déclarer que la plainte est valide et ordonner qu’une nouvelle élection ait lieu dans un délai de deux (2) semaines après la décision de la Commission.

 

88.  Si la tenue d’une nouvelle élection est ordonnée, l’élection aura lieu d’une manière conforme aux usages mentionnés dans la présente loi, sous réserve cependant des autres exigences, conditions ou directives que pourra imposer la Commission afin d’éviter une répétition du manquement reproché.

 

89.  Après avoir rendu sa décision, la Commission communiquera au chef et au conseil de Samson, au surveillant électoral et au plaignant les motifs écrits de sa décision, avec indication des éléments de preuve justifiant cette décision.

 

90.  La décision de la Commission d’appel de Samson en matière électorale est définitive et contraignante.

 

Interprétation

104.  La présente Loi sera interprétée en même temps que toute disposition coutumière se rapportant à la conduite du chef et des conseillers de la Nation crie de Samson.

 

Date d’entrée en vigueur

106.  la présente Loi entrera en vigueur le jour où elle sera ratifiée, conformément à la coutume, par la majorité des membres de la Nation crie de Samson présents à une assemblée générale de la Nation crie de Samson convoquée à cette fin précise.

 

Force obligatoire

107.  La présente Loi liera tous les membres de la Nation crie de Samson et le surveillant électoral, ses adjoints et les agents de sécurité nommés en vertu de l’article 14, ainsi que toutes les personnes nommées à la Commission d’appel de Samson en matière électorale en vertu de l’article 80.

 

Modifications

109.  La présente Loi ne pourra être modifiée que par la majorité des membres de la Nation crie de Samson qui, conformément à ses dispositions, sont habilités à voter et qui assisteront à une assemblée générale de la Nation crie de Samson convoquée à cette fin.

 


LA PLAINTE SOOSAY

[11]           Je commencerai par la plainte Soosay, à l’égard de laquelle le juge a conclu que, en disant que M. Northwest n’était pas qualifié pour briguer la charge de conseiller, la Commission n’avait pas respecté son droit à la justice naturelle parce qu’elle ne lui avait pas donné l’occasion de se faire entendre, en particulier à propos de l’octroi d’un pardon.

 

[12]           Aux paragraphes 32 et 33 de ses motifs, le juge s’est prononcé ainsi sur la question :

[32]      Je passe maintenant à la décision de la Commission qui déclarait invalide l’élection de Larron Northwest au motif qu’il n’avait pas rempli les conditions d’éligibilité d’un candidat à la charge de conseiller, conditions exposées dans l’article 4 de la Loi électorale de la Nation crie de Samson. Dans ses motifs, la Commission d’appel concluait que les redressements qu’elle pouvait prononcer étaient restreints, donnant même à entendre que, [traduction] « eût‑elle été investie de pouvoirs plus étendus, elle aurait pu ordonner à M. Northwest ou à tout autre candidat de corriger les irrégularités et de rendre sa candidature conforme aux dispositions de la Loi électorale ».

 

[33]      Comme je l’ai dit lorsque j’ai accordé l’injonction intérimaire, la Commission d’appel, comme tout autre tribunal administratif, est liée par les principes de justice naturelle et par l’obligation d’équité. Ici, M. Northwest avait signé un [traduction] « affidavit de mise en candidature » attestant qu’il remplissait les conditions requises pour se présenter aux élections. Le fait est que, en mai 1999, un ancien avait conduit une cérémonie traditionnelle et culturelle crie qui lui avait accordé un pardon. Cela n’est pas contesté. Toutefois, la Commission d’appel, n’ayant pas la preuve du pardon, a simplement conclu que M. Northwest ne remplissait pas cette condition, et cela sans lui donner l’occasion de présenter des arguments contraires. Il s’agit là d’un manquement à la justice naturelle et à l’équité, et donc d’une erreur susceptible de contrôle qui justifie l’annulation de la décision de la Commission d’appel.

 

 

[13]           L’article 4 de la Loi électorale est la disposition qui intéresse la conclusion de la Commission concernant l’aptitude de M. Northwest à briguer la charge de conseiller. Par commodité, je le cite à nouveau ici :

Disqualification

4.             Un membre de la Nation crie de Samson n’est pas admissible à la charge de chef ou de membre du conseil de la Nation crie de Samson :

a) s’il a été déclaré coupable d’un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la présente disposition;

b) si son casier judiciaire fait état d’un acte criminel à la date d’entrée en vigueur de la présente disposition :

(i) à moins que ce membre n’ait obtenu un pardon au cours d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la Nation crie de Samson qui a été reconnu à cette fin par le chef et le conseil; ou

(ii) à moins que ce membre n’ait obtenu un pardon en vertu du système juridique;

c) si, à l’occasion d’une élection, il s’est rendu coupable de corruption, d’acceptation ou de versement de pots‑de‑vin, de malhonnêteté ou autre conduite condamnable.

 

 

[14]           La Commission a conclu comme elle l’a fait parce qu’elle n’était pas convaincue que M. Northwest avait satisfait aux conditions de l’article 4 de la Loi électorale, vu que le consentement à la communication de son casier judiciaire par la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), consentement donné par M. Northwest et produit par lui au soutien de sa candidature, ne prouvait pas qu’il n’avait pas de casier judiciaire, et aussi parce qu’il n’était pas établi qu’il avait obtenu un pardon.

 

[15]           Au soutien de leur demande de contrôle judiciaire, les intimés ont déposé l’affidavit de M. Northwest, établi sous serment le 10 juin 2005, dans lequel il affirmait que, bien qu’il eût été déclaré coupable en 1988 de possession de marijuana et d’entreposage illégal d’armes à feu, il avait obtenu un pardon en 1999 à la faveur d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par Joe Boysis père, un ancien de la bande. M. Northwest affirmait aussi qu’à aucun moment après son élection au conseil le 19 mai 2005 la Commission n’avait communiqué avec lui à propos du pardon qu’il disait avoir obtenu.

 

[16]           Les intimés ont donc fait valoir devant le juge Rouleau, et devant nous, que M. Northwest était pleinement qualifié lorsqu’il avait signé son « affidavit de mise en candidature » et avait déclaré qu’il n’avait connaissance d’aucune raison pour laquelle il ne serait pas habilité à briguer un mandat de conseiller. Les intimés ont aussi fait valoir que la Commission avait manqué aux principes de justice naturelle parce qu’elle n’avait pas donné à M. Northwest l’occasion de répondre à la plainte de Soosay.

 

[17]           Contestant la décision du juge relative à la plainte de Soosay, les appelants avancent deux arguments sur le droit de M. Northwest de se porter candidat. D’abord, ils disent que, selon le libellé même de l’article 4 de la Loi électorale, M. Northwest est disqualifié parce qu’il a été déclaré coupable d’un acte criminel après l’entrée en vigueur de la Loi électorale. Ils font remarquer que l’octroi d’un pardon pour une telle infraction ne saurait blanchir M. Northwest, puisqu’un pardon n’est pertinent que si la déclaration de culpabilité a été prononcée avant l’entrée en vigueur de la Loi électorale, c’est‑à‑dire avant sa ratification par la majorité des membres de la bande le 8 mars 1993.

 

[18]           Deuxièmement, les appelants disent que, même s’ils n’ont pas raison sur cet aspect, il n’est pas établi que le pardon de M. Northwest a été obtenu à la faveur d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la bande reconnu à cette fin par le chef et le conseil de la bande.

 

[19]           Le juge a conclu qu’il y avait eu déni de justice naturelle quand la Commission n’a pas donné à M. Northwest l’occasion de répondre à la plainte de Soosay. Les appelants sont en désaccord avec la conclusion du juge, pour qui la Commission, « comme tout autre tribunal administratif », est liée par les principes de justice naturelle, affirmant que ladite conclusion [traduction] « traduit une application fixe et ethnocentrique des mots “justice naturelle et équité” » (Mémoire des appelants, paragraphe 68). À mon avis, cet argument traduit une méconnaissance du principe d’équité procédurale et une incompréhension de la décision du juge.

 

[20]           La jurisprudence reconnaît que « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, page 682). Le principe d’équité procédurale est un principe flexible et contextuel, parce que « il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l’obligation d’équité procédurale » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 21). Par conséquent, bien que la Commission soit indiscutablement soumise à l’obligation d’équité (Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142 (C.F.), au paragraphe 51, Première nation Anishinabe de Roseau River c. Le Conseil de la Première nation Anishinabe de Roseau River (2003) 228 F.T.R. 167, au paragraphe 30), le contenu de cette obligation dépend des circonstances particulières et du contexte particulier de la Commission. Ce contexte peut et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée.

 

[21]           Les critères à prendre en compte pour déterminer le contenu de l’équité procédurale ont été résumés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 23 à 27 : la nature de la décision qui est prise et la procédure suivie pour y parvenir; la nature du régime législatif; l’importance de la décision pour la personne concernée; les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; enfin la procédure choisie par le tribunal administratif lui‑même. La jurisprudence de la Cour fédérale relative à l’équité procédurale dans le contexte de l’élection d’une bande conduite selon la coutume montre que le contenu de l’obligation dans ce contexte doit prendre en compte et respecter la coutume pertinente de la bande concernée (voir par exemple la décision Roseau River, précitée, au paragraphe 30, et la décision Sparvier, précitée, au paragraphe 47).

 

[22]           Appliquant les facteurs de l’arrêt Baker, je suis d’avis que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur quand il a dit que l’obligation d’équité exigeait à tout le moins de la Commission qu’elle donne à M. Northwest l’occasion de présenter des arguments. La Commission devrait avoir une latitude étendue de choisir ses propres procédures; cependant, vu l’importance de la décision pour M. Northwest, des garanties procédurales de base doivent exister. Cela ne veut pas dire qu’une audience en règle était requise, mais simplement que M. Northwest aurait dû avoir la possibilité de répondre à la plainte de Soosay, avant que la Commission décide qu’il ne pouvait pas être élu au conseil en vertu de l’article 4 de la Loi électorale. En ne laissant pas M. Northwest répondre à la plainte de Soosay, la Commission a rendu sa décision sur la foi d’un dossier factuel incomplet. Selon moi, le juge a eu raison de dire que cela constituait une erreur sujette à révision.

 

[23]           Cependant, je suis convaincu que le juge n’aurait pas dû ensuite se demander si M. Northwest était qualifié pour se porter candidat et, plus particulièrement, s’il avait obtenu un pardon avant la date de sa mise en candidature. Selon moi, après avoir dit qu’il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle, le juge ne pouvait pas se substituer à la Commission et statuer sur le bien‑fondé de la plainte. L’article 86 de la Loi électorale dit clairement qu’il appartient à la Commission « de statuer sur la validité de la plainte ». Selon moi, le juge devait annuler la décision de la Commission et lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, accompagnée des directives qu’il jugeait nécessaires dans les circonstances.

 

[24]           J’ajouterais qu’il paraît à tout le moins légitime de se demander si un pardon peut être invoqué par un candidat qui a été déclaré coupable d’un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la Loi électorale. Il paraît également légitime de se demander si le pardon en cause a été obtenu à la faveur d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la bande reconnu à cette fin par le chef et le conseil de la bande.

 

[25]           Je ne veux pas donner ici à entendre que les appelants devraient obtenir gain de cause sur ces points. Je voudrais simplement faire observer que, au vu de la preuve telle qu’elle est aujourd’hui, la solution des points soulevés par les appelants n’est pas réglée d’avance. Il appartiendra à la Commission de statuer d’après la preuve qu’on lui soumettra.

 

LA PLAINTE BRUNO

[26]           Je passe maintenant à la plainte Bruno. Avant d’examiner cette question cependant, une précision s’impose à propos de la norme de contrôle qui est applicable. Selon les appelants, les circonstances de la présente affaire commandent une norme de contrôle fondée sur la retenue. Ils ne disent pas clairement, par leurs arguments, s’ils préconisent la norme de la décision raisonnable simpliciter ou la norme de la décision manifestement déraisonnable, mais il est clair qu’ils contestent l’application par le juge de la norme de la décision correcte. Les défendeurs quant à eux soutiennent que c’est la norme de la décision correcte qu’il faut appliquer aux conclusions de la Commission qui intéressent des questions de droit.

 

[27]           Les appelants relèvent à juste titre que le juge de première instance ne s’est pas explicitement livré à l’analyse pragmatique et fonctionnelle qui était requise. Une telle analyse a été effectuée par le juge Russell dans la décision Okeymow c. Nation crie de Samson (2003) 235 F.T.R. 87, où la même Loi électorale était en cause, et le juge Russell a estimé que la norme de la décision correcte s’appliquait aux questions de droit (paragraphe 33). Le juge Rouleau s’est référé à la décision Okeymow, pour ensuite interpréter la Loi électorale selon le principe du recours au « sens ordinaire », dans l’interprétation des lois, ce qui revenait à appliquer la norme de la décision correcte.

 

[28]           Pour les motifs qui suivent, il ne m’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle, puisque j’arrive à la conclusion que, quelle que soit la norme de contrôle appliquée à la décision de la Commission en ce qui concerne la plainte Bruno, la décision de la Commission ne peut être maintenue. Je n’exprime donc aucun avis sur la norme de contrôle qui est applicable à la manière dont la Commission a interprété la Loi électorale.

 

[29]           Si la Commission a décidé comme elle l’a fait, c’est en raison de son interprétation de l’article 58 de la Loi électorale, qui, selon elle, s’accordait avec les pratiques antérieures de la bande [traduction] « et d’autres nations cries du voisinage immédiat ». En concluant ainsi, la Commission signalait l’élection du conseil tenue en 2003, où le bureau de scrutin avait été fermé dès 18 heures, en conséquence de quoi les électeurs qui faisaient la queue avaient été renvoyés par le surveillant électoral de l’époque. De l’avis de la Commission, cette pratique avait pour effet d’encourager fortement les électeurs à se présenter aux bureaux de scrutin [traduction] « suffisamment à l’avance, bien avant leur fermeture » (Dossier d’appel, page 53).

[30]           Le juge Rouleau a vu les choses très différemment et il a donc annulé la décision de la Commission. Selon lui, la Commission avait eu tort de ne pas considérer le pouvoir discrétionnaire conféré au surveillant électoral par l’article 16 de la Loi électorale. Cette disposition a été interprétée par la Cour fédérale, dans la décision Bande indienne de Samson c. Cutknife, 2003 CFPI 721, comme un texte conférant au surveillant électoral un pouvoir général et étendu de veiller à l’entière administration et au processus de l’élection. Le juge a donc exprimé l’avis que, en laissant voter les électeurs qui faisaient la queue à 18 heures, la surveillante électorale exerçait tout simplement le large pouvoir discrétionnaire que lui conférait l’article 16 de la Loi électorale. Le raisonnement du juge apparaît clairement aux paragraphes 29 à 31 de ses motifs, ainsi formulés :

[29]      S’agissant de la première décision de la Commission annulant les élections, je suis d’avis que la décision est erronée dans la mesure où elle néglige de prendre en compte le pouvoir discrétionnaire conféré au surveillant électoral par l’article 16 de la Loi électorale. Cette disposition a été interprétée par la Cour comme une disposition donnant au surveillant un vaste pouvoir général pour veiller à l’entière administration et au processus de l’élection. Dans la décision Bande indienne de Samson c. Cutknife, 2003 CFPI 721, le juge Martineau s’exprimait ainsi sur ce point, aux paragraphes 18 et 19 :

 

En conséquence, le superviseur des élections, agissant en vertu de l’article 16 de la Loi électorale, exactement comme dans la présente affaire, dispose d’un vaste pouvoir général qui ne se limite pas aux six exemples cités dans cet article, pour veiller à l’entière administration et au processus de l’élection. Les pouvoirs comprennent : prendre des décisions administratives relatives à l’application effective des dispositions procédurales de la Loi électorale à des situations qui émergent durant l’élection et à l’application effective des dispositions procédurales de la Loi électorale à l’assemblée de mise en candidature, et prendre des décisions administratives pour reporter l’assemblée de mise en candidature à des fins administratives particulières.

 

Le texte de l’article 16 qui dispose que « [l]e superviseur des élections s’acquitte notamment des responsabilités suivantes [...] » n’est manifestement pas exhaustif en ce qui concerne les responsabilités du superviseur des élections.

 

[30]      À mon avis, ce raisonnement est également applicable à la présente affaire et je suis d’avis que l’article 16 de la Loi électorale autorisait la surveillante électorale (ou superviseure des élections), après la fermeture des portes à 18 h, à exercer son pouvoir discrétionnaire et à laisser voter les électeurs qui avaient déjà été admis au bureau de scrutin avant 18 h. Si l’on considère qu’il n’y avait que trois isoloirs et que les bulletins n’étaient pas d’un abord facile puisqu’ils renfermaient 86 noms ainsi que des photographies, et cela pour l’avantage des membres de la bande qui ne savaient pas lire, alors il n’est pas surprenant que le processus électoral ait pris du retard.

 

[31]      Interpréter d’une manière aussi restrictive l’article 16 de la Loi électorale serait contraire au principe d’interprétation des lois exposé dans l’arrêt Rizzo, précité, puisqu’une telle interprétation ne s’accorderait pas avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur, intention qui est d’assurer des élections libres et sans entrave.

 

 

[31]           Pour savoir si la plainte Bruno était fondée, la Commission devait interpréter les dispositions de la Loi électorale, et en particulier son article 58, ainsi formulé :

58.  Tous les bureaux de scrutin ouvriront à 9 heures et fermeront à 18 heures.

 

 

 

[32]           La question que devait trancher la Commission était de savoir si les électeurs qui faisaient la queue à 18 heures le 19 mai 2005 étaient fondés à voter. Pour l’examen de cette question, il est utile de faire remarquer que les isoloirs étaient situés du côté ouest du gymnase commémoratif Howard Buffalo, dans la réserve de Samson, près de Hobbema, en Alberta. Les portes du gymnase avaient été ouvertes à 9 heures le 19 mai 2005. Vers 17 h 45, la surveillante électorale avait demandé aux agents de sécurité d’introduire dans le gymnase tous les électeurs qui faisaient la queue à l’extérieur. Après que les électeurs se furent trouvés dans le gymnase, la surveillante électorale avait demandé que les portes du gymnase soient fermées et verrouillées à 18 heures. Les électeurs entrés dans le gymnase au plus tard à 18 heures avaient été autorisés à utiliser les isoloirs et à déposer leurs bulletins.

 

[33]           Pour décider si la Commission a commis une erreur sujette à révision dans sa manière d’interpréter l’article 58 de la Loi électorale, il est nécessaire d’examiner brièvement les dispositions applicables de la Loi électorale.

[34]           Le titre officiel de la Loi électorale est [traduction] « Déclaration de la coutume de la Nation crie de Samson pour l’établissement et l’élection du chef et du conseil ». Le préambule de cette Loi est selon moi d’une certaine importance. J’en reproduis le texte ici :

[traduction]

ATTENDU que la Nation crie de Samson est fondée en droit à établir son conseil et à en choisir les membres conformément à ses coutumes et traditions;

 

ATTENDU que les membres de la Nation crie de Samson reconnaissent que lesdites coutumes et traditions évoluent constamment en réponse aux exigences d’une société crie progressiste et dynamique;

 

ATTENDU que les membres de la Nation crie de Samson souhaitent maintenant codifier et communiquer plus efficacement leurs coutumes et traditions actuelles se rapportant à l’établissement de leur conseil et au choix de leur chef et de leur conseil;

 

Les membres de la Nation crie de Samson déclarent donc que le texte qui suit résume leurs coutumes et traditions actuelles se rapportant à l’établissement de leur conseil et au choix de leur chef et de leur conseil :

 

 

[35]           Après avoir dit que la bande est fondée en droit à choisir les membres de son conseil en conformité avec les coutumes et traditions de la bande, le préambule précise qu’il est de l’intention de la bande, entre autres, de [traduction] « codifier… [ses] coutumes et traditions actuelles se rapportant à l’établissement de [son] conseil et au choix de [son] chef et de [son] conseil ». On peut y lire ensuite que les dispositions de la Loi électorale qui suivent le préambule constituent les [traduction] « coutumes et traditions actuelles [de la bande] se rapportant à l’établissement de [son] chef et de [son] conseil ».

 

[36]           Les articles 1 à 109 de la Loi électorale suivent le préambule et constituent en fait les coutumes et traditions qui doivent régir l’élection du chef et du conseil. La disposition qui présente le plus d’intérêt pour les fins qui nous concernent est l’article 109, qui prévoit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

Modifications

109.  La présente Loi ne pourra être modifiée que par la majorité des membres de la Nation crie de Samson qui, conformément à ses dispositions, sont habilités à voter et qui assisteront à une assemblée générale de la Nation crie de Samson convoquée à cette fin.

 

 

[37]           Il ressort clairement de l’article 109 que la Loi électorale ne peut être modifiée sans l’assentiment de la majorité des électeurs éligibles de la bande qui sont présents à une assemblée générale de la bande convoquée à cette fin précise.

 

[38]           Je dois aussi préciser que l’article 104, dont le titre est « INTERPRÉTATION », prévoit que la Loi électorale doit être interprétée « en même temps » que toute disposition coutumière se rapportant à la conduite du chef et des conseillers de la Nation crie de Samson. Rien dans la preuve soumise en l’espèce n’indique qu’une telle disposition aurait été adoptée.

 

[39]           Je suis donc convaincu que les seules coutumes et traditions qui régissaient l’élection du conseil de bande le 19 mai 2005 sont celles qui sont énoncées dans la Loi électorale. Les coutumes et traditions qui pourraient prendre naissance par la suite et qui pourraient différer de celles dont parle la Loi électorale sont à mon avis hors de propos, à moins que la Loi électorale ne soit modifiée conformément à son article 109. Cependant, les pratiques et coutumes électorales courantes peuvent servir à dissiper les ambiguïtés ou à combler les lacunes de la Loi électorale.

 

[40]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge a eu raison de dire que la Commission avait commis une erreur en ordonnant la tenue d’une nouvelle élection dans les deux semaines de sa décision.

[41]           L’article 58 de la Loi électorale prévoit que « tous les bureaux de vote ouvriront à 9 heures et fermeront à 18 heures ». L’expression « bureaux de vote » doit être distinguée des autres expressions employées dans la Loi électorale, à savoir « isoloirs » et « urnes », que l’on trouve dans les articles 41, 51, 52 et 59, ainsi formulés :

[traduction]

41.     En outre, sera affiché à la vue du public, dans tous les bureaux de scrutin, et dans chaque isoloir destiné aux anciens, un bulletin portant la photographie et le nom, en ordre alphabétique, de tous les candidats.

 

[…]

 

51.     Le surveillant électoral veillera à ce que les directives dont il est question dans les articles 49 et 50 soient clairement affichées dans chaque isoloir et dans tous les autres lieux publics devant servir au scrutin.

 

52.     Le surveillant électoral ou son adjoint doit, en la présence de la personne qui lui a remis son bulletin, déposer le bulletin dans une urne.

 

[…]

 

59.     Immédiatement après la clôture du scrutin, le surveillant électoral doit, en la présence des candidats présents ou de leurs mandataires, ouvrir l’urne ou les urnes, examiner les bulletins et :

a) rejeter les bulletins qui ne sont pas paraphés par le surveillant électoral ou par son adjoint;

b) rejeter tout bulletin qui, de l’avis du surveillant électoral, n’est pas clairement marqué; et

c) rejeter ou accepter, à son gré, tout bulletin qui est marqué selon l’article 53.

 

 

[42]           Si l’on considère conjointement ces dispositions, il devient évident que les expressions « bureau de scrutin », « isoloir », « scrutin » et « urne » ont des sens différents. Selon moi, bien que l’on puisse trouver dans un « bureau de scrutin » un « isoloir » et une « urne », il ne s’agit pas de la même chose qu’un « bureau de scrutin ». L’unique interprétation possible de ces dispositions, lues conjointement, est donc que l’article 58 n’indique que les heures au cours desquelles les « bureaux de scrutin » seront ouverts pour recevoir les électeurs.

 

[43]           Selon moi, l’interprétation donnée par la Commission est directement en conflit avec l’objet évident de la Loi électorale, qui est de laisser les membres qui remplissent les conditions requises exercer leur droit démocratique de voter pour les conseillers de leur choix. L’interprétation donnée par la Commission pourrait vouloir dire à la limite que les électeurs admissibles qui ont peut‑être fait la queue durant des heures n’auraient pas le droit de voter parce que la queue ne s’est pas résorbée assez rapidement, et donc, n’ayant pu voter avant 18 heures, seraient empêchés de le faire. Ce serait là, selon moi, un résultat absurde.

 

[44]           En concluant comme il l’a fait, le juge a accordé une grande importance à l’article 16 de la Loi électorale qui, selon lui, donnait à la surveillante électorale un pouvoir général étendu de « veiller à l’entière administration et au processus de l’élection ». Pour conclure ainsi, il s’est fondé sur les motifs exposés par le juge Martineau dans la décision Bande indienne de Samson c. Cutknife, précitée, où l’on peut lire entre autres que l’article 16 confère au surveillant électoral le pouvoir de prendre des décisions administratives « relatives à l’application effective des dispositions procédurales de la Loi électorale à des situations qui émergent durant l’élection… »

 

[45]           De l’avis du juge Rouleau, en fermant les portes du gymnase à 18 heures et en laissant voter après 18 heures ceux qui s’y trouvaient déjà, la surveillante électorale avait exercé son large pouvoir discrétionnaire d’une manière qui ne pouvait être qualifiée de fautive.

 

[46]           Je ne puis que souscrire à la conclusion du juge Rouleau, la surveillante électorale ayant exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui selon moi s’accorde parfaitement avec l’article 58 de la Loi électorale.

[47]           Pour conclure sur ce point, il ne fait guère de doute que les motifs de la Commission ne font pas reposer sa conclusion sur un fondement raisonnable. Comme je l’ai déjà dit, la manière dont elle a interprété l’article 58 conduit à un résultat absurde et, en tout état de cause, elle ne saurait être appuyée par les diverses dispositions de la Loi électorale. Dans ces conditions, la pratique des surveillants électoraux en matière de fermeture des bureaux de scrutin – pratique à laquelle la Commission se réfère d’une manière quelque peu elliptique dans ses motifs – est hors de propos. S’agissant du litige soulevé dans le présent appel, la Loi électorale n’admet qu’une seule interprétation rationnelle.

 

[48]           Il reste une question à résoudre, celle de savoir si le juge a commis une erreur en refusant de considérer les affidavits produits par les membres de la Commission, qui donnent le détail de leurs connaissances spécialisées en ce qui a trait à la Loi électorale et aux traditions et coutumes cries. Le juge a refusé de considérer ces affidavits au motif que la preuve qu’ils renfermaient était manifestement inopportune parce qu’elle donnait à entendre que les membres de la Commission disposaient de connaissances particulières dans l’interprétation de la Loi électorale.

 

[49]           Puisque je suis arrivé à la conclusion que les seules coutumes et traditions dont il puisse être tenu compte sont celles dont fait état la Loi électorale, et que la décision de la Commission, quelle que soit la norme de contrôle qui est appliquée, ne peut être maintenue, la preuve que voudraient produire les membres de la Commission n’est pas pertinente. Il ne m’est donc pas nécessaire de décider ce point.

 

[50]           Je ferais donc droit à l’appel en partie, j’annulerais la décision du juge dans la mesure où il s’est prononcé sur le point de savoir si Larron Northwest était qualifié en vertu de l’article 4 de la Loi électorale, et je renverrais l’affaire à la Commission pour nouvel examen, de la manière suivante : s’agissant de la plainte Soosay, je renverrais l’affaire à la Commission pour nouvel examen complet; s’agissant de la plainte Bruno, je renverrais l’affaire à la Commission pour nouvel examen, étant entendu que la surveillante électorale a agi conformément aux dispositions de la Loi électorale lorsqu’elle a permis que les électeurs qui étaient entrés dans le gymnase avant 18 heures le 19 mai 2005 déposent leurs bulletins dans l’urne.

 

[51]           Puisque les appelants ont obtenu gain de cause en partie seulement, j’accorderais les dépens aux intimés à concurrence de 75 p. 100 de leurs dépens taxables.

 

« M. Nadon »

Juge

 

« Je suis d’accord.

 

            A.M. Linden, juge »

 

« Je suis d’accord.

 

            John M. Evans, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                             A‑538‑05

 

INTITULÉ :                                                                           DARREL REGAN BRUNO ET AUTRES

                                                                                                c.

                                                                                                LE CHEF VICTOR BUFFALO ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                    LE 30 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                  LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE LINDEN

                                                                                                LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 4 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

SHAWN BEAVER et CONAN TAYLOR

 

POUR LES APPELANTS

DAVID ROLF et EDWARD MOLSTAD

 

POUR L’INTIMÉ, le chef Victor Buffalo

DEBORAH HANLY

POUR L’INTIMÉE, la Commission d’appel en matière électorale de la Nation crie de Samson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TAYLOR BEAVER LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LES APPELANTS

 

PARLEE MCLAWS LLP

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTIMÉ, le chef Victor Buffalo

HANLY LAW OFFICE

Sylvan Lake (Alberta)

POUR L’INTIMÉE, la Commission d’appel en matière électorale de la Nation crie de Samson

 

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