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Date : 20010430

Dossier : A-778-99

Référence neutre : 2001 CAF 119

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

KENNETH WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-779-99

ENTRE :

SYDNEY WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-777-99

ENTRE :

PETER WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le mercredi 4 avril 2001

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le lundi 30 avril 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                                       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                          LE JUGE DÉCARY


Date : 20010430

Dossier : A-778-99

Référence neutre : 2001 CAF 119

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

KENNETH WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-779-99

ENTRE :

SYDNEY WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Dossier : A-777-99

ENTRE :

PETER WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                 Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre des jugements rendus par le juge Pinard (publiés dans 2000 D.T.C. 6302) par lesquels celui-ci a rejeté les appels déposés par les appelants par voie de procès de novo contre les jugements de la Cour canadienne de l'impôt (publiés dans 1990 D.T.C. 1345), lesquels rejetaient les appels à l'encontre des nouvelles cotisations établies pour l'année d'imposition 1971 au chapitre de l'application de l'article 85B, à l'époque, de la Loi de l'impôt sur le revenu, 1952 S.C., ch. 148 (la « Loi » ). Les trois appels ont été réunis et entendus conjointement à la suite de l'ordonnance délivrée par notre Cour. Les présents motifs disposeront des trois appels.

Les faits

[2]                 Les appelants exploitaient une entreprise sous le nom de Lajeunesse Holdings, dans laquelle ils possédaient chacun un intérêt de 33 1/3 p. cent. En 1960, les appelants ont, dans le cours de l'entreprise, fait l'acquisition de 13 lots sur lesquels 11 immeubles à logements ont été construits ( « Fleury Gardens » ). Entre juillet 1961 et juillet 1962, les appelants ont contracté des prêts d'environ 1 470 000 $ garantis par des hypothèques grevant Fleury Gardens.


[3]                 Le 1er août 1962, les appelant ont vendu Fleury Gardens à Sutton Development Corp. ( « Sutton » ) et à Charlton Development Ltd. ( « Charlton » ) en considération d'un montant de 2 219 719,20 $. Les appelants ont reçu 330 280,81 $ en espèces, et le solde de 1 889 438,39 $ devait leur être payé sous forme de versements mensuels. Ce solde comprenait un montant de 1 459 438,39 $ en prêts impayés garantis par des hypothèques grevant Fleury Gardens, ainsi qu'un montant additionnel de 430 000 $ garanti par privilège de vendeur. Sutton et Charlton toléraient les hypothèques encore en vigueur, mais ne les assumaient pas. Le même jour, Sutton et Charlton ont vendu Fleury Gardens à Cytro Real Estate Corporation, qui a accepté d'assumer toutes les hypothèques existantes grevant le bien.

[4]                 Le profit réalisé par les appelants par suite de la vente du bien s'est chiffré à 678 272 $. Pour chacune des années d'imposition entre 1962 et 1970, les appelants ont déclaré le montant net relatif à leur fraction du profit provenant de la vente effectuée en 1962, de façon qui semblait conforme à l'article 85B et sans opposition de la part du ministre.

[5]                 Au mois de décembre 1971, le montant garanti par privilège de vendeur (430 000 $) a été acquitté en entier et un montant de 1 093 467,52 $ demeurait impayé. Utilisant la même formule que par le passé, les appelants ont réclamé à titre individuel, pour l'année d'imposition 1971, une réserve de 111 387,89 $ calculée aux termes de l'alinéa 85B(1)d) de la Loi de la manière suivante :

Profit brut

Prix de vente

x

Montant recevable

= réserve


678 272 $

2 219 719 $

x

1 093 467 $

= 334 126 $

(¸ 3 = 111 387 $ chacun)

[6]                 Selon les nouvelles cotisations qu'il a établies à l'égard de chacun des appelants en date du 28 juillet 1978, le ministre a rejeté la formule employée par les appelants pour déclarer le profit provenant de la vente de 1962 pour l'année d'imposition 1971; aussi, il a comptabilisé dans leur revenu pour cette année-là la fraction de l'élément de profit qui leur revenait au titre des montants recevables découlant de la vente du bien en 1962 pour l'année d'imposition 1971 et toutes les années subséquentes.

[7]                 Les appelants ont d'abord interjeté appel de ces nouvelles cotisations auprès de la Cour canadienne de l'impôt et, le 16 février 1990, ils ont été déboutés par le juge Lamarre Proulx au motif que, en ce qui a trait à l'année d'imposition 1971, aucun montant d'argent n'était dû aux appelants sur le profit de la vente du bien. Le juge Lamarre Proulx a déclaré à la page 10 de ses motifs :

Ce que dit l'alinéa 85(B)(1)d) de la Loi c'est que, lorsqu'un profit a été inclus dans le revenu d'un contribuable et qu'une portion de ce profit est payable mais n'a pas été payée encore, cette partie qui n'a pas été payée peut être déduite à titre de réserve. Les circonstances de la présente affaire me font croire qu'aucun montant d'argent n'était dû aux contribuables sur le profit de la vente, dans l'année d'imposition visée par l'appel. Il est peut-être vrai que les appelants auraient été obligés de payer si les acheteurs subséquents avaient fait défaut de faire leurs paiements et que la valeur de la propriété n'aurait pas été suffisante pour couvrir le solde dû sur les prêts. Cependant, aucune preuve n'a été présentée pour démontrer que la valeur du montant restant dû sur les hypothèques était supérieure à la valeur de la propriété hypothéquée. Tous les acheteurs subséquents ont validement et personnellement assumé l'ensemble des obligations des appelants à l'égard des créanciers hypothécaires.


Elle a ensuite modifié la formule utilisée par les appelants pour calculer leur réserve en s'appuyant sur le fait qu'aucun montant ne leur était dû après 1971 relativement à la vente effectuée en 1962, et rejetant par conséquent la réserve qu'ils avaient réclamée pour l'année d'imposition 1971 et les années subséquentes.

[8]                 La décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt a été portée en appel à la Cour fédérale par voie de procès de novo et, dans un jugement rendu le 2 novembre 1999, le juge Pinard a rejeté l'appel des appelants. Quoiqu'il ait concédé que les montants recevables par les appelants au titre de la vente du bien en 1962 qui n'avaient pas été acquittés étaient encore dûs à la fin de l'année 1971, le juge Pinard a conclu qu'au regard de l'année d'imposition 1971 aucun montant ne pouvait être considéré raisonnable aux fins de la réserve prévue à l'alinéa 85B(1)d). Il s'est exprimé en ces termes au paragraphe 18 de ses motifs (traduction) :

In the case at bar, I consider that the circumstances justified the Minister in changing his mind, which he may generally do from one taxation year to another, and considering that no amount could have been regarded as reasonable in respect of the 1971 taxation year for purposes of a reserve within the meaning of s. 85B(1)(d) of the Act, for all the following reasons:

- the balance of the selling price on the plaintiffs' property at December 31, 1971, $1,093,467.52, corresponded exactly to the balance of the plaintiffs' hypothecary debts on the same property which were expressly assumed by the subsequent purchaser Cytro;

- the selling price balances owed the plaintiffs, namely $230,000 and $200,000, when they sold their property on August 1, 1962 were paid to them in full before December 31, 1971;

- between August 1, 1962, the date their property was sold, and December 31, 1971, the end of the fiscal year in question, the plaintiffs, still holding obligations assumed to them by the purchasers Sutton and Charlton, and still bound to their own hypothecary creditors, had in fact agreed that their hypothecary obligations would be paid in full by a subsequent purchaser of their property;


- the plaintiffs in fact benefited before December 31, 1971 from the full profit from the sale, $678,272, in view of the amounts from their hypothecary loans in question, the cash payment of $330,280.81 on the day of the sale and the repayment of the balances of $230,000 and $200,000 owed to them by the purchasers of their property;

- after the sale of their property, as they never had to pay their hypothecary creditors directly, the latter's rights having been entirely assumed and observed by a subsequent purchaser of the property in question, the plaintiffs were not required after 1971 to lay out any sum in connection with the property and its related hypothecs.

[9]                 Le même passage qui figure dans la décision originale est rédigé de la manière suivante :

Dans le présent cas, je suis d'avis que les circonstances justifiaient le Ministre de se raviser, ce qu'il peut généralement faire d'une année d'imposition à l'autre, et de considérer qu'aucun montant ne pouvait être considéré raisonnable, en regard de l'année d'imposition 1971, pour fins de réserve au sens de l'alinéa 85B(1)d) de la Loi, et ce, pour l'ensemble des motifs suivants:

                        - le solde du prix de vente de la propriété des demandeurs, au 31 décembre 1971, soit 1 093 467,52 $, correspondait entièrement au solde des dettes hypothécaires des demandeurs reliées à la même propriété et expressément assumées par l'acheteur subséquent Cytro;

- les balances de prix de vente dues aux demandeurs, soit 230 000 $ et 200 000 $, lorsqu'ils ont vendu leur propriété au 1er août 1962, leur ont été entièrement remboursées avant le 31 décembre 1971;

       - entre le 1er août 1962, date de la vente de leur propriété, et le 31 décembre 1971, fin de l'année fiscale en cause, les demandeurs, toujours titulaires des obligations envers eux assumées par les acheteurs Sutton et Charlton, et toujours liés vis-à-vis leurs propres créanciers hypothécaires, ont bien accepté toutefois, dans les faits, que leurs obligations hypothécaires soient entièrement satisfaites par un acheteur subséquent de leur propriété;

       - les demandeurs ont en fait profité, avant le 31 décembre 1971, de l'entier profit de la vente, soit 678 272 $, compte tenu des sommes provenant de leurs emprunts hypothécaires en cause, compte tenu du paiement comptant de 330 280,81 $ au jour de la vente, et compte tenu du remboursement des soldes de 230 000 $ et de 200 000 $ qui leur étaient dues par les acheteurs de leur propriété;

       - les demandeurs, après la vente de leur propriété, n'ayant jamais eu à payer directement leurs créanciers hypothécaires, les droits desquels ayant été entièrement assumés et respectés par un acheteur subséquent de la propriété en cause, ils étaient peu exposés, après 1971, à débourser quoi que ce soit en regard de cette propriété et des hypothèques y rattachées.

[10]            Les présents appels ont été interjetés à l'encontre de cette décision du juge Pinard.


Prétentions des parties

[11]            En appel, les appelants font valoir que, bien que les motifs relevés par le juge de première instance puissent étayer une conclusion quant au montant réclamé à titre de réserve au sens de l'alinéa 85(B)(1)d), ces motifs ne sont d'aucune pertinence quant à la question soulevée en l'espèce, à savoir si les appelants avaient droit à une réserve. Les appelants prétendent qu'ils ont droit à la réserve prévue à l'alinéa 85B(1)d) dès que le juge de première instance reconnaît qu'ils sont en droit de recevoir des paiements après 1971 aux termes du contrat de vente de 1962, et qu'il n'était pas loisible au juge de première instance de statuer qu'aucun montant ne pouvait être réclamé à cet égard. Comme le seul motif invoqué par le ministre à l'encontre des appels porte que les appelants n'avaient droit à aucune déduction et comme il ne s'est pas prononcé subsidiairement sur le montant qui aurait pu être réclamé si les appelants y avaient été admissibles, les appelants soutiennent que la réserve qu'ils avaient réclamée doit être considérée raisonnable.

[12]            Les appelants font valoir en outre que le juge de première instance a commis une erreur manifeste en statuant que tous les profits provenant de la vente de 1962 avaient été reçus en 1971, et ce en dépit du fait que le solde du prix de vente chiffré à 1 093 467 $ soit demeuré impayé à la fin de cette année-là.


[13]            L'intimée affirme que le juge de première instance a tiré une conclusion de nature factuelle dont le caractère déraisonnable n'a pas été démontré, compte tenu de la preuve dont il disposait. À cet égard, l'intimée cite à l'appui les motifs du juge de première instance, plus particulièrement le paragraphe 18, ainsi que les motifs du juge Lamarre Proulx dans la mesure où ils reflètent le même raisonnement. Au cours de l'audience, l'avocat de l'intimée a indiqué qu'il ne se fondait pas sur les motifs du juge Lamarre Proulx se rapportant à la formule modifiée dont celle-ci s'était servie pour refuser la réserve.

Analyse et décision

[14]            Le paragraphe 85B(1) prévoit :

85B. (1) Dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,

[...]

b) tout montant recevable à l'égard de biens vendus ou de services rendus dans le cours de l'entreprise pendant l'année doit être inclus, nonobstant le fait que le montant n'est pas recevable avant une année subséquente,

[...]

d) lorsqu'un montant a été inclus dans le calcul du revenu du contribuable, provenant de l'entreprise, pour l'année ou une année antérieure, à l'égard de biens, vendus dans le cours de l'entreprise et que le montant n'est pas recouvrable en totalité ou en partie

       (i) lorsque les bien vendus sont des biens autres qu'un terrain, avant une date

(A) plus de deux ans postérieure à la date à laquelle les biens ont été vendus, et

85B. (1) In computing the income of a taxpayer for a taxation year,

...

(b) every amount receivable in respect of property sold or services rendered in the course of the business in the year shall be included notwithstanding that the amount is not receivable until a subsequent year

...

(d) where an amount has been included in computing the taxpayer's income from the business for the year or for a previous year in respect of property sold in the course of the business and that amount or part thereof is not receivable,

       (i) where the property sold is property other than land, until a day that is

(A) more than 2 years after the day on which the property was sold, and


(B) après la fin de l'année d'imposition, ou

       (ii) lorsque les biens vendus sont un terrain, avant une date postérieure à la fin de l'année d'imposition,

       il peut être déduit un montant raisonnable comme réserve à l'égard de la partie du montant ainsi inclus dans le calcul du revenu qui peut raisonnablement être considéré comme une fraction du profit provenant de la vente;

[...]

e) doivent être inclus les montants déduits sous le régime des alinéas c), d) et da) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année précédente.

(B) after the end of the taxation year, or

       (ii)where the property sold is land, until a day that is after the end of the taxation year,

       there may be deducted a reasonable amount as a reserve in respect of that part of the amount so included in computing the income that can reasonably be regarded as a portion of the profit from the sale;

...

(e) there shall be included the amounts deducted under paragraphs (c), (d) and (da) in computing the income of the taxpayer for the immediately preceding year.

[15]            Cette disposition crée des règles particulières lorsqu'un terrain est vendu dans le cours de l'entreprise pour un montant recouvrable en totalité ou en partie après l'année de la vente. En l'absence de cette disposition, un montant recevable dans une année subséquente serait comptabilisé dans le calcul du profit pour l'année de la vente, à une valeur qui tiendrait compte du fait que le paiement est différé, et ce montant serait imposable en entier. Le versement subséquent des montants payables aux termes de la vente ne serait pas imposable.


[16]            Conformément au paragraphe 85B(1), le montant recevable dans une année subséquente doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année de la vente à sa valeur nominale, mais l'élément de profit de ce montant est déductible. En ce qui a trait aux années subséquentes, l'élément de profit du montant reçu dans l'année, qu'on obtient en soustrayant la déduction prévue à l'alinéa d) pour l'année en cours de la déduction prévue à l'alinéa d) pour l'année précédente, doit être inclus dans le calcul du revenu.

[17]            Compte tenu du fait que, mis à part le paragraphe 85B(1), il n'y aurait aucun impôt à payer en 1971 au titre du profit provenant d'une vente effectuée en 1962, l'impôt que les appelants devaient payer en 1971 à l'égard de cette vente doit découler de l'application du paragraphe 85B(1), qui requiert que les appelants comptabilisent, dans le calcul de leur revenu pour l'année 1971 (alinéa e)), le montant déduit aux termes de l'alinéa d) pour l'année 1970 et qui prévoit la déduction d'une « réserve » pour l'année 1971 au sens de l'alinéa d).

[18]            Le juge de première instance a tiré un certain nombre de conclusions pertinentes quant à l'issue de l'appel. Il a statué que les appelants, malgré le fait qu'ils aient été « peu exposés » , demeuraient responsables à l'égard des prêts impayés dont le montant équivalait au solde du prix de vente (paragraphe 18 des motifs, premier et dernier sous-paragraphes).


[19]            Par son jugement, le juge de première instance a également fait ressortir clairement que, dans la mesure où ils n'avaient pas été acquittés, les montants recevables par les appelants aux termes de la vente de 1962 étaient encore dûs à la fin de 1971, et que les montants dont les appelants se sont servis pour calculer l'impôt sur le revenu qu'ils devaient payer en 1971 étaient justes (voir particulièrement le paragraphe 18 des motifs, premier et troisième sous-paragraphes). Il a cependant conclu que ces montants n'accordaient pas aux appelants le droit de réclamer une réserve.

[20]            À mon sens, lorsqu'un montant recevable dans une année subséquente a été inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année de la vente d'un terrain, comme en dispose l'alinéa 85(1)b), on ne peut refuser d'accorder la réserve visée à l'alinéa d) pour une année donnée au motif que le montant ainsi inclus n'est pas un « montant recevable » . Autrement dit, lorsqu'en application de l'alinéa 85B(1)b), un montant est inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année précédant celle dans laquelle le montant devient recevable, le contribuable a le droit de réclamer une réserve au sens de l'alinéa d) pour toutes les années avant que le montant devienne payable.

[21]            L'impôt à verser relativement à un montant recevable après l'année de la vente est imposé sur l'élément de profit du montant recevable dans l'année d'imposition. Il en est ainsi, car l'alinéa e) prévoit que le calcul de l'impôt se fait en fonction de l'élément de profit du montant recevable dans l'année d'imposition et par la suite, soustraction faite de l'élément de profit du montant recevable après l'année d'imposition, selon ce que prévoit l'alinéa d).


[22]            Les alinéas b) et d) du paragraphe 85B(1) constituent des composantes essentielles d'une même disposition législative qui prévoit que, dans le calcul du revenu pour une année, un profit provenant d'un montant recevable qui n'est pas encore recevable doit être inclus à toutes les années jusqu'à ce qu'il le soit, et que l'élément de profit ainsi inclus peut être déduit du revenu du contribuable à toutes les années avant celle dans laquelle il devient recevable. En définitive, l'élément de profit recevable n'est inclus dans le revenu que pour l'année dans laquelle il devient recevable.

[23]            Comme l'inclusion dans le revenu se fait lorsqu'il existe un élément de profit dans le montant recevable qui n'était pas encore recevable dans l'année, il est possible d'affirmer qu'on ne peut pas refuser la déduction prévue à l'alinéa d) au motif que ce montant ne comporte aucun élément de profit. À l'inverse, si on suppose en l'espèce que la déduction visée à l'alinéa d) a été refusée à juste titre du fait que ce montant ne comportait aucun élément de profit, la nouvelle cotisation établie serait erronée dans la mesure où elle tiendrait compte de ce montant dans le revenu parce qu'il comporte un élément de profit.


[24]            L'avocat de l'intimée plaide que l'arrêt de notre Cour The Dominion of Canada General Insurance Company c. La Reine, 86 D.T.C. 6154, écarte cette interprétation et cette application raisonnée du paragraphe 85B(1). Selon lui, c'est le fait qu'un montant soit déduit aux termes de cette disposition qui dicte son inclusion dans le calcul du revenu, indépendamment de ce dont il est composé et de la question de savoir s'il avait été régulièrement déduit en premier lieu.

[25]            L'arrêt Dominion of Canada porte sur la question de savoir si un montant doit être inclus dans le calcul du revenu aux termes de l'alinéa e) lorsqu'il peut être démontré que ce montant a été déduit à tort pour l'année précédente aux termes de l'alinéa c). Le juge Stone a décrit la prétention de l'appelante de la manière suivante, à la p. 6162 :

L'appelante énonce son moyen comme suit. Comme elle n'était pas tenue ni autorisée par la Loi dans son libellé de 1968 à en faire la déduction, la réserve pour polices imputée au revenu qu'elle avait tiré pendant cette année de l'assurance autre que sur la vie n'a pas été « déduit[s] sous le régime de l'alinéa c) » du paragraphe 85B.(1) de façon à exiger son inclusion dans son revenu de 1969 conformément à l'alinéa 85B.(1)e). L'appelante soutient que même si un montant a effectivement été déduit en 1968 à titre de réserve pour polices, il n'a pas été déduit en application de la loi et, partant, elle n'était pas tenue de l'inclure dans son revenu de 1969. Ce moyen a l'avantage de la simplicité. L'appelante soutient en outre que le juge de première instance a commis une erreur en ne cherchant pas à savoir si ce montant [TRADUCTION] « pouvait en droit être ‘déduit sous le régime de l'alinéa c)' dans le calcul » du revenu de la contribuable pour l'année d'imposition 1968.

Selon moi, ce moyen n'est pas tant une contestation directe de la cotisation de 1968 (qui n'a pas été contestée et est devenue finale depuis longtemps) mais plutôt une tentative de l'appelante de plaider l'effet juridique, sur le calcul de son revenu de 1969, de ce qu'elle affirme aurait dû être fait dans le calcul de son revenu en 1968. Je crois que l'on peut néanmoins soutenir à bon droit que l'année d'imposition 1968 de l'appelante est un dossier classé. La Cour doit donc s'interroger sur le bien-fondé de ce moyen, compte tenu des dispositions de l'alinéa 85B.(1)e) dans son libellé de 1969, et aussi de ce qu'a fait l'appelante en réalité en calculant le revenu qu'elle a tiré en 1968 de l'assurance autre que sur la vie.

[26]            Le juge Stone a ensuite disposé de la question en ces termes, à la p. 6163 :

Le libellé de l'alinéa 85B.(1)e) vise l'inclusion dans le revenu d'un « montant » qui a été « déduit » au cours de l'année précédente et non un montant qui était « déductible » au cours de cette année. Cet adjectif, eût-il été utilisé par le Parlement, aurait pu donner plus de valeur à la prétention de l'appelante selon laquelle, pour pouvoir être récupérée à titre de revenu en 1969, la somme en litige devait avoir été régulièrement déduite en 1968.

Je trouve l'argument de l'intimée concluant. Au cours de l'année d'imposition 1968, l'appelante a déduit la somme litigieuse à titre de réserve pour polices (calculée conformément au règlement 1400) en tenant pour acquis qu'elle était en droit de le faire, et sa cotisation d'impôt a été établie en conséquence. Pour pouvoir être réclamée en 1969, une nouvelle réserve pour polices devait être calculée au cours de cette année, et non simplement reportée à partir de l'année précédente. Bien que selon mon analyse de la question, le montant susmentionné n'avait pas à être déduit en 1968, cela ne peut modifier le fait qu'il a bel et bien été déduit à titre de réserve pour polices au cours de cette année. Cela est d'autant plus vrai que l'appelante n'a aucunement tenté de mettre en doute l'exactitude de la cotisation pour 1968, à laquelle elle aurait pu s'opposer en entamant une procédure d'appel en temps utile. Elle reconnaît le caractère obligatoire de cette cotisation et n'en a jamais contesté la validité.

À mon sens, ce serait donner à l'alinéa 85B.(1)e) une interprétation trop restrictive que de prétendre que son libellé n'exigeait pas l'inclusion du montant déduit en 1968 dans le revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1969. Bien que l'alinéa vise indubitablement une somme régulièrement déduite, je ne vois aucune raison d'en limiter l'application à cette seule circonstance. Au contraire, son libellé semble suffisamment large pour s'appliquer également à un « montant » qui a de fait été « déduit » au cours d'une année précédente par un contribuable qui se conformait ou prétendait se conformer aux dispositions de l'alinéa 85B.(1)c). Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l'espèce, la cotisation établie à l'égard du revenu a été acceptée et ne peut plus être contestée par l'appelante, mais doit être considérée valide et obligatoire. Je suis incapable de concevoir que le Parlement, en adoptant cet alinéa, entendait autre chose que d'obliger le contribuable à intégrer à son revenu dans son année d'imposition en cours ce qu'il avait déduit au cours de l'année d'imposition précédente à titre de réserve pour polices.

            __________________________

         11 L'intimée met en contraste l'emploi par le Parlement de l'adjectif « déduit » et celui de l'adjectif « déductible » comme on le trouve plus tard au paragraphe 111(3) de la Loi, sous le régime duquel une somme au titre d'une perte qui pouvait être réclamée au cours d'une année d'imposition n'était déductible que dans la mesure où elle dépassait les sommes « déductibles » au cours des années antérieures. Voici le libellé de cet article, comme on le trouve dans S.C. 1970-71-72, chap. 63 :

                                 « (3) Aux fins du paragraphe (1),

     a) une somme au titre d'une perte autre qu'une perte en capital, d'une perte en capital nette ou d'une perte agricole restreinte, selon le cas, pour une année d'imposition n'est déductible que dans la mesure où elle dépasse le total

    (i) des sommes antérieurement déductibles relativement à cette perte, en vertu du présent article, et

    (ii) des sommes soustraites antérieurement à l'égard de cette perte en vertu des alinéas 186(1)c) ou d) lors de la détermination des montants sur lesquels l'impôt est devenu payable en vertu de la Partie IV; et

b) aucune somme n'est déductible au titre d'une perte autre qu'une perte en capital, d'une perte en capital nette ou d'une perte agricole restreinte, selon le cas, pour une année quelconque, avant que,

    (i) dans le cas d'une perte autre qu'une perte en capital, les pertes autres que des pertes en capital, qui sont déductibles,

    (ii) dans le cas d'une perte en capital nette, les pertes en capital nettes déductibles, et

                                  (iii) dans le cas d'une perte agricole restreinte, les pertes agricoles restreintes qui sont déductibles,

   pour les années antérieures n'aient été déduites. »


[27]            À mon sens, il faut lire cette décision à la lumière des faits qui lui sont particuliers. L'appelante a bénéficié de la déduction d'un montant que le ministre avait accepté et qui ne pouvait dorénavant plus être contesté, mais s'est opposée à l'inclusion de ce montant dans le revenu pour l'année suivante aux termes de l'alinéa e), alléguant que la déduction ne reposait sur aucun fondement. C'est le contexte dans lequel la Cour a statué que, même si l'alinéa e) s'appliquait « indubitablement » à un montant régulièrement déduit, elle ne voyait en l'espèce aucune raison d'en limiter l'application à cette seule circonstance.

[28]            Alors que l'emploi du terme « déduit » , plutôt que « déductible » , a, selon une interprétation littérale, permis à la Cour d'élargir l'application de l'alinéa e), il semble ressortir clairement que le terme « déduit » a été employé parce que le paragraphe 85B(1) prévoyait une déduction qui devait, dans les faits, être réclamée, c'est-à-dire « déduit[e] » (voir par contraste le par. 111(3) cité par le juge Stone dans la note de bas de page 11), et non pas parce que le législateur avait l'intention de permettre que des montants non admissibles en application de la disposition soient « déduit[s] » ou « inclus » , selon le cas.   


[29]            Tel qu'il se conçoit, le principe dégagé par l'arrêt Dominion of Canada dispose qu'un contribuable qui s'est prévalu de la déduction d'un montant pour une année au motif qu'il a été régulièrement déduit ne peut pas prétendre que ce montant n'a pas été régulièrement déduit dans le but d'éviter son inclusion dans le calcul du revenu pour l'année suivante. Rien de tel n'a été soulevé dans la présente affaire.

[30]            À mon avis, le législateur n'aurait pas envisagé l'inclusion, dans le calcul du revenu, d'un montant qui n'est pas recevable après l'(les) année(s) pertinente(s) sans prévoir une disposition inconditionnelle permettant la déduction de ce montant à chaque année jusqu'à ce que le montant soit recevable. L'alinéa 85B(1)d) doit s'appliquer suivant ce que prévoit explicitement son libellé, c'est-à-dire que « lorsqu'un montant a été inclus dans le calcul du revenu du contribuable ... pour ... une année antérieure, à l'égard de biens, vendus ... et que le montant n'est pas recouvrable ... avant ... la fin de l'année d'imposition, il peut être déduit un montant raisonnable comme réserve à l'égard de la partie du montant ainsi inclus ... qui peut raisonnablement être considéré comme une fraction du profit provenant de la vente » . Conclure autrement équivaudrait à faire en sorte que le paragraphe 85B(1) impose une taxe sur l'élément de profit d'un montant recevable avant que celui-ci ne le devienne, une interprétation qui n'a manifestement pas été envisagée.


[31]            Le long passage tiré de l'arrêt de notre Cour La Reine c. The Ennisclare Corporation, 1984 D.T.C. 6265, que le juge de première instance a cité, n'étaye pas la conclusion qu'il a tirée. Cet arrêt soulevait la question de savoir quelle « partie » du montant inclus par la Ennisclare Corporation dans le calcul de son revenu pouvait raisonnablement être considérée comme une fraction du profit provenant de la vente pour les fins de l'alinéa 85B(1)d). C'est le contexte dans lequel notre Cour a exprimé l'opinion selon laquelle une « formule rigide » n'était pas justifiée.

[32]            Ce qui est en jeu dans la présente affaire, c'est la question de savoir s'il existe un « montant » qui donne droit à une déduction prévue à l'alinéa d), et le juge de première instance a omis de tenir compte du fait que, bien qu'il n'y ait aucune formule rigide pour déterminer quelle « partie » du montant recevable peut « raisonnablement être considéré[e] » comme une fraction du profit, l'existence du droit à une réserve ainsi calculée doit être tranchée au regard de l'alinéa 85B(1)d). Après avoir conclu que des montants étaient dûs aux appelants par suite de la vente de 1962, montants qui étaient encore recevables à la fin de l'année d'imposition 1971, le juge de première instance était tenu de statuer que les appelants avaient le droit de réclamer une telle réserve. Bien que les facteurs relevés au paragraphe 18 de ses motifs aient pu étayer une conclusion quant au montant de la réserve qui aurait pu être réclamée, ces facteurs n'ont aucune incidence sur le droit des appelants à une réserve.

[33]            Comme la seule prétention mise de l'avant par le ministre dans la présente instance porte que les appelants n'ont le droit de déduire aucun montant, et comme le ministre ne s'est pas prononcé sur la réserve que les appelants pourraient raisonnablement


réclamer s'il y étaient admissibles, la réserve réclamée par les appelants, calculée selon la formule de base à ces fins, doit être considérée comme étant raisonnable.

[34]            Je suis d'avis d'accueillir les appels, d'annuler les jugements portés en appel et d'ordonner que les nouvelles cotisations soient annulées et que l'affaire soit renvoyée au ministre pour que celui-ci la réexamine et qu'il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les appelants avaient le droit de déduire la réserve réclamée dans leurs déclarations pour l'année d'imposition 1971, et les dépens sont adjugés en faveur des appelants dans la présente instance et devant la Section de première instance.

             « Marc Noël »                    

J.C.A.

« Je souscris aux présents motifs.

Alice Desjardins, J.C.A. »

« Je souscris aux présents motifs.

Robert Décary, J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

SECTION D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                     A-778-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                   KENNETH WOLOFSKY

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

NO DU GREFFE :                                     A-779-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                   SYDNEY WOLOFSKY

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

NO DU GREFFE :                                     A-777-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                   PETER WOLOFSKY

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      Le 4 avril 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR LE JUGE NOËL, J.C.A

Y ONT SOUSCRIT :                                LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.

LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

EN DATE DU :                                                          30 avril 2001

ONT COMPARU :

M. François Barette                                                                  POUR LES APPELANTS

M Guy Du Pont

M. Richard Gobeil                                                                      POUR L'INTIMÉE

Mme Carole Benoît

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goodman Phillips & Vineberg                                                POUR LES APPELANTS

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                                               POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


Ottawa (Ontario)


Date : 20010430

Dossier : A-777-99

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 30 AVRIL 2001

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

            LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

PETER WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

JUGEMENT

Le présent appel est accueilli. La décision du juge Pinard, rendue le 2 novembre 1999, est annulée et l'affaire est renvoyée au ministre pour que celui-ci la réexamine et qu'il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant avait le droit de déduire la réserve réclamée dans sa déclaration pour l'année d'imposition 1971, et les dépens sont adjugés en faveur de l'appelant dans la présente instance et devant la Section de première instance.

            « Alice Desjardins »                 

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 20010430

Dossier : A-778-99

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 30 AVRIL 2001

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

            LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

PETER WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

JUGEMENT

Le présent appel est accueilli. La décision du juge Pinard, rendue le 2 novembre 1999, est annulée et l'affaire est renvoyée au ministre pour que celui-ci la réexamine et qu'il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant avait le droit de déduire la réserve réclamée dans sa déclaration pour l'année d'imposition 1971, et les dépens sont adjugés en faveur de l'appelant dans la présente instance et devant la Section de première instance.

            « Alice Desjardins »                 

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 20010430

Dossier : A-779-99

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 30 AVRIL 2001

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

            LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

PETER WOLOFSKY

appelant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

JUGEMENT

Le présent appel est accueilli. La décision du juge Pinard, rendue le 2 novembre 1999, est annulée et l'affaire est renvoyée au ministre pour que celui-ci la réexamine et qu'il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant avait le droit de déduire la réserve réclamée dans sa déclaration pour l'année d'imposition 1971, et les dépens sont adjugés en faveur de l'appelant dans la présente instance et devant la Section de première instance.

            « Alice Desjardins »                 

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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